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Kitabı oku: «Histoire amoureuse des Gaules; suivie des Romans historico-satiriques du XVIIe siècle, Tome IV», sayfa 5

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Quand il vit que la comtesse alloit faire du bruit et appeler du monde, il crut que le plus sûr étoit pour lui de se retirer et de sortir comme il étoit entré. Le même homme qui lui avoit ouvert la porte en entrant, la lui ouvrit quand il vit qu'il vouloit sortir; et il trouva son gentilhomme qui l'attendoit, et qui l'accompagna jusques à l'entrée de la chambre de la reine, que le Roi fut trouver au lit, et qui profita sans doute de ce que ce prince avoit destiné pour la comtesse. Cette dernière ne dormit guère le reste de la nuit. Elle étoit en peine comment elle devoit se gouverner en cette rencontre. Elle ne douta point que ce ne fût le Roi qui l'étoit venu trouver au lit, qui, n'ayant pu jusqu'alors satisfaire son amour, s'étoit servi de ce dernier stratagême. Son premier dessein fut d'abord d'appeler ses domestiques, de leur dire qu'un homme étoit entré dans sa chambre, qu'elle vouloit savoir absolument qui l'y avoit introduit, la chose n'ayant pu se faire sans leur participation, et que, dès que le coupable lui seroit connu, elle en vouloit faire un exemple. Un peu après elle considéra l'éclat que cela feroit, les conséquences malignes que quelques-uns en pourroient tirer pour ternir sa réputation, le chagrin, et peut-être les soupçons qu'une affaire si délicate causeroit à son mari, et l'affront que le Roi lui-même en alloit recevoir, quand la chose seroit divulguée; enfin, plusieurs autres considérations de cette nature la déterminèrent à laisser passer la chose, sans en parler à personne. Cette prudente dame savoit encore, que la réputation de celles de son sexe est extrêmement délicate, que le plus sûr pour elles est de conserver leur honneur et de se défendre contre tous ceux qui l'attaquent, sans en faire tant de bruit; que l'éclat est ce qui les perd dans l'esprit des gens, lors même qu'elles sont les plus innocentes, et qu'enfin n'ayant rien à se reprocher, elle ne craignoit les reproches de personne, puisque celui qui l'étoit allé trouver au lit s'en étoit retourné comme il étoit venu, et que ceux qui lui avoient prêté la main avoient pu juger, par son prompt retour et par le bruit qu'elle avoit fait, du peu de succès de son entreprise.

La comtesse donc, satisfaite de s'être bien défendue, ne voulut point prôner sa victoire. Qui sait encore si l'Amour ne se mêla pas là-dedans, et si la tendresse qu'elle ne pouvoit s'empêcher d'avoir pour le Roi, ne l'empêcha pas aussi de publier une chose dont elle pourroit se repentir un jour, n'étant pas assurée si elle n'auroit pas enfin pour ce prince des sentiments plus humains? et, quoiqu'elle n'appuyât pas beaucoup sur cette dernière considération, il est certain qu'elle y entra.

Le Roi, après cette honteuse retraite, perdit entièrement l'espérance de gagner jamais une telle dame; il résolut même de n'y penser plus; mais il ne savoit pas bien lui-même s'il seroit capable de tenir sa résolution. L'image de tant de beautés qui étoient répandues sur le corps de la comtesse, et dont ses yeux et même ses mains avoient été les témoins, lui revenoit toujours dans l'esprit. Il ne put s'empêcher de convoiter une chair si ferme et une peau si blanche et si délicate. – «Je vois bien, ajouta-t-il en lui-même, que la Montespan craignoit la touche d'un bijou si précieux, qu'elle vouloit me faire passer pour une happelourde28. Mais je n'ai que trop vu l'effet de sa jalousie, qui vouloit me dégoûter de la plus charmante beauté qui soit dans l'univers. Oui, je n'ai que trop vu que la comtesse a le plus beau corps du monde, et il vaudroit bien mieux pour mon repos avoir ajouté foi aux discours de la Montespan, me dégoûter de cette dame, et n'y penser jamais. Mais mon malheur a voulu que j'aie vu, et que j'aie touché moi-même des beautés qui m'ont charmé et dont je n'ai pu me réjouir.»

C'est ainsi que le grand Alcandre entretenoit ses pensées. Après avoir demeuré tout le reste de la nuit au lit de la reine29, il s'en retourna dans le sien, selon la coutume, qui étoit à la chambre prochaine. L'heure de se lever étant venue, ceux que leur devoir appeloit auprès du Roi ne manquèrent pas de s'y rendre, et particulièrement le duc de La Feuillade, qui s'y trouva des premiers. Dès que le Roi eut paru en robe de chambre30, on remarqua d'abord cette petite égratignure qu'il avoit au visage. Les courtisans se regardèrent tous, pour se demander les uns aux autres la cause de ce qu'ils voyoient; mais personne n'osa en parler au Roi. Ce monarque, qui connut d'abord le sujet de leur étonnement, et qui avoit assez près de lui le duc de La Feuillade, lui dit à l'oreille: «la belle a été cruelle.» Ce mot fut entendu de quelques-uns des courtisans, et il fut su à la cour et jusques dans les provinces; mais personne ne devina quelle étoit cette cruelle qui avoit ainsi traité le Roi, et qui lui faisoit porter des marques de sa rigueur. Il n'y eut que le duc de La Feuillade qui comprît d'abord ce que c'étoit.

Après que ce prince fut habillé, il témoigna qu'il vouloit être seul une demi-heure, et il ne retint auprès de lui que le duc de La Feuillade. – «Eh bien! lui dit le grand Alcandre, tu vois que je porte des marques de mon dernier combat. – A la bonne heure, Sire, lui dit le duc, pourvu que vous ayez remporté la victoire; vous savez que l'Amour, aussi bien que Mars, aime quelquefois à se baigner dans le sang. – Je t'assure pourtant, dit le Roi, que ce n'est pas à l'Amour que je dois me plaindre de celui qu'on m'a fait répandre cette nuit, et dont je porte les marques. – Mais quoi, Sire, lui dit le duc, n'alliez-vous pas comme ami vous présenter devant cette place? D'où vient qu'on vous a traité comme un ennemi? Vous alliez trouver cette femme non pas comme amant, mais comme mari; est-ce que les rigueurs s'étendent jusqu'à son époux? Car je ne puis pas comprendre que, l'étant allé trouver la nuit, elle ait pu vous reconnoître, ni vous prendre pour un autre que pour le comte. – Il faut donc te dire ce qui en est,» répartit le Roi, et alors il lui raconta comment il étoit entré dans la chambre de la comtesse; de quelle manière il s'étoit glissé dans son lit pendant qu'elle dormoit; comment, après s'être réveillée, elle avoit souffert quelques-unes de ses caresses, le prenant toujours pour son mari. «Enfin, ajouta-t-il, les affaires alloient jusque-là le mieux du monde; j'allois me rendre maître d'une place qui m'a toujours résisté, lorsqu'une maudite verrue que j'ai aux reins, sur laquelle elle porta fortuitement la main, éventa la mine et me découvrit. – Quoi, si peu de chose, reprit le duc, la fit entrer en soupçon? – Cela l'obligea à parler, lui dit le Roi, et à me demander depuis quand j'avois cette marque sur le corps; et, voyant qu'on ne lui répondoit point, elle ne douta plus qu'on ne l'eût trahie. Elle sauta promptement du lit, elle me repoussa, et elle alloit appeler ses gens. Enfin, au lieu qu'avant cela, elle étoit douce comme un mouton, après qu'elle eut touché cette fatale verrue, ce ne fut plus qu'une tigresse et une lionne, qui ne répondit à mes caresses qu'à coups de griffes, et qui m'a mis en l'état où tu me vois. De sorte que, voyant qu'il n'y avoit rien à gagner que de la honte pour moi, je me retirai tout doucement. – Il faut avouer, dit alors le duc, qu'en amour aussi bien qu'en toute autre chose, il y a de fatales conjectures. Qu'une petite verrue qui n'est pas, peut-être, plus grosse que la tête d'une épingle, arrête et fasse échouer un dessein si bien concerté31! Je ne m'étonne plus, après cela, si la remore32, qui n'est qu'un petit poisson, arrête tout court les plus grands vaisseaux, puisque si peu de chose s'oppose au bonheur du plus grand monarque du monde. – Mais il y a cette différence, répondit le Roi, c'est que je portois avec moi cette maudite remore qui a rompu tous mes projets amoureux, et a repoussé tout-à-coup mon vaisseau, qui alloit entrer à pleines voiles dans le port33. – Permettez-moi de dire à Votre Majesté, répliqua le duc, qu'elle ne devoit pas sitôt abandonner son entreprise, et qu'elle auroit peut-être bien fait de se donner à connoître à la comtesse, pour l'empêcher de faire du bruit. Que sait-on, ajouta le duc, si, dans la pensée où elle étoit que ce fût quelqu'un de ses domestiques, qui, profitant de l'absence du comte, avoit eu l'audace de se glisser dans son lit, elle a paru si transportée de rage? Ces sortes d'attentats ne sont pas sans exemple; l'Amour hasarde tout, et ce n'est que par un pareil stratagême que cette espèce de gens peut réussir dans une entreprise de cette nature, ayant affaire surtout à des femmes qui sont de l'humeur de cette comtesse. Mais toute tigresse qu'elle est en fait d'amour, elle auroit été douce comme un mouton si elle eût reconnu d'abord que c'étoit Votre Majesté qui la tenoit embrassée. – Ah! que me dis-tu, répliqua le grand Alcandre, veux-tu me désespérer? N'est-ce pas assez, pour me faire mourir, d'avoir manqué la plus belle occasion où un amant se puisse trouver? Faut-il que tu m'assassines de plus fort, en voulant me persuader que c'est par ma faute que je suis tombé dans ce malheur? Mais comment pouvois-je espérer de toucher cette insensible en me faisant connoître? elle qui m'a toujours rebuté, elle qui a méprisé mon sceptre et ma couronne, et ma vie même, que j'ai voulu lui sacrifier pour tâcher de la fléchir? Non, non, je ne me flatte point là-dessus; elle ne m'a reconnu que trop, et ce n'étoit que par la voie dont je me suis servi que je pouvois venir à bout d'une femme qui n'est pas faite comme les autres, et qui n'aime que son mari. En puis-je douter après ces terribles paroles, «qui que tu sois, si tu ne me laisses, je t'arracherai les yeux, et j'appellerai mes gens?» Tu vois que je porte les marques de cette furie; et plût à Dieu qu'elle en eût le visage comme elle en a le cœur! je ne serois pas si malheureux. Comment peux-tu croire, après cela, qu'elle se seroit adoucie si je me fusse fait connoître après en avoir été rebuté tant de fois? Je crois que ma retraite fut sage, et que le meilleur parti que j'avois à prendre, étoit de sortir sans bruit de la chambre de la comtesse, comme j'y étois entré. Quel affront pour moi, de me voir assiégé d'une foule de pages et de laquais, qui eussent été les témoins de ma honte! Tout Roi que je suis, je n'aurois pas échappé aux railleries secrètes de mes courtisans; tu sais, cher La Feuillade, combien je suis sensible à de pareils coups. Je n'ai jamais pu les pardonner à Vardes34 et à Bussi35, qui s'étoient émancipés jusque-là. Enfin, que veux-tu que je te dise? ajouta ce monarque affligé; je tenois entre mes bras ce que j'aime le plus dans le monde; je me croyois au comble de mes désirs, et je ne sais quel malheur, que je traîne après moi, m'a fait échouer tout d'un coup de la manière du monde la plus fatale; jamais monture plus douce et plus maniable dans mes premières approches; mais je ne sais quelle mouche lui fait prendre aux dents36, la met en fureur contre moi, et m'en laisse de tristes marques. – Il n'importe, Sire, dit le duc au Roi, pour le consoler; il faut que V. M. tâche de remonter sur sa bête. —37 Voilà la deuxième fois que j'ai failli la prendre, dit le Roi, et je ne vois que trop la vérité du présage que j'eus à la chasse où étoit le comte, lorsque je manquai deux fois un sanglier. La comtesse est ce sanglier que je n'ai pu blesser encore, et qui m'a mis dans l'état où tu me vois. Pour moi, je crois, ajouta-t-il, que cette femme n'est pas faite comme les autres, et si je ne l'avois pas bien maniée, je croirois qu'elle n'est pas de chair, mais de quelque autre matière. – Vous verrez, Sire, qu'elle ne sera pas toujours insensible, lui dit le duc; assurez-vous que vos coups ne seront pas perdus, ils feront leur effet tôt ou tard. Savez-vous, ajouta-t-il, que la main d'un amant qui manie le corps de sa maîtresse, a un certain charme secret qui éveille en elle de certaines idées dont elle ne peut se défendre? Qu'elle fasse la farouche tant qu'elle voudra; cela lui revient de temps en temps dans l'esprit; son imagination en est doucement chatouillée, et l'on peut dire que c'est un germe qui doit produire un fruit auquel l'amant ne s'attend pas. Enfin, l'attouchement d'un homme amoureux envers une femme qu'il aime, est comme celui d'un chien enragé, dont la seule écume produit la rage, quoique cela n'arrive que plusieurs années après. Ainsi je ne doute pas que ce que la comtesse a déjà senti de votre part, et lorsque vous la trouvâtes endormie la première fois, et lorsque vous la poussâtes de si près, au vallon de la forêt de Fontainebleau, et les privautés que vous avez eues avec elle la nuit passée, je ne doute pas, dis-je, que tout cela ne soit un secret poison dans son cœur, qui fera éclater enfin la fureur de l'amour. N'en doutez point, Sire, je sais un peu comment les femmes sont faites. Tenez-vous seulement à l'écart, faites un peu le froid avec elle, et vous verrez qu'elle regrettera peut-être l'occasion qu'elle a perdue. Les femmes négligent ce qu'elles peuvent avoir à toute heure, mais elles font bien des pas pour retenir ce qu'elles craignent de perdre. La comtesse compte sur vous comme sur une conquête assurée, et c'est pour cela qu'elle diffère, autant qu'elle peut, à payer le tribut qu'on doit à l'amour. Quand vous reculerez, elle s'avancera; et, faisant réflexion alors aux plaisirs imparfaits qu'elle a goûtés avec vous, et craignant de ne les retrouver plus, elle désirera que vous acheviez ce qui n'est que commencé; et peut-être même qu'elle vous en prieroit si la pudeur de son sexe ne la retenoit. Voilà, Sire, comment les femmes sont faites, et vous en savez plus que moi sur ces matières.»

Le grand Alcandre fut ravi d'entendre raisonner le duc d'une manière qui flattoit si fort sa passion. Il approuva son conseil, et, sans affecter de fuir la comtesse, il ne témoigna plus pour elle les mêmes empressements. Cette belle inhumaine ayant vu le Roi à la messe, fut confirmée dans l'opinion qu'elle avoit, que c'étoit lui-même qui l'étoit venu trouver au lit. Elle prit garde d'abord aux marques qu'il en portoit sur son visage, et elle ne put voir sans quelque émotion ces effets de sa cruauté. Son cœur sentit dans ce moment quelque chose de plus tendre qu'à l'ordinaire; elle fut touchée de compassion pour cet amant malheureux; et, faisant réflexion à toutes les basses démarches que ce grand prince avoit faites, et qui ne pouvoient partir que d'un cœur amoureux jusqu'à la folie, peu s'en fallut qu'elle n'eût quelque espèce de honte d'avoir été si sévère en son endroit, dans un temps où la cruauté, parmi les femmes du beau monde, étoit si peu à la mode. Elle voyoit qu'elle avoit perdu la plus belle occasion du monde pour accommoder son amour avec son devoir, en feignant de croire que celui qui avoit pris la place de son époux étoit son époux lui-même. Mais comme cette feinte ne la mettoit pas à couvert des reproches de sa conscience, elle rejetoit cette pensée comme une dangereuse tentation, et, sa vertu reprenant le dessus, elle se contenta de faire bon visage au Roi, sans lui accorder rien de solide. Voilà quel étoit l'état de nos deux amants: la comtesse, plus adoucie, étoit résolue de paroître moins sévère; et Alcandre piqué de ressentiment, se voulut montrer plus froid et plus réservé.

Quelques jours se passèrent de cette manière, pendant lesquels le Roi parut de plus belle humeur, et plus magnifique qu'à son ordinaire. Mais il vivoit avec la comtesse comme un homme tout-à-fait guéri de sa passion, ou du moins comme un amant qui n'espère plus, qui a épuisé tous ses soins et toute sa tendresse, et qui ne cherche que les plaisirs, les jeux et les divertissements. Cependant, bien loin de témoigner le moindre chagrin contre elle, il lui faisoit beaucoup de civilités, mais de la nature de celles que tous les cavaliers rendent aux dames, et où il ne paroissoit pas que l'amour eût la moindre part. Pas le moindre mot, pas un seul regard qui marquât quelque tendresse; et le meilleur de tout cela, c'est qu'il n'y avoit rien de forcé ni de contraint; tout paroissoit naturel, et qui auroit vu le Roi agir de cette manière avec la comtesse, ne l'auroit jamais jugé amoureux. Elle-même s'y trompa toute la première, et elle crut effectivement que le Roi ne sentoit rien pour elle, et qu'il étoit tout-à-fait guéri. Une façon d'agir si peu attendue la surprit étrangement. Si elle eût trouvé le Roi chagrin, ou qu'il eût été froid avec elle, elle s'en seroit consolée; mais un procédé si civil et si tendre faillit la déconcerter.

Un jour qu'elle se trouva près de ce prince, elle voulut prendre un air radouci et plus tendre qu'à l'ordinaire; le Roi, qui le vit fort bien, fit semblant de n'y prendre pas garde, et d'avoir l'esprit ailleurs, et, comme elle vouloit le rengager, elle le jeta insensiblement sur des matières de galanterie, où le Roi répondit toujours fort à propos, sans faire ni le doucereux ni le sévère. – «Pour moi, quand j'étois en état d'avoir des amants, disoit-elle, je n'aimois pas qu'ils se rebutassent d'abord comme plusieurs que je connois. – Vous aviez raison, Madame, lui dit le Roi, d'être dans ce sentiment, et je trouve que n'est guère aimer si l'on n'essuie toutes les rigueurs d'une maîtresse. – Il n'est pas juste pourtant, ajoutoit-elle, qu'une maîtresse abuse de son pouvoir, et exerce une autorité tyrannique sur ses amants. – Pourquoi non, Madame? répondit le grand Alcandre; chacun peut user de ses droits; une maîtresse ne doit rien à son amant, et c'est à lui à prendre parti ailleurs, s'il n'est pas content.»

La comtesse entendant parler le Roi d'une manière si désintéressée, sur une affaire où elle avoit cru qu'il avoit tant d'intérêt, ne pouvoit cacher le dépit secret qu'elle en avoit dans le cœur. – «Les dames vous sont bien obligées, dit-elle au Roi, de défendre si bien leurs droits; et que je m'estimerois heureuse d'avoir un tel avocat! – Comme vous n'avez aucun intérêt à ces sortes de disputes, mes soins vous seroient fort inutiles, répondit le grand Alcandre. – On ne peut pas savoir ce qui peut arriver, lui dit la comtesse. – Alors on y pensera,» lui dit le Roi, et en disant cela, il alla joindre la Montespan, qui traversoit la galerie pour entrer dans la chambre de la Reine.

Les dames, et surtout celles qui sont naturellement fières, ne connoissent jamais bien qu'elles aiment un amant que lorsqu'elles croient l'avoir perdu. C'est ce qu'éprouva la comtesse en cette rencontre; cette fière personne, qui avoit reçu les hommages d'un grand Roi sans en être fort émue, le fut beaucoup plus qu'on ne sauroit dire, quand elle crut que cette conquête lui alloit échapper. Elle commença de sentir le plaisir qu'il y avoit d'être aimée, lorsqu'elle ne l'étoit plus, car elle le croyoit ainsi, et il lui arriva comme à ceux qui ne connoissent le prix de la santé qu'après qu'ils l'ont perdue.

Le Roi, qui lisoit dans le cœur de la comtesse, étoit charmé d'avoir suivi le conseil que son confident lui avoit donné, puisqu'il s'en trouvoit si bien. – «Je vois bien, dit-il à ce duc, quand il se trouva seul avec lui, qu'il en est de l'amour comme de la guerre, et que le plus grand coup d'un habile capitaine est de savoir battre son ennemi en retraite. C'est ce que je fais, cher La Feuillade, à l'endroit de la comtesse, et je vois que j'ai plus avancé mes affaires en trois jours, en tenant cette conduite, que je n'avois fait pendant six mois. – Continuez seulement de cette manière, lui dit cet habile confident; faites semblant de vous retirer devant cette fière ennemie; laissez-lui gagner du terrain tant qu'elle voudra, et quand vous aurez assez reculé, donnez-lui un coup fourré.» Cela fit rire le Roi, qui lui répondit d'un air content: «Je me suis si bien trouvé de tes conseils, que je les veux suivre aveuglément.»

La Reine ayant fait ses couches, la Cour s'en retourna à Versailles, et le Roi résolut de faire la plus magnifique fête qu'on eût encore vue. C'étoit au commencement de mai38, qui est la saison de l'année la plus belle et la plus riante, et où tout ce qu'on voit semble inviter à l'amour. Cette fête dura neuf jours39, pendant lesquels le Roi traita plus de six cents personnes; le bal, la comédie, la musique, les carrousels, les mascarades, rien n'y fut oublié. Je ne ferai pas la description de toutes ces magnificences qu'on peut voir ailleurs; il suffit de dire que tout cela se passa, non pas dans le château, qui auroit été trop petit, mais dans ce beau parterre40 qui est un assemblage de bois, de fontaines, de viviers, d'allées, de grottes, et de mille diversités qui surprennent agréablement la vue. On y avoit tendu de hautes toiles, on y avoit fait un grand nombre de bâtiments de bois, peints de diverses couleurs, et un nombre prodigieux de flambeaux de cire blanche, qui suppléoient41 à plus de quatre mille bougies, rendoient les nuits plus belles et plus charmantes que les plus beaux jours de l'année. Enfin, on peut dire que cette plaine étoit un camp magnifique, où plusieurs palais enchantés parurent dans un moment.

Cette grande fête commença par divers ballets, où le Roi lui-même, Messieurs les princes du sang, et plusieurs autres seigneurs parurent sur les rangs. Les festins, la comédie et tous les autres divertissements suivoient tour à tour, et alloient en augmentant. La nuit même ne les faisoit pas cesser, ou pour mieux dire, il n'y avoit pas de nuit, à cause du grand nombre de flambeaux qui éclairoient tous les endroits du bois. On peut juger si cet agréable mélange de tant de différentes personnes de l'un et l'autre sexe, ce grand concours de monde, cette confusion du jour et de la nuit, cette liberté qu'inspirent les plaisirs champêtres, et enfin cette joie qui accompagne les grandes fêtes, et qui fait que grands et petits, hommes et femmes, se mêlent sans distinction; on peut, dis-je, juger si ces charmants désordres étoient propres pour les aventures et pour les mystères d'amour.

Le Roi qui ne songeoit qu'à se rencontrer seul avec la comtesse en quelque lieu écarté du bois, fit naître diverses occasions, dont une lui parut réussir enfin. Le troisième jour de cette fête, qui finit à l'ordinaire par un magnifique festin, le Roi proposa une mascarade après le souper, où chacun, tant hommes que femmes, pourroit se masquer à sa fantaisie, se promener dans le bois ainsi déguisé, et faire cent petites malices. La chose fut ainsi exécutée, chacun prit la figure qui lui plut le plus; les uns se travestirent en bergers et en bergères, les autres en guerriers et en amazones, d'autres en sauvages42, et chacun prit la forme qui lui convenoit le mieux, ou qu'il jugea la plus propre à ses desseins. On n'a pas bien su quelle fut celle du grand Alcandre et de la comtesse, mais on sait bien que cette dernière ne put pas se déguiser si bien que son amant ne sût les habits et le masque qu'elle devoit prendre. Il seroit trop long de dire tout ce qui se passa dans cette belle mascarade. Chacun y joua son rôle à la faveur de la nuit, de l'épaisseur des arbres, et du masque qu'il portoit sur le visage. Tout cela rendoit aussi les dames plus hardies, et les disposoit à être plus facilement trompées.

La Montespan ne manqua pas de se prévaloir d'une si belle occasion pour jouer à sa rivale quelque mauvais tour, et pour la perdre de réputation, si elle ne pouvoit la détruire dans le cœur du grand Alcandre. Elle sut, par le moyen d'une fille de la comtesse, qu'elle avoit gagnée, de quelle manière sa maîtresse se déguiseroit, et quel masque elle devoit porter. Elle pria cette fille de lui en donner un semblable, ce qu'elle fit; et la Montespan imita si bien la comtesse dans tous ses ajustements, qu'il n'y a personne qui ne s'y fût trompé, car leur taille étoit à peu près la même, et quand il y auroit eu quelque différence, le déguisement empêchoit de la remarquer. Le dessein de cette malicieuse femme étoit de se divertir comme tous les autres, et de voir si, sous ce déguisement tout à fait conforme à celui de sa rivale, elle pourroit tromper le Roi, et découvrir ainsi le secret de leur intrigue. Mais ce qu'il y avoit de plus malin, c'est qu'elle espéroit par là de décrier la comtesse, de la perdre dans l'esprit de son mari, en faisant courir le bruit, sous cette fausse apparence, que sa femme avoit un commerce secret avec le Roi, et qu'on les avoit trouvés ensemble la nuit de cette mascarade.

Dans cette pensée, la Montespan, qui ne doutoit pas que le grand Alcandre ne se fût informé exactement de quelle manière la comtesse seroit habillée, fit tout ce qu'elle put pour joindre le Roi, et pour tâcher de lui faire prendre le change. La chose ne lui fut pas difficile, parmi cette confusion de masques qui passoient et repassoient en divers endroits du bois. Comme chacun s'écartoit, les uns d'un côté, les autres d'un autre, pour faire quelque bon tour, à la manière ordinaire des masques, le hasard, ou, pour mieux dire, le dessein, fit en sorte que le Roi se trouva seul avec la prétendue comtesse, dans un endroit assez reculé, où il y avoit un petit cabinet et de longs siéges de gazon en forme de lit de repos. Il n'y avoit dans cet endroit que quelques bougies, dont le vent éteignit quelques-unes, et celles qui restoient le furent par quelque masque qui vouloit favoriser ces deux amants, et peut-être par le grand Alcandre lui-même. Quoi qu'il en soit, les voilà tous deux dans une nuit sombre, abandonnés à la garde de l'amour et sur leur bonne foi.

La Montespan, qui craignoit que le Roi ne l'eût tout à fait oubliée, fut la première à parler et à lui dire: – «Avouez, Sire, que vous êtes bien attrapé, et que mon masque vous a trompé; vous avez cru d'être avec une autre, et le hasard a voulu que vous vous trouviez avec une personne qu'apparemment vous ne cherchiez pas.» Ce discours étoit assez ambigu, et on pouvoit l'appliquer à la comtesse; aussi le Roi ne douta point que ce ne fût elle-même quand il vit son masque et ses habits; et quoique la voix de celle qui lui parloit fût un peu différente de celle de la comtesse, il crut que le masque qu'elle avoit sur le visage faisoit cet effet. La prenant donc pour sa nouvelle maîtresse, il répondit à ce qu'on venoit de lui dire: – «Le hasard est quelquefois plus sage que nous, et puisqu'il m'a mené jusqu'ici, je veux bien m'abandonner aveuglément à sa conduite, et si vous m'en croyez, vous en userez aussi de même: profitons de cette belle occasion, ma chère comtesse.» En disant cela, il porta un de ses bras sur le cou de sa maîtresse, la serra fort amoureusement, et lui prit quelques baisers. La Montespan, qui vit que le Roi donnoit de lui-même dans le panneau, voulut se donner le plaisir d'une si agréable aventure; et pour mieux imiter la comtesse, elle fit quelque temps la difficile. Le grand Alcandre, qui vouloit absolument se satisfaire, lui dit: – «Madame, vous savez à quel point je vous aime, une si longue résistance me va porter au désespoir; votre vertu n'a que trop longtemps combattu, et j'attends aujourd'hui de vous la fin de toutes mes peines. – Eh! je croyois que vous ne pensiez plus à à moi, lui dit la fausse comtesse. – Et à qui penserois-je qu'à vous? lui dit cet amant passionné; vous êtes mon cœur et ma vie; ne me faites donc plus languir; je meurs si vous n'avez pitié de moi.»

La dame, à qui ce discours s'adressoit, rioit de tout son cœur, entendant parler ainsi le Roi. – «Contentez-vous, lui dit-elle, d'avoir un entretien secret avec moi. – Et de quoi me sert cet entretien, lui dit le grand Alcandre, qu'à me rendre plus malheureux, si je ne puis satisfaire mon amour? Encore un coup, ma chère comtesse, prenez pitié d'un amant qui va expirer à vos pieds, si vous ne le soulagez promptement. Que je sois heureux au moins dans ce moment; après cela, faites-moi tout ce qu'il vous plaira; sacrifiez-moi, si vous voulez, à votre ressentiment; je me figure avec vous des plaisirs infinis; ne me les refusez pas, et s'il faut ensuite les payer de tout mon sang pour satisfaire ce vain honneur que vous m'opposez toujours, je suis prêt à le répandre.»

La dame, qui n'étoit pas une roche, et qui n'avoit pas accoutumé d'être si cruelle au grand Alcandre, l'entendant parler d'une manière si passionnée, s'imagina aussi elle-même des douceurs nouvelles, avec un amant si tendre et si éperdu d'amour; et, quoique cela ne s'adressât point à elle, mais à sa rivale, elle fut bien aise d'en profiter, et de rappeler ces doux moments qu'elle avoit passés avec le Roi, la première fois qu'elle en fut aimée. Cependant, pour mieux jouer le rôle de la comtesse, elle se défendit autant qu'elle put. Quand le Roi vit qu'elle commençoit de se rendre, il la pria d'ôter son masque; elle lui répondit qu'elle ne sauroit y consentir, qu'il perdroit lui-même beaucoup à cela, et que ce voile la rendoit plus hardie. Enfin, après mille petites façons, qui faisoient enrager le grand Alcandre, elle se laisse pencher doucement entre ses bras, et voulant toujours contrefaire une femme qui n'a jamais connu d'autre homme que son mari, elle se défend encore, mais foiblement; et imitant les derniers abois d'une chasteté mourante, elle pousse un profond soupir, et tombe à demi-pâmée dans les bras de son amant. Le grand Alcandre ne se sentant plus lui-même, et transporté d'une joie extraordinaire de se voir, après tant d'écueils et tant de naufrages, arrivé heureusement au port, se prépare d'y entrer avec toute la force et toute l'ardeur de l'amant le plus passionné; lorsque, par une funeste disgrâce, il se vit arrêté tout court:

 
Près de goûter mille délices,
Ce triste et malheureux amant
Vit changer son contentement
En de très-rigoureux supplices.
 

Un trop grand excès d'amour, un transport de joie, trop de précipitation, ou peut-être une trop longue attente, l'ardeur, le désir de bien faire, la crainte d'échouer, une grande dissipation d'esprits, et je ne sais quelle constellation maligne qui présidoit sur son amour, troublèrent tellement le grand Alcandre, qu'il ne se connut plus lui-même, et, sur le point de se voir le plus heureux de tous les amants, il tomba dans la plus cruelle disgrâce qui puisse arriver en amour. Enfin ce malheureux amant se trouva sans armes, lorsqu'il crut que sa maîtresse n'étoit plus en état de lui résister.

28.«Happelourde, faux diamant, ou toute pierre précieuse contrefaite, ou qui n'est pas arrivée à la perfection», dit Furetière. Le mot est pris ici dans son sens propre; on connoît son sens figuré.
29.On assure que le roi Louis XIV, voulant sauver les apparences, ne passa jamais une nuit sans aller coucher dans la chambre de la reine.
30.Voyez ci-dessus, p. 25, note 14.
31.C'est la pensée de Pascal, sur le nez de Cléopâtre et le grain de sable de Cromwell.
32.Remora. Furetière conteste déjà l'opinion de Pline et de tous les anciens qui, après lui, attribuaient au remora la force d'arrêter un vaisseau dans sa course: «mais les modernes tiennent que c'est une fable.»
33.La 1re édition de ce petit roman, reproduite par M. Paul Lacroix, remplace le passage qui suit par un texte tout différent, que nous reproduisons ci-dessous:
  « – Je suis bien aise, répliqua le duc, que Votre Majesté soit en humeur de railler sur cette aventure, et si vous n'étiez pas mon roi, je dirois encore une plaisanterie qui m'est venue dans l'esprit sur le malheur qui vient de vous arriver.
  «Le Roi lui permit de dire tout ce qu'il voudroit, ne cherchant qu'à dissiper son chagrin. – Je ne puis penser à la fatalité de votre aventure, dit alors le duc, qu'il ne me souvienne de ce que j'ai ouï dire autrefois d'un certain Martin qui, ayant un âne noir, voulut faire une gageure qu'on n'y trouveroit pas un seul poil d'une autre couleur. Aussi étoit-il noir depuis les pieds jusques à la tête. Cependant il y eut un homme qui se présenta pour faire cette gageure. Il offrit de payer le prix de l'âne s'il n'y remarquoit aucun poil qui ne fût noir, et le maître de la bête s'engagea à la lui livrer s'il trouvoit un seul poil d'une autre couleur. La chose étant ainsi arrêtée entr'eux, il se trouva que la bête avoit un poil qui étoit grisâtre, mais si menu qu'il ne paroissoit que comme un point; ce qui fut cause que son maître la perdit, et de là est venu ce proverbe: pour un point, Martin perdit son âne. Et vous, Sire, pour quelque chose de semblable, vous avez perdu la comtesse, qui, sans cela, ne pouvoir pas vous échapper.
  «Le Roi ne fit que rire de cette plaisanterie, et dit qu'effectivement il ne s'étoit jamais aperçu de cette marque sur son corps. Cependant, ajouta-t-il, c'est ce qui m'a fait perdre la bête que je tenois sans cela. Voilà la deuxième fois… etc.»
34.Voy. t. I, p. 272, et passim, à la table.
35.Voy. t. I, préface.
36.Nous dirions prendre le mors aux dents.
37.A partir de cette réplique du Roi, les deux textes se confondent. – Voy. p. 88, note 33.
38.Erreur. Voir ci-dessus, page 31, note 16.
39.Nous sommes en 1672. Il s'agit évidemment des divertissements donnés à Versailles par le Roi à toute sa cour à cette époque. La relation qui en a été publiée répartit ces fêtes en six journées.
40.Furetière définit un parterre: «la partie d'un jardin découverte où on entre en sortant de la maison.»
41.Qui s'ajoutoit à plus de…
42.Voir sur ces costumes l'intéressant ouvrage de M. Ludovic Celler: Les décors, les costumes et la mise en scène au xviie siècle, 1 vol. in-12. Paris, Liepmannsohn et Dufour, 1869.
Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
04 ağustos 2017
Hacim:
440 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain