Kitabı oku: «Henri IV en Gascogne (1553-1589)», sayfa 14
L'accord s'était établi sur tous les points principaux entre le roi et le duc, et le consentement de Catherine était probablement acquis d'avance. Mais Emmanuel formula une exigence qui rompit la négociation. Il entendait que Catherine abjurât la religion calviniste, et Henri lui déclara franchement que cette condition lui paraissait «trop dure».
D'autres préoccupations, et d'une tout autre nature, attendaient le roi de Navarre dans son gouvernement de Guienne. On se souvient de l'entreprise criminelle de Favas et des frères Casse, en 1577, sur la ville de Bazas. Il s'en était suivi, l'année d'après, une sentence capitale contre plusieurs des auteurs de cette agression. Ils furent amnistiés par le traité de Fleix. Mais ces frères Casse, qui semblaient avoir pour ancêtres les routiers ou les soudards des Grandes Compagnies, restèrent fidèles à leur existence de violence et de déprédations. La plupart des incidents et des scandales que provoqua leur conduite manquent de dates précises, quoique les lettres du roi de Navarre, dans les derniers mois de l'année 1582, y fassent quelquefois allusion. Samazeuilh nous paraît avoir groupé, avec toute la clarté possible, les faits relatifs à cet épisode, dont les premiers semblent remonter à 1581, après la paix de Fleix, et les derniers ne dépassent guère le commencement de l'année 1583. «On reprochait notamment aux frères Casse d'avoir dévalisé et ruiné complètement un marchand de Loudun, qui les fit condamner à mort par le parlement de Bordeaux. Quand il fallut les saisir au corps, ils se renfermèrent dans le château du capitaine Lafitte, et firent trembler toute la contrée, qui les savait amplement munis d'armes et de munitions de guerre, comme échelles, pétards et autres engins. Le roi de Navarre prêta main-forte aux officiers du parlement. Mais il fallut assiéger le château de Pelleport, et Casse, Lafitte et leurs complices périrent tous plutôt que de se rendre. On eut à regretter la mort du jeune Lafitte, qui fut tué de sang-froid par les assaillants. Ce fut peut-être cet événement qui porta l'un des deux frères Casse restant à fortifier sa maison dans la ville de Bazas, malgré les représentations du roi de Navarre, dont il avait suivi le parti. Bientôt le maréchal de Matignon reçut l'ordre de Henri III de lever quelques troupes et de marcher contre ce capitaine avec du canon. Henri avait trop de sagacité pour ne pas pressentir tous les dangers qui pouvaient résulter de cette mesure. Le roi de Navarre donna l'ordre de courir sus à ces aventuriers et de les disperser. Le 2 février, il se porta, de sa personne, à Casteljaloux, pour presser l'exécution de cet ordre, et de Casteljaloux il poussa jusqu'à Bazas, afin de renouveler ses représentations auprès de Casse et de l'engager à détruire ses fortifications. Mais ce capitaine ayant rejeté toutes propositions d'arrangement, Henri fit raser sa maison dans les journées des 19 et 20 juillet 1583.»
Cette misérable affaire tourmenta, pendant plus d'un an, le roi de Navarre, contre qui le maréchal de Matignon et surtout la cour s'en firent toutes sortes d'arguments pour repousser ou ajourner ses légitimes revendications. Vers la fin de l'année, pourtant, Henri III, soit de son propre mouvement, soit à l'instigation de Catherine de Médicis ou de la reine de Navarre, qui était à la cour, invita formellement son beau-frère à venir, pour quelque temps, auprès de lui, afin d'arriver à une meilleure entente sur les points en litige et sur l'ensemble des affaires. Etait-ce de la part de Henri III une démarche machiavélique, ou l'effet de la sympathie qu'il eut toujours, dit-on, pour le roi de Navarre? Si l'histoire doute, à plus forte raison Henri fut-il porté à se méfier de cette invitation. Il y répondit, le 21 décembre, par une lettre dont Du Plessis-Mornay, dans ses Mémoires, s'attribue la rédaction. Après une dissertation pleine de gravité sur les dangers de la situation, et les irrégularités judiciaires qui jetaient le trouble dans son gouvernement de Guienne, le roi de Navarre oppose au roi de France cette piquante fin de non-recevoir: «Le plus grand plaisir et honneur que je puisse avoir, c'est d'être près de V. M., pour pouvoir déployer mon cœur devant Elle par quelques bons services. Mais une chose me retarde d'avoir cet heur si tôt, qui est que je désirerais, premier que partir d'ici, emporter ce contentement avec moi d'avoir éteint en cette province toute semence de troubles et altérations, pour n'avoir ce malheur et regret, quand je serais près de V. M., qu'il y eût encore quelque folie. Et, pour parler franchement, je ne vois cela si bien et si sincèrement accompli qu'il serait à souhaiter.» La plume et les conseils de Du Plessis-Mornay étaient à son service; mais cela n'eût point suffi, s'il n'y eût mis lui-même cet esprit de pénétration et de dextérité qui, dès la jeunesse, inspirèrent la plupart de ses actes et de ses déclarations. Il allait avoir grand besoin de ces qualités maîtresses.
CHAPITRE II
Déclarations de Henri au coadjuteur de Rouen. – Désordres en Rouergue, en Quercy et à Mont-de-Marsan. – Tentatives de corruption de l'Espagne, révélées par Henri au roi de France. – Correspondance latine avec les princes protestants de l'Europe. – Querelles de Henri III avec la reine de Navarre. – Marguerite chassée de la cour. – Arrestation de ses dames d'honneur. – Duplicité de Henri III. – Reprise de Mont-de-Marsan par le roi de Navarre. – Michel de Montaigne. – Actes arbitraires du maréchal de Matignon. – Réclamations de Henri. – Attitude des habitants de Casteljaloux. – Négociations au sujet du retour de Marguerite à Nérac. – La Ligue protestante: vues chimériques et but pratique.
Les deux premiers mois de l'année 1583 ne nous offrent aucun événement remarquable. Le 6 mars, Henri répondit de Nérac à une lettre pressante que lui adressait son cousin germain, Charles de Bourbon, coadjuteur de l'archevêque de Rouen. Le prélat, se plaçant sur le terrain purement politique, le conjurait de changer de religion. Il avait écrit, selon toute apparence, avec l'agrément de Henri III. Ce prince, voyant monter, peu à peu, le flot de la Ligue, saisissait toutes les occasions de donner ou de faire donner au roi de Navarre le conseil de rentrer dans l'Eglise, et par conséquent de détruire la raison ou le prétexte invoqué par les ligueurs. La réponse est d'une éloquence presque sacerdotale: il s'y trouve des mots qu'on admira plus tard dans les œuvres oratoires de Bossuet. «Vous m'alléguez qu'il peut mésavenir (arriver mal) au roi et à Monsieur. Je ne permets jamais à mon esprit de pourvoir de si loin à choses qu'il ne m'est bienséant ni de prévenir ni de prévoir… Mais quand Dieu en aurait ainsi ordonné (ce que n'advienne), celui qui aurait ouvert cette porte, par la même providence et puissance nous saurait bien aplanir la voie; car c'est lui par qui les rois règnent et qui a en sa main le cœur des peuples. Croyez-moi, mon cousin, que le cours de votre vie vous apprendra qu'il n'est que de se remettre en Dieu, qui conduit toutes choses, et qui ne punit jamais rien plus sévèrement que l'abus du nom de religion.»
Au mois d'avril et au mois de mai, il y eut en Guienne des «levées, armements et constructions militaires», que Henri signale à Matignon et désapprouve, les jugeant inutiles et de nature à répandre l'alarme. Quoique les relations fussent amicales entre le roi et le maréchal, il ne fut guère tenu compte de ces observations, qu'il dut renouveler et accentuer, au sujet de quelques mouvements en Rouergue et en Quercy et à Mont-de-Marsan. «Je vous prie, dit-il à Matignon, que vous nous veniez voir, le plus tôt que vous pourrez… Nous résoudrons s'il faudra aller à Mont-de-Marsan, ou en Quercy ou Rouergue, où les choses sont en mauvais état, et à quoi il est besoin de remédier, si on ne veut y voir un grand mal…» Il est presque démontré que Henri III, peu de temps après, laissa entrevoir au roi de Navarre qu'il le verrait, sans trop de déplaisir, rentrer dans la ville de Mont-de-Marsan; mais Matignon, selon ses habituelles façons d'agir, ou suivant des instructions secrètes de la cour, temporisa outre mesure. Henri, de son côté, fut obligé, par de graves préoccupations, de prendre plus longuement patience qu'il ne l'eût voulu et d'ajourner une revendication décisive. Il reçut, au mois de mai, de la cour d'Espagne, des propositions qu'un ambitieux vulgaire eût jugées séduisantes. «Le vicomte d'Echaus ou d'Etchau, sujet du roi de Navarre, dit Berger de Xivrey, avait un beau-frère nommé Udiano, sujet de Philippe II. Ce prince profita des relations entre ces deux gentilshommes, pour faire proposer au roi de Navarre une somme de trois cent mille écus à toucher immédiatement, suivie de cent mille écus par mois, s'il voulait faire la guerre à Henri III. Saint-Geniès et Mornay, chargés de refuser cette offre, eurent, en même temps, mission de faire prier le roi d'Espagne de prêter à leur maître, sans conditions politiques, une somme de cinq cent mille écus, pour laquelle il aurait engagé tous ses biens. Le roi d'Espagne ne prêta rien, et chercha inutilement à renouer l'affaire vers l'automne.»
Ce fut en ce moment, semble-t-il, que le roi prit le parti d'avertir Henri III des offres de l'Espagne. Seulement, soit par hasard, soit plutôt par un habile calcul politique, l'avis que Du Plessis-Mornay était chargé de transmettre ne parvint au roi de France qu'après la prise de Mont-de-Marsan par le roi de Navarre. La lettre qui accréditait Mornay fut écrite à la fin du mois de décembre: «La dévotion que j'ai et aurai, toute ma vie, à tout ce qui touche V. M. et le bien de son service, m'a fait dépêcher promptement le sieur Du Plessis, pour la grande confiance que j'ai en lui, et de sa fidélité, aussitôt que l'occasion s'est présentée d'affaires très importantes, et dont il est nécessaire que V. M. soit au plus tôt avertie et bien particulièrement informée. Il plaira à V. M. l'ouïr et le croire de ce qu'il vous dira de ma part, comme moi-même…»
Une note de Berger de Xivrey complète cet historique sommaire. Mornay avait été à la cour, au sujet de l'affaire de Marguerite. A ce moment (fin du mois de décembre 1583), il y retourna chargé de dévoiler au roi les tentatives de corruption du roi d'Espagne et l'entreprise formée pour livrer aux Espagnols la ville d'Arles. On mit beaucoup de mystère dans cette négociation. La Vie de Mornay place à la fin de 1583 le départ de l'envoyé, mais il n'arriva à la cour que dans le mois de janvier ou février. Quant à ce que dit d'Aubigné, copié par d'autres historiens, que Henri n'aurait-pas repoussé spontanément les propositions de Philippe II, et qu'il les eût acceptées définitivement, sans la mort de Monsieur, qui arriva le 10 juin 1584, il suffit de rapprocher cette assertion des dates et des faits authentiques, pour la réduire à néant: une semblable erreur, calomnie inconsciente, peut s'expliquer d'ailleurs par l'ignorance, où fut certainement laissé d'Aubigné, des négociations entre Philippe II et le roi de Navarre et des démarches de Henri auprès de la cour de France.
Avant cette affaire, le roi de Navarre en avait eu sur les bras plusieurs autres, dont il convient de parler avec quelques détails. Ce fut, d'abord, celle de Mont-de-Marsan, à travers les préoccupations de laquelle vint se jeter une volumineuse correspondance latine avec tous les princes protestants de l'Europe35, œuvre de Du Plessis-Mornay, qui, sous prétexte de travailler à l'établissement de la concorde et de l'unité de doctrine parmi les réformés, déjà divisés, s'efforçait de créer une Ligue protestante, pour l'opposer à la Ligue catholique, dont il redoutait la prochaine entrée en campagne. De la mi-juin aux premiers jours d'août, l'esprit de Henri est obsédé par les désordres en Rouergue, en Quercy et à Mont-de-Marsan, qu'il a déjà signalés à Matignon. On sent, dans ces lettres, que la patience lui échappe et qu'il finira par songer à quelque coup de vigueur. Il en méditait un, assurément, lorsque survint le scandale retentissant qui termina le séjour de la reine de Navarre à la cour de France.
Marguerite y était arrivée le 15 mars 1582. La légèreté de ses mœurs l'autorisait peu à faire la satire des mœurs du roi et de ses favoris. Elle s'attira par là leur animadversion; et sa liaison avec Monsieur, que Henri III avait toujours détesté, ajouta un grief politique à ceux qu'on fit valoir contre elle auprès de son frère. Le duc de Joyeuse, alors au comble de la faveur, était en mission à Rome. Henri III lui envoya une lettre qu'on supposa pleine d'épigrammes contre Marguerite. La reine de Navarre, devinant cet acte de vengeance, fit assassiner, dit-on, le courrier du roi et s'empara de la lettre. La vérité n'a jamais été entièrement divulguée au sujet de cet incident. Quoi qu'il en soit, les soupçons du roi tombèrent sur sa sœur, et il se répandit contre elle en injures et en menaces. Il lui reprocha, devant la cour, les désordres de sa vie, lui jeta au visage la liste de ses amants, et l'accusa même d'avoir eu un bâtard depuis son mariage. Il lui ordonna enfin de quitter sans délai Paris, afin de délivrer la cour de sa «présence contagieuse. Le lundi, huitième jour du présent mois d'août 1583, dit le journal de L'Estoile, la reine de Navarre, après avoir demeuré en la cour du roi son frère l'espace de dix-huit mois, partit de Paris, pour s'acheminer en Gascogne, retrouver le roi de Navarre son mari, par commandement du roi réitéré plusieurs fois…» Mais, à la réflexion, Henri III se ravisa, et jugeant politique d'ajouter un scandale à celui de la veille, pour avoir un prétexte de l'atténuer, il donna l'ordre de courir après sa sœur et de la séparer de deux de ses suivantes, Mme de Duras et Mlle de Béthune. Un capitaine des gardes, accompagné d'archers et d'arquebusiers, arrête la litière de la reine près de Palaiseau, force Marguerite à se démasquer, ce qui était la suprême injure pour une femme de qualité, à cette époque, maltraite Mme de Duras et Mlle de Béthune, et, laissant la reine presque seule continuer son voyage, les conduit prisonnières à l'abbaye de Ferrière, où elles subirent devant le roi lui-même, assure-t-on, un interrogatoire dont Henri III voulut avoir le procès-verbal. Le roi écrivit alors à son beau-frère qu'il s'était cru obligé de chasser d'auprès de la reine Mme de Duras et Mlle de Béthune «comme une vermine très pernicieuse, et non supportable auprès d'une princesse d'un tel rang»; mais il ne disait rien de l'affront subi en pleine cour par la reine elle-même. La lettre de Henri III trompa si bien le roi de Navarre, qu'il se crut obligé d'y répondre par des remercîments. «Je m'assure, disait-il, que quand ma femme aura su ce qui en est, elle ne pourra qu'elle ne reconnaisse l'honneur que Vos Majestés lui font d'avoir tant de soin de la dignité et réputation de sa personne et de sa maison… Au reste, il n'est pas besoin que je vous die que je la désire extrêmement ici, et qu'elle n'y sera jamais assez tôt venue.» Mais, dès que la vérité lui fut connue, «l'extrême désir» du roi se changea en répugnance. Il envoya d'abord Du Plessis-Mornay demander à Henri III des explications; d'Aubigné assure qu'il reçut une semblable mission, dont il rend compte dans ses Mémoires; et, vers la fin du mois de décembre 1583, Yolet fut chargé, à son tour, d'aller négocier, à ce sujet, auprès de la cour de France; car cette affaire avait dégénéré peu à peu en contestation politique, comme nous le verrons plus loin. Les négociations durèrent plus d'un an. Marguerite ne rentra que le 13 février 1585 à Nérac, où le roi la vit deux ou trois fois en passant, par politesse, mais sans pouvoir dissimuler le mépris qu'elle lui inspirait.
Les tribulations conjugales du roi de Navarre ne lui firent pas oublier ses vues sur Mont-de-Marsan: cette place était de son patrimoine; elle avait une importance de premier ordre, «assise, dit la Vie de Mornay, sur le confluent de deux rivières, et commandant un grand pays». Le traité de Fleix stipulait qu'elle serait rendue sans délai au roi de Navarre. A plusieurs reprises, il avait été mandé aux consuls de Mont-de-Marsan de recevoir ce prince et ses officiers, et au maréchal de Matignon, d'exiger des consuls l'obéissance. «Diverses jussions en avaient été expédiées, mais le maréchal, qui connaissait les intentions de la cour, tergiversait, depuis trois ans, et payait d'excuses le roi de Navarre.» Après avoir temporisé lui-même, à son corps défendant, Henri, au milieu des soucis et des tracas dont nous venons de parler, résolut d'en appeler à la force.
Le 19 novembre 1583, il écrivait à Saint-Geniès, son lieutenant-général en Béarn: «Ayant eu réponse du maréchal de Matignon, par laquelle je perds toute espérance de rentrer au Mont-de-Marsan par son moyen, je me résolus hier de faire exécuter une entreprise avec mes gardes et celles de M. le Prince, la nuit d'entre le dimanche et le lundi. Dont je n'ai voulu faillir de vous avertir par ce porteur exprès, vous priant faire tenir prêts six cents arquebusiers pour les faire acheminer audit Mont-de-Marsan, si vous avez un avertissement… De ma part, je m'y acheminerai aussi dès que je saurai la nouvelle.»
L'entreprise, mûrement projetée et conduite avec vigueur, réussit à souhait. «Le roi de Navarre, raconte la Vie de Mornay, portant impatiemment d'avoir été abusé tant de fois, ayant fait reconnaître Mont-de-Marsan par les sieurs de Castelnau, de Chalosse et de Mesmes, se résout de l'exécuter. M. le prince de Condé l'était venu voir à Nérac; sans autre amas, ils prennent leurs gardes et donnent à quelques-uns de leurs voisins rendez-vous au milieu des Landes. La nuit ensuivante, ils traversent la rivière qui sert de fossé à la ville, avec des petits bateaux d'une pièce, pour porter l'escalade à la muraille. L'escarpe était haute et pleine de buissons épais, tellement qu'il fallut chercher des serpes et s'y faire un chemin. Dieu voulut néanmoins qu'on leur en donnât le loisir, et, parvenus au pied de la muraille, ils y posèrent une échelle assez proche de la sentinelle, et par là entrèrent dans la ville. A l'alarme qui fut donnée par un coup de pistolet qui leur échappa, accourut le peuple, mais qui fut tôt dissipé sans meurtre que d'un seul; puis la porte fut ouverte au roi de Navarre, et le tout composé si promptement, qu'à huit heures du matin, les boutiques étaient ouvertes, chacun à sa besogne, sans aucune apparence d'hostilité.»
Aussitôt après la prise de Mont-de-Marsan, le roi de Navarre en donna avis à Michel de Montaigne, maire de Bordeaux, par une lettre que malheureusement Berger de Xivrey n'a pu ajouter à son précieux recueil. Du Plessis-Mornay écrivit encore, sur le même sujet, une lettre apologétique à Montaigne.
L'auteur des Essais jouissait dans la province de Guienne, et surtout à Bordeaux, d'une influence qu'il mit presque toujours au service des idées de conciliation. La cour de France prêtait volontiers l'oreille à ses conseils ou à ses réclamations. Ce fut à sa demande qu'en 1582, le roi accorda la suppression de la traite foraine, c'est-à-dire des droits qui grevaient les marchandises, à l'entrée ou à la sortie du port de Bordeaux, traite qui violait les droits antérieurs des Bordelais. De 1533 à 1585, les fréquentes absences du maréchal de Matignon, obligé de parcourir la province pour rétablir l'ordre, favorisèrent les velléités factieuses de la grande ville dont Montaigne avait l'administration. Usant d'un heureux mélange de modération et de fermeté, et au risque de perdre une popularité sans égale, il sut épargner à Bordeaux, sinon les émotions, du moins les troubles sanglants dont la cité avait été si souvent le théâtre, et qui devaient, dans la suite, ajouter plus d'une page de deuil à ses annales. Montaigne, esprit tolérant et pénétrant, était un des grands hommes du XVIe siècle les plus capables de comprendre le caractère et le génie du prince qu'il voyait s'élever entre les Valois dégénérés et la Ligue menaçante. Sa personne, ses actes et ses vues trouvèrent d'ailleurs toujours un accueil gracieux auprès du roi de Navarre. Vers la fin de cette année 1583, où nous le voyons recevoir les confidences de Henri, il avait présenté au prince gouverneur de Guienne une adresse dans laquelle le roi était supplié de maintenir, entre Bordeaux et Toulouse, les communications libres pour tous les bateaux de commerce qui naviguaient sur la Garonne. Ces communications étaient parfois interrompues par la garnison du Mas-de-Verdun, mal payée et cherchant à s'indemniser d'une mauvaise paie par des actes de piraterie. L'adresse sollicitait, en même temps, des dégrèvements considérables en faveur du «pauvre peuple», et suppliait le roi d'intercéder, dans ce sens, à la cour de France. Michel de Montaigne, maire, et de Lurbe, procureur-syndic, obtinrent aisément du roi de Navarre qu'il en écrivît au maréchal de Matignon et aux gouverneurs des places riveraines.
Au coup hardi mais légitime de Mont-de-Marsan, la cour et Matignon répondirent par des actes arbitraires, sur plusieurs points, mais surtout à Bazas, où le maréchal mit garnison royale, ce qui provoqua une énergique protestation du roi de Navarre: «Vous dites que le roi trouve mauvais que j'aie repris possession de ma ville et maison de Mont-de-Marsan, demeure ordinaire de mes prédécesseurs, et que S. M. trouve bon de continuer la garnison que vous avez mise en la ville de Bazas… Il ne le pourrait avoir commandé sans qu'on lui ait déguisé et mal interprété mes actions… et lui avoir celé la façon et modération dont j'ai usé en me remettant en ma maison. Tout cela ne peut tendre qu'à me rendre odieux et m'éloigner de sa bonne grâce, de quoi je ne puis être que très mal content, et que de cette façon on veuille, à mes dépens, se faire valoir… – Je ne sais ce que vous entendez faire, ni quelle autorité vous voulez prendre en mon gouvernement; de quoi je voudrais bien être promptement éclairci…»
Et, à la même heure, il écrit à Henri III pour justifier ses actes à Mont-de-Marsan, renouveler des remontrances peu écoutées, et se plaindre du constant retard apporté au paiement de sa pension, «qui est autrement considérable, dit-il, que les autres, comme V. M. le sait, parce qu'elle est fondée sur la perte d'un royaume faite pour le service de la couronne».
Ces apologies, ces plaintes, ces attaques, ces ripostes s'entre-croisent avec les messages relatifs au retour de Marguerite à Nérac. Instruit, à ce moment, de la conduite de Henri III envers la reine de Navarre, ayant d'ailleurs fait son deuil de toutes les espérances, de l'ordre privé ou de l'ordre politique, que son union avec Marguerite avait pu faire naître en lui, il ne traitait plus cette question qu'au point de vue strict des affaires. Le roi de France veut tenir garnison à Condom, à Agen, à Bazas et à Casteljaloux: c'est, selon Henri, vouloir l'enfermer à Nérac, où rien de lui ne sera libre, pas même sa personne. Il proteste, il veut avoir ses coudées franches, et, quand il les aura, il pourra offrir à la fille des Valois, dans sa bonne ville de Nérac, une hospitalité royale. Il avait réclamé contre les garnisons de Bazas, d'Agen et de Condom; il n'eut pas besoin de lutter sérieusement pour affranchir Casteljaloux des garnisaires de France. Ceux qui occupaient Bazas ayant été soupçonnés de projeter quelque entreprise contre certaines places du voisinage, l'ancienne ville des sires d'Albret reçut le message suivant du roi de Navarre: «Chers et bien-amés, ayant entendu de bon lieu que ceux de Bazas sont après à exécuter certaine entreprise sur quelque ville de ceux de la Religion… nous ne pouvons penser que ce ne soit sur notre ville de Casteljaloux, dont nous vous avons voulu avertir, par ce porteur exprès, afin que vous fassiez encore meilleure garde qu'à l'accoutumé et préveniez, par ce moyen, leur dessein…» Ces conseils furent suivis, et les habitants de Casteljaloux méritèrent, par leur vigilance, les remercîments que Henri leur adressait, quelques jours après: «… Nous sommes bien aise d'entendre le soin que vous apportez à la garde et conservation de notre ville de Casteljaloux. Et afin que vous ne soyez nullement empêchés d'y vaquer, avec l'ordre qu'il faut, nous mandons à notre cousin, le vidame de Chartres (gouverneur d'Albret) de permettre que vous mettiez dans notre château tel nombre d'hommes que vous aviserez, lorsque le temps et l'occasion le requerra, etc.»
Les négociations engagées à propos de la rentrée de Marguerite dans les Etats du roi de Navarre furent, nous l'avons dit, très laborieuses. Henri III s'y mêla en personne, avec une remarquable vivacité, et une des lettres qu'il écrivit, à ce sujet, vers la fin du mois de janvier 1584, nous révèle son esprit flottant, son caractère irrésolu, si peu faits, l'un et l'autre, pour venir à bout d'un homme à la fois aussi souple et aussi tenace que l'était ce Navarrais, ce «Béarnais», ce «roitelet de Gascogne», dont les mignons et les mignonnes du Louvre faisaient encore des gorges chaudes. Le roi de France disait, dans une dépêche à Bellièvre: «… Enfin, il (le roi de Navarre) demande que j'ôte les garnisons qui sont à dix lieues de ma ville de Nérac (Agen, Condom et Bazas), et qu'il recevra madite sœur et se remettra avec elle, selon mon intention; fondant telle demande sur ce qu'étant ledit Nérac sa principale demeure, il ne voit aucune sûreté pour sa personne, demeurant lesdites garnisons. A quoi vous me mandez qu'il a depuis ajouté que, considérant le mécontentement que j'avais de la négociation de Ségur, il estime que je le tiens pour criminel de lèse-majesté, et partant qu'il avait d'autant plus à se garder et penser à la conservation de sa vie.» Là-dessus, Henri III rétorque, à sa façon, les arguments du roi de Navarre, et il arrive à cette conclusion: «Toutes ces considérations, jointes aux justes occasions que j'ai de me défier de lui et des pratiques et menées qui se font pour troubler mon royaume, m'admonestent de persévérer en mon premier propos, et vouloir, devant toute autre chose, que mondit frère revoie madite sœur et la reçoive auprès de lui, comme la raison veut qu'il fasse. Cela fait, je suis content traiter et convenir avec lui de la sortie desdites garnisons…» – Et quatre lignes plus loin, il ajoute: «Toutefois, s'il s'obstine à ne le vouloir, je désire tant me mettre à la raison et obvier à toute altercation, que je suis content lui accorder…» – Il accordait précisément ce que demandait le roi de Navarre! Henri III est là tout entier.
La conclusion de l'affaire fut à peu près selon les vœux du roi de Navarre. Ni Condom, ni Agen ne gardèrent leurs garnisons, et l'on réduisit à cinquante hommes celle de Bazas. Cet accord ne fut définitivement établi que dans les premiers jours de l'année 1584. Vers la fin de l'année précédente, le roi de Navarre, à qui Henri III reprochait, comme on vient de le voir, ses négociations avec les princes protestants, stimule, à chaque instant, le zèle de ses agents et de ses coreligionnaires étrangers, par de nombreuses dépêches adressées aux souverains ou à leurs principaux ministres, et à Ségur, son ambassadeur en Angleterre; jusqu'au mois de juin 1584, où un grand événement va modifier la situation des partis et rapprocher l'heure des crises, ces négociations difficiles restent au premier rang de ses préoccupations. L'œuvre diplomatique de Henri consistait, dans l'ensemble, comme il le dit lui-même, à rechercher les moyens d'établir l'union entre toutes les Eglises et d'arriver, par là, à l'organisation d'une puissante ligue protestante; mais il est difficile d'admettre qu'un esprit aussi net et aussi pratique se soit abusé sur le côté chimérique de cette entreprise. A travers toutes ces négociations, auxquelles se mêla même, un instant, la pensée d'un mariage de Catherine de Bourbon avec le roi d'Ecosse, Henri cherchait surtout, et peut-être exclusivement, l'appui efficace de la reine d'Angleterre et des princes allemands; et cet appui n'était ni dans les discussions théologiques des synodes, ni dans la révision des symboles, mais dans les secours immédiats en hommes et en argent. Ces secours n'arrivèrent qu'à la dernière extrémité, et trop tard, malgré les promesses dont on leurrait, à la journée, les négociateurs de Henri. Ils jouèrent pourtant un rôle considérable dans la politique de cette période, soit tant qu'ils étaient à l'état de projet, soit lorsqu'on sentit leur poids dans la balance des événements.