Kitabı oku: «Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Volume 3», sayfa 11
Quant au premier (Louis de Lorraine, comte d'Armagnac), qui fut nommé grand écuyer et conserva constamment cette belle charge, Saint-Simon nous apprend que nul n'a joui auprès de Louis XIV d'une si constante et si parfaite faveur, jointe à la considération la plus haute, la plus marquée, la plus invariable. Sa belle figure, le jargon de la galanterie, l'habitude de la flatterie; une assiduité infatigable; une grande habileté à la danse, à l'équitation, à tous les exercices du corps; des richesses, du goût, de l'élégance, une curieuse recherche dans ses habillements; une magnificence de grand seigneur et un air de noblesse et de grandeur qui lui était naturel, qu'il ne déposait jamais avec personne, le roi seul excepté, telles furent les causes de ses succès444.
Le prince de Marsillac était le fils du duc de la Rochefoucauld, et porta toujours sur sa figure les cicatrices des blessures qu'il avait reçues pendant la Fronde en combattant avec son père contre le roi, qui cependant eut toujours en lui la confiance la plus entière. Ce ne fut ni par l'esprit ni par les agréments de sa personne que Louis XIV lui demeura si fortement attaché; car Saint-Simon a dit de lui que «c'était un homme entre deux tailles, maigre avec des gros os, un air niais quoique rude, des manières embarrassées, une chevelure de filasse, et rien qui sortît de là.» Mais nul ne mit plus de suite à étudier le goût et les habitudes de son maître, plus d'empressement à s'y conformer, plus d'assiduité à faire sa cour, plus de constance à se trouver toujours près de lui et sous sa main; il fut le seul qui, comme le roi, le manteau sur le nez, le suivait à distance lorsqu'il allait à ses premiers rendez-vous. Il était le confident de toutes les maîtresses tant que durait leur règne, le consolateur et l'ami de toutes celles dont le règne avait cessé445.
C'est par des qualités plus éminentes et des services d'une plus noble nature que la Feuillade, dont nous avons déjà parlé dans la première partie de ces Mémoires446, avait acquis la faveur de Louis XIV. Officieux pour ses amis et ceux qu'il protégeait, la Feuillade était haut et fier avec les indifférents; homme de parole et en qui on pouvait se fier; bien fait de corps et laid de visage, ayant un teint bilieux et bourgeonné, mais avec cela une physionomie et des traits agréables; distingué dans ses manières; beau parleur quand il voulait donner une idée de son mérite; charmant causeur quand il voulait plaire; connaissant l'art d'enchanter les femmes; libéral, poli, courageux, galant, gros et beau joueur; dominé par l'ambition et par l'amour du plaisir; sans suite dans ses idées, sans profondeur dans ses vues; recherchant avec emportement l'éclat et la célébrité; se lançant, pour y parvenir, dans les entreprises les plus étranges; prenant les résolutions les plus extravagantes: de là ses campagnes chevaleresques en Candie et en Hongrie, ce voyage en Espagne pour aller se battre avec Saint-Aunay, qui à Madrid, selon un bruit public, avait mal parlé du roi, et, enfin, ce somptueux monument de la place des Victoires, où des flambeaux toujours allumés brûlaient devant la statue de Louis XIV, comme devant celle d'une divinité447.
Un zèle si ardent, une admiration si soutenue pour la personne du roi valut à la Feuillade cette faveur qu'il désirait tant et les grâces qui en étaient la suite: il fut nommé maréchal, mais sa faveur ne se soutint pas; il mourut à temps. Louis XIV était dégoûté «de ce courtisan, passant tous les courtisans passés,» comme dit madame de Sévigné448. Il en fut de même de Lauzun, mais par un motif tout contraire. De tous les favoris de Louis XIV, Lauzun fut le seul qui ait osé affronter sa colère et qui l'ait fait impunément. Ce fut ce qui contribua le plus à la perte de cet homme extraordinaire et bizarre. Cadet de Gascogne, de la maison de Caumont, dénué de fortune, il fut recueilli par un cousin germain de son père, le maréchal de Gramont449, qui le produisit à la cour. Il s'insinua en très-peu de temps dans les bonnes grâces du roi, qui le fit capitaine de ses gardes, maréchal de camp, et créa pour lui la charge de colonel général des dragons. C'était un petit homme blond, musculeux, bien pris dans sa taille, laid, très-négligé dans sa mise, d'une physionomie spirituelle; bon pour ses parents et ses amis, mais pour tout autre méchant et caustique; habile à saisir les ridicules, n'épargnant personne; d'un tempérament de fer; vif, actif, infatigable dans le plaisir, dans la guerre, dans les agitations de l'intrigue; magnifique dans sa dépense, grand et noble dans ses manières; extrêmement brave et d'une dextérité dangereuse dans les combats singuliers; tour à tour et au besoin audacieux et souple, caressant et brutal, insolent et rampant; fertile en expédients, saisissant rapidement tous les moyens d'arriver à son but, et ne laissant échapper aucune occasion; pourtant plein de caprices, de fantaisies et de jalousies. Nul ne réussit auprès d'un si grand nombre de femmes, et ne fut aussi prompt à se concilier toutes les sympathies de Louis XIV, à capter et ensuite à s'aliéner son affection450.
Avec la fermeté de caractère de Louis XIV, avec cette auréole de grandeur dont il savait s'entourer, cette élévation dans les idées, ces généreuses inclinations qui le portaient à récompenser par des honneurs, des dignités, des richesses les talents, les vertus, les services rendus à l'État, le besoin de maîtresses et de favoris, que l'exercice de la puissance suprême lui avait fait contracter, n'aurait eu que peu d'inconvénients. Mais il aurait fallu réserver pour soi seul le privilége de telles faiblesses; surtout les écarter de sa famille, et les faire considérer comme une sorte de dédommagement aux soucis de la royauté. Malheureusement ces faiblesses mirent le roi dans l'impuissance de réprimer, ainsi qu'il l'aurait voulu, les honteux désordres de son frère et de ceux qui entouraient ce prince. Ce fut là la grande souillure de ce siècle glorieux; ce fut là que se forma cette gangrène qui, dans ce règne et dans les deux règnes suivants, infiltra ses poisons dans toutes les veines du corps social, et porta au plus haut degré, dans toutes les classes, la corruption des mœurs. A la cour du duc d'Orléans, ce n'était plus, comme à celle du roi, la volupté se produisant au grand jour décente et gracieuse, tenue en respect par la vertu, la religion et la gloire; c'était la débauche sans frein, accompagnée de l'ivresse et de l'impiété, s'abandonnant sans scrupule à des plaisirs réprouvés451. Pour faire cesser de tels déréglements, le roi ne pouvait user de toute son autorité, puisque pour lui-même il faisait taire les lois protectrices de l'autorité conjugale. Il fut donc réduit à des admonitions, qui eurent peu d'effet. Cependant la duchesse d'Orléans, qui voyait dans le chevalier de Lorraine l'obstacle qui l'empêchait de reconquérir la tendresse de son mari, demanda qu'il fût écarté. Louis XIV, auquel sa belle-sœur était utile pour ses négociations avec Charles II, ne pouvait lui rien refuser: il exila l'indigne favori. Celui-ci vit que la mort de celle qui avait causé son exil pouvait seule le faire cesser; il ne recula pas devant l'idée d'en rapprocher le terme par un forfait. Comme ceux qui étaient restés près du prince étaient tous ses affidés, ses complices et qu'ils ne pouvaient qu'avec lui ressaisir l'ascendant qu'ils avaient obtenu sur leur maître, il fut facile au chevalier de Lorraine d'exécuter de loin le crime qu'il avait conçu. De Rome, où il résidait, il envoya le poison au comte de Beuvron et au marquis d'Effiat452, ses complices; et cette belle et jeune Henriette, récemment revenue d'Angleterre, joyeuse et triomphante du succès de l'importante négociation dont Louis XIV l'avait chargée, expira à Saint-Cloud le 29 juin 1670, après neuf heures d'horribles tortures, entre les bras de madame de la Fayette et de Bossuet, en présence de l'ambassadeur anglais et de toute la cour, qui la virent presser sur ses lèvres le même crucifix dont Anne d'Autriche s'était servie dans le moment suprême.
La voix éloquente qui avait récemment retenti sur le cercueil de la reine d'Angleterre se fit encore entendre sur celui de sa fille. Bossuet n'était arrivé près de la princesse que dans ses derniers instants, mais assez à temps encore pour dissiper, par des paroles de foi, d'amour et de confiance en Dieu, les agitations et les terreurs qu'avaient jetées dans l'âme de cette infortunée, en proie à de si horribles souffrances, les longues et sévères exhortations d'un austère confesseur453. Plus calme après avoir entendu Bossuet, elle ordonna à voix basse, en anglais, à une de ses femmes placée près de son lit, que lorsqu'elle ne serait plus, on détachât de son doigt l'émeraude qui s'y trouvait et qu'on la remît à l'apôtre consolateur, comme une bague qu'elle avait fait faire pour lui. Ce souvenir, cette dernière pensée du départ et plus encore le spectacle des souffrances et de la mort cruelle de cette jeune princesse donnèrent à l'éloquence de Bossuet une suavité, une grâce touchante et mélancolique qu'on ne retrouve dans aucun de ses autres discours. Dans ces tristes et solennelles circonstances, chacune des explosions de ce génie sublime était presque toujours suivie de la conversion de quelques-unes des personnes qui en avaient été témoins. Ce fut après que Bossuet eut prononcé, dans la majestueuse basilique de Saint-Denis, le 21 août 1670, l'oraison funèbre d'Henriette d'Angleterre, que le marquis de Tréville, toujours cité comme un des hommes les plus instruits et les plus spirituels de son temps, prit la subite résolution de se retirer du monde et de la cour, pour se livrer tout entier à ses religieuses pensées et aux nouveaux devoirs qu'elles lui imposaient.
La perte d'Henriette d'Angleterre fut ressentie d'autant plus vivement par Louis XIV qu'il se trouvait blessé dans ses plus chères affections et contrarié dans les combinaisons de sa politique. Dès sa jeunesse il s'était senti de l'inclination pour sa belle-sœur; elle était un des ornements de sa cour, le gage de l'alliance entre la France et la Grande-Bretagne; et lorsqu'elle lui fut ravie elle venait de resserrer l'union qui existait entre lui et Charles II, entre les souverains de deux grands royaumes, contristés par sa mort. Louis XIV ne se méprit pas sur la cause de cet événement, et reconnut de quel côté partait le coup. Mais l'intérêt de l'État le força de dissimuler et de paraître persuadé que cette mort avait été naturelle. Elle avait produit une telle sensation en Angleterre qu'on parlait de se saisir de tous les Français qui y résidaient; et Charles II, qui ne pouvait se consoler de la perte de sa sœur, paraissait disposé à seconder l'animosité publique contre les sujets du roi de France. Pour cette seule cause, une guerre pouvait s'ensuivre entre les deux pays, qui étaient loin d'être aussi bien disposés l'un pour l'autre que les rois qui les gouvernaient. Pour calmer cette irritation, Louis XIV déguisa sa pensée, fit taire ses ressentiments. Par des procès-verbaux de ses médecins et de ses chirurgiens, qui firent l'autopsie de la princesse, il fit constater que le poison n'avait pas eu de part à sa fin cruelle. La nécessité de dérouter tous les soupçons, surtout d'écarter ceux qui pesaient sur son frère, et l'impossibilité de convaincre par des preuves les plus coupables le forcèrent de rappeler de son exil le chevalier de Lorraine et d'agir avec la même dissimulation envers ses complices. Par ces actes le roi parvint bien à jeter de l'obscurité sur la véritable cause de cet événement; mais lui n'eut aucun doute. Il avait saisi, par l'aveu d'un des criminels, tous les fils de cette horrible trame; et ce fut pour lui un grand soulagement d'acquérir la certitude que son frère n'y avait aucune part, et qu'elle avait été ourdie et exécutée à son insu454.
CHAPITRE XIII.
1670-1671
Madame de Sévigné s'exprime brièvement en annonçant la mort de MADAME.—Elle ne s'étend que sur les faits peu connus.—Aventure de la princesse de Condé.—Duval, son valet de pied, et Louis de Rabutin, son page, tirent l'épée l'un contre l'autre en sa présence, et lui font une blessure au sein.—Duval est condamné aux galères.—Madame de Sévigné le voit à la chaîne, et cause avec lui.—Louis de Rabutin s'enfuit en Allemagne.—Il épouse la duchesse de Holstein.—Par ce mariage les Rabutin sont alliés à la maison royale de Danemark.—Louis de Rabutin parvient au grade de feld-maréchal de l'empereur.—Éloge que madame de Sévigné et Bussy font de Louis de Rabutin, leur cousin.—Madame de Sévigné regrette que Bussy-Rabutin n'ait pas été aussi heureux.—Sa réflexion sur la Providence.—Spirituelle réponse de Bussy au P. la Chaise sur ce sujet.—Madame de Sévigné, bien instruite des intrigues galantes du grande monde et de la cour, y fait souvent allusion.—Ces allusions sont obscures pour les lecteurs modernes.—Passage d'une de ses lettres sur le maréchal de la Ferté, le comte de Saint-Paul et le comte de Fiesque.—Détails sur ces personnages.—Mariage de mademoiselle de Thianges et du duc de Nevers.—Détails sur le duc de Nevers.—Pouvoir de Montespan.—Détails sur la Vallière.—Bal donné par le roi aux Tuileries.—Madame de Sévigné y assiste.—Elle remarque que ce bal était triste.—Madame de Montespan et madame de la Vallière n'y avaient point paru.—Cette dernière s'était retirée aux sœurs Sainte-Marie de Chaillot.—Le roi repart pour Versailles.—Il écrit à la Vallière, et lui envoie successivement le maréchal de Bellefonds et Lauzun, pour l'engager à revenir à Versailles: elle s'y refuse.—Il envoie, avec des ordres impératifs, Colbert, qui la ramène.—Causes de la tendresse du roi pour la Vallière.—Cette tendresse fait le malheur de celle-ci.
Dans le petit nombre de lettres de madame de Sévigné qui nous ont été conservées pour la période de temps qu'embrasse le chapitre précédent, il est parlé des faits et des événements dont nous venons de faire mention; mais c'est toujours en peu de mots quand il s'agit de ceux dont les détails étaient publics: ainsi, en annonçant à Bussy que Corbinelli allait le rejoindre, elle se contente de dire au sujet de la mort d'Henriette, dont toute la France s'entretenait depuis sept jours: «Il vous dira la mort de Madame, l'étonnement où l'on a été en apprenant qu'elle a été malade et morte en huit heures, et qu'on perdait avec elle toute la joie, tout l'agrément et tous les plaisirs de la cour455.»
Elle écrit plus longuement lorsqu'elle parle de faits moins connus, d'anecdotes secrètes dont s'emparait la malignité publique, mais que, par la crainte de se compromettre, on ne racontait qu'en tête à tête ou à voix basse. De cette espèce était l'aventure arrivée à la princesse de Condé, qui fit assez de bruit pour qu'on crût nécessaire d'en parler dans la gazette de manière à sauver l'honneur de cette princesse456. Madame de Sévigné la raconte à Bussy dans une lettre du 23 janvier 1671.
«On me vient de conter une aventure extraordinaire qui s'est passée à l'hôtel de Condé et qui mériterait de vous être mandée, quand vous n'auriez pas l'intérêt que nous y avons. La voici457. Madame la princesse (Claire-Clémence de Maillé-Brézé, princesse de Condé) ayant pris depuis quelque temps de l'affection pour un de ses valets de pied nommé Duval, celui-ci fut assez fou pour souffrir impatiemment la bonne volonté qu'elle témoignait aussi pour le jeune Rabutin, qui avait été son page. Un jour qu'ils se trouvaient tous deux dans sa chambre, Duval ayant dit quelque chose qui manquait de respect à la princesse, Rabutin mit l'épée à la main pour l'en châtier; Duval tira aussi la sienne; et la princesse, se mettant entre deux, fut blessée légèrement à la gorge. On a arrêté Duval, et Rabutin est en fuite: cela fait grand bruit en ce pays-ci. Quoique le sujet de la noise soit honorable, je n'aime pas qu'on nomme un valet de pied avec Rabutin.»
Madame de Montmorency manda aussi cette nouvelle à Bussy avec des circonstances peu différentes458; mais elle ajoute que monsieur le Duc (le duc d'Enghien, fils du prince de Condé) serait parvenu à apaiser la colère de son père; que MADEMOISELLE, qui en voulait à Condé, (nous dirons bientôt par quel motif), fit de cette aventure l'objet de ses railleries à la cour. Condé, irrité et excité encore par la princesse Palatine, exila sa femme à Châteauroux. «Il n'y (a) pas de désespoir pareil au sien, dit madame de Montmorency; personne que ses trois proches ne l'a vue en partant.» Si de tels écarts pouvaient être excusés, ils le seraient dans cette infortunée princesse. Depuis la mort du cardinal de Richelieu, son oncle, elle était traitée par son mari avec peu d'égards: «Les mauvais traitements, dit MADEMOISELLE, redoublèrent après le mariage de monsieur le Duc; elle était réduite à ne voir personne.» A Châteauroux elle fut tenue en captivité; il se passa un temps assez long avant qu'on lui donnât la liberté de se promener dans la cour du château, et ce fut seulement en présence des gens que le prince avait chargés de la garder.
Cependant il ne faut pas oublier de dire que la querelle de Louis de Rabutin et de Duval n'était pas la première que la princesse de Condé eût occasionnée par ses coupables imprudences. Au temps de la Fronde, elle fut la cause de la mort du jeune marquis de Cessac, qui, à l'âge de vingt-deux ans, fut tué en duel par Coligny, son ami, qu'il crut être son rival. Coligny, au contraire, s'était attaché à une des filles d'honneur de la princesse, nommée Gerbier, celle-là même qui, par son esprit et son habileté, avait le plus contribué à soustraire à la vigilance de Mazarin toute la famille du prince de Condé, retirée à Chantilly459.
On fit le procès à Duval; il fut condamné aux galères. Madame de Sévigné, en allant promener à Vincennes, le vit à la chaîne des galériens qui partaient pour Marseille; elle s'entretint avec lui, et il lui parut un homme de bonne conversation460.
Quant à Louis de Rabutin, cette aventure lui valut une fortune et un degré d'élévation qu'il n'eût jamais osé espérer en France. Obligé de s'expatrier pour fuir la vengeance du prince, il se vit, comme dit très-bien madame de Sévigné, romanesquement transporté en Allemagne461. Là, aimable auprès des femmes et brave sur les champs de bataille, la guerre le porta successivement, dans les armées de l'empereur, jusqu'au grade supérieur de feld-maréchal462; et le mariage le plus brillant lui procura l'alliance, et par lui à tous les Rabutin, de la famille royale de Danemark. Aussi madame de Sévigné se montre-t-elle glorieuse de ce cousin germain d'Allemagne; et elle s'empressa d'entrer en correspondance avec la femme qu'il avait épousée. Cette cousine allemande, comme elle l'appelle, était la duchesse de Holstein, Dorothée-Élisabeth, fille de Philippe-Louis, héritier de Norwége, duc de Holstein-Wiesembourg, arrière-petit-fils de Christiern III, élu roi de Danemark en 1525, dont la postérité, réélue à chaque interrègne en la personne de l'aîné de la maison royale, est devenue héréditaire en 1660, et règne encore aujourd'hui. Louis de Rabutin, mari de Dorothée-Élisabeth, descendait de Christophe de Rabutin, seigneur de Ballore, quatrième fils d'Amé de Rabutin; tandis que madame de Sévigné et le comte de Bussy étaient descendus de Hugues de Rabutin, fils aîné d'Amé de Rabutin463. Louis de Rabutin était donc leur cousin germain, mais d'une branche cadette. Aussi plusieurs fois madame de Sévigné regrette que Bussy n'ait pas eu une aussi brillante destinée que ce cousin. «Il est vrai, dit-elle dans une lettre adressée à Bussy, que j'aime la réputation de notre cousin d'Allemagne. Le marquis de Villars nous en dit des merveilles à son retour de Vienne, et de sa valeur, et de son mérite de tous les jours, et de sa femme, et du bon air de sa maison. Je sentis la force du sang, et je la sens encore dans tout ce que dit la gazette de sa blessure. Vous êtes cause, mon cher cousin, que j'écris à cette duchesse-comtesse en lui envoyant votre paquet [probablement la généalogie des Rabutin, dressée par Bussy]. J'admire toujours les jeux et les arrangements de la Providence. Elle veut que ce Rabutin d'Allemagne, notre cadet de toutes façons, par des chemins bizarres et obliques s'élève et soit heureux; et qu'un comte de Bussy, l'aîné de sa maison, avec beaucoup de valeur, d'esprit et de services, même avec la plus brillante charge de la guerre, soit le plus malheureux homme de la cour de France. Oh! bien, Providence, faites comme vous l'entendrez: vous êtes la maîtresse; vous disposez de tout comme il vous plaît; et vous êtes tellement au-dessus de nous qu'il faut encore vous adorer, quoi que vous puissiez faire, et baiser la main qui nous frappe et qui nous punit; car devant elle nous méritons toujours d'être punis464.»
Bussy confirme cet éloge donné à son cousin d'Allemagne, et répond ainsi à madame de Sévigné: «Tout ceux qui retournent de Vienne disent de notre cousin les mêmes choses que vous a dites M. de Villars, madame; lui et sa femme sont l'ornement de la cour de l'empereur. Ce que vous dites de la Providence sur cela est fort bien dit; quelque fertile que je sois en pensées et en expressions, je n'y saurais rien ajouter, sinon que je reçois toutes les disgrâces de la main de Dieu, comme des marques infaillibles de prédestination. La dernière fois que je vis le P. la Chaise, il me dit, sur les plaintes que je lui faisais des duretés du roi, que Dieu me témoignait par là son amour. Je lui répondis que je le croyais; que je voyais bien qu'il me voulait avoir, et qu'il m'aurait; mais que j'aurais bien voulu que c'eût été un autre que Sa Majesté qui eût fait mon salut465.»
Les deux lettres que nous venons de citer, pour terminer ce que nous avions à dire sur les suites singulières de l'aventure arrivée à la princesse de Condé, sont bien postérieures au temps dont nous nous occupons; mais elles montrent la continuité de la mauvaise fortune de Bussy, et nous prouvent la constance des sentiments religieux de madame de Sévigné, que nous retrouverons tenant toujours le même langage à toutes les époques de sa vie. Cependant qu'on ne croie pas que c'est uniquement parce qu'un Rabutin se trouve impliqué dans l'affaire de la princesse de Condé que madame de Sévigné la raconte à Bussy: elle se montre en général fort instruite des intrigues galantes de son temps; et quand elle écrivait à sa fille ou à Bussy, ou au comte de Grignan, qu'intéressaient beaucoup les anecdotes scandaleuses de la cour ou du grand monde, elle y fait souvent allusion. Ces allusions, parfaitement intelligibles pour ceux à qui elle écrivait, ne peuvent être comprises par les lecteurs actuels, qui, pour la plupart, ignorent que l'histoire d'une époque, pour être bien connue, a besoin qu'on se donne la peine de scruter la vie privée des personnages qui ont eu quelque part aux événements publics.
Ainsi, dans une lettre en date du 10 décembre 1670, écrite au comte de Grignan par madame de Sévigné, on lit: «Le maréchal de la Ferté dit ici des choses non pareilles; il a présenté à sa femme le comte de Saint-Paul et le Petit Bon, en qualité de jeunes gens qu'il faut présenter aux dames. Il fit des reproches au comte de Saint-Paul d'avoir été si longtemps sans l'être venu voir. Le comte a répondu qu'il était venu plusieurs fois chez lui; qu'il fallait donc qu'on ne le lui eût pas dit466.»
Pour bien saisir toute la spirituelle malice de ce passage, en apparence si simple et si innocent, il faut se rappeler que le comte de Saint-Paul, dont nous avons déjà parlé dans ces Mémoires467 pour avoir entraîné le jeune Sévigné à la guerre de Candie, était âgé de vingt ans et un des plus beaux hommes de la cour lorsque madame de Sévigné écrivait cette lettre à sa fille; de plus, neveu du grand Condé, le comte de Saint-Paul était l'unique héritier de la riche maison de Longueville, parce que son frère aîné, réduit à l'état d'imbécillité, devait se faire religieux et renoncer à tous ses droits en faveur de son cadet468. Le comte de Saint-Paul était donc un des plus brillants partis de France et en même temps un des cavaliers les plus polis et les plus braves. A tous ces titres il était vivement recherché par les femmes ambitieuses et coquettes. Parmi ces dernières, la maréchale de la Ferté469, quoique âgée de près de quarante ans, mais encore belle et fraîche, entreprit de lui plaire. Elle employa pour l'attirer chez elle le comte de Fiesque470, amant de madame de Lionne471, dont la mère472, prodigue et légère, avait été dame d'honneur de MADEMOISELLE et dont le père, mort en 1660, s'était ruiné au service du prince de Condé473. Le comte de Fiesque, sans héritage, homme d'esprit, peu guerrier, aimable avec les femmes474, et cherchant à réparer les torts de la fortune aux dépens de celles dont il avait gagné les bonnes grâces, était envers toutes si plein de complaisance qu'elles l'avaient surnommé le Petit Bon475. C'est lui que madame de Sévigné désigne par ce surnom dans sa lettre; et l'on comprend ce qu'il y avait de piquant, pour tous ceux qui n'ignoraient pas les intrigues galantes de la maréchale de la Ferté, d'apprendre que le comte de Saint-Paul et le comte de Fiesque lui avaient été présentés par son mari, les reproches que celui-ci leur adressait et la réponse du comte de Saint-Paul, qui pour s'excuser affirme qu'il est venu fréquemment chez le maréchal, mais qu'on ne lui en a rien dit.
Ce qui attirait particulièrement l'attention de madame de Sévigné et lui fournissait des sujets favoris de correspondance, c'est surtout ce qui a rapport au roi, directement ou indirectement. Aussitôt que le mariage du duc de Nevers eut été décidé, madame de Sévigné n'oublia pas de l'écrire à son gendre. Ce mariage était un événement, et acquérait de l'importance parce qu'il prouvait le crédit de la nouvelle maîtresse: «Ma fille me prie de vous mander le mariage de M. de Nevers… Il épouse, devinez qui? Ce n'est pas mademoiselle d'Houdancourt, ni mademoiselle de Grancé: c'est mademoiselle de Thianges, jeune, jolie, modeste, élevée à l'Abbaye-aux-Bois. Madame de Montespan en fait les noces dimanche; elle en fait comme la mère et en reçoit tous les honneurs. Le roi rend à M. de Nevers toutes ses charges; de sorte que cette belle, qui n'a pas un sou, lui vaut mieux que la plus riche héritière de France. Madame de Montespan fait des merveilles partout476.»
Ce fut Lauzun qui négocia le mariage de cette belle nièce de madame de Montespan; il eut à vaincre les irrésolutions de cet étrange duc de Nevers, qui, dit MADEMOISELLE, «va et vient de Rome par fantaisie deux ou trois fois l'année, comme les autres qui vont se promener au Cours, et qui se trouva marié lorsqu'il ne croyait pas l'être477.»
Mademoiselle de Thianges était adorée de sa mère, qui la préférait de beaucoup à sa sœur cadette, la duchesse de Sforce478, et à son fils, homme médiocre, comme avait été son père. La duchesse de Nevers justifiait par son esprit et sa beauté la prédilection maternelle; mais cette modestie de l'Abbaye-aux-Bois, que vante en elle madame de Sévigné, disparut bientôt à la cour; et par là peut-être, comme par son humeur caustique et joviale, la duchesse de Nevers ressemblait à sa mère, qui, selon la remarque de mademoiselle de Montpensier, «aimait à rire et n'était pas plus charitable pour les autres qu'on ne l'était pour elle.479»
Rien n'intéresse plus, dans la vie privée de Louis XIV, que tout ce qui concerne la Vallière, cet objet de ses premières affections, cette touchante victime de son inconstance. Le rang, les honneurs, les richesses n'avaient pu vaincre sa modestie, ni les puissantes séductions de la volupté lui ravir sa pudeur. Elle n'avait ressenti de l'amour que les purs et délicieux sentiments qu'il inspire. Ses religieuses douleurs480 et les remords qui l'agitaient la montraient encore plus digne du grand monarque qui avait triomphé de sa vertu et de son Dieu. Louis XIV tenait à la Vallière par le cœur, par le souvenir des jours de bonheur dont il lui était redevable, par la persuasion de son entier dévouement pour lui, surtout par l'estime profonde qu'il ne pouvait refuser à la sincérité de l'unique passion qui ait pu altérer la pureté de cette âme pieuse et virginale. Mais les sens, mais le besoin de distractions l'entraînaient vers une autre maîtresse plus belle, plus spirituelle, dont l'humeur fière, la gaieté caustique et l'agaçante coquetterie formaient un contraste avec l'humble et scrupuleuse tendresse de la Vallière. Les humiliations que celle-ci éprouva de la part de son orgueilleuse rivale la poussèrent à une résolution désespérée.
Le dernier jour de carnaval de cette année 1671, Louis XIV donna un bal aux Tuileries; contre l'ordinaire ce bal fut triste481. Madame de Sévigné, qui y fut invitée et y assista, en fait la remarque; elle en écrit ainsi à sa fille: «Le bal du mardi gras pensa être renvoyé; jamais il ne fut une telle tristesse: je crois que c'était votre absence qui en était la cause. Bon Dieu! que de compliments j'ai à vous faire! que d'amitiés! que de soins de savoir de vos nouvelles! que de louanges qu'on vous donne!»
Comme elle aimait à flatter sa fille, cette faible mère! Certainement elle n'ignorait pas que toutes les personnes qui se trouvaient à ce bal étaient préoccupées de tout autre chose que de l'absence de madame de Grignan. On avait remarqué que madame de Montespan et madame de la Vallière, qu'on voyait dans toutes les fêtes, ne se trouvaient point à celle-ci; et la tristesse dont le visage du roi était empreint s'était répandue dans toute l'assemblée. Les soupçons que l'on avait sur les causes de cette tristesse furent confirmés. On sut que la Vallière s'était retirée de la cour et réfugiée au couvent des sœurs Sainte-Marie de Chaillot. Le lendemain le roi repartit pour Versailles. MADEMOISELLE, qui se trouvait présente et dans le même carrosse que lui et madame de Montespan, nous apprend que, durant le trajet, tous deux ne cessèrent point de pleurer482. La même cause produisait leur chagrin, mais les motifs en étaient différents. Avant d'employer l'autorité pour arracher madame de la Vallière de l'asile où elle s'était réfugiée, Louis XIV essaya les moyens de persuasion; il lui écrivit, et il lui envoya sa lettre par le maréchal de Bellefonds: celui-ci devait inspirer à la belle repentante une grande confiance, puisque lui-même se trouvait alors sous l'influence de la ferveur religieuse qui le porta, peu de temps après, à faire une retraite au couvent de la Trappe durant la semaine sainte483. Le maréchal de Bellefonds ne put obtenir de la Vallière qu'une lettre qu'elle écrivit à Louis XIV pour le prier instamment de lui permettre de consacrer à Dieu le reste de ses jours. Lauzun fut ensuite envoyé, et ne put parvenir même à la voir; enfin, Colbert se rendit à Chaillot avec des ordres impératifs du roi; elle s'y soumit. Madame de Sévigné eut connaissance des premières démarches de Louis XIV pour obtenir que la fugitive revînt d'elle-même à Versailles; madame de Sévigné en avait parlé dans une lettre que nous n'avons plus; car, dans celle du 12 février 1671484, voici comme elle raconte à sa fille le retour de la Vallière: