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Kitabı oku: «Récits d'une tante (Vol. 4 de 4)», sayfa 2

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(28 JUILLET.)

Le mercredi, en entrant chez moi, on me dit qu'aucun de mes ouvriers n'avait paru; il en était de même chez tous les voisins. Ne croyant pourtant pas la situation assez grave pour changer mes projets et devant retourner à la campagne le lendemain, je voulus aller chez mes banquiers, messieurs Mallet, où j'avais affaire.

Je me décidai à sortir tout de suite, pensant bien que, s'il devait y avoir du bruit, ce serait plus tard. Je fis mettre mes chevaux et, sur les dix heures, je montai en voiture. J'allais dans la rue du Mont-Blanc. J'avertis mon cocher de passer par les rues, au lieu de prendre les boulevards, et de tourner bride s'il voyait des rassemblements. Je ne laissai pourtant pas d'être fort effrayée.

Depuis le milieu de la rue des Mathurins, et dans toutes les rues transversales, les lanternes étaient coupées et gisaient fracassées sur le pavé. À chaque porte, il y avait un groupe de femmes et d'enfants portant la terreur sur leur visage. Les insignes royaux qui décoraient la boutique de Despilly, le marchand de papier, avaient été arrachés et jetés par terre.

Le portier de messieurs Mallet fit quelques difficultés pour ouvrir la porte cochère; enfin il s'y décida; ma voiture entra et il la ferma avec une précipitation qui ne calma pas mon inquiétude. Je montai au bureau où ces messieurs furent fort étonnés de me voir; ils m'engagèrent à rentrer chez moi et à ne plus en sortir.

Pendant que je signais quelques papiers essentiels, ils me racontèrent que, vers six heures du matin, des groupes assez considérables s'étaient portés sur les boutiques des armuriers, les avaient pillées sans qu'on pût s'y opposer. Partout on avait brisé les lanternes et renversé les armes royales des boutiques où elles étaient placées. À la vérité, les propriétaires n'avaient fait aucune résistance et avaient même aidé.

Il était question de rétablir de fait la garde nationale pour protéger les personnes et les propriétés. Messieurs Mallet avaient déjà été à leur mairie à cet effet. Ils allaient y retourner, et ils espéraient qu'avant la fin de la matinée une garde nationale improvisée serait en activité dans tous les quartiers, non dans le but d'assister la troupe, mais pour protéger les gens tranquilles et s'opposer à un pillage que les événements de la matinée présentaient comme imminent.

Je rentrai plus effrayée que je n'étais partie. Je retrouvai ma rue parfaitement calme; seulement, par mesure de précaution, les habitants descendaient les lanternes, les serraient et effaçaient les armes royales là où elles se trouvaient.

On me remit un billet de monsieur Pasquier. Il s'informait si j'avais quelque moyen de communiquer avec le duc de Raguse et m'engageait à lui faire savoir que des gens bien instruits pensaient que la résistance militaire, opposée à un mouvement si général, amènerait des catastrophes effroyables, quel qu'en fût le résultat. On connaissait ses lumières et son cœur et l'on pensait que le plus beau rôle pour lui était de se placer comme médiateur, en annonçant à Saint-Cloud les difficultés (plus réelles que peut-être lui-même ne le savait) dont il se trouvait entouré, et en y conseillant des concessions qui pourraient encore tout sauver, si on se hâtait de les proclamer.

J'ai su depuis que ce billet avait été le résultat d'une conférence, tenue chez monsieur Pasquier, et dans laquelle monsieur Hyde de Neuville avait cherché à le décider à se rendre à Saint-Cloud pour éclairer le Roi sur sa position. Monsieur Pasquier avait représenté qu'il n'était nullement propre à cette mission; il ne pouvait obtenir du Roi de l'écouter favorablement, ne possédant pas sa confiance.

Monsieur Hyde se trouvait dans la même situation. Enfin l'abbé de Montesquiou, mieux vu à Saint-Cloud que ces messieurs, consentit à s'y rendre2, et c'était pour appuyer les paroles dont il était porteur qu'on désirait une démarche du maréchal. Il en avait pris l'initiative depuis plusieurs heures, mais on l'ignorait.

J'envoyai tout de suite chez le duc de Raguse savoir si on était en communication avec lui. Tous ses gens se trouvaient aux Tuileries.

Je reçus un nouveau billet de monsieur Pasquier; il m'autorisait à envoyer le premier au maréchal. Je l'enveloppai dans quelques lignes écrites à la hâte. Je ne savais comment les faire parvenir. Mon médecin se trouvait là et, voyant mon anxiété, il se chargea de remettre la lettre en main propre.

Il y réussit, car, peu de temps après, je vis entrer dans ma chambre monsieur de La Rue, aide de camp du maréchal. Il l'envoyait me dire qu'il était trop tard. Toutes les propositions de conciliation avaient été vainement tentées; les ordres de Saint-Cloud étaient impératifs, il ne lui restait plus qu'à agir militairement. D'ailleurs, l'affaire était trop engagée; il fallait, avant tout triompher de l'insurrection.

Monsieur de La Rue ajouta qu'il venait de porter l'ordre de marche aux colonnes: elles devaient s'avancer en balayant tout devant elles, et probablement j'entendrais gronder le canon sous moins d'une demi-heure.

«Dieu nous en garde! m'écriai-je. J'ignore quel en serait le résultat pour la monarchie; mais, si elle réchappe d'une pareille crise, elle sera forcée de sacrifier tous ceux qui auront mitraillé la population parisienne dans une cause si odieuse à la nation!»

Je lui fis la peinture de la position du maréchal, de son impopularité dans le pays, où les calomnies inventées en 1814 avaient encore cours, du peu d'affection que lui portait la Cour, de la méfiance qu'il inspirait aux partis ultra et jésuitique, enfin de la disposition où serait tout le monde à l'offrir en holocauste. «Si le maréchal, ajoutai-je, fait tirer un seul coup de canon, qu'il se fasse tuer, car sa vie ne sera plus qu'une série de malheurs!»

J'étais fort animée et je parvins à persuader La Rue. Il devenait de plus en plus soucieux et me répondait toujours par cette exclamation:

«Mais que faire! on tire sur nous; l'affaire est engagée; il faut bien commencer par la vider et mettre ces gens-là à la raison! Et d'ailleurs il n'y a pas moyen de parler au maréchal. Il a été obligé de m'attirer dans l'embrasure d'une fenêtre pour me donner le message que je vous apporte, et il a eu toute la difficulté possible à trouver un moment pour lire votre lettre.

– Pourquoi donc cela?

– Mais les ministres sont aux Tuileries, chez lui. Monsieur de Polignac et son monde l'entourent et le gardent tellement à vue qu'en étant nominativement le chef de tout il n'a pas la permission de dire une parole, ou de faire un geste, sans les voir contrôler.

– Tâchez pourtant de lui faire comprendre combien il se sacrifie inutilement. Parlez-lui surtout des dangers du pays auquel il est si dévoué.

– J'essaierai de lui rapporter vos paroles, car les miennes n'auraient aucune influence. Il est accoutumé à nous commander et non pas à nous écouter, et les conseils ne peuvent lui arriver utilement par notre bouche. Au reste, votre message n'est pas le seul dont je suis chargé. J'ai rencontré Fabvier à votre porte. Arrivé ce matin même de Lyon, il trouve les affaires bien différentes de ce qu'il les croyait; il vient de parcourir la ville et de se recorder avec ses amis: «Jusqu'à présent, m'a-t-il dit, ils ne se sont mêlés de rien; mais, d'ici à une heure, chaque groupe aura à sa tête un chef intelligent, un officier capable et on s'en apercevra. Il ne faut pas s'y tromper, m'a-t-il dit, le peuple est sérieusement au jeu; le mouvement, pour être spontané, n'en est que plus violent et, ce qui le fera réussir, c'est de n'être le résultat d'aucune conspiration.»

La Rue, comme de raison, avait répondu à son ancien camarade:

«Nous serons prêts à bien recevoir ceux qui nous attaqueraient, et nous aurons sur eux l'avantage de faire notre devoir.

– Devoir tant que tu voudras, mais dis au maréchal que, s'il laisse engager la partie sérieusement, il peut la tenir pour perdue. La troupe ne peut rien dans une ville contre une population unanime et exaspérée. Il y a encore un peu d'hésitation à commencer, mais, si une fois on se sent tout à fait compromis, ce sera sans ressource.»

Sans attacher par trop d'importance à un langage que Fabvier dans sa position devait tenir, j'engageai pourtant monsieur de La Rue à répéter ses paroles au maréchal devant les personnes dont il était obsédé, afin d'avertir que les insurgés seraient dirigés militairement. Ils le furent, en effet, et bien habilement.

Tout de suite après le départ de monsieur de La Rue, je fis prévenir monsieur Pasquier de la réponse peu satisfaisante qui m'était parvenue; puis je me pris à ruminer sur ce que La Rue m'avait dit du peu d'état qu'obtiendraient des paroles passant par sa bouche.

Je savais que nul plus que monsieur Arago n'avait crédit sur l'esprit du maréchal; je lui écrivis pour l'engager à se rendre tout de suite à l'état-major et à y user de son influence pour sauver le pays, le trône et son ami de la ruine prochaine dont ils étaient menacés. Je fis monter un homme à cheval pour se rendre par les boulevards extérieurs à l'Observatoire.

À peine était-il parti que j'entendis le premier coup de canon. Je ne puis peindre l'effet qu'il produisit sur moi; je jetai un cri et, cachant ma tête dans mes mains, je restai immobile pendant quelques minutes.

Tous nos soins devenaient superflus; le sort en était jeté, le pays, le trône, les individus, tout était en jeu! Il n'y avait plus qu'à attendre, en tremblant, le résultat de si funestes chances.

Je passais tout mon temps à la fenêtre. Bientôt je vis arriver une patrouille de soldats. En débusquant dans la rue, ils commencèrent par y tirer une douzaine de coups de fusil quoique tout y fut complètement pacifique. Le comte Karoly, sortant de chez moi, pensa être atteint d'une balle qui vint frapper la borne de la porte.

Il n'y eut pas d'accident dans la rue d'Anjou, mais un voiturier, tournant tranquillement sa charrette, fut tué dans la rue de Surène. Cette inutile démonstration anima vivement les gens de mon quartier.

Jusque-là, ils stationnaient silencieusement à leurs portes et à leurs fenêtres. À dater de ce moment, les maisons furent abandonnées; on se forma en groupes dans la rue et tout ce qui était valide se prépara à la défense. Ce fut le signal de l'hostilité. Cette imprudente patrouille se réunit bientôt à un corps plus considérable dans la rue du Faubourg-Saint-Honoré, et nous entendîmes une fusillade fort vive et assez longue, dont voici le motif.

Ainsi que je l'avais appris chez messieurs Mallet, les citoyens les plus considérables s'étaient portés à leur mairie dans l'idée de rétablir une espèce de garde nationale provisoire, protectrice des citoyens tranquilles, mais ne prétendant pas soutenir le régime des ordonnances.

Le pouvoir, mal instruit, ou plus mal inspiré, avait envoyé partout des troupes pour expulser violemment ces personnes des mairies. Elles s'y étaient défendues, et ces attaques simultanées sur douze points de la capitale avaient achevé d'exaspérer une population que le bruit des décharges n'animait déjà que trop.

Cet épisode fini, je vis arriver, frisant les murs, Chavernac, mon médecin. Il venait me dire que ma lettre avait été remise par lui à un aide de camp du maréchal (Je le savais, puisque la réponse m'était parvenue. Il était rentré chez lui,) et me raconta qu'un rassemblement considérable de gens du peuple, ayant à sa tête un homme vêtu ou plutôt dévêtu comme eux, était venu frapper à sa porte. Il était descendu leur parler.

Le chef lui avait demandé très poliment s'il avait des armes à leur prêter. Il avait répondu négativement, la maison n'étant habitée que par lui et des femmes. On lui avait fait beaucoup d'excuses de l'avoir dérangé. Pour n'être pas en reste de civilité, il avait, de son côté, témoigné le regret de n'avoir pas d'armes à offrir à ces messieurs.

«Ah! monsieur, nous en sommes bien sûrs. Quel français ne s'associe pas, au moins de cœur, à notre noble cause?»

Chavernac vit ce même groupe aller frapper à la porte suivante où on lui donna deux grands pistolets et quelques balles. Il possédait déjà une douzaine de fusils et autant de pistolets recueillis probablement de la même façon. Au reste, ces collectes eurent lieu dans presque tous les quartiers de Paris; et, ce qui est aussi singulier que la douceur avec laquelle les refus étaient accueillis, huit jours après, la presque totalité de ces armes, dont beaucoup étaient de prix, avaient été rapportées à leur propriétaire.

Vers cette heure, ou même avant, on distribua une petite feuille du journal Le Temps; elle racontait les événements et excitait à résister à la troupe en promettant la victoire. Elle ne fut pas sans influence.

Mon homme me rapporta la réponse d'Arago; il allait se rendre à l'état-major, sans en espérer grand succès mais pour n'avoir rien à se reprocher et comme français et comme ami.

Le bruit du canon semblait se ralentir. Tout à coup il reprit plus vivement et évidemment de plusieurs côtés. Les fusillades recommencèrent aussi, mais elles s'étaient éloignées de nous. Les portes se remeublèrent de femmes, d'enfants et d'un petit nombre d'hommes; plusieurs étaient réinstallés à la mairie que la troupe avait été forcée d'évacuer après l'avoir occupée un moment.

Je vis alors passer un homme portant un panier couvert comme les marchands de gâteaux. Il distribuait des cartouches; tout le monde en acceptait, tout le monde les cachait. Il semblait n'y avoir qu'une pensée, qu'une volonté, qu'une action dans toute cette grande ville.

Déjà il était évident que Fabvier avait eu raison. Des chefs intelligents conduisaient les masses populaires.

Voici la tactique suivie; elle a été trop générale pour n'être pas combinée.

Un groupe fort nombreux se formait devant les colonnes de la garde ou de la ligne: ceux qui se trouvaient avoir des armes parmi eux se mettaient en tête et tiraient sur la troupe. Celle-ci ripostait: si quelques-uns des gens armés étaient mis hors de combat, il s'en trouvait d'autres tout prêts à s'emparer de leurs fusils et de leurs munitions.

Après quelques coups échangés, une partie du groupe courait se placer en avant. Les autres se précipitaient dans les portes cochères qui s'ouvraient toutes pour eux, montaient aux fenêtres, tiraient sur la colonne pendant qu'elle passait, puis redescendaient dans la rue et établissaient une barricade derrière elle, y laissaient un petit nombre de gardiens ou la confiaient aux habitants des environs et allaient par les rues latérales rejoindre en courant le groupe primitif qui s'augmentait de plus en plus, et recommençaient cent pas plus loin à arrêter la colonne en renouvelant la même manœuvre; si bien que les troupes, qui avaient tant de peine à avancer, se trouvaient dans l'impossibilité de rétrograder. Elles n'ont pu regagner l'état-major qu'au milieu de la nuit et en faisant de longs détours.

Vers le milieu de la journée, les munitions étaient devenues communes; on s'était emparé par ruse d'un magasin à poudre, gardé seulement par deux vétérans. Des charrettes la transportaient dans les rues et très ostensiblement dans le centre de la ville; les femmes s'occupaient à faire des cartouches sur leurs portes. De notre côté, on se bornait à les recevoir.

J'entendis un homme crier à son voisin par sa fenêtre, en lui montrant deux cartouches: «Quand j'en aurai six, je partirai.» Un instant après, je le vis dans la rue son fusil sur l'épaule. Il fut rejoint par le voisin; après un colloque fort court, celui-ci rentra chez lui, en ressortit avec un sabré et un long pistolet et suivit la même route. Ces gens étaient des pères de famille rangés et tranquilles; mais je ne puis assez le répéter, car c'est l'explication de tout ce qui s'est passé dans ces journées, la population entière était électrisée. Tout le monde prenait une part active aux événements et quelques-uns avec une énergie, un courage, un dévouement inouïs.

À la descente de la porte Saint-Martin, un des passages les plus disputés, il se livra une véritable bataille. Un monsieur se trouvait sans armes à côté d'un homme du peuple portant un fusil dont il ne savait pas se servir:

«Prêtez-moi votre fusil, mon ami?

– Volontiers, monsieur, appuyez-le sur mon épaule; cela vous sera plus commode.»

Un coup, deux coups furent tirés à la grande admiration du prêteur d'armes. Enfin la personne qui tirait s'aperçut qu'il lui faisait un rempart de son corps et lui vit attirer un de ses camarades près de lui pour le masquer tout à fait.

«Ah! cela, mes amis, écartez-vous un peu, s'il vous plaît; vous me faites jouer un rôle ridicule.

– Eh! mon Dieu, monsieur, qu'est-ce que cela fait que nous soyons tués? Nous ne savons pas tirer, nous, vous voyez bien; mais vous, c'est très différent!»

Cette histoire me fut racontée dès le lendemain, chez l'ambassadeur de Russie qui trouvait cela admirable.

Revenons au mercredi. Les rues étaient peu sûres; on ne communiquait guère; cependant je vis deux ou trois fois dans la journée monsieur Pasquier, le duc et la duchesse de Rauzan qui, ainsi que monsieur de Lafayette, logeaient dans la maison contiguë à la mienne. Nous nous instruisions mutuellement de tout ce que nous apprenions; c'était pour la plupart de vagues on-dit. Le canon demeurait toujours le plus explicite des rapports qui nous parvenaient.

Vers la chute du jour, le bruit du tocsin, par toutes les cloches de Paris, vint se joindre à celui de l'artillerie; il nous parut encore beaucoup plus effrayant et plus lugubre.

Il faisait un clair de lune magnifique, une chaleur assommante, pas un souffle d'air. Les bruits ordinaires d'une grande ville étaient suspendus; le son sinistrement monotone du tocsin, les décharges continuelles de coups de fusils et fréquentes de coups de canon les avaient remplacés. De temps en temps, des lueurs rouges, s'élevant au-dessus des toits, signalaient quelque incendie et ajoutaient encore à la terreur à laquelle on était en proie.

Je vis, au clair de la lune, un grand drapeau noir arboré sur le haut de la Madeleine; je ne sais dans quel moment on l'y avait placé, mais il répondait parfaitement à nos impressions.

Je passai toute la soirée à errer dans la cour, dans les escaliers, aux fenêtres donnant sur la rue, recueillant les propos des voisins rapportés par mes gens, et tous de plus en plus alarmants: la moitié de Paris était brûlée, le duc de Raguse était mortellement blessé, le général Talon tué; il ne restait pas un seul lancier, la rivière était rouge de sang versé, etc., etc.

Sur les onze heures, le feu se calma. Une demi-heure après le tocsin cessa, et un silence des plus solennels s'établit partout. Il était si imposant que je me surpris, moi-même, parlant à voix basse à un de mes gens qui, de son propre mouvement, s'offrit à aller à la découverte. Deux autres, poussés d'une ardeur belliqueuse, étaient allés à la bataille; ceux-là n'étaient pas rentrés. Le dernier émissaire, actif et intelligent, revint me dire, avant minuit, que, soldats et peuple, tout se reposait mais restait sous les armes.

La crise n'était rien moins que finie. On recommencerait à se battre plus vivement le lendemain matin si toutefois les troupes restaient fidèles, car on lui avait assuré que deux régiments avaient déjà passé du côté du peuple.

Quoique peu tranquillisée par ce rapport, je me décidai à me jeter quelques heures sur mon lit sans espérer y trouver beaucoup de repos.

(29 JUILLET.)

Le jeudi 29, à six heures, le calme durait encore; mon maître d'hôtel, sorti à quatre, avait couru la ville. Il n'avait vu aucune troupe, mais beaucoup de barricades gardées par des gens armés ayant passé la nuit. Elles servaient de centre de réunion à ceux qui venaient les rejoindre.

Partout on obéissait aux élèves de l'École polytechnique: ils portaient seuls un uniforme et s'étaient emparés de l'autorité. Il en avait vu un arrivant à la place de la Bourse, monté debout sur le devant d'une charrette à deux chevaux, son épée à la main, l'agitant devant lui en répétant constamment: «Éloignez-vous, c'est de la poudre; éloignez-vous, il y a du danger.»

Cette poudre, tout bonnement jetée dans la charrette, fut distribuée à des gens, hommes et femmes, assis sur les marches de la Bourse où une fabrication de cartouches s'était établie. D'autres personnes, également empressées, allaient les distribuer dans les barricades, et tous les voisins y portaient des vivres et des rafraîchissements.

Les blessés trouvaient partout des asiles et des soins, et les morts servaient à exciter l'enthousiasme. Il faut ajouter cependant, à l'honneur de la population parisienne, qu'animée de cet esprit de résistance comme un seul homme et mettant en commun tous ses moyens pour vaincre la troupe, elle n'avait aucune animosité contre le soldat. On lui prodiguait des soins s'il était blessé, mais, tant qu'il avait l'arme au bras, on le voyait périr sans lui donner le moindre regret.

L'homme qui rentrait me confirma le rapport de la veille au soir sur l'imminence du combat qui allait recommencer. Il avait rencontré un palefrenier à moi. Vainement il avait voulu le ramener: il s'était déjà battu et voulait continuer. Un autre était revenu panser ses chevaux et se préparait à repartir. Je le fis rester cependant; je pensais sérieusement à quitter Paris.

Prévoyant des difficultés à franchir les barrières, j'écrivis un billet bien triste au duc de Raguse, en lui demandant un laissez-passer, et je donnai les ordres pour mon départ. Je voulais aller rejoindre ma famille à Pontchartrain.

J'écrivis aussi à monsieur Pasquier pour lui dire adieu et lui demander s'il avait des commissions. Pendant que je faisais mes préparatifs, on vint m'apprendre le retour de madame de Rauzan, partie depuis une demi-heure; Sa voiture avait été arrêtée de tous les côtés par des barricades impossibles à franchir et à éviter.

On me rapporta la réponse du maréchal; c'était un laissez-passer contresigné par monsieur de Choiseul. Le maréchal l'avait remis lui-même à mon homme qu'il connaissait en lui disant: «Louis, voilà ce que demande madame de Boigne, mais dites-lui de ne se point presser; tout sera fini d'ici à peu d'heures, j'espère, comme elle le souhaite, et je pense pouvoir aller chez elle dans la journée.»

Pauvre homme, il était bien dans l'erreur! Je donnai connaissance de ce message à monsieur Pasquier; il m'engagea fort à ne pas essayer de sortir de Paris. J'étais combattue par la crainte d'inquiéter mes parents. J'hésitais encore lorsque le feu recommença (il pouvait être huit heures du matin) et, au même moment, des coups de pioches retentirent dans ma rue.

Je mis la tête à la fenêtre et je vis deux ou trois hommes commençant à enlever des pavés dans la rue du faubourg Saint-Honoré. Ils furent bientôt au nombre de vingt-cinq à trente, puis de cinquante. En moins d'un quart d'heure, il y eut une double barricade fort haute dans la rue du Faubourg qui fut immédiatement accompagnée d'une transversale dans la rue d'Anjou. La même précaution fut prise simultanément à la croisée de la rue de Surène et probablement dans tout le quartier. Bientôt on abattit les arbres de l'allée de Marigny pour faire des estacades à la place Beauveau.

J'ai vu faire ces barricades sous mes yeux, et je puis affirmer, qu'excepté le zèle et l'empressement avec lequel on travaillait, rien ne témoignait une effervescence extraordinaire. C'étaient, pour la plupart, les habitants de la rue qui les élevaient. Pas de cris, pas de rixes, beaucoup de tranquillité et d'activité.

L'œuvre accomplie, quelques hommes armés restaient pour la garder, les autres s'éloignant. Je ne vis aucun chef dirigeant; tout semblait se faire d'inspiration. On avait ménagé de chaque côté de la barricade un très petit passage, pour les piétons; l'usage en était libre à chacun, personne n'y mettait empêchement. Je parle des barricades que j'ai vu établir; plusieurs étaient autrement faites et incommodes à franchir.

Il n'y avait plus moyen de songer à partir; j'en fus soulagée. Rien n'est plus difficile dans de pareilles circonstances que de prendre une décision.

Ma femme de chambre m'amena une madame Garche, marchande de la rue du Bac. Cette femme avait marié sa fille dans le quartier de la Halle. Elle avait appris, le mercredi matin, que la jeune femme souffrait pour accoucher et même était en danger.

Deux fois elle s'était mise en route pour l'aller trouver; elle n'avait pu passer aucun pont; on se battait sur tous. Enfin, vers les minuit, elle était parvenue jusqu'au Carrousel. On avait voulu la renvoyer; cependant elle s'était glissée le long des murs. Arrivée à un endroit ouvert, où la lune donnait en plein, elle fut aperçue. Un officier voulut la faire retourner. Elle le suppliait de la laisser passer, lorsqu'elle entendit ordonner en jurant de la chasser. «C'est le maréchal, dit l'officier, allez, allez vite.» Inspirée par son courage de mère, cette pauvre femme courut droit au maréchal. Elle lui conta sa position; il se retourna à un aide de camp et lui dit: «Allez donc dire aux guichets qu'on ne laisse passer personne»; puis, se tournant vers madame Garche, «Venez, madame, donnez-moi le bras». Il la conduisit jusqu'au dernier poste; en la quittant, il ajouta: «Hâtez-vous, jetez-vous tout de suite dans les plus petites rues et n'en sortez pas, Dieu protège les bonnes mères!» En effet, elle était arrivée heureusement chez sa fille; elle l'avait trouvée accouchée et bien.

En cherchant à regagner le faubourg Saint-Germain par le pont d'Iéna, elle s'était arrêtée chez ma femme de chambre, son amie. Elle parlait du maréchal les larmes aux yeux, et, au milieu de tant de gens qui blasphémaient son nom, il était doux pour ses amis de l'entendre ainsi bénir.

Au reste, on juge bien différemment les mêmes actions selon le point de vue où l'on se trouve placé. Monsieur de Rauzan avait été de grand matin à l'état-major chercher aussi un laissez-passer dont, comme on l'a déjà vu, il n'avait pu profiter. Il avait, me dit-il, assisté à une espèce de conseil de ministres, si une réunion où tout le monde était admis méritait ce titre.

Le maréchal était absent: il fallait son autorisation pour un parti à prendre; monsieur de Rauzan alla le chercher dans la rue de Rohan; il le vit se mettre en travers devant des canons pour les empêcher de tirer sur un groupe où, parmi un très petit nombre de gens armés, il voyait des femmes et des enfants.

Monsieur de Rauzan trouvait cela une grande puérilité. Il aurait, je crois, volontiers dit une lâcheté, s'il avait trouvé un auditoire plus bénévole. Il était désolé d'avoir été arrêté dans son départ. Sa visite aux Tuileries ne lui avait pas inspiré une grande sécurité, malgré la jactance de monsieur de Polignac dont, il faut lui rendre cette justice, il était encore plus révolté que de l'humanité du maréchal.

Le feu sembla se ralentir. Monsieur Pasquier vint chez moi. Il m'expliqua le message du maréchal. Les ministres étaient partis pour Saint-Cloud, et on avait lu sur la place Vendôme une déclaration portant la suspension des hostilités et le retrait des ordonnances. (Cela s'est nié depuis, mais il y a certainement eu une proclamation faite par le général de Wall sur la place Vendôme). On pouvait enfin espérer la solution de cette affreuse crise.

Un instant après, Arago arriva avec son fils. Il avait, me dit-il, fait de vains efforts pour parvenir jusqu'aux Tuileries, les hostilités ayant recommencé du côté du Louvre et du faubourg Saint-Germain. Au reste, il ne pensait pas avoir plus de succès auprès du maréchal que la veille. Il avait épuisé tous les arguments, mais il s'obstinait à ne voir que sa position militaire; il lui avait dit:

«Mon ami, j'ai sacrifié une fois le soldat au citoyen; cette fois, je veux sacrifier le citoyen au soldat. Cela ne me réussira peut-être pas mieux; mais j'ai trop souffert de la première situation, tout en me rendant justice sur les motifs qui m'ont conduit, pour m'y exposer de nouveau. Voulez-vous qu'on puisse dire: On trouve toujours Marmont quand il s'agit de trahir?»

Et il portait ses mains sur son front avec désespoir: «Suis-je assez malheureux de me trouver une seconde fois dans une position où les devoirs se combattent si cruellement!»

Au reste, Arago me confirma le rapport de monsieur de La Rue sur l'obsession des gens dont le duc de Raguse était entouré, et sur la difficulté de l'entretenir un moment. Il me raconta l'absurde propos de monsieur de Polignac et l'air niais avec lequel il avait répondu: «Eh bien! on tirerait aussi sur la troupe si elle se réunissait au peuple.»

De mon côté, je lui rapportai le message du maréchal, et je lui appris qu'il n'avait obtenu aucune réponse de Saint-Cloud à la démarche faite la veille par les commissaires.

«Si le maréchal, reprit Arago, n'a pas de nouvelles de Saint-Cloud, je suis moi, en revanche, plus avancé que lui. Monsieur le Dauphin m'a expédié un courrier porteur d'un billet de sa main.

– Vraiment! et que vous dit-il?

– Il me demande le degré exact du thermomètre dans la journée d'hier.»

Les bras tombent à pareille révélation! Pour ne pas la traiter de fable, il faut savoir que, dans leur intérieur, les princes de la famille royale s'occupaient extrêmement de l'état du ciel, non dans l'intérêt de la science, mais dans celui de la chasse. L'usage était établi entre eux de se faire part chaque jour de leurs observations; et le plus ou moins d'exactitude de leur thermomètre et de leur baromètre était devenu une sorte de préoccupation, surtout pour monsieur le Dauphin. Or, dans leur existence si éminemment princière, rien ne dérangeait ces niaiseries habituelles, devenues une sorte d'étiquette.

L'homme que j'avais envoyé le matin à l'état-major s'était muni pour revenir d'une carte à l'aide de laquelle il prétendait pouvoir y retourner. Nous remarquâmes, en effet, qu'elle portait la permission de circuler pour le service de monsieur le maréchal.

Arago se mit à écrire une lettre où il lui disait la ville entière soulevée, la population de toutes les classés en pleine insurrection, les réunions politiques s'organisant. Il avait connaissance de beaucoup de gens y prenant part; on lui avait déjà fait des propositions; il était question d'un gouvernement provisoire; la cocarde tricolore était décidée; le Roi ne conservait de chance qu'en l'adoptant et en proclamant l'abandon du système absolutiste qui allait amener une guerre civile dont il serait incontestablement victime.

2.L'abbé de Montesquiou, arrêté à la barrière, ne parvint pas à Saint-Cloud.
Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
25 haziran 2017
Hacim:
330 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain

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