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Kitabı oku: «Récits d'une tante (Vol. 4 de 4)», sayfa 17

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Dès le lendemain, une énorme tumeur se déclara à la cuisse; il crut nécessaire de l'ouvrir et dit au malade que, n'ayant pas depuis quelque temps l'habitude d'employer le bistouri, il souhaitait appeler Marjolin. «Je comprends; vous aimez mieux être deux.» Et, depuis ce moment, la conviction de son danger ne le quitta plus, sans réussir à l'émouvoir.

Monsieur de Montrond, envoyé par lui le dimanche chez le Roi, lui rapporta qu'il l'avait annoncé comme bien souffrant: «Bien souffrant! c'est bien mal qu'il fallait dire.» Et puis, après de telles paroles, il se reprenait à causer de tout avec une liberté d'esprit qui frappait d'autant plus que son attitude de corps était plus douloureuse.

Un affreux étouffement, qui allait jusqu'à la suffocation, ne lui permettait pas de rester couché et la plaie de la tumeur de pouvoir être assis. Il était penché de côté sur son lit, les jambes pendantes, soutenu par deux valets de chambre qui se relayaient, la tête affaissée sur la poitrine; et c'était de cet état qu'il se relevait pour témoigner reconnaissance à ses nombreux visiteurs, profiter de leur conversation et y chercher quelque distraction aux maux qu'il endurait avec une patience, fille du courage.

Je vis le Chancelier bien affecté de ce triste spectacle. Il se rappelait monsieur de Talleyrand, triomphant de son succès, déployant sa haute capacité, tenant en 1814, dans cette même chambre, les conseils où il était décidé du sort de l'Europe, et le contraste ne prêtait que trop aux réflexions mélancoliques que notre pauvre nature humaine ne cesse de fournir aux esprits observateurs.

Cependant, le danger croissait d'heure en heure. Les salons de l'hôtel de Talleyrand étaient remplis de personnages de tous les rangs et de toutes les opinions; la famille ne désemparait pas.

Madame de Dino, tiraillée entre les gens qui lui reprochaient de ne point insister auprès de monsieur de Talleyrand pour obtenir une abjuration des scandales de sa vie et ceux qui l'accusaient de vouloir, par intérêt personnel, troubler les derniers moments du malade, se trouvait dans une pénible situation.

Elle se décida enfin, le mardi soir, à faire un appel aux intentions connues de monsieur de Talleyrand pour l'engager à signer les déclarations rédigées par avance.

Il reçut fort mal cette ouverture, en lui disant qu'il signerait quand il en serait temps. Les médecins ne dissimulaient pas le danger imminent. Madame de Dino crut tous les soins dont elle s'occupait depuis si longtemps perdus et s'en désola de bonne foi. Le zèle sincère et pieux de la jeune Pauline eut plus de succès. C'était l'enfant de prédilection de la vieillesse du prince; elle le soignait avec tendresse et dévouement. Elle lui parla de cette signature si ardemment désirée par son cœur innocent qui n'en appréciait pas l'importance temporelle.

Monsieur de Talleyrand lui dit qu'il s'en occupait sérieusement. En effet, le mercredi, après la visite des médecins, il annonça qu'il les signerait le lendemain, à quatre heures du matin. Puis il continua à voir du monde, mais moins que les jours précédents.

Madame Adélaïde m'a raconté qu'elle y avait passé une partie de la soirée. Après quelques expressions de reconnaissance sur sa bonté, il était tombé dans des sujets de conversation ordinaire, sans y mettre aucune espèce d'affectation, pas même celle d'une gaieté insolite.

Sans la position douloureuse à voir que j'ai déjà décrite, on aurait pu le croire dans son état accoutumé. Mais les gens de l'art ne permettaient aucune illusion et donnaient de grandes alarmes pour la nuit.

Pauline était venue à neuf heures réclamer sa promesse de signer: «Je signerai à quatre heures demain matin, avait-il répondu avec impatience; va te reposer jusque-là.»

À onze heures cependant, elle reparut dans sa chambre. «Est-ce qu'il est quatre heures?» demanda-t-il. On lui dit qu'il n'en était que onze.

«Va-t'en, Pauline, sois tranquille; je n'ai jamais rien su faire vite et pourtant je suis toujours arrivé à temps.»

En effet, quatre heures sonnant, il fit appeler madame de Dino. Elle avait pris la précaution de réunir messieurs Molé, de Sainte-Aulaire et de Barante pour certifier de sa volonté, dans le cas où il serait hors d'état d'écrire; mais ces messieurs ne furent pas appelés, et il signa d'une main ferme: Charles Maurice, prince de Talleyrand, en présence de l'abbé Dupanloup, de ses gens et de son médecin Cruveilhier dont je tiens ces détails.

Avant de signer, il avait demandé lecture de la pièce. Il n'y trouva pas certaines expressions qu'il se souvenait d'avoir écrites; on lui rappela qu'elles étaient dans la lettre au Pape. «C'est vrai, il faut aussi que je la signe.»

Puis, il voulut que la déclaration portât la date de la minute, toute de sa main, remise à l'abbé Dupanloup; celui-ci ne se la rappelait pas exactement.

«C'est bien facile à retrouver, reprit le prince, prenez, sur le second rayon de la bibliothèque, des exemplaires de mon éloge de monsieur de Reinhard; il a été prononcé le même jour.»

Ceci prouvait évidemment que cette représentation académique, très en dehors des habitudes de monsieur de Talleyrand, avait eu pour but de manifester qu'il n'y avait aucun affaiblissement moral dans ses facultés au moment où il avait tracé la déclaration et qu'elle était l'œuvre de sa propre volonté. Monsieur de Talleyrand a posé devant le public jusqu'à son dernier soupir.

La petite Marie de Talleyrand, fille du baron, devait faire sa première communion le jour même de cette signature. Le malade y pensa et demanda qu'elle lui fût amenée. Elle se mit à genoux devant lui en sanglotant. «Je vous bénis, ma petite, lui dit-il en posant ses mains sur sa tête, et vous souhaite toute sorte de prospérité… J'y participerai… si cela est donné…»

Qui oserait affirmer qu'à ce moment suprême le sceptique ne fût pas un instant le croyant? Puis, il demanda à son valet de chambre une montre et une chaîne qu'il avait fait préparer pour donner à Marie en cette occasion.

L'abbé Dupanloup lui ayant dit, assez sottement, que l'archevêque donnerait sa vie pour alléger ses souffrances, monsieur de Talleyrand répondit, avec ce ton persifleur qu'il savait si bien prendre: «Il a mieux à faire de sa vie.»

Vers huit heures, on lui annonça la visite du Roi. Il s'occupa aussitôt de faire arranger sa chambre suivant les usages commandés par l'étiquette et que lui seul savait, donna des instructions minutieuses à ses gens, à son neveu, à madame de Dino, sur la manière dont le Roi devait être reçu, mené chez lui et reconduit.

Je ne sais si ces soins l'épuisèrent, mais madame Adélaïde, qui accompagna son frère, m'a dit qu'elle fut frappée de l'horrible changement survenu pendant la nuit. Il paraissait suffoqué et accablé, et put à peine articuler quelques paroles en réponse au Roi.

Cependant, au moment où celui-ci se retirait, après une courte visite, monsieur de Talleyrand fit un effort sur lui-même, se redressa et prononça d'une voix forte: «C'est un beau jour pour cette maison que celui où le Roi y est entré.» Puis il retomba et madame Adélaïde, qui prolongea sa visite, n'entendit plus sa voix qu'au moment de son départ. Il lui serra la main et dit d'un ton bas et étouffé: «Je vous aime bien.»

Monsignor Garibaldi s'était rendu de grand matin chez l'archevêque; l'un et l'autre attendaient avec impatience l'arrivée de l'abbé Dupanloup. Il leur apporta le détail de ce qui s'était passé, et obtint l'autorisation de faire rentrer monsieur de Talleyrand dans le sein de l'Église.

Apparemment que les formes entraînèrent quelques lenteurs, car il ne fut de retour qu'à onze heures. Monsieur de Talleyrand ne parlait plus. L'abbé lui donna l'absolution, puis l'extrême-onction. L'archevêque vint à l'hôtel de Talleyrand, mais il ne vit pas le moribond.

Vers midi, la tête s'engagea, et il expira à quatre heures du soir, le 17 mai 1838.

Malgré sa figure blafarde, sa tournure disgracieuse, à travers les vicissitudes d'une vie orageuse qui l'a poussé dans des voies où il n'a ni rencontré ni mérité l'estime, monsieur de Talleyrand s'est toujours montré grand seigneur.

Il l'a été vis-à-vis de la Révolution et du Directoire; de l'Empire et de la Restauration, de la cohue du salon de monsieur de Lafayette et de l'aristocratie anglaise. Il l'a été vis-à-vis de la mort.

Les querelles de famille, suscitées par le testament de monsieur de Talleyrand, et où madame de Dino joua le beau rôle, ne font pas partie de mon sujet. Ce qui y rentre tout à fait, ce sont les dépêches arrivées de Rome peu de jours après l'enterrement.

Le Pape refusait la déclaration, telle qu'elle était rédigée, et exigeait des rétractations beaucoup plus complètes que monsieur de Talleyrand ne les aurait probablement consenties. Le retard du courrier évita du scandale et fut heureux.

La Cour de Rome tança l'archevêque et monsignor Garibaldi de leur indulgence. Notre chargé d'affaires, monsieur de Lordes, fut employé pour apaiser son humeur. Elle bouda un peu, mais elle est sage; les faits étaient accomplis; elle se détermina à accepter la déclaration comme bonne et suffisante, mais se garda de la publier.

Je n'ai point lu cette déclaration; toutefois elle m'a été racontée par plusieurs personnes auxquelles elle avait été communiquée. Je crois être sûre qu'elle est conçue en termes vagues et généraux.

Monsieur de Talleyrand témoigne du regret de s'être laissé entraîner aux erreurs du siècle où il a vécu, ainsi que de la volonté de mourir dans le sein de l'Église catholique, apostolique et romaine où il est né. Du reste, d'abjuration, de prêtrise, d'épiscopat, de mariage, de scandales privés, pas un mot, même par allusion.

Dans la lettre au Pape, il s'accuse et se repent d'avoir un instant méconnu l'autorité légitime et salutaire du Saint-Siège, ce qui s'applique à la constitution civile du clergé admise et jurée par lui en 1791. C'est le seul de ses méfaits qui soit consciencieusement indiqué.

Les obsèques du prince de Talleyrand se passèrent avec calme et décence. On avait annoncé du tumulte; il n'y en eut aucun; mais la foule était grande pour voir passer le cortège.

Lorsque monsieur de Talleyrand tomba malade, le 11 mai, il se préparait à partir le 15 pour Valençay. Ce voyage avait pour but la réception du corps de son frère, le duc de Talleyrand, plus connu sous le nom d'Archambaud de Périgord, qui le précéda de quelques semaines dans le tombeau et, quoique son cadet, l'avait fort devancé dans la vieillesse.

Il était en enfance depuis plusieurs années. Monsieur de Talleyrand se préoccupait fort d'être présent à cette cérémonie pour laquelle il avait donné des ordres minutieux. Les corps des deux frères voyagèrent ensemble et les funérailles, à Valençay, leur furent communes.

On ne peut s'empêcher d'être frappé de ces sortes d'incidents qui révèlent, une fois de plus, combien les calculs humains sont fréquemment déjoués par la Providence.

MORT DE SON ALTESSE ROYALE LA PRINCESSE MARIE D'ORLÉANS DUCHESSE DE WURTEMBERG 1839

Lorsque, si récemment encore, je me complaisais au récit de son enfance, la princesse Marie était alors dans tout l'éclat de sa brillante jeunesse, et je ne m'attendais guère qu'il me serait donné de parler de ses derniers moments. Mais la vie et la mort de cette jeune femme sont tellement rares, dans le rang où elle est née, qu'on ne peut se défendre de leur accorder une attention toute particulière. Je me suis défendu de me servir du mot admiration, qui se présentait sous ma plume, parce que je le réserve pour les personnes qui, avec les mêmes qualités et les mêmes vertus, les soumettent à la hiérarchie de la société et acceptent le sort que Dieu leur a fait, sans user leur vie dans de stériles combats contre la destinée.

Telle a été l'existence de la princesse Marie, et, à vingt-cinq ans, elle a succombé dans cette lutte. Je ne prétends pas lui en faire un éloge, au contraire.

Ce n'est point parce qu'elle était trop douée, c'est parce qu'il lui manquait quelque chose qu'elle a trouvé si amer le sort le plus doux. Cette concession une fois faite à la froide raison, on peut se livrer à tout ce que ses brillantes qualités ont d'attrayant pour l'esprit et le cœur.

Les enfants de monsieur le duc d'Orléans se sont trouvés classés entre eux par leurs années. Monsieur le duc de Chartres, les princesses Louise et Marie, et monsieur le duc de Nemours étaient assez rapprochés d'âge pour vivre constamment ensemble, suivre les mêmes études et avoir les mêmes instituteurs.

La princesse Marie était l'âme, le mouvement et le tyran chéri de ce quatuor qu'elle dominait, sans que ni lui, ni elle s'en doutassent. Plus souvent punie, mais aussi plus souvent admirée, elle faisait le désespoir et la gloire de ses maîtres dont, en fin de compte, elle restait la favorite, et, malgré la perfection de la princesse Louise à laquelle on ne trouvait jamais un reproche à faire, les mutineries de Marie avaient tant de grâce, elle les réparait avec tant de cœur qu'elle n'en était que plus aimée.

Comme toutes les personnes sur lesquelles le génie a secoué son flambeau, elle était sujette à des accès de non-valeur, qu'on qualifiait de paresse, et qui désespéraient la mère et la gouvernante; mais, bientôt, elle reprenait un nouvel élan et dépassait rapidement ceux qu'elle avait laissé la devancer!

Il est assez remarquable combien des esprits, même extrêmement distingués, sont sujets, dans la première jeunesse, à ces accès de nullité morale où tout en eux semble s'engourdir. Je crois que cela tient à un état morbide de l'imagination dont l'éducation ne saurait trop sérieusement s'occuper.

C'est un certain mécontentement de toute chose terrestre, du monde tel qu'il existe, de la société telle qu'elle est faite, des connaissances qu'on trouve trop bornées, des affections qui ne suffisent plus, enfin une aspiration de l'illimité, un appétit du fruit de l'arbre du bien et du mal qu'on a appelé récemment du nom d'esprit artiste, faute de le savoir mieux qualifier, et qui devrait être arraisonné dès sa première apparition.

La princesse Marie en était gravement atteinte: personne ne le reconnut; il grandit avec elle, et elle y a succombé.

Le goût de monsieur le duc d'Orléans pour faire de la popularité était sensible dans l'éducation donnée à ses enfants. Non seulement ses fils étaient envoyés au collège, mais les instituteurs étaient choisis de façon à ce que tout ce qui entourait les jeunes princes parlât le jargon libéral du siècle; et, au lieu de les entretenir des devoirs que leur imposait leur haut rang, on cherchait à l'abaisser à leurs yeux, comme une chimère usée que tous les hommes distingués repoussaient.

Bientôt, la princesse Marie n'y vit plus que des entraves à tous les vœux de son cœur, à toutes les supériorités de son esprit, et, longtemps avant qu'on s'en doutât, elle se sentait profondément malheureuse d'être née princesse et d'être astreinte à ce qu'elle a appelé une vie de déceptions, comme si toutes les situations sociales n'exigeaient pas le sacrifice de quelques goûts!

Elle avait deviné par instinct le mécontentement mutuel existant entre les Tuileries et le Palais-Royal, et, tandis que la princesse Louise se livrait de bonne foi aux caresses sincères de madame la Dauphine, la princesse Marie se raidissait contre une affection qu'elle aurait trouvé une sorte de lâcheté à rechercher. Aussi les deux jeunes princesses ressentirent-elles très diversement la révolution de Juillet.

La princesse Louise l'accueillit en partageant les larmes de sa mère et en s'occupant des absents et des victimes. La princesse Marie y trouva pâture à son imagination, et s'exalta un moment. Mais, bientôt, elle se dégoûta du spectacle qu'elle avait sous les yeux. Son esprit indépendant se refusa à courtiser la multitude, tout autant que la Cour récemment exilée, et elle se confina de nouveau dans le for intérieur de son monde idéal.

Pendant les dernières années de la Restauration, monsieur le duc d'Orléans faisait un cours d'histoire moderne à l'usage de ses enfants. Il le leur professait tous les samedis.

Cette réunion de famille employait la plus grande partie de la matinée. Elle fournissait au travail de la semaine suivante, aussi bien qu'à l'examen des analyses de la séance précédente. J'ai entendu dire que les cahiers de la princesse Louise avaient la préférence, mais que les réponses de la princesse Marie aux questions de son père l'emportaient par leur sagacité.

La supériorité de monsieur le duc de Chartres n'était ni contestable ni contestée par ses sœurs, et ces matinées charmaient également les élèves et le paternel professeur. Ils ne s'attendaient guère alors à la terrible leçon d'histoire pratique qu'ils étaient tous destinés à recevoir. Les goûts d'études sérieuses de madame la princesse Louise ne reçurent qu'un court échec à la révolution de Juillet. La Reine, avec son esprit supérieur, désira éloigner de ses filles la disposition fébrile du moment. Elle les renvoya à leurs occupations accoutumées et à leur existence pacifique, toutes les fois que les circonstances ne les en tiraient pas trop violemment.

Néanmoins, il était difficile que des jeunes filles intelligentes, de dix-sept et dix-huit ans, ne s'identifiassent pas, plus qu'on ne l'aurait désiré peut-être, aux tourments et aux anxiétés de parents qu'elles adoraient.

Cependant, la haute et sage piété de la princesse Louise, toute semblable à celle de la Reine, l'aidait à tempérer ces agitations. Elle avait repris des professeurs qu'elle étonnait de sa profonde et modeste érudition.

Ce même été de 1831, la princesse Marie, renonçant au métier d'écolière, quitta la route tracée par ses maîtres de dessin et se jeta dans une série de compositions qui excita leur admiration. L'Ivanhoé de Walter Scott, premier roman dont on lui permit la lecture, servit d'étincelle à son jeune talent.

J'ai vu les croquis qu'il lui inspira; ils étaient surtout remarquables par l'intelligence des sujets. Ils la conduisirent à des études de costumes et de mœurs du moyen âge; et, bientôt, abandonnant la fiction pour l'histoire, elle choisit, pour l'héroïne de nombreux dessins, cette même Jeanne d'Arc qu'elle a depuis reproduite dans des sculptures que les artistes les plus distingués ne renieraient pas.

Il est assez singulier que tous les enfants du Roi aient les plus grandes dispositions pour le dessin, la peinture, la sculpture (monsieur le prince de Joinville modèlerait aussi bien que sa sœur Marie, s'il avait le temps de s'en occuper) et que tous soient non seulement insensibles à la musique mais qu'elle leur produise même une sensation désagréable. Ordinairement, le goût pour les arts les fait tous accueillir favorablement dans une organisation qui leur devient commune.

Le mariage de la princesse Louise se négociait, surtout vis-à-vis d'elle-même, qui s'en souciait très peu. Uniquement dévouée à sa famille, la pensée de s'en séparer, dans ces temps de troubles, lui était cruelle, et le mari qu'on lui offrait et auquel elle s'est tendrement attachée depuis ne l'emportait pas alors dans son jeune cœur sur les affections dont il l'éloignait.

Dire qu'elle a été forcée serait absurde, pour qui connaît l'intérieur de ces princes si tendrement unis; mais, il est bien sûr que tout ce qui l'entourait s'est relayé pendant trois mois pour obtenir son consentement à force de raisonnements et de caresses. La princesse Marie ne s'y épargnait pas.

Le Roi seul demandait qu'on lui laissât son libre arbitre, et, la veille encore du mariage, à Compiègne, la trouvant tout en larmes, il lui dit qu'il était encore temps de rompre et qu'il se chargeait de la responsabilité si elle éprouvait de la répugnance pour le roi des Belges.

Elle répondit que son seul chagrin était de s'éloigner, et que tout époux lui serait également importun. La Reine la gronda, la persuada, la consola et le mariage s'accomplit.

L'attitude de la princesse Marie, à ce voyage de Compiègne, étonna bien des gens. Son air complètement dégagé, au moment de sa première séparation d'une sœur si angélique qu'elle n'avait jamais quittée d'une heure depuis sa naissance, parut d'une rare insensibilité.

Une jeune personne, mademoiselle de Roure, amie d'enfance des princesses, en était plus scandalisée que personne. Elle essuyait les larmes de la princesse Louise et en répandait avec elle, pendant que la princesse Marie les plaisantait, batifolait et riait autour d'elles.

Elle soutint ce personnage jusqu'au moment où la voiture, qui emmenait sa sœur, fut sortie de la cour; puis elle courut s'enfermer chez elle. Denise de Roure y pénétra quelques heures après et la trouva dans un déluge de larmes et, désespérée, elle se jeta dans ses bras en lui disant que son bonheur était fini, sa vie décolorée. Elle lui fit le tableau animé de tout ce que Louise était pour elle et de tout ce qu'elle perdait.

Denise l'écoutait avec surprise, et ne put s'empêcher de lui demander pourquoi, sentant si profondément cette séparation, elle s'était donné l'air d'une indifférence qui avait étonné tout le monde et, à coup sûr, blessé sa sœur.

«Je savais, répondit-elle, que jamais Louise ne consentirait à se marier si elle pouvait deviner la centième partie du chagrin que j'éprouve. J'avais promis à maman de ne pas l'en dissuader; car je pense, comme elle, que le mariage est non seulement dans les convenances, mais dans le devoir des femmes, et qu'on manque à Dieu en cherchant à s'y soustraire.»

La princesse Marie a été fidèle à ce système, car, non seulement elle n'a formé objection à aucun des mariages dont on a eu l'idée pour elle, mais elle les a tous successivement fort désirés.

Son cœur malade demanda alors du secours à son imagination. Elle se lia plus étroitement avec mademoiselle Antonine de Celles, et toutes deux, se jetèrent dans une dévotion extatique qui marchait droit à l'illuminisme. Sa gouvernante, madame Mallet, s'en alarma et avertit la Reine dont la sage piété n'admettait pas ces aberrations. Elle retint la princesse Marie auprès d'elle plus constamment et profita du mariage de mademoiselle de Celles avec monsieur de Caumont pour l'éloigner de l'intimité de sa fille.

Je crois que madame Mallet commençait à s'inquiéter de l'avenir de la jeune princesse; elle l'aimait d'une extrême passion. Avec un grand fonds d'instruction, madame Mallet avait peu d'esprit. Le cœur et le dévouement lui en tenaient lieu, et ses deux augustes élèves ne pouvaient tomber en meilleures mains pour en faire des personnes également vertueuses et distinguées.

Mais il aurait fallu une véritable supériorité pour être en état de défendre la princesse Marie d'elle-même; et madame Mallet, encore affaiblie par un état maladif, n'était pas capable de cette tâche. Dès longtemps, elle était sous la domination absolue de son élève, qu'elle adorait, et plus propre à se laisser séduire par elle et à entrer dans les faiblesses de son âme qu'à l'aider à les corriger.

Cependant, elle assista utilement la Reine dans l'entreprise de mieux régler les sentiments religieux de la princesse. Le mysticisme disparut peu à peu, et, quoique sa piété conservât quelque chose de plus exalté que celle de sa mère et de ses sœurs, cependant elle avait perdu le caractère d'illuminisme auquel elle était près d'atteindre.

Privée de l'expansion que ses sentiments trouvaient auprès de sa sœur Louise, ils refluèrent sur elle-même, et c'est dès cette époque que je commencerai à placer les ravages que le moral a faits chez elle, aux dépens de la vie, non pas dans un progrès constant, mais par des crises de souffrances intérieures qui ne trouvaient plus où s'épancher.

Elle rêvait un sentiment exclusif et se plaignait de n'en point inspirer. Lorsqu'on lui représentait tous ces liens de famille dont elle était entourée, elle répondait que ses parents l'aimaient pour son huitième d'enfant, que ses frères et sœurs avaient sept frères et sœurs sur qui répandre leur amour. «Louise, seule, ajoutait-elle, s'identifiait à moi et maintenant elle a un mari et des enfants qui, bien naturellement, absorbent ses affections.»

La mort de madame Mallet mit le comble à l'amertume de ses pensées. Elle expira entre les bras de la jeune princesse qui l'avait soignée comme une fille, comme une garde, comme une sainte, ne la quittant ni jour, ni nuit, lui rendant tous les soins matériels et l'exhortant comme un pasteur des âmes.

Après avoir elle-même rabaissé pour toujours les paupières de sa vieille amie, elle se jeta dans les bras d'Olivia de Chabot qui l'avait assistée dans ses pieuses assiduités et partageait sa profonde affliction.

«À présent, dit-elle, il n'y a plus personne sur la terre qui m'aime mieux que tout le monde.»

Olivia protesta de cette vive amitié de jeunesse qui l'unissait à la princesse.

«Oh, ma chère Olivia, vous avez votre famille, et puis vous vous marierez, et vous devez préférer votre mari à toute chose!»

Cette idée d'union conjugale poursuivait toujours la princesse Marie comme le seul type du vrai bonheur.

L'intérieur de sa famille, à la vérité, devait l'entretenir dans cette pensée, et la Reine s'était toujours attachée à l'inculquer à ses filles dont elle désirait passionnément le mariage.

Aussi, y avait-il toujours quelqu'un en perspective; mais tous manquaient, les uns après les autres, et la princesse Marie retrouvait encore là ces entraves de son état de princesse qui lui paraissaient sans aucune compensation parce que tous les nombreux avantages, qui en résultaient pour l'agrément de sa vie, lui étaient trop familiers pour qu'elle pensât à les remarquer.

Cependant, jamais il n'y eut d'étiquette moins gênante, et la Reine s'appliquait à donner à la princesse la liberté compatible avec un ordre de société où la presse, dans sa licence, s'attaque à tout ce qui devrait inspirer le respect, dès qu'on peut l'apercevoir du dehors.

La princesse Marie avait pourtant réussi à s'attirer une certaine popularité, et ce n'était certes pas en la cultivant. Je me rappelle qu'un jour, où j'avais dîné aux Tuileries, elle était debout devant le feu, appuyée sur un grand écran, placé en avant d'elle, et sur le bout duquel je m'appuyais aussi.

Le salon était plein de députés, dont les uns avaient dîné au château et les autres arrivaient en visite (car cela s'appelle des visites à présent; il y a huit ans, j'aurais écrit étaient venus faire leur cour, soit remarqué par parenthèse). La Reine allait des uns aux autres, distribuant ses gracieuses politesses.

La princesse Marie me dit: «J'examine depuis un quart d'heure si celui-là échappera à maman;» et elle me désigna un petit homme à la mise aussi chétive que plébéienne, réfugié entre une console et un fauteuil.

Au même instant, nous vîmes la Reine se diriger vers lui. La princesse me regarda en souriant: «J'aurais été bien étonnée si maman ne l'avait pas déniché.»

Quoique je n'eusse aucune liaison particulière avec la princesse Marie, l'habitude de la voir dès sa plus tendre enfance et peut-être aussi mon caractère me donnaient mon franc parler avec elle, et je lui répondis: «Si Madame assistait un peu plus la Reine, sa tâche serait moins difficile.

– Moi! j'en serais bien fâchée; je n'y entends rien.

– Tant pis, Madame, car c'est votre métier. Chacun a le sien dans le monde, et si vous saviez combien un mot obligeant, une mine gracieuse des personnes de votre rang donnent de popularité et attirent de partisans!»

Elle me mit la main sur le bras et, m'arrêtant tout court, moitié riant, moitié sérieusement:

«Ah! ma chère madame de Boigne, voilà deux mots qui gâtent toute votre morale: la popularité!.. des partisans!.. Mais c'est une lâcheté de s'humilier devant des gens dont on ne se soucie pas, que parfois on méprise, pour obtenir leur suffrage. Cela n'est plus de notre temps, et, d'ailleurs, croyez-moi, cela ne sert à rien.»

Je niai cette assertion. La conversation se prolongea encore quelque temps. Je lui citai de nouveau l'exemple de sa mère. Elle convint de la vénération et de l'amour qu'elle inspirait; «Mais aussi, c'est que maman est la perfection: qui oserait se flatter de la représenter?»

J'avais trop de respect pour la vérité pour lui répondre: Vous, Madame; mais je lui dis qu'on pouvait, au moins, chercher à l'imiter. Elle reprit en riant qu'elle ne commencerait toujours pas en allant parler, à tous ces messieurs noirs, et, de là, me déduisit, avec beaucoup de grâce et plus d'esprit que de raison, que, dans le siècle où nous vivions, les princes n'étaient plus entourés d'assez d'illusions pour être tenus à faire des frais de politesse, que chacun était jugé pour sa valeur intrinsèque, et: «au bout du compte, dit-elle en finissant, ce n'est pas parce qu'elle a été chercher ce petit homme, derrière son fauteuil, que la Reine est chérie et respectée, c'est parce qu'elle est une excellente mère, une excellente épouse, une femme qui fait plus qu'accomplir tous les devoirs que le Ciel lui a commis.»

On voit que, toujours, chez la princesse Marie, l'idée des joies et des devoirs du ménage surnageait dans sa pensée. Je n'oserais pas affirmer que peut-être, au milieu de tout son libéralisme professé et certainement à son insu, son vieux sang Bourbon ne remontât vers sa source et, se refoulant dans ses veines, ne lui inspirât un peu de répugnance pour les gens avec lesquels la révolution de Juillet la forçait à frayer et n'augmentât son dédain pour la popularité.

Quoi qu'il en soit, elle se tenait fort éloignée de toute politesse banale, et les réceptions de Cour lui paraissaient de rudes corvées. Les bals même lui étaient devenus désagréables dès que les invitations s'étendaient au delà d'une stricte intimité.

La pauvre Reine dit à présent: «Marie était trop, parfaite pour ce monde; nous ne la comprenions pas; elle planait trop au-dessus de nous.» Mais alors, elle, aurait mieux aimé qu'elle fût plus terre à terre dans le salon, et je l'ai souvent vue souffrir de ses réticences peu obligeantes.

Ce qui m'a fait naître l'idée des instincts princiers que la princesse Marie possédait sans s'en douter, c'est qu'elle n'était jamais si heureuse que pendant les visites prolongées qu'elle faisait à la reine des Belges que les habitudes allemandes de son mari ont entourée de la plus étroite et minutieuse étiquette.