Kitabı oku: «Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Volume 1», sayfa 13
Gaston d'Orléans, après avoir consenti à l'emprisonnement des princes, ne se décidait à entrer dans le projet de leur délivrance que sous la promesse du mariage de sa fille, la duchesse d'Alençon, avec le duc d'Enghien, fils du grand Condé300. La Rochefoucauld et Turenne songeaient alors souvent moins à leur gloire ou au succès de leur parti, qu'à ce qui pouvait être utile à la duchesse de Longueville, dont ils désiraient se faire aimer. De plus obscures liaisons, qui ont échappé même à l'abondance anecdotique des Mémoires de ce temps, semblent aussi avoir exercé leur influence sur la conduite des plus hauts personnages. Dans une lettre que Gondi avait écrite à Turenne, et qu'il observe avoir été honnêtement folle, il ne déguise pas qu'au milieu de beaucoup de motifs sérieux qu'il donnait à ce grand guerrier pour le déterminer à la paix, il n'oubliait pas de l'entretenir de l'espoir de revoir une petite grisette de la rue des Petits-Champs, que Turenne aimait de tout son cœur301. Les plus faibles causes avaient action sur des hommes qui, tous jeunes et ardents, suivaient des partis différents, mais sans préjugés, sans principes, sans conviction, sans haine et sans attachement. Les femmes jouaient dans tous ces événements des rôles importants, auxquels le genre de galanterie et de culte envers la beauté mis en honneur par l'hôtel de Rambouillet n'était pas étranger. Ainsi on ne pouvait rien espérer du duc de Beaufort, même dans ce qui le touchait le plus, si on ne s'était avant assuré du consentement de la duchesse de Montbazon, qui avait sur lui tout pouvoir. Nemours, amoureux de la duchesse de Châtillon, aimée du prince de Condé, embrassait avec chaleur la cause de ce prince, parce que sa maîtresse l'y excitait; et la duchesse de Nemours s'employait de toutes ses forces pour procurer la liberté au prince de Condé, dans l'espérance qu'il surveillerait la duchesse de Châtillon, et empêcherait les infidélités de son mari. Enfin, le garde des sceaux Châteauneuf, septuagénaire, tournait au gré de cette madame de Rhodes que Bussy nous a déjà fait connaître lorsqu'elle était demoiselle de Romorantin.
Gondi lui-même, malgré la supériorité de son esprit, se laissait aller, par suite de ses inclinations pour les femmes, à des imprudences et à des indiscrétions qui mettaient sa vie en danger et faisaient avorter ses mesures les mieux concertées. Pour apaiser la jalousie de mademoiselle de Chevreuse, il se permit une expression méprisante sur la reine, qui fut redite, et qui devint la cause de la haine violente qu'elle conserva toujours contre lui. La princesse de Guéméné, furieuse d'avoir été abandonnée, offrit à la reine, si elle voulait y consentir, de faire disparaître le coadjuteur en l'attirant chez elle, et en le confinant dans un souterrain de son hôtel. Gondi sut qu'on avait formé le projet de l'assassiner; et lorsqu'il allait à l'hôtel de Chevreuse, il plaçait, pour sa sûreté, des vedettes en dehors de la porte de cet hôtel, et tout près des sentinelles de la reine qui gardaient le Palais-Royal302, sans faire attention à l'effet que produisait cet excès d'insolence et de scandale. Avec tous les talents propres à dominer les partis, il ne pouvait s'attirer la confiance d'aucun. Il regardait toute alliance avec l'étranger comme odieuse et impolitique; et cependant, lorsque ses embarras augmentaient il prêtait l'oreille à l'envoyé de l'archiduc, et même à celui de Cromwell303. En même temps, plein d'admiration pour le comte de Montrose, qu'il appelait un héros à la Plutarque, il se liait avec lui d'une étroite amitié, et l'aidait de tout son crédit dans les efforts qu'il faisait pour rétablir sur le trône le roi légitime de la Grande-Bretagne. Gondi semblait, en un mot, se montrer jaloux d'épuiser tous les contrastes. Lorsque le nœud du drame où il s'était engagé fut devenu tellement compliqué par ses intrigues qu'il n'entrevit plus la possibilité de le dénouer, il chercha les moyens de se retirer de la scène avec le plus d'avantages possible pour les siens et pour lui, et à obtenir le chapeau de cardinal. Le mariage de mademoiselle de Chevreuse avec le prince de Conti devint la condition essentielle de toutes les négociations qu'il entamait soit avec la cour, soit avec la duchesse de Chevreuse: celle-ci, Caumartin et madame de Rhodes, l'aidaient puissamment dans ses intrigues304. Les souvenirs d'une ancienne et étroite amitié, l'habitude d'une familiarité contractée dans la jeunesse, donnaient auprès de la reine des moyens d'influence à la duchesse de Chevreuse, si constante dans ses haines, si inconstante dans ses amours. La reine, qui d'ailleurs se trouvait encore malheureuse par les obstacles que lui opposaient tant de factions, lui avait rendu en partie sa confiance. La duchesse de Chevreuse semblait aussi avoir les mêmes intérêts que Gondi, puisque, ainsi que lui, elle désirait vivement l'union de sa fille avec un prince du sang. Mais elle avait de grandes sommes à réclamer du gouvernement, et le succès de ses réclamations dépendait de la décision du premier ministre: elle ménageait donc Mazarin, et négociait en même temps avec lui et avec l'ancienne et la nouvelle Fronde. Elle mettait à profit pour elle-même l'influence que ses liaisons à la cour, avec le coadjuteur et avec les princes, lui donnaient dans tous les partis. Elle était aidée dans ses intrigues par le marquis de Laigues, homme de courage, mais de peu de sens305, qui, lors de son exil à Bruxelles, s'était déclaré son amant pour se rendre important dans le parti de la Fronde, qu'il avait embrassé. Comme il ne restait plus à la duchesse de Chevreuse des appas de sa jeunesse que leur ancienne célébrité306, elle n'avait pas toujours beaucoup à se louer de l'humeur et des procédés de Laigues307. Celui-ci avait été jusque alors tout dévoué au coadjuteur; mais Gondi s'aperçut bientôt que Laigues entrait dans des projets différents des siens. Afin d'avoir quelqu'un qui pût lui répondre de la duchesse de Chevreuse, il aurait voulu substituer auprès d'elle d'Hacqueville à Laigues. D'Hacqueville était l'ami particulier de Gondi et aussi celui de madame de Sévigné; et secondé par madame de Chevreuse et madame de Rhodes, Gondi aurait réussi à faire expulser Laigues, si d'Hacqueville avait voulu consentir à ce projet. Nul homme n'était plus obligeant que d'Hacqueville; mais, malgré le désir qu'il montrait d'être utile à ses amis, il recula devant cette continuelle immolation de lui-même. Peut-être aussi était-il trop honnête homme pour se prêter à un tel rôle308.
Madame de Sévigné, tout entière à son mari et à ses enfants, était étrangère à toutes ces intrigues; mais elle était liée avec les personnes qui secondaient les projets du coadjuteur, et par conséquent avec la duchesse de Chevreuse. Un article de la Muse historique de Loret (quelle étrange Muse!) nous prouve combien la liaison de madame de Sévigné avec cette duchesse était intime. Dans le mois de juillet de cette année 1650, au retour de la promenade du Cours, où la haute société allait alors en voiture prendre le frais, le marquis et la marquise de Sévigné donnèrent un souper splendide à la duchesse de Chevreuse. La manière bruyante dont éclata la joie des frondeurs fit ressembler ce repas nocturne à une petite orgie; et par cette raison il devint un moment l'objet des entretiens de la capitale. Voici comment s'exprime à ce sujet le rimeur gazetier, dans sa feuille du 26 juillet 1650:
On fait ici grand'mention
D'une belle collation
Qu'à la duchesse de Chevreuse
Sévigné, de race frondeuse,
Donna depuis quatre ou cinq jours,
Quand on fut revenu du Cours.
On y vit briller aux chandelles
Des gorges passablement belles:
On y vit nombre de galants;
On y mangea des ortolans;
On chanta des chansons à boire;
On dit cent fois non—oui—non, voire.
La Fronde, dit-on, y claqua:
Un plat d'argent on escroqua;
On répandit quelque potage,
Et je n'en sais pas davantage309.
On voit, d'après ces détails, que déjà les manières et les habitudes du grand monde se ressentaient de la licence des guerres civiles, et qu'elles ne ressemblaient plus à celles dont l'hôtel de Rambouillet offrait encore le modèle épuré. Il serait possible aussi qu'il y eût quelque exagération dans le récit de Loret; il était du parti de la cour; il recevait de Mazarin une pension de deux cents écus, et détestait la Fronde. Sa gazette en vers était adressée à sa protectrice, mademoiselle de Longueville, d'autant plus contraire à la Fronde que sa belle-mère était l'héroïne de ce parti. Mademoiselle de Longueville est cette princesse qui nous a laissé des Mémoires; elle épousa le duc de Nemours, et il est souvent fait mention d'elle dans les écrits de ce temps, quoiqu'elle ne se soit mêlée dans aucune intrigue, qu'elle n'ait participé à aucun événement. Son immense fortune, les lumières de son esprit, la hauteur de ses sentiments, ses grands airs, la sévère dignité de ses manières, l'énergie de son caractère, en ont fait pendant la régence, et durant le long règne de Louis XIV, un personnage à part, qui ne se soumit à aucune influence, et ne permettait pas plus au monarque absolu de faire varier ses déterminations, qu'à la mode de changer les formes de son habillement310.
CHAPITRE XVI.
1650-1651
Mariage de madame de La Vergne avec le chevalier de Sévigné.—Détails sur mademoiselle de La Vergne.—Sa correspondance avec Costar.—Explications de certains passages des lettres de ce dernier.—Lettres de Scarron à madame Renaud de Sévigné.—Erreur de l'éditeur sur ces lettres.—La maison de Scarron était fréquentée par toute la haute société de la Fronde.—Scarron était recherché par des femmes différentes de rang et de réputation.—Licence de ses mœurs; sa difformité, ses dispositions joyeuses.—Il aimait les beaux-arts, et commandait des tableaux au Poussin.—Scarron devient à la mode, et est importuné par les visites.—Pourquoi la marquise de Sévigné ne voyait point Scarron.—Explication de la lettre de Scarron à madame Renaud de Sévigné.—Remarque sur le mot précieuse.—Cause de l'erreur des éditeurs de Scarron.
A la fin de cette même année il y eut un événement inattendu dans la famille des Sévignés, qui probablement fut la cause de la longue et étroite liaison de la marquise de Sévigné avec une des femmes les plus justement célèbres de ce siècle, l'auteur de la Princesse de Clèves et de Zaïde.
Madame de La Vergne épousa en secondes noces le chevalier Renaud de Sévigné, dont il a été fait mention précédemment311. Il paraît qu'en l'épousant elle lui donna l'usufruit de tous ses biens après sa mort. Ce mariage et les conditions du contrat ne plurent pas à mademoiselle de La Vergne; voici comme le gazetier Loret en parle dans sa feuille du 1er janvier 1651:
Madame, dit-on, de La Vergne,
De Paris, et non pas d'Auvergne,
Voyant un front assez uni
Au chevalier de Sévigni,
Galant homme, et de bonne taille
Pour bien aller à la bataille,
D'elle seule prenant aveu,
L'a réduit à rompre son vœu;
Si bien qu'au lieu d'aller à Malte,
Auprès d'icelle il a fait halte
En qualité de son mari,
Qui n'en est nullement marri,
Cette affaire lui semblant bonne.
Mais cette charmante mignonne
Qu'elle a de son premier époux
En témoigne un peu de courroux;
Ayant cru, pour être fort belle,
Que la fête serait pour elle;
Que l'Amour ne trempe ses dards
Que dans ses aimables regards;
Que les filles fraîches et neuves
Se doivent préférer aux veuves,
Et qu'un de ces tendrons charmants
Vaut mieux que quarante mamans.
Mademoiselle de La Vergne, fille d'Aymar de La Vergne, gouverneur du Havre, auquel elle dut son éducation, avait près de dix-neuf ans lorsque sa mère se remaria312. Déjà elle-même était recherchée pour sa beauté et son esprit, et donnait de l'emploi aux poëtes. Ménage, qui lui avait enseigné le latin et l'italien, avait composé pour elle des vers qui valent beaucoup mieux que ceux qu'elle lui a inspirés lorsqu'elle fut devenue comtesse de La Fayette313.
L'abbé Costar, l'ami de Ménage, et aussi celui de Voiture et de Balzac, archidiacre du Mans, lieu de sa résidence, où il était recherché, autant à cause de ses bons dîners que de sa réputation de bel esprit314, entretenait avec mademoiselle de La Vergne une correspondance suivie. Il lui envoyait les livres qu'il composait, comme à une des personnes dont il ambitionnait le plus le suffrage; il aimait à recevoir ses lettres. Dans une de celles qu'il lui écrit, il lui donne l'épithète d'incomparable315; dans une autre, il lui parle de l'extrême joie qu'il a de l'avoir revue si belle, si spirituelle, si pleine de raison. Ailleurs il lui demande «si elle jouit paisiblement de la chère compagnie de ses pensées et de celle de monsieur et de madame de Sévigné,» c'est-à-dire de celle de sa mère et de son beau-père, retirés alors avec elle dans leur château de Champiré, près de Segré, en Anjou316. La mère de mademoiselle de La Vergne mourut cinq ou six ans après avoir contracté ce second mariage, puisque la lettre de condoléance écrite au sujet de sa mort, par Costar, est adressée non à mademoiselle de La Vergne, mais à madame la comtesse de La Fayette. Or, mademoiselle de La Vergne ne fut mariée au comte de La Fayette qu'en 1655, et le recueil où cette lettre se trouve fut achevé d'imprimer le 1er mars 1657. C'est donc entre ces deux dates que Renaud de Sévigné devint veuf317; et c'est aussi à sa femme, et non à la marquise de Sévigné, qu'est adressée la lettre de Costar que Richelet a reproduite dans le Recueil des plus belles Lettres françaises318.
Ces éclaircissements étaient nécessaires pour que la similitude des noms ne produisît pas la confusion des faits et des personnes.
Ce n'est pas que Costar ne connût aussi la marquise de Sévigné: nous verrons bientôt qu'il partageait l'admiration qu'elle excitait; mais il était lié moins intimement avec elle qu'avec son amie. Celui dont on disait qu'il était le plus galant des pédants et le plus pédant des galants, devait moins plaire à la gaie et folâtre marquise de Sévigné qu'à la sérieuse et savante comtesse de La Fayette319.
Si les lettres de Costar réclament une grande attention, à cause du manque de dates et de désignation précise des personnes auxquelles elles sont adressées, ici elles nous garantissent de l'erreur que pourrait nous faire commettre la ressemblance des noms. Il n'en est pas de même des lettres de Scarron publiées après sa mort: là se trouve précisément le genre de méprise contre lequel nous avons dû prémunir les lecteurs. L'éditeur qui le premier a publié les œuvres posthumes de Scarron a trouvé, parmi les papiers de ce poëte burlesque qui lui furent remis par d'Elbène, son ami, le brouillon ou la copie d'une lettre adressée à madame de Sévigné320. N'en connaissant pas la date, il s'est imaginé à tort qu'elle concernait la marquise de Sévigné, et il place son nom en tête. Cependant il est évident que cette lettre, comme celle de Costar que nous venons de mentionner, a été adressée à madame de Sévigné, femme du chevalier, et non à la marquise; et il est inutile pour le but que nous nous proposons, de la transcrire ici.
LETTRE DE SCARRON A MADAME RENAUD DE SÉVIGNÉ
«Madame,
«Encore que je n'aie pas si souvent l'honneur de vous voir que quantité de beaux esprits et de beaux hommes, qui font si souvent chez vous de grosses assemblées, je vous prie de croire qu'il n'y a ni bel homme ni bel esprit qui vous honore tant que moi. Cela étant si vrai qu'il n'y a rien de plus vrai, je crois que vous m'obtiendrez de votre grande-duchesse une lettre pour le gouvernement du Havre, afin qu'il facilite notre gouvernement. Quand je dis votre grande-duchesse, je dirais aussi bien la mienne, si j'osais; mais je sais assez bien régler mon ambition pour un poëte. Vous ne serez pas aujourd'hui quitte avec moi pour une importunité; je vous prie de donner les placets que je vous envoie à M. de Barillon et à ceux de sa chambre qui sont connus de vous. Je baise humblement les mains à monseigneur de Sévigné, à mademoiselle de La Vergne, toute lumineuse, toute précieuse, toute, etc., et à vous, madame, à qui je suis de toute mon âme,
«Madame,«Votre très-humble et très-affectionné serviteur,«SCARRON.»
Comme on le voit par les dernières lignes, cette lettre a été écrite antérieurement au mariage de mademoiselle de La Vergne avec le comte de La Fayette; et alors madame de Sévigné, la marquise, n'avait point vu Scarron, quoique son mari fût fort lié avec lui et se plût dans sa société. Ainsi que nous le dirons par la suite, elle ne fit connaissance avec ce poëte qu'après être devenue veuve; mais nous ne devons pas différer les éclaircissements qui peuvent expliquer cette singularité.
La maison de Scarron, toujours fréquentée par les nombreux admirateurs de l'esprit burlesque et bouffon, devint vers l'époque dont nous nous occupons le rendez-vous général des frondeurs. Gondi y allait souvent, et y menait tous ses amis; ceux du prince de Condé s'y réunissaient aussi, et nulle part on ne faisait des soupers où l'un fût plus à l'aise, où régnât une gaieté plus franche, mais en même temps plus licencieuse321. Scarron s'était rendu cher à la Fronde, en partageant son animosité contre Mazarin. Quoique pensionné par la reine, il n'en fut pas moins ardent à poursuivre le ministre par ses épigrammes et par ses satires. Le ressentiment d'auteur se joignait en lui à la malignité de l'homme de parti. Scarron avait dédié au cardinal Mazarin son poëme du Typhon, le premier qu'il ait composé dans le genre burlesque, et aussi le meilleur; le ministre n'y fit aucune attention. Scarron exhala son dépit dans une satire intitulée la Mazarinade322, avec une telle violence, qu'il est difficile de comprendre comment un amas d'injures sans gaieté comme sans esprit, écrit dans le style le plus cynique, n'a pas révolté généralement les lecteurs de ce temps, de quelque parti qu'ils fussent. Bien loin de là, cette satire eut un succès prodigieux, non-seulement parmi le peuple, mais encore parmi les personnages de la Fronde de l'esprit le plus cultivé: tant il est vrai que les partis se plaisent à nourrir leur haine des plus grossiers aliments, et à se précipiter dans tous les excès quand ils entrevoient par là les moyens d'accroître ou d'accélérer leur vengeance. On dit que Mazarin lui-même, qu'un déluge de libelles plus virulents les uns que les autres avait trouvé impassible, ne put se contenir en lisant la Mazarinade, et qu'il ressentit vivement, et n'oublia jamais, les outrages qu'elle contenait323.
Scarron, devenu ainsi célèbre par son esprit, et encore plus par l'usage qu'il en faisait, était quelquefois invité chez les dames dont les maris étaient les habitués de ses réunions. Il se faisait transporter (car il ne pouvait marcher) chez la duchesse de Lesdiguières, chez la marquise de Villarceaux, la duchesse d'Aiguillon, mesdames de Fiesque, de Brienne, la marquise d'Estissac, mesdemoiselles de Hautefort, de Saint-Mégrin, d'Escars, la présidente de Pommereul. Il se montrait alors le plus réjouissant des causeurs; mais celles qui goûtaient le plus sa société n'osaient fréquenter ses réunions. Celui qui tolérait dans sa maison les désordres de sa propre sœur, qui même en plaisantait, et disait que le marquis de Tresmes lui faisait des neveux, non à la mode de Bretagne, mais à la mode du Marais324, ne pouvait recevoir chez lui que des femmes qui avaient banni tous les scrupules de la pudeur. Aussi toutes celles que l'on y voyait étaient de cette sorte. C'était la célèbre Marion de Lorme, qui mourut dans le cours de cette année 1650325; la comtesse de la Suze, qu'on disait avoir changé de religion afin de ne voir son mari ni dans ce monde ni dans l'autre; Ninon de Lenclos, qu'il suffit de nommer, et que nous allons faire connaître plus particulièrement à nos lecteurs. A cette liste il faut ajouter encore quelques femmes auteurs: madame Deshoulières et la célèbre mademoiselle Scudéry.
En dépit de ses infirmités, du délabrement de sa fortune, des guerres civiles et des procès de famille, Scarron conservait sa gaieté, et les inclinations de sa jeunesse: il aimait les femmes, le vin, la bonne chère, la poésie et les beaux-arts. Assiégé sans cesse par tous les genres de souffrances, victime de tous les événements publics et privés, plus la nature et la destinée faisaient d'efforts pour l'accabler sous le poids des calamités, plus il semblait s'attacher à les narguer par son étonnant courage: non-seulement il les supportait, mais il ne paraissait pas même les ressentir. Stoïcien d'une nouvelle espèce, et bien plus véritablement tel que ceux qui dans l'antiquité se paraient de ce titre pompeux; bien plus vrai surtout, bien plus franc dans sa philosophie, il n'avait rompu avec aucun de ses goûts; et quoiqu'il perdît chaque jour les moyens de les satisfaire, il ne voulait pas reconnaître la nécessité d'y renoncer, tant qu'un souffle de vie lui restait pour éprouver les impressions du plaisir. Ainsi on apprend avec étonnement que, malgré la réduction qu'avaient éprouvé ses revenus, il continuait toujours à acheter des tableaux. Dans sa jeunesse, il avait cultivé la peinture avec assez de succès; il s'était trouvé (en 1634) à Rome avec le Poussin; et nous lisons dans les lettres de ce grand peintre que pendant la Fronde (en 1649-1650) il s'occupait à Rome de deux tableaux qui lui avaient été commandés par Scarron: l'un des deux devait représenter un sujet bachique326.
La marquise de Sévigné, qui, bien loin d'être prude, a mérité le reproche d'avoir été un peu trop libre dans ses expressions, était cependant du nombre des jeunes femmes que la licence de Scarron et le cynisme de ses écrits effarouchaient. Il était d'ailleurs tellement difforme, qu'il dit dans plusieurs de ses lettres qu'on interdisait sa vue aux femmes enceintes; et, d'après les descriptions que nous avons de sa personne, il ne paraît pas que cette assertion fût seulement une plaisanterie, ni qu'elle eût rien d'exagéré. Enfin, une des femmes avec lesquelles Scarron se plaisait le plus était Ninon de Lenclos; et nos lecteurs seront, dans le chapitre suivant, instruits des motifs qu'avait la marquise de Sévigné pour éviter tous les lieux où elle pouvait se rencontrer avec cette femme, alors si scandaleusement célèbre.
Quelques-unes de ces causes, ou peut-être toutes ces causes réunies, ont empêché longtemps la marquise de Sévigné non-seulement d'admettre Scarron dans sa société, mais même de le voir, quoique ce fût alors une mode de l'avoir vu, et que par ses difformités mêmes il fût devenu l'objet d'une curiosité que chacun s'empressait de satisfaire. C'est ce dont lui-même se plaint amèrement, quand il dépeint, dans une de ses épîtres, le campagnard qui dans Paris séjourne,
Et, n'ayant rien à faire tous les jours,
Lui rend visite avant l'heure du Cours,
Comme on va voir un lion de la foire327.
Madame Renaud de Sévigné, qui tenait chez elle des assemblées de beaux esprits, n'avait pas les mêmes motifs que la marquise pour éviter Scarron, et elle en avait plusieurs pour rechercher sa société. Aussi est-ce à elle qu'il s'adresse pour obtenir, par la lettre que nous avons transcrite, des recommandations pour le gouverneur du Havre, neveu de la duchesse d'Aiguillon, qu'il appelle sa grande-duchesse. Le placet pour le président Barrillon était probablement relatif au procès que Scarron perdit contre sa belle-mère, quelque temps après; et ce qui excuse en partie l'éditeur qui a le premier publié cette lettre, en 1669, d'avoir cru qu'elle était adressée à la marquise de Sévigné, c'est que celle-ci était alors liée avec Barillon autant que, de son vivant, l'avait été madame Renaud de Sévigné328. Mais ce qui est dit à la fin de cette lettre sur mademoiselle de La Vergne aurait dû, avec un peu d'attention, lui faire apercevoir son erreur. Remarquons de quelle manière Scarron fait l'éloge de cette jeune personne, «toute lumineuse, dit-il, toute précieuse.» Ce mot précieuse était alors la louange la plus grande que l'on pût faire d'une femme. C'est parmi les précieuses que se trouvaient les meilleures amies et les protectrices de Scarron: c'est dans les rangs des précieuses qu'il obtenait le plus de succès, car en tout genre les extrêmes se touchent. Depuis que le mot précieuse a changé de signification, il n'a été remplacé par aucun autre. Dans son acception primitive il exprimait par un seul mot la grâce et la dignité des manières unies à la culture de l'esprit et aux talents, l'accord parfait du bon goût et du bon ton; en un mot, tout ce qui dans les hauts rangs de la société peut donner l'idée d'une femme accomplie. Tout cela se trouvait alors renfermé dans cette courte phrase: «C'est une précieuse.»