Sadece LitRes`te okuyun

Kitap dosya olarak indirilemez ancak uygulamamız üzerinden veya online olarak web sitemizden okunabilir.

Kitabı oku: «Champavert», sayfa 3

Yazı tipi:

III
MATER DOLOROSA

Le portier monta dans la journée chez Apolline pour lui remettre un sac d’argent: c’était la somme que Bertholin devait lui faire parvenir incognito après son départ; car il redoutait qu’avant son retour, cette malheureuse, sans ressource, ne succombât sous le besoin.

– De quelle part? demanda Apolline.

– Je ne sais, mademoiselle, un inconnu vient de me l’apporter pour vous, sans dire plus.

– Remportez cet argent!

– Je ne puis, on m’a bien dit: pour mademoiselle Apolline.

– Remportez-le, vous dis-je!

Le bon homme était tout interdit.

Apolline, fière et noble, le repoussait d’autant plus durement, qu’elle présumait en son cœur que c’était le prix de son déshonneur, que l’homme de la nuit tarifait pour l’humilier encore et l’avilir plus bas.

Mais le portier, tout en s’excusant, jeta le sac sur la table et se retira précipitamment.

Tout le jour, Apolline fut aux aguets; elle écouta si elle n’entendrait point, au-dessous, dans l’appartement de Bertholin, quelque bruit, marcher, remuer des meubles, ouvrir les portes ou les fenêtres, mais vainement. Ainsi, elle épia plusieurs jours de suite, sans plus de succès. Enfin elle se hasarda, un soir, de descendre heurter; pas de réponse: Bertholin avait emmené ses domestiques avec lui.

L’imbroglio se compliquait, et la pauvre Apolline y perdait la tête: – A-t-il déménagé? se disait-elle, mais je l’aurais entendu; aurait-il quitté Paris? et, avant son départ, aurait-il comploté avec un de ses intimes l’affreuse fourberie … Oh non! c’est impossible. Il serait donc bien faux et bien méchant! Oh non! Bertholin est un homme sensible et vrai … Qui m’expliquera tout cela? Elle allait, dans sa perplexité, jusqu’à douter d’elle-même, et se demander si son regard ne l’avait point trompée dans les ténèbres et si ce n’était point Bertholin lui-même qui s’était offert étranger à son imagination frappée. – Pourtant ce n’étaient point ses traits; je ne rêvais pas: pourtant ce n’était pas sa voix, pourtant ce n’étaient pas ses manières élégantes; oh non! ce n’était point lui.

Une semaine environ après cette mésaventure, Apolline reçut une lettre datée du Mont-Blanc; elle était de Bertholin, et s’exprimait ainsi:

Pardon, ma belle future, si je suis parti sans vous avoir baisé les mains; j’ai voulu nous épargner des adieux pénibles. Appelé à la préfecture du Mont-Blanc, je suis allé prendre possession de mon royaume. J’espère, avant quinze jours, revoler près de vous consacrer notre union secrètement, et aussitôt repartir pour ce pays qui, je pense, ne vous déplaira point. Vous n’avez pas eu sans doute la maladroite fierté de repousser la faible somme qu’on doit vous avoir remise d’une part invisible; vous êtes mon épouse, et je souffrirais trop de vous savoir des privations.

Cette lettre ne fit qu’accroître l’embarras d’Appoline: après tant de belles démonstrations, elle n’osait plus accuser Bertholin de noire perfidie; et cependant, à l’heure dite du rendez-vous, bien informé, un autre était venu en son nom la violenter. Mystère inextricable! la raison la plus plausible était que son billet avait pu s’être égaré entre les mains d’un étranger.

Quelque temps après cette première lettre de Bertholin, elle en reçut une autre, où il lui annonçait que, surchargé de travaux imprévus, il était forcé de retarder son départ.

A cette époque, Apolline commença à ressentir un malaise général. Dégoûtée de tout aliment, il lui prenait souvent des tranchées et des vomissemens; son inquiétude devint grande. Un médecin lui conseilla l’usage du safran, qui n’eut aucun résultat; alors il la déclara tout net en grossesse. A cette nouvelle, Apolline tomba dans la consternation et le désespoir.

Nuit et jour, elle pleurait amèrement. Sa position devenait bien cruelle. Bertholin lui avait enfin annoncé son retour; et, d’heure en heure, elle s’attendait à le revoir. Que faire en cette fatale conjoncture? Lui cacher et le duper était chose difficile et malhonnête; lui déclarer tout franchement, c’était tout perdre, et cependant sa délicatesse ne lui laissait que ce parti. Aussi résolut-elle de lui confesser sans déguisement dès son arrivée, et peut-être espérait-elle que sa générosité lui pardonnerait une faute désespérante, commise pour lui et par lui.

Enfin, Bertholin reparut: dès l’abord, il remarqua un grand changement en elle, une tristesse, un air guindé à son vis-à-vis, une altération et un amaigrissement dans ses beaux traits. Il la comblait de tant de caresses et de tant d’amour, que, malgré sa résolution ferme, Apolline n’osait entamer son aveu: vingt fois le premier mot expira sur ses lèvres tremblantes; elle n’osait jeter un si grand désenchantement à un homme si grandement épris. Bertholin s’inquiétait aussi, et ne savait à quoi attribuer tant de larmes.

L’heure de frapper le coup sonna: les préparatifs et les démarches légales étaient faits; le mariage était fixé au samedi suivant; c’était à Saint-Sulpice, à minuit, que, devant deux ou trois témoins, ils devaient, en grand négligé, recevoir la bénédiction nuptiale, pour partir le matin même.

Le jeudi soir, Bertholin invita Apolline à descendre en son appartement, et joyeux, la conduisit, dans le salon: le guéridon et le sopha étaient couverts d’étoffes, de châles, de parures, de bijoux.

– Voici, ma belle, quelques présens que vous offre votre humble époux, puissent-ils vous être agréables.

Apolline se prit tout à coup à sangloter, et resta morne à l’entrée.

– Qu’avez-vous, mon amie? approchez, tout cela est à vous! Aimez-vous cette robe de velours bleu Marie-Louise, cette jeannette d’or, ces bracelets de corail, ce cachemire boiteux?..

Alors Apolline tomba de sa hauteur sur les genoux.

– O Bertholin! Bertholin! si vous saviez?..

– Qu’avez-vous, mon enfant?

– Si vous saviez combien je suis indigne de tout cela? N’est-ce pas, ô mon Dieu! qu’il faut tout lui dire? Je ne sais pas tromper, Bertholin! Oh! si vous saviez? vous chasseriez du pied celle que vous appelez votre épouse!

Il était pétrifié.

– Ecoutez! peut-être êtes-vous coupable de mon crime? Regardez!!!

Disant cela elle arrachait son châle et sa robe plissée qui voilaient sa grossesse.

– Regardez donc!.. Faudra-t-il que je dise ma honte?..

– Abomination!.. Vous enceinte, Apolline? Ah! c’est infâme que d’avoir abusé ainsi un vieillard généreux!

Voilà donc l’épouse! la vierge! que par pitié j’avais choisie! fille de rien! que je voulais grandir!.. prostituée!!!

– Mille fois mourir plutôt!.. criait Apolline se traînant à ses pieds.

Ecoutez-moi, au nom de Dieu! vous me tuerez après! Ecoutez-moi donc, ô mon père! écoutez la vérité.

– Te tairas-tu, effrontée?..

– Dieu voit mon innocence et votre crime, car j’étais pure avant de vous connaître…

– Infâme!..

– Car j’étais pure quand vous m’avez élue votre épouse, c’est vous qui m’avez perdue; écoutez!

Avant votre départ, vous me demandâtes rendez-vous, un soir, chez moi, je l’accordai. A neuf heures on heurte à ma porte, j’ouvre et reçois dans l’obscurité; je croyais que c’était vous, mon Bertholin! Ce démon contrefaisait votre voix et me trompa. Après un long combat, je succombai, croyant m’abandonner à vous… Il me viola!..

– Apolline, vous en avez menti!..

– Quand ce monstre eut consommé sur moi son attentat, lui-même il m’arracha de mon erreur. A la lueur de la lune, je distinguai ses traits: il était blême, avait les cheveux roux, les favoris rouges, les yeux caverneux; il était grand et vêtu de noir.

– Apolline, vous en avez menti!..

– O mon père, croyez-moi!..

– Vous en avez menti!

– Je le jure par ce Christ, par ma mère qui m’entend là-haut!

– Vous en avez menti!

– C’est à vous que je croyais abandonner mes caresses, et vous me traitez ainsi!.. C’est vous qui m’avez perdue!..

– Vous en avez menti…

– Vous avez égaré ma lettre: ce devait être quelqu’un de vos amis....

– Vous en avez menti!

– O mon père!

– Sortez de devant moi!

Il t’en cuit, pauvre Bertholin; à cinquante ans, de t’être dépouillé de ta haine, pour aller t’abaisser aux genoux d’une fille! Cruelle leçon! Mais c’est infâme! Quand j’y pense!.. – Va-t-en, va-t-en, ou je te foule aux pieds comme ces écrins! Va-t-en, si tu veux m’épargner un meurtre! Va-t-en, gueuse, prostituée!!!!

Apolline râlait sur le carreau.

Bertholin la saisit par les pieds, la traîna et la jeta dehors, et sur-le-champ même il repartit.

IV
MOISE SAUVÉ DES EAUX

Rien n’est plus démoralisant que l’injustice, rien ne jette plus d’amertume et plus de haine au cœur. Bertholin semblait injuste à Apolline, Apolline semblait coupable à Bertholin, elle l’aurait semblée aux yeux de toute la terre. Il ne faut qu’un concours de circonstances pour faire du plus innocent un coupable. Ce n’est que sur du probable et de l’apparent que peuvent juger les hommes avec leurs courtes antennes. On pourrait comparer les crimes à des ballots bien clos: c’est par l’enveloppe que le juge estime le contenu, et quand, par sa sentence, il l’a déclaré taré et à l’index, et fait jeter à la mer, le ballot, dans sa chute, se brise et s’ouvre sur une roche; tout ce qu’il recélait remonte à fleur d’eau et paraît en pleine lumière; la balourdise du tribunal devient patente, la foule en ricane amèrement; alors le juge se drape et se hausse, et s’écrie, avec son ton archiépiscopal risible: Je suis infaillible!

Rongée par un chagrin mortel, Apolline se minait sourdement et se consumait chaque jour.

Elle, quelques mois plus tôt, si belle encore, amaigrie, phtisique, comme un spectre, ne sortait qu’à la nuit noire pour éviter les regards méchans.

Le voisinage l’aurait crue morte, si, de temps en temps, elle n’avait touché un piano délabré et servant de table, triste ruine de son ancienne opulence. On avait même remarqué et retenu cette strophe que souvent elle psalmodiait langoureusement, et qu’elle semblait affectionner par-dessus toutes.

 
Bourreaux, arrêtez ma torture!
Le mal a fait mon cœur mauvais:
Haine à toi Dieu, monde, nature,
Haine à tout ce que je rêvais!..
Avant mon corps, sur cette roue
Où le sort le tient garotté,
Mon âme expire, et je la voue
A Satan, pour l’éternité!..
 

Ce seul refrain nous montre la disposition d’esprit d’Apolline, et combien la souffrance et le malheur peuvent pervertir la plus belle âme; elle, douce, bonne, fervente, aimante, religieuse, n’avait plus que du fiel dans la poitrine et du venin à la bouche. Elle haïssait tout, jusqu’à son créateur à qui elle reniait sa foi; elle se vengeait en abandonnant à son tour Dieu qui l’avait abandonnée. Quand un être a été maltraité à ce point, il n’a plus qu’un rire d’enfer sur sa lèvre dédaigneuse, tout ce qui est, lui fait pitié, et provoque son dégoût; plus une chose est sainte et sacrée, plus elle est révérée de tous, plus il trouve de joie à la profaner, à la fouler aux pieds. Pour le malheureux le blasphême est une volupté!

Le terme de sa grossesse approchait et sa misère devenait profonde. Les huits premiers mois elle avait vécu de la maigre somme de Bertholin. Il ne lui restait plus rien. Le soir elle allait arracher des herbes sauvages le long des chemins déserts, mais cette nourriture d’âne, si contraire à sa délicatesse, l’avait tellement affaiblie, que, vers la fin du neuvième mois, il lui fut presque impossible de descendre. Ce jeûne, pour ainsi dire absolu, lui avait donné des éblouissemens, et une céphalalgie chronique qui par instant dégénérait en folie. Sa démence était sombre. Elle avait des déchiremens atroces d’estomac, et souvent il lui prenait des spasmes épileptiques. Quand elle ressentit les premières douleurs de l’enfantement, il y avait deux jours passés qu’elle n’avait pris aucun aliment: étendue sur son grabat, dévorée par la faim, elle rongeait la basane d’un vieux livre, privée de raison, exténuée…

A la vue de son enfant, sa sombre folie se réveilla, et retrempa ses forces: dressée sur ses pieds, elle l’embrassait et le frappait tour à tour; elle lui donnait ses mamelles vides; elle le jetait à terre, pleurait, et se couchait sur lui.

Enfin, l’ayant enveloppé dans une toile et mis sous son bras comme un paquet, elle descendit en se traînant.

Il était nuit.

Sur les deux heures du matin, Erman Busembaum, cultivateur à Vaugirard, se rendant à la halle, perché sur sa charrette et sifflant un noël, descendait la rue du Four. En approchant d’une des ruelles sales et immondes qui s’y débouchent, il entendit les vagissemens d’un enfant nouveau né, brusquement il interrompt son sifflet, lâche un ahuro accentué à la provençale, et écoute: les cris se prolongeaient et paraissaient sortir d’un égout voisin. Il saute à bas, prête l’oreille à l’embouchure, et recule épouvanté.

Il court aussitôt avertir de cet étrange événement le corps-de-garde de la prison de l’Abbaye. Le commissaire, par hasard, s’y trouvait à verbaliser sur deux filles de joie, arrêtées pour quelques coups de couteau donnés à un client. Vite, il se mit en tête d’une patrouille; Erman Busembaum guidait le caporal portant une lanterne. Arrivés en hâte à l’égout, il y régnait un profond silence, sauf le clapotement des ruisseaux. Le soldat, né malin, brocardait déjà Busembaum sur sa prétendue audition, attribuée à la peur; l’autorité en écharpe, était prête à invectiver contre le maladroit goujat qui l’avait déplacée inutilement; quand les cris reprirent de plus belle. La patrouille en vibra, et les capucines en sonnèrent. L’anspessade qui portait le falot l’approcha de l’ouverture du cloaque, et, se penchant, aperçut à l’entrée un paquet blanc d’où sortaient des gémissemens. Un des gardes l’enleva à la baïonnette et le tira hors. Alors Busembaum et le commissaire, faisant la fille de Pharaon, développèrent la toile et découvrirent un enfant tout nouveau né.

– Mille bons Dieux! voilà un conscrit qui en réchappe d’une sévère! s’écria la patrouille.

– Pauvre petit môme, répétait, l’âme attendrie, le vieux père Busembaum.

– C’est ici le cas où les enfans sont vraiment malheureux d’avoir des parens, murmura l’agréable caporal.

– Messieurs, dit alors le commissaire perspicace, et prenant une pose de calife, un crime a été commis, explorons!.. Il se prit à examiner le marmot qui n’avait aucune blessure grave.

Au grand contentement de l’armée, après des recherches consciencieuses et dignes d’être entérinées par l’académie, il fut proclamé, à la majorité, du genre masculin ou neutre; un sourire de satisfaction se promena sur les lèvres du père Busembaum.

– Que voulez-vous faire de ce petit marmouset? dit-il alors au commissaire; ma femme en ce moment est en gésine, voilà trois fois, qu’à son grand crève-cœur, cette brave mère ne fait que des morts-nés. Si vous voulez me le confier, je vais sur-le-champ le lui porter en compensation, elle en prendra bien soin et nous l’adopterons.

Au moment où il enlevait l’enfant pour le monter dans sa charrette, il se raidit et expira: et le commissaire aperçut des gouttes de sang; approchant le falot et voyant que ces traces se dirigeaient vers le haut de la rue, il ordonna à la patrouille de le suivre. Ces gouttes, quoique semées à d’assez longues distances, suffisaient cependant pour les diriger. Arrivés à la rue Beurrière, elles disparurent, mais ils les retrouvèrent dans cette ruelle débouchant rue du Vieux-Colombier; et, suivant toujours attentivement, ils remontèrent jusqu’à la rue Cassette, où les vestiges se prolongaient encore; enfin, les traces de sang s’arrêtèrent contre une porte.

– C’est ici, messieurs, cria le commissaire, entrons! Il heurta plusieurs coups de marteau. – Au nom de la loi, ouvrez! répéta le caporal en frappant de la crosse de son fusil. Le portier tout éperdu obéit: – Au nom de Dieu, messieurs, quel train! Que voulez-vous?

– Guidez-nous, nous allons faire perquisition. Tenez, voici le sang qui reparaît! suivez-moi.

Ils montèrent l’escalier et entrèrent, en haut, dans un corridor; là, les traces de sang s’arrêtaient encore à une porte.

– Qui demeure là, monsieur le portier?

– Une jeune fille, bonne et sage.

– Ouvrez donc, au nom de la loi!.. Caporal, faites enfoncer la porte!

Aussitôt elle s’ouvrit sous le choc des crosses, et les regards avides pénétrant dans la chambre, virent, à la lueur du falot, étendue sur le plancher et baignée dans une marre de sang, une jeune femme pâle et desséchée.

On la releva; elle était tiède encore.

A son retour, sans doute, Apolline s’était abattue de faiblesse, épuisée par une aussi grande perte de sang et par un aussi long trajet.

On la transporta, sur un brancard, à l’hospice de la Maternité, nommé vulgairement la Bourbe.

V
VERY WELL

Le lendemain, dans tout Paris, il n’était question que d’un enfant jeté dans un égout, et les crieurs publics s’en allaient processionnellement par la ville, hurlant et vendant pour un sou le détail exact de l’horrible infanticide commis, au faubourg Saint-Germain, par une fille de grande maison.

Cet événement avait jeté l’effroi parmi la bourgeoisie, qui brûlait déjà de voir l’affaire à la cour d’assises, pour la connaître tout à fond; et qui, rancunière, jouissait, par avance, du spectacle rare d’une fille noble sur la sellette et l’échafaud.

A l’hospice, on avait d’abord désesperé des jours d’Apolline, mais on l’entoura de tant de soins, sur la recommandation de Messieurs de la justice, qui redoutaient que la mort ne tranchât la question sans eux et n’empiétât sur leurs droits et sur ceux du bourreau. Au bout d’une semaine environ, elle commença à recouvrer quelques forces, et la connaissance lui revint.

Son étonnement fut grand et douloureux quand elle se vit dans une salle d’hôpital. Elle n’avait aucune souvenance de ce qu’elle avait fait, ni de ce qui s’était passé: ainsi qu’un ivrogne au réveil ne conserve aucune idée des folies de son ivresse. Elle questionna, on ne lui répondit que vaguement. Quand elle fut parfaitement rétablie, on vint lui annoncer qu’on allait la transférer à la prison de la Force.

– A la Force! s’écria-t-elle, eh! pourquoi?

– Sous prévention d’infanticide.

– Moi! Oh non, vous êtes fous!..

– Vous avez jeté votre enfant dans un égout.

Alors, Apolline, consternée, porta ses mains à son flanc, et, semblant sortir en soubresaut d’un sommeil et se rappeler subitement, tomba froide sur le pavé.

Quand elle reprit ses esprits, elle était dans un cachot étroit et sombre.

Son procès s’instruisit longuement; et, après quatre mois de détention et de contact avec tout ce qu’il y a de plus fétide et de plus croupi dans la marre sociale, elle comparut à la cour d’assises. Le grand scandale avait attiré une foule innombrable de curieux qui voulaient voir la belle marâtre du faubourg Saint-Germain. On lui avait fait une réputation de beauté égale à celle de sa férocité. Les vitres des marchands d’estampes étaient garnies de prétendus portraits de la belle Apolline, aussi authentiques que ceux d’Héloïse ou de Jeanne d’Arc: l’un rappelait madame de la Vallière, l’autre Charlotte Corday, l’autre Joséphine, mais le public, qui veut être dupé à tous prix, en était fort satisfait. Le palais était aussi encombré que si la basoche eût dû jouer un mystère sur la table de marbre. Un murmure général de désappointement s’éleva quand les huissiers annoncèrent que le tribunal ordonnait huis-clos pour ce jugement.

Bientôt Apolline fut introduite dans la salle: sa jeunesse, sa vénusté, son air triste et candide, sa voix suave et son maintien impressionnèrent vivement la cour blasée.

Pour ne pas compromettre Bertholin, elle avait déclaré qu’un homme, à elle tout-à-fait inconnu, et qu’elle n’avait jamais revu, un soir, s’étant glissé chez elle, l’avait forcée avec violence. Quant au crime qu’on lui imputait, elle avouait qu’il pouvait être, mais qu’il ne lui en restait nul souvenir positif; et que n’ayant pris aucun aliment depuis plusieurs jours, quand les douleurs de l’enfantement lui étaient survenues, elle devait avoir été assurément dans un état complet de démence.

Sur cinq médecins appelés à constater quel avait pu être son état moral lors de son accouchement, un seul avait affirmé l’aliénation, et quatre l’avaient niée.

Au moment où l’accusateur public, M. de l’Argentière, se leva et entonna sa déclamation, Apolline, frappée comme à un accent connu, tourna ses regards sur lui, jeta un cri perçant, et se renversa sans connaissance.

Jamais réquisitoire ne fut plus violent et plus inhumain: il n’est rien que M. de l’Argentière ne mit en jeu pour accabler l’accusée. Il poussa sa rage extravagante jusqu’à la comparer à Saturne, qui dévorait ses enfans, et se résuma en demandant sa tête. – Ne vous laissez point séduire, criait-il, par les beaux dehors de cette mère dénaturée, le laurier-rose contient un venin subtil, la beauté n’est souvent que le voile de la perfidie; ne vous laissez point faiblir, messieurs, il faut un exemple absolument, pour arrêter l’infanticide en son cours. Messieurs, soyez inexorables, vous serez justes!

L’avocat d’Apolline, avec un rare talent, s’acquitta de sa défense; son plaidoyer aurait arraché des larmes à des tigres, le tribunal resta froid; et l’accusateur commença sa sauvage réplique.

Quand la pauvre Apolline eut recueilli ses esprits, elle se leva brusquement, et montrant du poing l’accusateur, M. de l’Argentière: – C’est lui! criait-elle, c’est lui! je reconnais sa voix, c’est lui! cet homme-là qui parle! c’est lui que j’ai vu aux rayons de la lune, blême et rouge, l’œil caverneux… Puis, fondant en larmes, elle jetait des hurlemens.

– Cette enfant est égarée, dit froidement M. de l’Argentière, dont la morne physionomie n’avait pas laissé paraître la plus légère émotion.

– Emmenez l’accusée; et nous, messieurs, passons dans la salle de délibération, ordonna le président.

Au bout d’un quart d’heure, la cour rentra en séance: le jury ayant répondu affirmativement à toutes les questions posées, le président fit lecture de la sentence, qui condamnait Apolline à la peine capitale.

Elle écouta son arrêt avec dignité, et dit seulement, se tournant du côté de l’accusateur public: – Ceux qui envoient au bourreau sont ceux-là mêmes qui devraient y être envoyés!

Son défenseur, égaré, pleurant et se heurtant le front, se jeta dans ses bras, et l’embrassa, au grand scandale de la cour, qui demanda si elle voulait se pourvoir en cassation. – Oui, répondit Apolline, mais au tribunal de Dieu.

Le matin du jour, on lui envoya un prêtre pour se préparer; il ne sortit plus d’auprès d’elle. Apolline lui ayant naïvement raconté son histoire, le pauvre homme, convaincu de son innocence, pleurait désespéré; celui qui était venu la consoler était plus faible qu’elle et plus inconsolable. – Pauvre martyr! l’appelait-il, en lui baisant les pieds comme on baise une châsse sainte. Il n’osait lui parler de son Dieu juste et bon; sa providence était trop compromise par cette vie fatale.

A quatre heures, le geôlier monta l’avertir. Sa toilette achevée, elle descendit, soutenant son confesseur.

Aussitôt la charrette se mit en marche. Il semblait que toute la population de Paris s’était encaquée du palais à la Grève. De haut en bas, les maisons étaient chargées de spectateurs avides: jamais supplice n’avait attiré plus de monde. – La voilà! – la voilà! répétait-on de rang en rang.

Qu’elle était belle du haut de son tombereau, cette infortunée Apolline! quelle dignité! quelle résignation! Son teint était plus blanc que le peignoir qui l’enveloppait, et sa chevelure plus noire que le prêtre qui pleurait à ses côtés. Elle promenait sur la foule son regard langoureux; les commères lui montraient le poing, et les jeunes hommes attendris lui envoyaient des baisers. Enfin, la charrette déboucha sur la Grève. En montant à l’échelle, Apolline aperçut, à une croisée, M. de l’Argentière qui la fixait froidement; elle en jeta un long cri d’horreur, et tomba faible entre les bras d’un valet de guillotine. Il se fit alors un brouhaha général et une fluctuation dans la foule. Il pleuvait: – A bas les parapluies, on ne voit pas! criait-on de toutes parts; – à bas les parapluies! répétaient des voix de femmes; – soyez galans, messieurs, on ne voit pas!

Toute la tourbe, le cou tendu, était sur la pointe du pied.

Quand le coutelas tomba, il se fit une sourde rumeur; et un Anglais, penché sur une fenêtre qu’il avait louée 500 fr., fort satisfait, cria un long very well en applaudissant des mains.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
04 ağustos 2017
Hacim:
232 s. 4 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain

Bu kitabı okuyanlar şunları da okudu