Kitabı oku: «Le Sabot et le Ciel», sayfa 2
Histoires d’école
La scolarité fut pour moi une période pleine de défis. Je souris en repensant à ces années, mais il y eut aussi de mauvais souvenirs. J’avais, je crois, un sens aigu de la justice, ce qui me causa souvent des soucis. Je suis contente qu’il ne me reste que peu de souvenirs de cette époque.
Il y avait dans ma classe un garçon avec des lunettes aux verres très épais, et un jour, l’institutrice ne trouva rien de mieux que de se moquer de lui. J’avais alors huit ans et déjà à cette époque, je ne pouvais pas comprendre pourquoi des adultes se moquaient d’enfants, mais que ce soit en plus une institutrice qui le fasse, c’en était trop ! J’explosai et lui passa un savon.
La situation escalada lorsque la dame me hurla de me taire, alors que j’étais seulement en train d’expliquer qu’on n’avait pas le droit de se moquer des gens comme ça, et surtout pas des enfants ! Bien entendu, je continuais à faire entendre ma voix, jusqu’à ce qu’elle me pince sous le menton par la peau du cou. Cela me fit complètement disjoncter – et plus rien de me retint : de douleur, je réagis de manière complètement incontrôlée et flanqua une telle gifle à mon institutrice que j’entends encore aujourd’hui le son de la claque.
Dans le même temps, je lui donnai un coup avec mon pied droit dans le tibia, de sorte qu’elle tomba littéralement à genoux devant moi. Elle fut en l’arrêt de travail pendant trois semaines après cela à cause d’un hématome au tibia ; quant à mon méfait, il resta impuni.
J’eus encore une expérience particulière avec cette institutrice. J’étais alors en deuxième année d’école primaire et déjà une fille très maligne.
Tous les matins, nous devions entrer dans l’école par une grande porte battante en verre, et tous les matins, elle se tenait là pour nous saluer, les uns amicalement, les autres pas du tout, puisque même les instituteurs ont, me semble-t-il, leurs élèves préférés.
Chaque matin en passant par cette porte, je devais m’arrêter devant elle, lui dire « Bonjour, Madame l’Institutrice » en la regardant dans les yeux, ce que fis, en sachant très bien ce qui viendrait ensuite. Car à chaque fois que je regardais Madame l’Institutrice, elle se plaignait du fait que je n’avais de nouveau pas nettoyé mes yeux, et qu’elle pouvait à peine les regarder à cause de la porte en verre qui se reflétait dedans. Je ne comprenais pas pourquoi elle disait ça, mais ma colère monta de jour en jour. Bien sûr que mes yeux étaient aussi noirs qu’hier et avant-hier et la semaine dernière, mais tous les jours je filais directement dans les toilettes de l’école pour me laver les yeux.
Ce matin-là donc, je ne le fis pas. Je passai la porte vitrée et restai immobile, pris une bille de taille moyenne et la lança dans la vitre, qui explosa en mille morceaux avec grand fracas. Je dis ensuite à mon institutrice « Voilà, comme ça vous ne serez plus éblouie. », me retourna, et partit.
Cette fois-là, je pus ressentir les conséquences de mon acte, mais celles-ci furent plutôt agréables : mon institutrice me laissa immédiatement tranquille, et quand elle me voyait dans les parages, elle pesait chacun de ses mots.
Un an plus tard, je devais avoir neuf ans, je fis une expérience qui me fait encore réfléchir aujourd’hui. Mon beau-père m’avait raconté beaucoup de choses sur la guerre. Il avait été à Stalingrad et me racontait bien entendu aussi ce qu’il y avait vécu.
Ses histoires, cependant, étaient souvent différentes de celles que nous entendions à l’école. À l’école, les Allemands étaient toujours les criminels et les soldats russes étaient toujours les bons. J’ai donc rapidement compris que rien n’est soit blanc, soit noir dans une guerre et que les frontières sont souvent plus que simplement dépassées. Qu’il y avait des gens vraiment méchants des deux côtés.
Mon beau-père a survécu à ce moment-là, parce qu’il était passé pour mort. Voilà comment cela s’est passé : durant des jours et des jours, ils n’avaient rien à manger et n’avaient pas non plus la possibilité de boire quelque chose. Durant un combat urbain, ils trouvèrent dans une cave une caisse en bois remplie de bouteilles de vin, qu’ils burent, tant ils étaient affamés et assoiffés. Lorsqu’ils se réveillèrent, ils étaient en route dans un convoi de prisonniers.
C’est comme ça qu’il a survécu à la guerre. Il m’a toujours répété que la guerre est la pire chose qui puisse arriver à quelqu’un, et que ce sont en particulier les enfants qui en souffrent.
Un jour, je rentrais de l’école avec un camarade de classe qui n’arrêtait pas de dessiner des croix gammées sur les murs des maisons. J’expliquais à Peter que ce n’était pas une bonne idée et lui racontait ce que j’avais entendu et appris de mon beau-père.
Un jour, il arriva ce qui devait arriver : le garçon fut mis en observation et signalé à la police. Le soir même, elle se tenait devant la porte de chez lui ! À cette époque, la mère de Peter l’élevait seule, la police emmena directement le garçon et le plaça dans un centre de redressement.
À l’époque, je ne comprenais pas encore ce qu’il s’y passait, mais aujourd’hui, c’est clair pour moi : les communistes ne faisaient pas les choses différemment des SS à l’époque hitlérienne. Des années plus tard, Peter s’est suicidé. Je ne veux pas savoir tout ce qui s’est passé dans ce centre de redressement à ce moment-là, mais c’est probablement cette époque de sa vie qui a été la cause de son suicide.
L’allemand était l’une de mes matières préférées – la langue allemande ne me causait aucune difficulté et j’adorais écrire des rédactions. En CM1, nous devions écrire une rédaction sous forme d’une description avec pour sujet « Mon stylo plume ».
J’avais vraiment hâte d’écrire, mais je n’avais pas la moindre idée de ce qui m’attendait. Je m’attelais donc à la tâche et décrivis mon stylo-plume avec beaucoup d’éloges, en concluant ma rédaction sur le fait qu’aucun autre stylo plume n’écrivait mieux que le mien : glissant si légèrement sur le papier qu’il fallait à peine exercer une pression pour écrire, il faisait exactement le travail que je lui demandais au travers de ma main, légèrement et avec douceur.
J’étais moi-même surprise avec quelle facilité les mots atterrissaient sur le papier. Toute fière, je rendis ma rédaction et me réjouissait déjà de la bonne note que j’aurais pour mon travail, comme c’était le cas à chaque fois.
Puis vint le jour où on nous rendit nos rédactions. Et que vis-je ? J’avais eu comme note «Orthographe : 20/20 ; Expression : 10/20» ! En plus de cela, ma professeure m’expliqua une chose, que je n’arrivais pas à comprendre. En bref : ce qui n’allait pas, c’est que ce stylo-plume était de la marque «Pelikan». Pourquoi est-on puni, en écrivant avec un stylo-plume d’une marque ouest-allemande ?
Il y a une autre professeure, Madame Herrschel, que je garde bien en mémoire. Je ne lui ai pas rendu la vie facile ; je faisais rarement, ce qu’on me demandait de faire, et je réagissais rarement de la manière que l’on attendait. Typiquement adolescent, dirait-on aujourd’hui ! Ce qui plaisait à Madame Herrschel, c’était que je maîtrisais plus ou moins le russe ; je n’ai pas eu trop de mal à apprendre cette langue. Madame Herrschel fut ma professeure pendant quelques années ; hormis quelques querelles, je ne m’en sortais pas trop mal avec elle.
C’est surement mon sens de la justice qui a été la cause de mes difficultés à l’époque ; j’étais, en plus, assez entêtée — quand j’avais une opinion, c’était presque impossible de m’en faire démordre. Quelle chance que Jésus m’ait montré par son amour que l’on peut admettre lorsqu’on a tort.
La dernière cigarette
C’était un matin de janvier, froid, le 12 janvier 1969. Comme chaque matin, j’entendais depuis ma chambre mon beau-père se lever, aller à la fenêtre et l’ouvrir pour fumer sa première cigarette. Il fumait des « Salem gelb » qui coûtaient deux marks dix, et je peux même me souvenir de l’odeur.
Ce matin-là aussi j’entendis le grincement étrange du loquet de la fenêtre – et ensuite, de manière inhabituelle, un bruit sourd qui me glaça le sang. Je pressentis que quelque chose de grave avait dû se passer, et couru donc au salon. Mon beau-père était allongé là, entre le fauteuil et la porte de la chambre à coucher.
Derrière la porte de la chambre entrouverte se tenait ma mère – bloquée par les soixante-quinze kilos de mon beau-père. Elle essayait de le dégager un peu avec la porte pour pouvoir sortir, mais n’y arrivait pas. Il était allongé là, coincé d’une telle manière qu’il ne pouvait pas être déplacé d’un centimètre.
Mon beau-père était allongé là, le visage tordu de douleur et la main pressée contre sa poitrine. Dans un effort surhumain, je le tirais centimètre par centimètre pour le libérer de sa posture, et cela me sembla durer des heures jusqu’à ce que ma mère puisse se dégager de la porte. Puis, elle s’agenouilla par terre aux côtés de son mari.
Elle m’envoya un étage plus bas, pour chercher de l’aide auprès du policier de proximité. Il appela le médecin, qui ne put que constater le décès.
C’est ainsi que pour la deuxième fois, je perdis un être cher, sauf que cette fois-ci, j’y avais assisté.
2. Confrontation
Je n’ai pas vraiment grandi avec la foi ; je savais juste que je devais me donner de la peine, que je devais tout faire et ne pouvais compter sur personne d’autre que sur moi-même.
J’étais une «Jeune Pionnière», et ce avec beaucoup de passion. Les Jeunes Pionniers, c’était la première étape de l’organisation nationale de la jeunesse pour les élèves de la première à la quatrième année. J’étais ensuite également membre avec cœur et âme des «Pionniers Thälmann» (quatrième jusqu’en septième).
Beaucoup d’activités étaient proposées : école, garderie, jeux de vacances, camp de vacances pour enfants – tout ça conçu de manière à ce que nous ne devions pas réfléchir plus loin à comment nous occuper. Tout était avancé d’une manière bien réfléchie et, comme il m’a semblé plus tard, tout cela avait certainement été préparé à l’avance. Nous n’avions qu’une chose à faire : participer.
Personnellement, ce n’était pas difficile pour moi, parce que le système « pour les enfants » de la DDR m’avait déjà complètement sous contrôle. Bien sûr, à l’école, il y avait déjà des situations à la vue desquelles, en y réfléchissant, je remarquais que quelque chose ne tournait pas rond (l’essai sur le stylo plume, par exemple) ; mais j’étais beaucoup trop profondément ancré dans le système pour pouvoir sérieusement protester.
Communisme en direct
La fin des études approchait et mon rêve de carrière n’avait pas changé : devenir vétérinaire ! Mais avant de pouvoir partir étudier à Meissen, je devais d’abord apprendre un métier en lien avec les animaux, je décidais donc d’apprendre à devenir technicienne de zoo.
Alors, on enfile sa salopette et on va s’occuper du singe et de l’éléphant, du crocodile et du zèbre ? Non, le métier de technicien de zoo s’apprenait à la coopérative ! Dans « l’État ouvrier et paysan », le paysan avait été aboli ; il n’y avait plus que la Coopérative de production agricole et des ouvriers qualifiés. Les endroits où je reçus ma formation étaient en substance l’école professionnelle et, pour ainsi dire, la cage à vache.
À ce moment-là, j’appris à connaître le communisme dans mes vêtements de tous les jours. Toutes ces années à l’école, j’en avais entendu parler et assidûment appris, mais ce que je pus voir et ressentir à ce moment-là me montra une chose : rien de ce que j’avais appris à l’école n’était vrai !
Si les instructeurs remarquaient que vous appreniez vite et consciencieusement, on vous plaçait dans toutes sortes d’écuries ou d’autres lieux de travail pour remplacer les adultes, afin qu’ils puissent eux-mêmes avoir au moins deux ou trois jours de congé à la fois. À un moment donné, je commençais à me rebeller et j’exprimais haut et fort ce que je pouvais déceler comme anormalités. Je fus donc transférée dans un autre centre de formation avec un directeur de maison « à cent pour cent ». Au début, je ressentais cela comme une aventure, puis de plus en plus comme du harcèlement pur et simple. Aujourd’hui, je suis heureuse d’avoir eu cette expérience, car je peux ainsi mieux aider ceux qui ont vécu les mêmes choses que moi.
Un exemple des idioties possibles en RDA : un lundi matin pluvieux, alors que je vivais encore avec ma mère à Löbau, je me rendis encore toute endormie à l’autobus, car j’étais de garde tôt le matin. Pour arriver au bus, je devais traverser une intersection, et j’aurais dû traverser chaque rue séparément, mais j’étais beaucoup trop paresseuse pour cela. J’avais donc traversé en diagonale le carrefour dans ma belle veste imperméable jaune Friesennerz, sponsorisée par mon oncle de l’ouest, sur laquelle trônait également l’autocollant «Schwerter zu Pflugscharen».5
Forcément, je n’avais pas vu qu’un policier était là. Il m’arrêta, et s’en suivi une tirade de remontrances – et quand il vit l’autocollant ! Il se mit à crier, et je crus presque qu’il allait complètement perdre les pédales. Il me dit : si je ne retirais pas immédiatement ce symbole honteux venu tout droit du mauvais capitalisme, il ferait en sorte que je doive porter l’uniforme avec la bande jaune.
Je bouillonnais intérieurement. Je sentais que mille paroles me venaient à l’esprit, mais c’est surtout l’idée que j’avais oublié de prendre mon petit-déjeuner qui parlait le plus fort ! Le policier me demanda 20 marks parce que j’avais traversé le carrefour à pied et que c’était interdit.
Je ne doutais pas du fait qu’il puisse me faire aller en prison (pas à cause du raccourci, mais à cause de la veste avec l’autocollant) ; mais ce qui était bien pire pour moi, c’est que j’avais oublié mon petit-déjeuner ! Je lui donnai donc les 20 marks. C’était beaucoup d’argent, c’est ce que j’ai payé plus tard chaque mois pour ma chambre, ou bien cela aurait suffi pour m’acheter une bonne demi-livre de café. Puis j’enleva ma veste que je lui remis en souriant : « Amusez-vous bien avec ! », me retournai et partis en courant à travers l’intersection dans le sens inverse pour aller chercher mon petit déjeuner. Quand je ressortis pour prendre le bus, j’empruntai un autre chemin — on ne sait jamais.
Examen en habit de sport
L’examen final arriva enfin, ensuite ce serait terminé — c’est tout du moins ce que je pensais. Le jour de l’examen, j’enfilai ma chemise de la Jeunesse Libre Allemande et un jean, de la marque « Levi’s » bien sûr, et allais à l’école professionnelle. Par précaution, je portais un pantalon de sport en dessous, et mon pressentiment ne me trompa pas : un des professeurs «tomba des nues» – selon ses propres termes : comment osais-je me présenter à l’examen, accoutrée d’un pantalon capitaliste, surtout porté en combinaison avec la chemine bleue «sacrée» ? (Les couleurs n’allaient vraiment pas ensemble et le tout faisait mal aux yeux, mais ce n’était pas le sujet.)
Il appela le directeur et je dus entendre une autre tirade de remontrances. Tout ça bien entendu le jour de l’examen ! Le directeur et le professeur me dirent que je devrais rentrer immédiatement chez moi pour me changer, et que je pourrais ensuite passer mon examen final.
Je les regardais et ne pus m’empêcher d’éclater de rire ! À ce moment-là, je vis soudain la sottise de ce communisme et du professeur complètement sous l’emprise de cette idéologie — et je retirais mon pantalon en face d’eux. Je les priais de bien faire attention à mon jean, et déambulais en pantalon de sport et chemise de la Jeunesse Libre Allemande jusqu’à ma table d’examen. Quand j’eus fini de passer l’examen, je repartis chercher mon Levi’s et l’enfila directement. Puis je leur dis, en désignant la chemise de la Jeunesse Libre Allemande : «Ça, je n’en ai plus besoin, vous pouvez la garder.»
Bien sûr, c’était clair pour moi que je pourrais dorénavant oublier le travail de mes rêves. Je sentais aussi que les années d’amour pour notre « État ouvrier et paysan » s’étaient transformées en une haine irrépressible pour ce régime ; et la garder sous contrôle m’a coûté beaucoup de force et de discipline.
Après mon apprentissage, je commençai à travailler dans une « exploitation laitière » à Herwigsdorf. Une exploitation laitière est une gigantesque étable, équipée de matériel moderne. Nous ne travaillions pas en deux parties – le matin et le soir – mais soit le matin, soit le soir, c’est-à-dire par équipes.
Collègue préférée
Il m’a fallu un certain temps pour accepter le fait que je ne guérirais jamais un animal, mais je m’étais juré : mieux valait être honnête que de vivre toute sa vie dans le mensonge ! Cette devise m’aida à surmonter la douleur.
Beaucoup de choses que j’ai apprises de Madame la Docteure me sont restées. C’était vraiment une très belle époque et bien que je n’aie pas eu le droit d’apprendre ce métier, j’ai gardé beaucoup de choses à l’esprit. Comme je n’ai jamais perdu mon amour pour les animaux et que j’en ai moi-même toujours eu, beaucoup d’occasions se présentèrent pendant lesquelles je pus les aider.
J’avais de nombreux collègues sympathiques à Herwigsdorf, mais deux de ces collègues, des femmes, étaient spéciales, et c’est elles que je préférais. L’une s’appelait Christine, elle est arrivée à l’exploitation alors que j’étais là depuis deux ans. Notre amitié a survécu à tout, vraiment à tout, et jusqu’à aujourd’hui.
Christine avait été élevée dans l’idéologie communiste par ses parents, mais de manière très différente de ce que je connaissais. Cela me fascinait qu’elle résiste à l’injustice, qu’elle n’a pas peur d’ouvrir la bouche – parfois très haut et très fort, mais c’est justement ce qui m’inspirait tant.
J’ai rencontré très peu de gens qui puissent être autant passionnés par leur idéologie et pourtant être si sensible et affectueux. C’est aussi une forme de foi qu’elle porte en elle, bien que celle-ci soit vouée à l’échec, comme beaucoup d’exemples l’ont démontré. Jusqu’à ce jour, nous avons toutes deux toléré la foi de l’autre, sans la dévaluer et sans vouloir la convertir.
Comme j’aimerais que Christine découvre en elle l’amour de Jésus. Attendons de voir !
Bras de fer
L’autre femme que j’ai rencontrée à Herwigsdorf et qui fut très importante pour moi s’appelle Hanna. Hanna s’exprimait aussi haut et fort, mais de manière complètement différente. Elle n’avait aucun mal à dire librement le fait que tu étais une bonne personne, ce que tu avais fait de mal, ou qu’elle t’aimait bien. Elle était patiente et si naturellement pleine d’humilité que je me demandais tout le temps ce qui la rendait si spéciale.
Elle pouvait te tenir la main et même sans qu’elle n’ait parlé, tu te sentais réconforté. Les murs vibraient quand elle riait et, qu’on le veuille ou non, on était pris du même rire.
Et Hanna était tenace ! Pendant presque une année, elle m’invita au cercle qu’elle réunissait chez elle — et pendant presque une année, je trouvais toutes les excuses possibles et imaginables pour ne pas y aller. Mais toute chose ayant une fin, un jour nous arrivâmes au terme de ce bras de fer : d’un côté, Hanna m’invitait constamment chez elle pour rejoindre son cercle, de l’autre, le secrétaire du parti m’ennuyait chaque semaine pour savoir si je ne voulais pas reprendre les rangs des chemises bleues — il me proposa même de rejoindre le SED !
Ce n’était pas si facile de devenir membre du parti ; il fallait deux membres du parti qui se portaient garants, et au bout d’un an, le secrétaire du parti m’offrait l’admission ! Mais je ne comprenais pas comment cet homme pouvait même envisager de me faire changer d’avis.
Impertinence !
Cette lutte acharnée me fit accepter la proposition d’Hanna un jour de janvier. Cette soirée serait une soirée spéciale, m’avait-elle dit, un pasteur de l’église des frères Herrnhut, Morgenstern, serait là. Je me dit : je vais y aller et lui dirais demain que ce n’est pas pour moi, et puis qui croit encore à ces vieilleries ?
Il y avait une autre collègue qu’Hanna avait invitée plusieurs fois, et nous décidâmes d’y aller ensemble et d’en finir pour de bon. Dehors, il faisait un froid glacial, mais les Heinze avaient bien chauffé la pièce et nous fûmes accueillies de manière très amicale. Il n’y avait que des vieilles dames qui étaient présentes ; nous quatre, mon autre collègue, Hanna et sa sœur Ursel, qui était aussi notre patronne dans l’exploitation, étions de loin les plus jeunes du groupe.
Le pasteur arriva et salua cordialement tout le monde. Puis, il nous expliqua que Dieu lui avait dit de changer de sujet ce soir. Ah, mais comme je me retins de rire ! Enfin, vous pouvez dire ce que vous voulez : comment peut-on parler à Dieu — et l’entendre en plus de cela ?
Mais je me contrôlais. Le prêtre ouvrit la Bible et commença à lire une histoire, une de Jésus bien sûr et d’une femme qui semblait ne pas avoir de nom. J’étais assise là, et je n’en croyais pas mes oreilles ! Qu’est-ce qu’il était en train de lire ? La colère me montait, j’aurais aimé partir immédiatement ! Quelle impertinence, il était en train de parler de moi !
Des images de ma propre vie apparurent devant mes yeux, des choses que j’avais ressenties comme normales, mais qui soudain grondaient en moi, se révoltaient. Car je vivais assez librement, et en ce qui concernait ma sexualité, je prenais ce que je voulais, me fichant de savoir si tel ou tel homme était par hasard marié ou non. Et non seulement le prêtre me fit me regarder dans un miroir – ce qui était déjà bien assez impertinent — mais en plus il le faisait en présence de vieilles dames, et elles entendaient tout !
Le pasteur lisait et lisait, et que je le veuille ou non, je fus obligée d’écouter. Quand il eut fini son texte, je me levais d’un bond, dis : « Ça suffit ! » et je pris la porte. Dehors, il faisait encore froid et je vivais de l’autre côté du village ; mais je ne sentais rien du froid, parce que je bouillonnais intérieurement.
Je ne savais pas à qui j’en voulais le plus : à moi, pour y être allée ? Ou aux vieilles dames qui savaient maintenant quel mode de vie je menais ? Ou à Hanna ? Elle avait certainement tout raconté au pasteur ! Comment le saurait-il autrement ? Cela me travailla toute la nuit. J’aurais aimé effacer ce jour-là de ma vie. Tout ça était tellement embarrassant pour moi !
« Pas un mot sur toi »
Le lendemain, j’allais voir immédiatement Hanna, et laissa exploser ma colère. Elle m’écouta patiemment et sourit même quand je lui dis que je trouvais que c’était vraiment nul qu’elle ait tout dit de moi au pasteur, ça ne le regardait en rien !
Je me tenais devant elle, le visage rouge et complètement hors de moi – et quand j’eus fini, elle me dit simplement que ce que le pasteur avait lu ce soir-là était écrit dans la Bible depuis presque deux mille ans : « Eh bien, ne te prend pas autant au sérieux ! Il n’y a pas un mot sur toi dans la Bible. »
Je la regardai avec étonnement : « Si c’est vrai que le pasteur ne savait rien de moi, si tu ne lui as vraiment rien dit de moi, comment pouvait-il le savoir ? Alors Jésus doit vraiment exister ! »
La réponse d’Hanna fut claire et nette : « Oui, c’est le cas. » C’est tout ce qu’elle dit. « Et qu’est-ce que je fais maintenant ? » Cette fois, sa réponse fut un peu plus longue : « Remets ta vie à Jésus, il fera le reste ». Très bien, c’est ce que je fis, et je le fis immédiatement : je me mis à genoux dans le couloir de l’étable, à côté des arrière-trains des vaches, et c’est là que je remis ma vie à Jésus : « Jésus, viens maintenant dans ma vie et prends-la en main ».
Quand j’eus terminé, je fus subjuguée par une telle joie que je ne pourrais pas la décrire. J’ai ri et pleuré de joie, et pendant des années, cette joie fut ma compagne.
Plus tard, j’appris que cela s’appelle la « Conversion ». D’ailleurs, la jeune collègue avec qui j’étais venue ce soir-là s’était convertie elle aussi ; mais comme j’étais partie au début de la soirée, je ne le savais pas encore.
Tout nouveau
À partir du moment où j’eus donné ma vie à Jésus, ma vie changea. Ce fut une révélation pour moi — je réalisais tout ce que j’avais fait de mal.
J’ai dû changer si vite et de manière si ostensible, que je ne l’ai moi-même pas remarqué ; mais avec le nouveau regard que je portais sur mon entourage, j’arrêtais de faire beaucoup de choses qui avaient été normales pour moi auparavant. Mon entourage s’en rendit compte et on me gratifiait constamment de flatteries comme : maintenant tu es une sainte et tu ne nous parles plus, tu préfères prier le Notre Père du matin au soir ». Ce n’était pas vrai, mais ils ne pouvaient probablement pas comprendre ce qui m’était arrivé.
Ce n’était pas une période facile ; aujourd’hui je sais que Jésus m’a souvent protégée dans ces moments, pour que la douleur n’atteigne pas mon cœur. Au contraire, je continuais à être emplie de sa joie et j’aurais voulu le dire au monde entier, qu’on veuille l’entendre ou non ! Ce dont le cœur est plein, la bouche déborde. Du haut de mes dix-neuf ans, je pensais que je pourrais maintenant faire changer le monde.
Quelques mois plus tard, je fus baptisée et confirmée. Avec notre pasteur de l’époque, Karl-Heinz Kluge, j’appris beaucoup et compris de plus en plus ce qui est écrit dans la Bible. Un an plus tard, je commençais à garder les groupes de jeunes chrétiens et participais bien sûr aux cours hebdomadaires pour les jeunes.
L’« effet secondaire » fut que je découvris à cette époque la joie de jouer de la guitare, ce que j’appris assez rapidement ; si je savais lire une partition à l’époque ou non, je ne m’en souviens plus. Karl-Heinz Kluge me donna un petit livret, le « Mundorgel », et un tableau des doigtés ; en quelques semaines j’appris à l’accompagner à la guitare.
Les « temps de repos » (appelées ainsi parce que les « temps de loisirs » n’étaient à l’époque autorisés pour les Jeunes Pionniers et la Jeunesse Libre Allemande) étaient les points forts de la vie de la communauté, et j’y suis vite devenue employée. Je fus complètement absorbée par le travail de l’église avec les enfants et les jeunes, à travers lequel j’appris à connaître beaucoup de chrétiens, y compris certains de la RFA. Je me suis sentie complètement à l’aise dans la Jeune Communauté.
La Corée du Nord, proche de moi
Au cours de l’été 1979, j’allais pour la toute première fois de ma vie au bord de la mer Baltique. Mon cousin Uwe*, qui avait trouvé un bungalow à Markgrafenheide pour deux semaines de vacances avec sa femme et ses deux enfants, m’avait invitée à passer quelques jours avec eux.
La mer Baltique, c’était mon autre grand rêve ! À l’époque où j’allais à l’école, j’avais découpé toutes les photos de la mer Baltique dans des magazines et j’en avais joliment décoré le mur de ma chambre qui était en pente. À ce moment-là, mon époque d’écolière était passée depuis des années, mais le désir de l’inconnu, de l’exotisme et de la beauté m’était resté.
Et mon rêve allait bientôt se réaliser, bientôt je pourrais voir la mer Baltique de mes propres yeux – je me réjouissais tellement ! Le train allait directement de Dresde-Neustadt à Rostock, je n’aurais même pas besoin de changer de train. Il ne s’arrêtait que dans les grandes villes.
Le train était bondé, et j’étais surprise de voir qu’autant de personnes puissent partir en vacances. Non que cela coûtait une fortune, mais des vacances avaient tout de même leur prix, et je savais ce que gagnait le consommateur moyen en RDA.
Mais je n’eus le temps d’y réfléchir que jusqu’à la gare de Berlin. En arrivant là où le wagon devait s’arrêter, je vis sur le quai qu’il y avait vraiment beaucoup d’agitation, comme dans une grande gare, en fait, mais cela me semblait être un joyeux bazar. Des hommes en uniforme couraient d’un bout à l’autre du quai avec excitation et se passaient des informations les uns aux autres en criant. Puis le train s’arrêta.
Tout se passa rapidement, mais calmement : des hommes en costumes noirs entrèrent dans le wagon, prirent tous les passagers et les relogèrent dans d’autres wagons. En quelques minutes, le wagon était vide. Enfin, sauf moi, qui étais restée assise à ma place.
Ce n’est pas possible, vous pensez ? Oui, c’est aussi exactement ce que je me disais. J’attendis patiemment que quelqu’un vienne pour me dire de quitter la voiture, m’étais même levée pour prendre mes valises, mais personne ne m’avait remarquée. Comme si j’étais invisible – personne ne me regardait, personne ne me disait rien. Maintenant, tout le wagon était vide. J’ouvris la fenêtre, une de celles que l’on rabattait, et je me mis à regarder l’agitation du dehors.
Il y avait maintenant encore plus d’agitation sur le quai : deux hommes déroulèrent un tapis rouge, une fanfare s’était avancée et mise en position, tous vêtus de l’uniforme de notre armée populaire nationale. Puis je vis arriver un petit groupe d’Asiatiques ! Un des hommes, qui marchait un ou deux pas au-devant de ses quatre accompagnants, fut salué par deux dames avec un bouquet de fleurs. Puis, ils pénétrèrent dans le wagon. J’étais encore assise là, me demandant : pourquoi m’a-t-on permis de rester assise alors que tous les autres ont dû sortir ?
Les Asiatiques s’assirent de l’autre côté du couloir et restèrent silencieux. Je regardais les hommes ; j’étais toujours invisible, comme pour ceux d’avant. Puis le train se remit en marche. L’homme qui avait été accueilli avec un bouquet finit par me voir. Il dit quelque chose dans sa langue aux hommes qui l’accompagnaient, et ces derniers me regardèrent alors avec un regard houleux. L’homme qui parlait était leur patron ; je le compris quand je le vis lever la main pour apaiser les autres messieurs, et qu’il se leva pour venir vers moi. Il me sourit et s’inclina très discrètement, puis il me tendit la main et se présenta.
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