Kitabı oku: «Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Volume 3», sayfa 3
Le jeune roi donnait, sous ce rapport, à ses peuples, un exemple fatal, dont sa cour était fortement préoccupée. La mort de la reine mère avait achevé d'ôter à Louis XIV le peu de contrainte qu'il s'était imposée par égard pour elle. La femme si douce et si tendre qui ne voyait dans le roi qu'un amant, qui aurait voulu ensevelir dans l'ombre le secret d'une liaison coupable, celle dont le cœur, avant d'être touché par l'amour de Dieu, ne palpita jamais que pour un seul homme, fut condamnée à porter le titre de duchesse, à laisser légitimer par lettres patentes sa honte et ses dignités, à subir l'ennui d'un nombreux cortége, à dévoiler le mystère de ses accouchements, à voir ses deux enfants ravis dès leur naissance à sa tendresse maternelle, et, sous les noms de comte de Vermandois et de mademoiselle de Blois, reconnus, par actes publics, comme les honorés rejetons d'un royal adultère89.
Ce ne furent pas là encore ses plus grandes afflictions. Lorsque Louis XIV augmentait, par des faveurs qu'elle eût voulu repousser, les remords de la Vallière, il froissait son cœur par de fréquentes infidélités, indices certains de l'affaiblissement de son amour. Une de ces liaisons passagères, qui eut lieu avec la princesse de Monaco, fille du duc de Gramont, acquit plus de publicité que toutes les autres, parce qu'elle occasionna la disgrâce du duc de Lauzun, amant favorisé de la princesse avant le roi. Lauzun fut mis à la Bastille, non-seulement pour n'avoir pas voulu un grade supérieur qui l'éloignait de la cour, mais pour avoir forcé sa perfide maîtresse à recevoir un soir les tendres protestations du roi à travers le trou d'une serrure dont Lauzun avait su dérober la clef. Louis XIV pardonna à Lauzun cette audacieuse espièglerie, parce que le goût qu'il avait pour celle qui en avait été l'objet se passa promptement90.
Mais une autre femme, réputée belle entre les belles, d'un caractère haut et fier, mariée à un homme plein d'honneur, respectée par la médisance, même à la cour, toucha vivement le cœur de Louis XIV. C'était madame de Montespan, qui, par son esprit caustique, ses saillies, ses bons mots, son talent de narrer avec gaieté, s'était fait aimer de la reine et de madame de la Vallière. Celle-ci devina avant tout le monde (l'instinct de l'amour est le plus vif de tous) qu'elle était trahie, et que madame de Montespan allait être pour elle la cause du plus grand des malheurs, celui d'être obligée de se séparer d'un amant pour lequel l'ardeur de sa passion n'avait cessé de s'accroître. Ce secret fut divulgué à la cour durant cette campagne, et il ouvrait une nouvelle carrière aux intrigues qui s'agitaient sans cesse autour de ce monarque, dès son début couronné par la victoire, et déjà, si jeune, flatté par la renommée91. La cour se tenait à Compiègne, afin de se trouver plus rapprochée des opérations de la guerre; et lorsqu'elles étaient suspendues, Louis XIV se hâtait de retourner à Compiègne, où l'attiraient les enchantements de sa nouvelle passion.
CHAPITRE III.
1667
Madame de Sévigné revient à Paris, et écrit à Bussy.—Celui-ci dissimule avec elle.—Il demande au roi de rentrer au service.—Bussy avait conservé des amis, et entretenait une nombreuse correspondance.—Madame de Sévigné était la plus exacte à lui écrire.—La marquise de Gouville continuait de correspondre avec lui.—La marquise de Monglat s'efforce en vain de se remettre bien avec lui.—Les principaux correspondants de Bussy étaient le duc de Saint-Aignan, le duc de Noailles, le comte de Gramont, Benserade, Corbinelli, dom Cosme, général des feuillants, le P. Bouhours.—Jugement sur ce dernier.—Premier recueil des lettres de madame de Sévigné, données par Bussy, avec celles qu'il avait écrites.—Autres correspondants de Bussy en femmes: la marquise de Gouville, madame de Montmorency, la comtesse du Bouchet, mademoiselle d'Armentières, la maréchale d'Humières, la marquise d'Hauterive, mademoiselle Dupré.—Détails sur cette demoiselle, mise par Ménage au nombre des femmes illustres avec madame de Sévigné.—Madame de Scudéry.—Caractère de cette dame.—Comparée à madame de Sévigné.—Ce qu'elle écrit à Bussy sur les regrets d'avoir perdu son mari.—Des amis des deux sexes qu'avait madame de Scudéry.—De ses liaisons et de son cercle.—De son amitié pour le P. Rapin.—Elle le fait entrer en correspondance avec Bussy, et rend service à tous deux.—Pour se venger des vers de Boileau contre son mari, elle veut animer Bussy contre Boileau.—Vers de Boileau qui lui en ont fourni l'occasion.—Louis XIV demande l'explication de ces vers.—Ce qu'on lui répond.—Licence des mœurs de cette époque, autorisée par le monarque, la presse et le théâtre.—On joue l'Amphitryon et George Dandin.—Bussy ne se trouve pas offensé par le vers de Boileau, et refuse de s'associer au ressentiment de madame de Scudéry contre ce poëte.—Bussy demande au roi de servir, et n'obtient rien.—Il occupe alternativement son château de Chaseu et celui de Bussy.—Description que Bussy fait de la galerie de portraits qui se trouvait dans ce dernier château.
Lorsque madame de Sévigné revint à Paris, toute la haute société avait quitté cette capitale, tous ses amis étaient absents; et si elle recherchait parfois la solitude, ce n'était pas lorsqu'elle était en ville. Elle se résolut donc à passer l'été à Livry.
«Toute la cour est à l'armée, écrivait-elle92 à Bussy; et toute l'armée est à la cour. Paris est un désert; et, désert pour désert, j'aime beaucoup mieux celui de la forêt de Livry, où je passerai l'été.
En attendant que nos guerriers
Reviennent couverts de lauriers.»
Ainsi que je l'ai exposé dans la seconde partie de ces Mémoires, la correspondance de madame de Sévigné avec Bussy, qui s'était renouée vers cette époque, ne devait plus se rompre. Ce que nous en possédons nous prouve que madame de Sévigné prenait une part très-vive aux succès de Louis XIV et de son armée: à chaque nouvelle victoire, elle exprime des regrets sincères que Bussy n'ait pas obtenu un commandement qui le mît à portée d'obtenir sa part de tant de gloire. Bussy, toujours dominé par son excessive vanité, dissimule avec sa cousine; il fait le dédaigneux et le philosophe: cependant il lui envoie régulièrement les suppliques qu'il adressait au roi à l'ouverture de chaque campagne, pour offrir ses services; mais il ne lui disait pas qu'il écrivait sans cesse à ses amis, pour qu'ils intercédassent aussi en sa faveur93.
Bussy avait conservé, malgré les défauts de son caractère, un bon nombre d'amis puissants et dévoués; il entretenait avec eux une correspondance très-active94; il en avait une très-étendue avec des gens de lettres et avec des femmes spirituelles, qui l'instruisaient de toutes les nouvelles du jour et des intrigues de cour. Quelques-unes de ces femmes s'étaient rendues célèbres dans les cercles de précieuses et de beaux esprits, qui s'étaient multipliés dans Paris. Les unes étaient flattées d'être en commerce de lettres avec un homme de qualité et de l'Académie; les autres étaient des dames de la cour, dont quelques-unes avaient été ses maîtresses et avaient conservé avec lui des rapports d'amitié. La marquise de Monglat aurait bien voulu se remettre avec lui sur ce pied95. Elle lui écrivit plusieurs fois pour se justifier, et tâcha de ranimer en lui ce qu'elle voulait conserver de son ancienne affection. Elle aussi avait beaucoup d'amis qui lui étaient sincèrement attachés: son caractère aimable était fort goûté de madame de Sévigné, qui la voyait souvent. Elle fit écrire à Bussy par plusieurs de ses correspondantes96, qui ne purent rien gagner sur cet homme orgueilleux et vindicatif. Comme la santé de madame de Monglat s'était affaiblie et qu'elle eut quelques velléités de religion, elle s'était mise en rapport avec dom Cosme, prédicateur renommé et général des feuillants, pour lequel Bussy avait beaucoup de considération et d'estime. Elle l'employa comme intercesseur, mais ce fut encore en vain97; et elle ne put empêcher que des tableaux emblématiques de son inconstance et de sa légèreté ne fussent placés dans le grand salon du château de Bussy98, et que les devises mises sur ces peintures et au bas de son portrait ne donnassent matière aux entretiens d'un monde auquel la médisance plaît toujours.
Parmi les principaux correspondants de Bussy, il faut d'abord nommer celui qui lui était le plus dévoué, le duc de Saint-Aignan, si aimé du roi et si bien instruit des secrets les plus intimes de son intérieur. Madame de Sévigné a dit avec raison de lui «qu'il a rendu à Bussy des services que nul autre courtisan n'aurait osé ni voulu lui rendre99.» Le duc de Saint-Aignan avait composé des mémoires où il justifiait Bussy; et il eut le généreux courage de les montrer au roi100.
Les autres correspondants de Bussy à la cour étaient le duc de Noailles, qui fut capitaine des gardes101, et le comte de Gramont, rendu célèbre par les piquants mémoires que son beau-frère Hamilton a écrits sur les folies de sa jeunesse102; le comte de Guiche, ceinturé comme son esprit, disait madame de Sévigné, et qui se trouvait alors enveloppé dans la disgrâce de Vardes103. Parmi les ecclésiastiques et les gens de lettres, on doit nommer l'abbé de Choisy, plus célèbre par ses scandaleuses aventures que par le grand nombre de livres qu'il a composés; Benserade et Corbinelli (ce dernier alors était en Languedoc, entraîné aussi dans l'exil de Vardes104); puis dom Cosme, dont nous avons parlé; et enfin le P. Rapin105 et le P. Bouhours. C'est à Bouhours que nous devons l'édition tronquée des Mémoires de Bussy, et, je crois, aussi l'édition si confusément ordonnée de sa correspondance. Bouhours était à la fois homme du monde, homme d'Église et homme de lettres; ayant les prétentions d'un puriste, et affectant l'autorité d'un critique; recherchant la réputation de bel esprit, et s'arrogeant l'importance d'un profond théologien; écrivant alternativement et avec facilité sur des sujets saints ou profanes, sérieux ou légers; auteur fécond, mais souvent futile; écrivain correct, mais non exempt d'affectation, et qui, fort admiré de madame de Sévigné, jouissait d'une réputation très-supérieure à ses talents106.
La correspondance de Bussy avec les femmes était bien plus nombreuse et d'une plus grande valeur. Parmi elles, la première à nommer est madame de Sévigné. Les lettres de Bussy à sa cousine, avec les réponses, remplissent presque entièrement les deux volumes du recueil de la correspondance qui fut publié par la marquise de Coligny, fille de Bussy, en 1697107. Bayle fit l'éloge de ce recueil108. Bussy composait beaucoup de vers, et il les envoyait à sa cousine pour les soumettre à son jugement; ces vers ont été imprimés, avec les lettres où ils se trouvaient insérés, dans le recueil dont nous parlons; et si les éditeurs de madame de Sévigné ont eu raison de débarrasser sa correspondance de cet inutile bagage, en réimprimant les lettres que Bussy lui avait adressées, ils ont eu tort de supprimer de ces lettres les passages qui concernaient les envois de ces pièces de vers, puisqu'ils constataient que ce goût de Bussy pour la poésie était partagé par sa cousine109.
Après madame de Sévigné, la marquise de Gouville mérite d'être mentionnée comme celle qui correspondait le plus assidûment avec Bussy. Ses lettres sont les plus spirituelles, les plus riches en détails amusants, narrés avec esprit et finesse110. Elle avait pendant quelque temps enchaîné Bussy; et l'intimité qui avait existé entre eux donnait à leur commerce plus d'agrément, de franchise et de vérité. Il faut joindre à la marquise de Gouville son intime amie la comtesse de Fiesque, que Bussy appelait sa cousine. Folâtre et insouciante, elle était initiée et elle initiait Bussy à tous les secrets de la petite cour de MADEMOISELLE, dont elle faisait partie.
Une dame qui par son mari portait le beau nom de Montmorency se montre le plus instructif des correspondants de Bussy. Ses lettres sont des espèces de bulletins de ce qui se passait à la cour, des promotions, des mariages, des décès, des intrigues, des nouvelles politiques qu'on y débitait, des anecdotes scandaleuses qu'on y racontait; le tout dit en deux mots, sans réflexions, sans phrases, et exprimé avec une concision remarquable. Des pièces de vers qui avaient circulé se trouvent aussi insérées dans ces lettres. Le nom de famille de cette madame de Montmorency était Isabelle d'Harville de Palaiseau, et elle appartenait à cette noble famille de guerriers qui, dès le commencement du quinzième siècle, s'étaient illustrés à la bataille d'Azincourt111. Ni Bussy ni les mémoires contemporains ne nous apprennent rien sur cette dame de Montmorency. Au bas de son portrait Bussy avait mis cette inscription: «Digne non pas d'un homme de plus grande qualité, mais d'un homme plus aimable112.» Cette inscription prouve du moins que ce mari d'Isabelle de Palaiseau était de la noble famille dont il portait le nom. Madame de Montmorency était peu favorisée de la fortune, quoique amie de la duchesse de Nemours, qui possédait de si grands biens et aurait pu se montrer plus généreuse à son égard113.
La comtesse du Bouchet écrivait aussi souvent à Bussy avec une liberté d'expression qui devait lui plaire beaucoup: accoutumée à tout dire, sa franchise donnait un grand prix à ses lettres114.
Henriette de Conflans, demoiselle d'Armentières, belle quoiqu'elle ne se mariât point, pieuse quoique amie de Bussy, était encore pour lui un correspondant qui avait toute sa confiance: c'était celle qui plaidait auprès de lui la cause de madame de Monglat avec le plus de chaleur, parce que celle-ci paraissait vouloir alors se mettre sous la direction de dom Cosme et renoncer à la vie mondaine115.
Parmi les autres femmes auxquelles Bussy écrivait plus souvent, on distingue la femme de son cousin, la maréchale d'Humières, dont le portrait, dans sa galerie, était accompagné de cette inscription: «D'une vertu qui, sans être austère ni rustique, eût contenté les plus délicats.» Elle était dame du palais de la reine: liée avec madame de Sévigné, belle et pieuse, elle termina116 sa longue vie aux Carmélites de la rue Saint-Jacques117. Après cette dame respectable nous devons nommer la marquise d'Hauterive, fille du duc de Villeroy, à laquelle on reprochait de s'être mésalliée, quoiqu'elle eût épousé un bon et honorable gentilhomme, élégant dans ses goûts, amateur éclairé des beaux-arts et grand protecteur du Poussin118. La correspondance de Bussy avec la marquise d'Hauterive n'a point été imprimée; mais nous savons, d'après une lettre du marquis d'Hauterive, que le portrait de cette dame devait occuper une place parmi les autres portraits de femmes avec lesquelles Bussy entretenait un commerce épistolaire119.
Mais, de tous les nombreux personnages qui correspondaient avec Bussy, il n'y en avait pas dont il eût, après madame de Sévigné, plus de plaisir à lire les lettres que celles de deux femmes sans rang, sans beauté, sans fortune, sans naissance: c'étaient mademoiselle Dupré et madame de Scudéry. Toutes les deux, il est vrai, étaient pleines de sens et d'esprit, et possédaient le talent d'écrire avec enjouement, pureté et élégance. La seconde était, sous ce rapport, très-supérieure à la première; mais celle-ci avait plus de célébrité, parce qu'elle appartenait à une famille d'érudits et de poëtes. Elle était la nièce et l'élève de Roland Desmarets120 et de Desmarets de Saint-Sorlin, l'auteur de la comédie des Visionnaires. Marie Dupré était laide, mais savante; car, si l'on en croit Bussy, elle parlait quatre langues également bien121; elle avait, dit-on, approfondi la philosophie de Descartes, dont elle était enthousiaste, ce qui semble peu s'accorder avec son goût pour les bouts-rimés et les petits vers: on en trouve un grand nombre de sa composition dans les recueils du temps et dans les lettres de Bussy. Amie de Conrart, ce fondateur de l'Académie française, mademoiselle Dupré fut célébrée, en vers comme en prose, par un grand nombre d'hommes de lettres de son temps. Le savant Huet a rapporté dans ses Mémoires le madrigal en vers latins qu'il fit pour elle. Ménage ne lui adressa point de vers, mais il la nomme, dans son commentaire en langue italienne sur le septième sonnet de Pétrarque, au nombre des illustres contemporaines, avec mademoiselle de la Vigne, son amie, madame de la Fayette, madame de Scudéry, madame de Rohan-Montbazon, abbesse de Malnoue, et madame de Mortemart, abbesse de Fontevrault; puis enfin madame de Sévigné,
car rarement Ménage, soit qu'il écrivît en vers ou en prose, en grec, en latin, en italien ou en français, se permit de nommer madame de Sévigné dans ses ouvrages, sans ajouter quelques vers à sa louange. Mademoiselle Dupré allait souvent passer la belle saison aux eaux minérales de Sainte-Reine, chez des amis dont le séjour était voisin du château de Bussy; et Bussy profitait de cette occasion pour l'attirer chez lui le plus souvent qu'il pouvait, ce qui prévenait entre eux cette tiédeur et cet alanguissement de l'intimité qu'une trop longue séparation ne manque jamais de produire123.
Madame de Scudéry n'était point savante; elle ne faisait point de vers. Par son mari et sa belle-sœur, le nom qu'elle portait avait acquis une assez grande célébrité; elle n'en rechercha et n'en obtint aucune pour elle-même. Plusieurs ignorent qu'elle a existé. Quand il est parlé d'elle, on la confond avec la sœur de Scudéry124. Cependant, de toutes les femmes que la correspondance de Bussy nous fait connaître, madame de Scudéry est incontestablement, après madame de Sévigné, celle qui mérite la préférence. Elle est loin d'avoir l'imagination vive et brillante de la petite-fille de sainte Chantal; mais son style, moins figuré, moins animé, est plus correct; sa raison est plus calme et son jugement moins variable. Elle a sur madame de Sévigné le triste avantage d'avoir connu l'adversité, d'être née dans une condition qui l'exemptait des préjugés de naissance auxquels madame de Sévigné n'a pas échappé. Elle apprécie mieux le monde; ses réflexions, elle les tient de son expérience et de ses propres observations. L'expression de ses pensées est toujours simple, forte, naturelle et digne, en parfait rapport avec la noblesse de ses sentiments et l'élévation de son âme. L'académicien Charpentier déclare qu'elle n'écrit pas moins bien que mademoiselle de Scudéry, l'auteur de Clélie et de Cyrus125. De toutes les amies de Bussy, quoique la plus humble par le rang, madame de Scudéry fut celle qui lui rendit le service le plus important126, puisqu'elle le fit rappeler de son exil. Elle était fort jeune et sans fortune lorsque Scudéry, dans un âge déjà avancé, l'épousa127. Elle perdit son mari l'année même dont nous nous occupons, le 14 mai 1667. Restée veuve à l'âge de trente-six ans, elle ne contracta point de nouveaux liens, et s'adonna à l'éducation de son fils unique, qui entra dans les ordres. Les regrets qu'elle eut de perdre son mari sont vivement exprimés dans deux lettres à Bussy, à Bussy peu capable d'apprécier les sentiments d'une telle femme.
«Quand j'ai commencé ma lettre128, j'avais oublié que j'étais en colère contre vous. Comment, monsieur, me dire que je suis bien aise d'être veuve, moi qui, trois ans durant, ai pensé mourir de douleur d'avoir perdu un fort bon homme qui était de mes amis, comme s'il n'eût pas été mon mari; qui m'a toujours louée, toujours estimée, toujours bien traitée, et qui me déchargeait tout au moins de la moitié du mal que j'ai, à cette heure, de souffrir ma mauvaise fortune toute seule? Sachez, s'il vous plaît, monsieur, que, quand je parle des sentiments ordinaires des femmes, je ne m'y comprends point. Si j'ose le dire, je me trouve toujours fort au-dessus d'elles, et je vis d'une manière où la liberté ne me sert de rien: la société d'un honnête homme m'était plus douce. Faites-moi donc toutes les réparations que vous me devez.»
Ces réparations, Bussy crut les avoir faites; mais elles ne pouvaient la satisfaire, et elle lui répondit129:
«Vous me faites injustice de ne me passer que six mois de véritable douleur de la mort de feu M. de Scudéry. J'en ai encore, je vous le jure; et comme je ne fais rien de cette liberté que vous dites qui console d'avoir perdu un mari, et que je n'en veux rien faire, vous voyez que j'ai perdu une grande douceur en son amitié. Je ne sais plus que faire de mon cœur, je n'ai point trouvé de véritable ami depuis sa mort; cependant je vous avoue que c'est la seule rose sans épines qu'il y ait au monde, que l'amitié. Je crois que vous ne connaissez pas cela, vous autres; car j'ai ouï dire que ceux qui ont eu de l'attachement pour le frère n'en ont jamais eu pour la sœur........ Il y a longtemps que je me suis donné le même avis que vous me donnez, de vivre avec le moins de chagrin qu'il me sera possible. J'ai réglé mon rien d'une manière qui fait que ma pauvreté ne paraît à personne, et je me passe assez doucement de tout ce que je n'ai pas. Il n'y a que la disette d'amis qui m'est insupportable; car j'avais toutes les qualités propres à être une amie du premier ordre; cependant tout cela ne me sert de rien, et je ne sais qui aimer.... Il faut s'accoutumer à ne vivre qu'en société; car pour en amitié, cela est presque impossible.»
Cette femme qui se plaignait si vivement de manquer d'amis en était cependant sans cesse entourée, selon l'acception du monde. Sans être de la cour, elle voyait un assez bon nombre de gens de cour, et des plus hauts en dignités; sans aucune prétention à la littérature, les hommes de lettres se plaisaient à la fréquenter. Par la solidité de son caractère, l'égalité de son humeur, la finesse de son esprit, son tact parfait des convenances, elle était parvenue à réunir dans son modeste appartement une société choisie, préférable aux cercles les plus fameux de beaux esprits, aux assemblées brillantes des palais les plus somptueux. Mais elle savait distinguer ces liaisons du monde, ces attachements d'habitude fondés sur le besoin de se soustraire à l'ennui d'avec ceux où le cœur avait quelque part; et ses plus tendres sentiments étaient réservés pour deux personnes de son sexe: l'une était mademoiselle de Portes, personne pieuse, retirée aux Carmélites de la rue Saint-Jacques, dans cette même maison où se réfugia de même, longtemps après elle, dans le même but de piété, la maréchale d'Humières130; l'autre était cette demoiselle de Vandy que nous trouvons en relation assez étroite avec MADEMOISELLE, qui parle d'elle très-longuement dans un endroit de ses Mémoires131.
Après ces deux amies, les femmes que madame de Scudéry voyait le plus souvent étaient toutes de la cour: c'étaient madame du Vigean, la mère de la maréchale de Richelieu; madame de Villette, qui lui attira par la suite la protection et les bienfaits de madame de Maintenon; la marquise de Rongère132, et madame de Montmorency, cette amie de Bussy dont nous avons parlé: celle-ci était une des femmes qu'elle goûtait le plus.
La société de madame de Scudéry, conforme à ce que comportait sa situation dans le monde, était plus nombreuse en hommes qu'en femmes, et se composait également de plusieurs des correspondants de Bussy. Les ducs de Saint-Aignan et de Noailles étaient d'abord les deux personnages qui la voyaient le plus souvent; ils étaient aussi, par leur crédit et la faveur du monarque, les plus importants de son cercle; puis après venaient le comte de Guiche, d'Elbène133, Sobieski, depuis roi de Pologne, et plusieurs autres. Parmi les hommes de lettres, on y remarquait l'abbé de Choisy, qui était aussi homme de cour; le P. Rapin; et plus tard Fontenelle, qui usa de son intervention pour être reçu à l'Académie française134. Mais, de tous ceux qui se réunissaient chez madame de Scudéry, le P. Rapin fut celui qu'elle préférait, et avec lequel elle était le plus liée. Comme plusieurs de son ordre, sans négliger le monde, le P. Rapin se livrait à la fois à la prédication, aux belles-lettres, à la théologie; il composait alternativement des livres de piété et de littérature; ce qui faisait dire, par ses envieux, qu'il servait Dieu et le monde par semestre. A cette époque, il venait de compléter et de mettre au jour son poëme sur les Jardins, qui semblait comme un écho de la muse gracieuse de Virgile135 et qui lui valut une si belle renommée. C'est à madame de Scudéry que le P. Rapin dut l'honneur qu'il ambitionnait d'entrer en relation avec Bussy; et Bussy, le plaisir, auquel il fut très-sensible, d'avoir pour correspondant un homme de lettres aussi célèbre, un religieux aussi considéré. Leur correspondance fut très-active et longtemps prolongée. Le P. Rapin y trouvait des occasions, qu'il ne laissait jamais échapper, d'exhorter Bussy à se soumettre au joug salutaire de la religion; et Bussy, un moyen de donner, par l'espoir de sa conversion, plus de créance à ses projets de réforme, et de se procurer à la cour, afin de faire terminer son exil, un solliciteur qui, pour n'être pas au nombre des courtisans, n'en avait que plus de crédit auprès du roi136.
La lettre de madame de Scudéry qui détermina cette liaison entre deux hommes si différents par leur caractère, leurs mœurs, leur profession est remarquable; elle nous fait connaître cette femme intéressante et le P. Rapin sous les rapports les plus propres à les faire estimer tous deux. «Il a, dit-elle à Bussy en parlant de celui qu'elle recommande, une physionomie qui découvre une partie de sa bonté et de sa douceur. Il a une qualité dans l'esprit qui, à mon gré, est la marque de l'avoir véritablement grand: c'est qu'il le hausse et qu'il le baisse tant qu'il lui plaît… On peut dire de lui que ce n'est pas un docteur tout cru; mais sa science est si bien digérée qu'il ne paraît dans sa conversation ordinaire que du bon sens et de la raison.... Personne ne sait plus précisément parler à chacun de ce qu'il sait le mieux et de ce qui lui plaît davantage. Cela est admirable à un jésuite de savoir si bien une chose qui, à mon gré, est la plus grande science du monde137.»
Madame de Scudéry ne put jamais pardonner à Boileau les vers qu'il avait faits contre son mari, dont il avait légèrement changé le nom en celui de Scutari. Comme ces vers parurent moins d'un an avant qu'elle le perdît138, peut-être avait-elle des raisons fondées de croire qu'ils avaient hâté la fin de ce vieillard, qu'elle chérissait comme un père et comme un ami. Aussi elle crut pouvoir profiter de la publication d'une nouvelle satire que le poëte venait de composer pour animer contre lui Bussy, qui s'y trouvait nommé. C'était la huitième satire, adressée à Morel, docteur de Sorbonne139, dans laquelle Boileau introduit un marquis qui s'effraye du mariage, à cause des accidents dont il est trop ordinairement accompagné, et qui dit:
Moi j'irais épouser une femme coquette!
J'irais, par ma constance, aux affronts endurci,
Me mettre au rang des saints qu'a célébrés Bussy!
Assez de sots sans moi feront parler la ville140.
Le mot sot avait alors en notre langue une double signification141, qui rendait ce dernier vers plus piquant et l'allusion au livre de Bussy, contenue dans le vers qui le précède, beaucoup plus claire. Ce livre était, par les indiscrétions de Bussy et de ceux auxquels il l'avait montré, bien connu à la cour, quoiqu'il eût été vu de peu de personnes: c'était un petit volume in-16, élégamment relié en maroquin jaune, doublé de maroquin rouge enrichi de dorures, avec des clous et des fermoirs en or, au dos duquel était écrit: PRIÈRES. L'intérieur de ce volume contenait des portraits de femmes de la cour connues par leurs galanteries, représentées avec les emblèmes de sainte Cécile, de sainte Dorothée, de sainte Catherine, de sainte Agnès et autres saintes, selon les noms de baptême qu'elles portaient; et aussi des portraits d'hommes bien connus par leur rang, leurs dignités ou leur mérite, qui avaient reçu, dans l'état de mariage, de ces sortes d'échecs dont la Fontaine, d'après l'Arioste, dans son recueil de contes récemment imprimé, avait plaisamment démontré les avantages pour ceux qui les éprouvaient142. Ces personnages étaient représentés sous les formes de saints et de martyrs, et travestis, l'un en saint Sébastien, l'autre en saint Jean-Baptiste, l'autre en saint George; chacun d'eux selon les noms qu'on leur avait donnés dès leur naissance. Au bas de ces portraits, tous encadrés en or, on lisait des explications en forme d'oraisons, qui ont depuis été grattées ou couvertes de tabis, ainsi que les peintures qui ont pu s'y trouver, par des hommes plus scrupuleux que Bussy, possesseurs après lui de ce mystérieux volume. Le fini et la parfaite exécution des miniatures l'ont sauvé d'une entière destruction143. Lorsque Louis XIV eut entendu réciter les vers de Boileau, il en demanda l'explication: on lui dit que c'était une allusion à un badinage un peu impie du comte de Bussy; Louis XIV se contenta de cette réponse, et, dit-on, n'y pensa plus. Si on lui donna plus de détails, sans doute il considéra cette nouvelle espièglerie de Bussy comme une chose sans conséquence, qui d'ailleurs étant secrète, ou n'ayant de publicité que par l'indiscrétion d'un poëte, ne pouvait être passible d'aucune censure. Alors, presque chaque année, il paraissait une nouvelle édition144 plus complète du recueil des contes de la Fontaine, avec privilége du roi; en même temps, par permission du roi, on jouait Sganarelle, puis l'Amphitryon et George Dandin. Ces deux comédies de Molière disputaient la foule à l'Andromaque de Racine145. Afin de satisfaire sa nouvelle passion, Louis XIV aussi alors usait de sa toute-puissance pour imposer silence aux plaintes d'un époux justement irrité. Il semblait donc que c'était se montrer bon courtisan que de s'égayer, comme faisaient la Fontaine, Molière et Bussy, aux dépens des maris trompés. Le jeune roi ne comprenait pas que les licences du théâtre et de la presse, qu'il encourageait, avaient sur les mœurs publiques une influence plus fatale que le scandale donné par lui aux grands de sa cour, alors trop séparés des autres classes du peuple pour que leurs exemples fussent aussi contagieux qu'ils le sont devenus depuis.
Bienheureux Scutari, dont la fertile plumePeut tous les mois sans peine enfanter un volume,Tes écrits, il est vrai, sans force et languissants,Semblent être formés en dépit du bon sens:Mais ils trouvent pourtant, quoi qu'on en puisse dire,Un marchand pour les vendre, et des sots pour les lire. Je ponctue ces vers comme ils le sont dans les deux premières éditions. Il y en avait deux autres avant, où le nom de Scudéry se trouvait sans déguisement; mais elles étaient subreptices et non avouées par l'auteur. Voyez BERRIAT SAINT-PRIX, Boileau, t. I, p. CXXX, CXXXI.