Kitabı oku: «Histoire amoureuse des Gaules; suivie des Romans historico-satiriques du XVIIe siècle, Tome I», sayfa 12
Si quelque fantasque maîtresse,
Par caprice ou par vanité,
Vous vouloit obliger de faire une bassesse
Qui choquât votre honneur et votre probité,
Donnez-vous garde de la croire;
Rompez plutôt, il en est temps,
Et sçachez que l'amour ne va qu'après la gloire
Dans le cœur des honnêtes gens.
Si pourtant l'aimable Sylvie
Avoit besoin de votre vie
Pour la tirer d'un mal, ou lui faire un grand bien,
Alors ne ménagez plus rien.
Sçavoir s'il y a des rencontres où une dame doive hasarder sa réputation pour son amant.
S'il falloit hasarder sa réputation
Pour ôter quelque impression
Qui d'un amant jaloux pourroit troubler la tête,
Il seroit mal d'avoir un moment hésité;
Et ce seroit alors qu'il seroit fort honnête
De n'avoir point d'honnêteté.
Sçavoir si l'on peut vouloir mourir pour sauver la personne qu'on aime.
Iris, lorsque vous n'aimez pas,
Ne croyez point à ces paroles:
«Pour vous je courrois au trépas.»
Ma foi, ce sont des hyperboles.
Mais lorsque votre cœur ressent les mêmes coups,
Je comprends bien par moy que l'on mourroit pour vous.
Sçavoir ce qu'on préféreroit, ou la mort ou l'infidélité de son amant.
Vous demandez avec instance
Ce que je choisirois plutôt en mon amant,
De la mort ou de l'inconstance.
Croyez-vous qu'en cela je balance un moment?
J'aimerois mieux mourir, Sylvie,
Que s'il avoit perdu le jour;
Mais je l'aimerois mieux sans vie
Que sans amour.
Sçavoir s'il faut que les amans cherchent à se voir le plus qu'ils peuvent et le plus commodément.
Vous qui ne croyez pas, imbéciles amans,
Voir jamais assez vos maîtresses,
Vous pourriez bien, par vos empressemens,
Trouver la fin de vos tendresses.
Laissez donc des difficultés,
Ne levez point tous les obstacles;
Autrement, sans de grands miracles,
Vous serez bien tôt dégoûtés.
Sçavoir si les amans qui se voient commodément en particulier doivent chercher encore à se voir souvent en public.
Il faut voir souvent sa maîtresse
Loin des témoins, hors de la presse,
Mais en public fort rarement;
Et voici mon raisonnement:
Si sa flamme a trop de lumière,
Le mari la voit, ou la mère,
Et ce malheur peut être grand;
Si son air est indifférent,
L'amant peut croire qu'en la belle
L'indifférence est naturelle.
Sçavoir s'il faut épouser sa maîtresse publiquement, clandestinement, ou ne la point épouser du tout.
Qui veut épouser sa maîtresse
Veut la pouvoir haïr un jour.
Le peché fait vivre l'amour,
Et l'hymen mourir la tendresse;
Mais si l'on craint fort le péché,
Il faut que l'hymen soit caché.
Sçavoir s'il est possible que les amans qui se marient s'aiment encore longtemps après.
L'amour n'est fait que de mystère,
De respects, de difficultés;
L'hymen est plein d'autorités,
Peut tout et ne daigne rien faire:
Assembler l'hymen et l'amour,
C'est mêler la nuit et le jour.
Sur la même question.
Croyez-moi, belle Iris, je m'y connais un peu,
L'amour dans l'hymen perd son feu;
Et, quand vous m'alléguez que Céladon soupire
Et fait encor le serviteur,
C'est par honte de s'en dédire:
Il n'aime plus que par honneur.
Sur la même question.
Votre extrême ardeur sans cesse
De vous épouser me presse.
Ne blâmez point mon refus,
Iris, en voici la cause:
Epouser et n'aimer plus,
En amour c'est même chose.
Sur la même question.
Si vous avez bien envie
D'aimer toujours votre Sylvie,
Laissez là le sacrement.
Vouloir épouser la belle,
C'est vouloir rompre avec elle
Un peu plus honnêtement
Que par votre changement.
Sçavoir si la mauvaise fortune ou la perte de la beauté peuvent rendre excusable le changement des amans.
Lorsque deux vrais amans se sont trouvés aimables,
Rien de leur passion ne les peut affranchir.
Devenir laids, Iris, devenir misérables,
Tout cela ne fait que blanchir.
Sçavoir comment une maîtresse en doit user quand son amant est malheureux, et que leur amour a fait du bruit.
Quand votre amour, Iris, a fait un peu de bruit,
Et que votre galant tombe en quelque disgrâce,
Un désespoir seroit de fort mauvaise grâce,
Il seroit mal à vous de pleurer jour et nuit;
Mais, Iris, votre indifférence
Choqueroit plus la bienséance.
Sçavoir ce que les malheurs peuvent faire sur l'esprit d'un amant fort amoureux et fort aimé.
Tant qu'un amant fort amoureux
Est sûr du cœur de sa maîtresse,
La fortune la plus traîtresse
Ne le peut rendre malheureux.
Sa prison ne sçauroit ébranler sa constance;
Il la sent aussi peu que s'il étoit brutal,
Et même son exil ne lui paraît un mal
Que parcequ'il est une absence.
Sçavoir si l'on peut avoir toujours de l'amour pour une dame sans en recevoir les dernières faveurs.
Belle Iris, lorsque je vous presse
De m'accorder les grands plaisirs,
Vous me dites qu'au seul désir
Je devrois borner ma tendresse,
Que mille gens n'aiment pas autrement.
Chacun, Iris, aime comme il l'entend;
Mais, quant à moi, j'ai moins de continence,
Et, quand l'amour dure sans jouissance,
Je crois que c'est la faute de l'amant.
Sçavoir si l'amour peut durer lorsqu'il n'y a point de jouissance, ou lorsque la brutalité est extrême.
Chacun aime à sa guise,
Adorable Bélise.
L'un veut aimer, mais chastement;
L'autre, sans s'attacher, veut de l'emportement.
Tous ces gens-là prennent l'amour à gauche
Et lui donnent un méchant tour.
On se lasse à la fin d'espérer nuit et jour,
On se lasse encor plus de la seule débauche;
Mais il nous faut mêler la débauche à l'amour.
Sçavoir si l'amour se détruit par la jouissance.
Je comprends fort bien qu'un amant
Qui trouve des défauts après la jouissance
Se guérit assez promptement;
Mais quand un corps bien fait, quand de la complaisance,
Se trouve avec un cœur rempli de passion,
En ce cas la reconnoissance
Se joint à l'inclination,
Et l'on tire de la constance
Une longue possession.
Sçavoir lequel est le plus honnête à une dame, de se retenir ou de se laisser aller à sa passion.
Quand vous aimez passablement,
On vous accuse de folie;
Quand vous aimez infiniment,
Iris, on en parle autrement:
Le seul excès vous justifie.
Sur la même question.
Pour être une maîtresse aimable,
Il faut que votre flamme augmente nuit et jour,
Et l'excès, ailleurs condamnable,
Est la mesure raisonnable
Que l'on doit donner à l'amour.
Sur la même question.
Vous me dites que votre feu
Est assez grand, belle Climène.
Vous ignorez donc, inhumaine,
Qu'en amour assez est trop peu;
Cependant la chose est certaine,
Et, si sur ce chapitre on croit les plus sensés,
Quand on n'aime pas trop, on n'aime pas assez.
Sçavoir s'il faut dire tout ce qu'on sçait à la personne qu'on aime, ou avoir quelque chose de réservé pour elle.
Une maîtresse à son amant,
Encor que quelques-uns en parlent autrement,
Doit de tous ses secrets un entier sacrifice,
Et, lorsqu'un de ses amis sçait
Qu'elle a découvert son secret,
Il faut qu'il se fasse justice.
Quand on se donne, il doit juger
Qu'on n'a plus rien à ménager.
Sçavoir l'usage qu'une femme doit faire de la pudeur et de l'emportement.
Il faut qu'une maîtresse honnête
Ait, pour être selon mon cœur,
De l'emportement tête à tête,
Partout ailleurs de la pudeur;
Que les apparences soient belles,
Car on ne juge que par elles.
Sçavoir de quelle manière il faut que les amans qui s'aiment se parlent entre eux.
Amans, quand vous vous parlerez,
Dans tout ce que vous vous direz
Jamais un seul mot de rudesse,
Dans la voix même point d'aigreur:
Car l'amour naît par la tendresse
Et s'entretient par la douceur.
Sçavoir ce qu'il faut faire pour empêcher sa passion de finir.
Si vous voulez, Iris, que votre affaire dure,
Ne vous relâchez point dans sa prospérité,
Et, pour amuser la nature,
Qui se plaît à la nouveauté,
Recommencez vos soins jusques aux bagatelles:
En amour, c'est la vérité,
Les recommencemens valent choses nouvelles.
Sçavoir d'où vient que les amours ne durent pas long-temps.
Ce qui fait que les amans
N'aiment jamais fort long-temps,
C'est que les premiers jours qu'une affaire commence,
On a de la complaisance,
De la tendresse et du soin,
Et qu'ensuite on s'en dispense.
Dans la longue jouissance,
On en a bien plus besoin.
Sçavoir de quelle manière il faut que les dames qui ont un amant en usent avec les gens qui leur ont témoigné de l'amour et qu'elles ne veulent pas aimer.
Iris, les honnêtes maîtresses
Traitent d'un plus grand sérieux
Ceux qui leur ont offert des vœux
Que ceux qui n'ont point eu pour elles de tendresses:
Car des civilités pour des indifférens
Sont des faveurs pour les amans.
Sçavoir si l'amour change les tempéramens.
Je ne crois pas qu'un amant
Change son tempérament
Pour se rendre tout semblable
À ce qu'il trouve d'aimable.
L'amour du matin au soir
Ne va pas du blanc au noir;
Mais si l'humeur sérieuse
Me prend l'autre extrémité,
Du moins cette impérieuse
A moins de sévérité.
Sçavoir si, lorsqu'on est éperdûment amoureux, on trouve quelque chose de plus beau que sa maîtresse.
Il est vrai, je vous le confesse,
Vous l'emportez sur ma maîtresse:
Vous avez de plus beaux cheveux,
Rien n'est comparable à vos yeux;
Mais, quoiqu'enfin vous soyez bien plus belle,
Vous ne me plaisez pas tant qu'elle.
Sçavoir s'il est bon d'avoir un confident en amour.
Un confident, Tircis, n'est pas fort nécessaire,
Si l'on s'en peut passer on ne fait pas trop mal;
Mais si vous en prenez, qu'il vous soit inégal,
Car autrement, pour l'ordinaire,
Un confident devient rival.
Sçavoir laquelle est la plus grande, de la première ou de la seconde passion.
Le premier amour est extrême,
Mais les feux ne sont pas constans;
Et la seconde fois qu'on aime,
On aime moins, mais plus long-temps.
Sçavoir si l'on peut être en repos quand on doute de l'état auquel on est avec la personne qu'on aime.
L'incertitude est le plus grand des maux:
Quand vous aurez sur votre affaire
Un éclaircissement à faire,
Jusqu'à ce qu'il soit fait, n'ayez point de repos.
Sçavoir si l'on ne voit pas bien, quand on commence d'aimer, que l'amour ne durera pas toujours.
Encor qu'il soit fort peu d'éternelles amours,
Il n'est point d'honnête maîtresse
Qui croie en s'embarquant voir finir sa tendresse:
On se flatte, et l'on croit qu'on aimera toujours.
Sçavoir auquel on se doit prendre, de son rival ou de sa maîtresse, de l'infidélité de celle-ci.
Quand un rival nous presse
Et nous fait trop de mal,
C'est contre une maîtresse
Qu'il faut être brutal,
Et non contre un rival.
Sçavoir si l'on peut aimer long-temps une maîtresse coquette.
Je veux au cœur de ma maîtresse
La dernière délicatesse.
Je suis sur ce sujet de l'avis de César,
Et ce n'est pas assez, Iris, à mon égard,
Qu'elle soit au fond innocente:
Je veux que du soupçon
Elle soit même exempte.
Sçavoir de quelle manière il faut que les amans aimés se conduisent avec les maris de leurs maîtresses.
Il se voit des maris qu'on peut apprivoiser;
Il en est d'autres peu dociles.
Vous, amans qui serez habiles,
Verrez comme il en faut user;
Mais enfin, de quelque manière
Que les pauvres cocus soient faits,
Ou d'humeur douce, ou d'humeur fière,
Avec eux en public ne vous couplez jamais.
Sçavoir si une femme peut être bonne fortune deux fois en sa vie.
Prude insensible à l'amoureuse ardeur,
Grâce à ton extrême froideur,
Cesse de nous vanter ta vertu non commune.
Je n'estime pas moins l'autre tempérament,
Pourvu qu'il aime honnêtement.
On est toujours bonne fortune
Quand on aime bien son amant.
Sçavoir si, quand on s'aime, la maîtresse peut prétendre que son amant fasse des choses pour elle qu'elle ne feroit pas pour lui.
Tant que, sans être aimés, nous ne sommes qu'amans,
C'est à nous seuls, Iris, à souffrir les tourmens;
Mais, après que notre maîtresse
A pris pour nous de la tendresse,
Tous les soins doivent être égaux:
De même que les biens, on partage les maux.
Sçavoir s'il est vrai que l'amour frappe un cœur comme un coup de foudre qu'on ne peut éviter.
Pour excuser votre foiblesse,
Vous dites que l'amour vous blesse,
Que tous ses coups sont imprévus.
Climène, c'est un pur abus.
Je crois qu'une aimable présence
Peut, nous trouvant sans résistance,
Insensiblement nous charmer;
Mais je tiens pour chose certaine
Que nous n'aimons jamais, Climène,
Que nous ne voulions bien aimer.
Sçavoir si l'on peut aimer sans estimer.
Quand on méprise ce qu'on aime,
La passion est dans le sang,
Et, sa chaleur fût-elle extrême,
On ne sçauroit aimer long-temps.
Sçavoir de quelle manière les amans en doivent user ensemble sur l'intérêt.
Celle qui me vendra la dernière faveur
N'aura jamais mon cœur;
Mais, après avoir eu des faveurs de Carite
Par la force de mon mérite,
Si cette belle avoit besoin
Ou de mon bien, ou de ma vie,
Je n'aurois pas de plus grand soin
Que de contenter son envie.
Les amans sur le bien font comme les Chartreux:
Tout doit être commun entre eux.
Sçavoir si la délicatesse des amans et des maîtresses sur leur conduite doit être égale.
Vous devez à votre conduite
Des soins qui me sont superflus.
Quand on dit que j'aime Carite,
Iris, je vous contente en ne la voyant plus.
Mais, lorsque le bruit court que vous aimez Orante,
Vous me montrez en vain que vous ête innocente.
Si le public n'en voit autant,
Je ne puis pas être content.
Sur le même sujet.
Apprenez de moi, s'il vous plaît,
De nos devoirs la différence:
Je ne puis vous blesser, Iris, que par l'effet;
Vous pouvez m'offenser par la seule apparence.
Sçavoir si les dames peuvent être excusables de faire les avances.
Je mépriserois une dame
De qui le cœur rempli de flamme
Paroîtroit le premier charmé.
L'avance en vous est condamnable,
Et, si quelque raison la peut rendre excusable,
C'est quand vos cœurs, Iris, n'ont jamais rien aimé.
Sçavoir s'il est vrai que l'amour égale les conditions.
L'amour égale sous sa loi
La bergère avecque le roi.
Si tôt qu'il en fait sa maîtresse,
Si tôt qu'elle a pu l'engager,
La bergère devient princesse,
Ou le prince devient berger.
Sçavoir qui a le plus de plaisir dans une affaire réglée, ou celui qui aime, le plus, ou celui qui aime le moins.
Lorsque deux cœurs unis brûlent des mêmes feux,
Vous croyez peut-être, Sylvie,
Que des deux le moins amoureux
Goûte en paix la plus douce vie.
Ce n'est pas là mon sentiment,
Et je crois plutôt que l'amant
Dont l'ame d'amour toute pleine
A de plus violens désirs
Ressent quelquefois plus de peine,
Mais bien souvent plus de plaisirs.
Sçavoir si le plus amoureux est toujours le plus content.
Belle Iris, le plus amoureux
N'est pas toujours le plus heureux.
La moindre négligence blesse
Son extrême délicatesse;
Quoi qu'on fasse pour luy de bien,
Quoi qu'à luy plaire on se dispose,
Si l'on manque à la moindre chose,
Il ne compte cela pour rien.
Cependant, quand il voit qu'assurément on l'aime,
Son plaisir est extrême,
Et, pour avoir, Iris, beaucoup moins de tourment,
Il ne voudroit jamais aimer moins tendrement.
Sçavoir s'il faut tenir sa maîtresse par d'autres choses que par elle-même.
Je ne comprends pas qu'un amant,
Par une jalousie extrême,
Veuille empêcher celle qu'il aime
De voir le monde librement.
Je tiens que c'est une foiblesse,
Et je croirois que ma maîtresse
Me garderoit alors sa foi
Par la nécessité de ne rien voir que moi.
Sçavoir si une dame qui fait fort valoir les faveurs qu'elle fait à son amant lui persuade qu'elle l'aime beaucoup.
Afin d'augmenter sa chaleur,
Vous faites valoir la faveur
Que vous donnez à Théagène;
Mais, d'un autre côté, c'est trahir votre feu:
Car, en lui témoignant, Climène,
Que vous la donnez avec peine,
Vous montrez que vous aimez peu.
Sçavoir quel est le plus sûr moyen de s'aimer long-temps et agréablement.
Pour qu'une affaire dure et toujours dans les ris,
Il faut que la maîtresse, Iris,
Avec ces gens qui vont prônant partout leurs flammes,
Ait un peu de rusticité,
Et qu'aussi le galant, avec toutes les dames,
N'ait que de la civilité.
Sçavoir si l'on peut avoir deux grandes passions en sa vie.
Je demeure d'accord, adorable Sylvie,
Que l'on rencontre rarement
Quelqu'un aimant deux fois fortement en sa vie,
Parce qu'on voit malaisément
Quelqu'un aimer bien tendrement;
Mais, à ceux de qui le cœur tendre
Ne sçauroit vivre sans amour,
Il est aisé de se reprendre,
Et plus fort que le premier jour.
Sçavoir ce que cela fait sur le cœur d'un amant aimé que sa maîtresse soit accablée des caresses de son mari.
Que jour et nuit votre époux
Fasse l'amant auprès de vous,
Cela n'est point à la mode.
Pour moi, j'en souffre nuit et jour:
Car enfin, Iris, son amour
Vous plaît ou vous incommode.
Sçavoir comment un mari doit faire pour se faire aimer d'une jolie femme qu'il a épousée sans l'avoir connue auparavant.
Damon, tu te plains que ta femme
Ne répond pas bien à ta flamme:
Te mocques-tu des gens d'espérer ces douceurs?
Elle commence à te connoître
Sous le titre de son maître:
Ce n'est pas sous ce nom que l'on gagne les cœurs.
Prends l'air d'amant, sers-toi de cette amorce:
Cela te fera des appas.
On peut prendre le corps par force,
Mais le cœur ne s'insulte pas167.
Sçavoir s'il suffit à un amant d'avoir souvent donné des marques de son amour à la personne qu'il aime, sans se soucier de recommencer tous les jours.
Belle Iris, lorsque je vous presse
De me donner à tous momens
Des marques de votre tendresse,
Vous me répondez brusquement:
«N'êtes-vous pas encor content
De tout ce que j'ai pu vous dire,
De ce que j'ai pu vous écrire,
À tous les quarts d'heure du jour,
Sur le sujet de mon amour?»
Non, belle Iris, je parle avec franchise,
Le passé chez l'amant ne se compte pour rien;
Il veut qu'à toute heure on lui dise
Ce qu'il sçait déjà fort bien.
Sçavoir si les amans doivent être en alarme de voir leurs maîtresses extrêmement caressées par leurs maris.
L'autre jour, près de Climène,
Je voyois son mari sans cesse sur ses bras.
Cette belle vit ma peine,
Et me dit ceci tout bas:
«Remets le calme en ton âme,
Et sçache que l'empressement
D'un mari que hait sa femme
Fait plus aimer son amant.»
Sçavoir lequel il vaudroit mieux pour une fille qui se marieroit sans amour, que son mari en eût beaucoup pour elle ou point du tout.
Dieu vous veuille garder, la belle,
D'un grand amour de votre époux!
Il seroit mal qu'il vous fût infidèle,
Mais il seroit plus mal qu'il fût jaloux de vous,
Et l'amour le rendroit jaloux.
Sçavoir si un mari fort laid a raison de souhaiter que sa femme le regarde.
Tu te plains incessamment
De ne point attirer les regards d'Ennemonde.
Laisse-la, pauvre innocent,
Plutôt que toi regarder tout le monde.
Qu'elle envisage son devoir:
Par là tu te pourras sauver du cocuage;
Mais si c'est toi qu'elle envisage,
Cela n'est pas en ton pouvoir.
Sçavoir ce qui est préférable en une belle maîtresse, ou le cœur, ou le corps.
Un brutal pour ton cœur ne feroit nuls efforts,
Il aimeroit mieux la personne;
Mais, pour moi, je n'aime ton corps
Qu'autant que ton cœur me le donne.
Sçavoir si une femme peut aimer son mari, quoi qu'il vive bien avec elle, quand elle aime son amant.
Philis disoit un jour à l'aimable Climène:
«N'aimez-vous pas bien votre époux?
Il est complaisant, il est doux,
– Non, dit-elle, – Et d'où vient, dit Philis, votre haine?
Vous avez un si bon cœur,
Tant de justice et de douceur!
Vous avez tant de pente à la reconnoissance!
– Il est vrai, dit Climène, il seroit mon ami
S'il n'étoit pas mon mari;
Mais je n'ai rien pour lui que de la complaisance.
Avecque lui je vis honnêtement;
Je ne l'aime qu'en apparence,
Et dans le fond du cœur je le hais fortement,
Comme un rival de mon amant.
Sçavoir ce que fait la présence et l'absence de ce qu'on aime.
Absent d'Iris, mon chagrin est extrême;
La voir est mon plus grand bien:
Il n'est rien tel que d'être avecque ce qu'on aime;
Tout le reste n'est rien.
CARTE DU PAYS DE BRAQUERIE 168
Le pays des Braques169 a les Cornutes170 à l'orient, les Ruffiens171 au couchant, les Garraubins172 au midi et la Prudomagne173 au septentrion. Le pays est de fort grande étendue et fort peuplé par les colonies nouvelles qui s'y font tous les jours. La terre y est si mauvaise que, quelque soin qu'on apporte à la cultiver, elle est presque toujours stérile. Les peuples y sont fainéans et ne songent qu'à leurs plaisirs. Quand ils veulent cultiver leurs terres, ils se servent des Ruffiens, leurs voisins, qui ne sont séparés d'eux que par la fameuse rivière de Carogne174. La manière dont ils traitent ceux qui les ont servis est étrange, car, après les avoir fait travailler nuit et jour, des années entières, ils les renvoient dans leur pays bien plus pauvres qu'ils n'en étoient sortis. Et, quoique de temps immémorial l'on sçache qu'ils en usent de la sorte, les Ruffiens ne s'en corrigent pas pour cela, et tous les jours passent la rivière. Vous voyez aujourd'hui ces peuples dans la meilleure intelligence du monde, le commerce établi parmi eux, le lendemain se vouloir couper la gorge. Les Ruffiens menacent les Braques de signer l'union avec les Cornutes, leurs ennemis communs; les Braques demandent une entrevue, sachant que les Ruffiens ont toujours tort quand ils peuvent une fois les y porter. La paix se fait, chacun s'embrasse. Enfin, ces peuples ne se sçauroient passer les uns des autres en façon du monde.
Dans le pays des Braques il y a plusieurs rivières. Les principales sont: la Carogne et la Coquette; la Précieuse sépare les Braques de la Prudomagne175. La source de toutes ces rivières vient du pays des Cornutes. La plus grosse et la plus marchande est la Carogne, qui va se perdre avec les autres dans la mer de Cocuage; les meilleures villes du pays sont sur cette rivière. Elle commence à porter bateau à
Guerchy176, ville assez grande, bâtie à la moderne, à une demi-lieue du grand chemin; mais la rivière, se jetant toute de ce côté-là, sape la terre en sorte que, dans peu, le grand chemin sera de passer à Guerchy. Il y a quelques années que c'étoit une ville de grand commerce. Elle trafiquoit à Malte et Lorraine; mais, comme elle s'est ruinée par les banqueroutes que les marchands du pays lui ont faites, elle trafique aujourd'hui en Castille177, dont les marchands sont de meilleure foi.
Plus bas est un grand bourg appelé
Sourdis178. Ses maisons, chacune en détail, sont très belles; en gros, c'est le lieu du monde le plus désagréable. C'est terre d'Église, de sorte que la ville est fort ruinée du passage des gens de guerre. Le seigneur du lieu est abbé commandataire179, homme illustre qui a passé par tous les degrés et qui a été long-temps archidiacre en plusieurs grandes villes de cette province.
De là vous venez à
Saint-Loup180, petite ville assez forte, mais plus par l'infanterie qui la garde181 que par la force de ses remparts.
À trois lieues de là vous trouvez
La Suze182, qui change fort souvent de gouverneur et même de religion. Le peuple y aime les belles-lettres, et particulièrement la poésie.
Ensuite se voit
Pont-sur-Carogne183. Il y a eu long-temps dans cette place deux gouverneurs de fort différente condition en même temps, et qui cependant vivoient dans la meilleure intelligence du monde. La fonction de l'un184 étoit de pourvoir à la subsistance de la ville, et celle de l'autre185 étoit de pourvoir au plaisir. Le premier y a presque ruiné sa maison, et l'autre y a fort altéré sa santé. Cette place a eu depuis grand commerce en Flandre186, et est maintenant une république.
À une lieue de cette ville vous en trouverez une autre que l'on nomme
Uxelles187. Quoique le château n'en soit pas fort élevé, la ville néanmoins est fort belle. Si la symétrie y avoit été observée, la nature en est si riche que ç'auroit été le plus beau séjour du monde. Elle a eu plusieurs gouverneurs. Le dernier est un homme de naissance pauvre, mais de grande réputation188, et qui en a beaucoup acquis dans une autre place sur la même rivière. Cette ville aime fort son gouverneur, jusqu'à engager tous les jours ses droits pour le faire subsister.
À demi-lieue est
Pommereul189, autrefois si célèbre pour le séjour qu'y a fait un prince ecclésiastique190. Dans ce temps-là il y avoit un évêché; mais, l'évêque se trouvant mal logé, le siège épiscopal fut transféré à
Lesdiguières191. Lesdiguières est une ville assez forte, quoique commandée par une éminence192. Elle est hors d'insulte, et on ne la sçauroit prendre que par les formes; mais elle a pourtant été prise et ruinée, comme tout le monde sçait, ainsi que la manière dont elle fut traitée par un homme193 à qui elle s'étoit rendue sous des conditions avantageuses; et, voyant qu'il n'y avoit pas de foi parmi les gens d'épée, elle se jeta entre les bras de l'Église, et a pris son évêque pour gouverneur.
Près de là, entre la Coquette et la Carogne, est la ville d'
Étampes, ou Valançay194, qui est fort ancienne et des plus grosses du pays. C'est une place fort sale et remplie de marais que l'on dit fort infectés par la nature du terroir, qui est putride. Tout y est en friche présentement. La ville étoit belle en apparence; le peuple n'y étoit pas fort blanc, mais la demeure en a toujours été fort incommode à cause de son humeur, car il est fort inconstant, et surtout querelleux, malicieux et fantasque, avec lequel on n'a jamais pu prendre de mesures certaines. Il y a eu des gouverneurs sans nombre: on y aimoit fort le changement et la dépense. Celui qui l'a été le plus long-temps est un vieux satrape195, homme illustre qui mourut dans le gouvernement. La ville en fait un deuil continuel, et, depuis ce temps, elle est demeurée déserte. On n'y va presque plus qu'en pèlerinage: aussi ne lui reste-t-il plus maintenant que de vieux vestiges, qui font remarquer que ç'a été autrefois une grosse ville.
À gauche se trouve la ville de
Brion196, qui a été fort agréable; mais le grand nombre des gouverneurs l'a ruinée. Toutes ses défenses sont abattues depuis la première fois qu'elle fut prise. C'est aujourd'hui une place à prendre d'emblée. Les avenues en sont assez belles, hormis du côté de la principale porte où il y a un bois de haute futaie sale et marécageux, que le gouverneur n'a jamais voulu faire couper. J'appelle gouverneur celui qui en a le nom, car l'administration de la ville dépend de tant de gens que c'est à présent une république.
Sévigny. La situation en est fort agréable. Elle a été autrefois marchande. Montmoron197, proche parent du Cornute, en fut gouverneur; mais il en fut chassé par un comte angevin198, qui la gouverna paisiblement long-temps, lequel partageoit le gouvernement avec un autre comte bourguignon199.
D'Harcourt200 est une ville de grande réputation. Il y a une célèbre université. Les guerres qu'elle a eues depuis long-temps avec un prince des Cornutes ont bien diminué de sa première splendeur. C'est une situation assez pareille à celle de Brion. Le gouvernement est semblable, et c'est un des plus grands passages de Ruffie, chez les Cornutes. – La ville
Palatine est fort connue. Comme il y a longtemps que l'on y alloit en dévotion et que chacun y portoit sa chandelle, on dit que les pèlerins en revenoient plus mal qu'ils n'y étoient allés. C'est une place qui change souvent de gouverneur, d'autant qu'il faut être jour et nuit sur les remparts, et l'on ne peut long-temps fournir à cette fatigue; c'est pourquoi l'on n'y demeure guères. On remarque une chose en cette ville, c'est que le peuple y est sujet à une maladie qu'ils nomment chaude-crache, contre laquelle on dit aussi qu'ils se servent de gargarismes201.
Plus loin, sur la Carogne, est la ville de
Chevreuse202, qui est une grande place fort ancienne, pour le présent toute délabrée, dont les logemens sont tous découverts. Elle est néanmoins assez forte des dehors, mais de dedans mal gardée. Elle a été autrefois très fameuse et fort marchande; elle trafiquoit en plusieurs royaumes, et maintenant la citadelle est toute ruinée par la quantité des sièges qu'on y a faits pour la prendre. On dit qu'elle s'est souvent rendue à discrétion. Le peuple y est d'une humeur fort changeante et fort incommode. Elle a eu plusieurs gouverneurs, dont le principal a été celui qui a commandé à Puisieux. Elle en est mal pourvue à présent, car celui qui est en charge n'est plus bon à rien203.
L'Isle est une petite ville dont la situation paroît d'abord avantageuse à cause qu'elle est au milieu de la Carogne; mais, cette rivière étant guéable de tous côtés dans cet endroit, la place n'est pas plus forte que si elle étoit dans la plaine. Sitôt que vous en approchez, il vous vient une senteur de chevaux morts si forte qu'il n'est pas possible d'y demeurer. Il n'y a personne qui puisse y coucher plus d'une nuit, encore la trouve-t-on bien longue: aussi le lieu s'en va bientôt devenir désert.
Champré204 est une des plus grosses villes du pays; elle a plus de deux205 lieues de tour. Il y a une place au milieu de la ville de fort grande étendue; elle est située dans un marais qui ne la rend pas pour cela plus inaccessible; car, comme l'a fort bien remarqué le géographe de ce pays-là, les habitans de cette ville, qui sont gens de grand commerce, ont fait plusieurs levées qui l'ont bien dégarnie.
Arnault206 est fort semblable à Champré, tant pour la grandeur de sa place que pour sa situation, hors qu'elle est encore plus marécageuse; mais elle l'est tellement qu'on ne sçauroit davantage. Le gouverneur207 a grand soin de cette place, car elle lui vaut beaucoup. Il n'y fait pas un pas que ce ne soit patrouille, et, s'il avoit manqué à coucher une nuit sur le rempart, il n'auroit pas le lendemain de quoi dîner, et le second jour il n'auroit pas de chemise. C'est le lieu du monde où l'on fait le mieux l'exercice; mais aussi c'est le lieu ou l'on est le mieux payé.
De là vous venez à
Cominges208, Petite ville dont les maisons sont peintes au dehors, de sorte qu'elle paroît nouvellement bâtie, quoiqu'elle soit assez ancienne. Le gouverneur d'aujourd'hui est un vieux satrape de Ruffie209 qui ne la gouverne que par commission, et qui, à cause de son âge, est toujours à la veille d'être dépossédé. J'ai ouï dire à des gens qui y ont été que la principale porte de la ville est si proche d'une fausse porte qui conduit à un cul-de-sac que bien souvent on prend l'une pour l'autre.
À deux lieues de là vous rencontrez
Le Tillet210, grande ville ouverte de tous côtés. Le peuple en est grossier, le terroir gras et assez beau; cependant on remarque qu'un homme raisonnable n'y a jamais pu demeurer deux jours. Mais, comme il y a dans le monde plus de sots que d'honnêtes gens, le lieu n'est jamais vide.
Près de là vous avez
Saint-Germain-Beaupré211. C'est là que la Coquette se joint à la Carogne. C'est une ville fort agréable. Le premier gouverneur qu'elle eut étoit un homme du pays des Cornutes212. Il s'empara du gouvernement contre son gré, et s'en fit pourvoir en titre d'office. C'étoit un homme fort extraordinaire et tout à fait bizarre à sa façon d'agir. D'abord il voulut changer les plus anciennes coutumes de la ville, et inventoit toujours quelque chose; entre autres, il déclara un jour qu'il ne vouloit plus entrer que par la fausse porte, et, pour moi, je crois que ce n'étoit pas sans fondement. Mais la ville, jugeant que si cela avoit lieu elle perdroit tous les droits affectés au passage de la grande porte, s'y opposa avec tant de vigueur qu'il ne put parvenir à son dessein. Il fut assez long-temps interdit de sa charge, et depuis même qu'il y a été remis tout s'est fait dans la ville par commission, le gouverneur ayant bâti un château qu'il habite souvent.
M. Bazin a fait son édition au moyen de la Carte imprimée en 1668 et de deux copies manuscrites qui, comme toutes les copies manuscrites de pamphlets à la mode, présentent quelques variantes. Nous suivons, à peu de chose près, le texte qu'il a donné, et que M. Paulin Paris a mis à la fin du tome 4 de son Tallemant des Réaux. Je n'ai pas cru devoir transcrire ses notes telles qu'elles.
Cette Petite Fronde est datée de 1656.
Guerchy, tu ravis le monde;Pons est celle qui te seconde;Saint Maingrin passe les trente ans;Ségur s'en va vieille et mourante;Pour Neuillant, les moins médisantsDisent qu'elle est rousse et méchante. Mademoiselle de Pons est celle que Guise aima et délaissa; mademoiselle de Ségur étoit laide et sage; mademoiselle de Neuillant devint la sévère madame de Navailles; quant à mademoiselle de Saint-Mesgrin, Loret (1er octobre 1650) en parle, et ce qu'il en dit montre que notre beau financier, Jeannin de Castille, tranchoit du monarque et du coq.
Saint Maigrin, fille de la reine,Avec sa belle gorge pleineEt son accueil doux et benin,S'est fort acquis monsieur Janin,Dont l'on dit qu'elle est adorée,Tant le matin que la soirée.Je ne croye pas que cet amant,Dans son nouvel embrazement,Lui fasse faire aussi grand'chèreComme Gaston luy faisoit faire. Une autre chanson, qui est de Benserade et datée de 1652, ne viendra pas mal maintenant:
Guerchy, deux cœurs brûlent pour vous. Les deux cœurs, disent les clefs, sont le cœur de M. de Jars, commandeur de Malte, et le cœur de M. de Joyeuse (de la maison de Lorraine).
Guerchy, deux cœurs brûlent pour vous;L'amour qui les assembleLes feroit plaindre ensembleSans être jaloux;Malte et la LorraineSont dessous vos lois;Mais tirez-nous de peine:À laquelle des troisDonnez-vous votre choix? C'est donc à tort que M. A. Bazin corrige Malte et Lorraine et met Metz en Lorraine, à cause que le chevalier de Lorraine n'est venu au monde qu'en 1643, et parcequ'il suppose que Metz en Lorraine signifieroit le maréchal de Schomberg, gouverneur de la ville et beau galant.