Kitabı oku: «Aventures de Monsieur Pickwick, Vol. II», sayfa 17
– Il me laissa mille livres à moi, parce que j'avais épousé une de ses parentes, voyez-vous.
– Très-bien, murmura Sam.
– Et étant entouré d'un grand nombre de nièces et de neveux, qui étaient toujours à se disputer, il me fit son exécuteur et me chargea de diviser le reste entre eux, comme fidéi-commissaire.
– Qu'est-ce que vous entendez par-là, demanda Sam, en se réveillant un peu. Si ce n'est pas de l'argent comptant, à quoi ça sert-il?
– C'est un terme de loi qui veut dire qu'il avait confiance en moi.
– Je ne crois pas ça, répartit Sam en hochant la tête; il n'y a guère de confiance dans cette boutique-là. Mais c'est égal; marchez.
– Pour lors, dit le savetier; comme j'allais faire enregistrer le testament, les nièces et les neveux, qui étaient furieux de ne pas avoir tout l'argent, s'y opposent par un caveat.
– Qu'est-ce que c'est que ça?
– Un instrument légal. Comme qui dirait: halte-là!
– Je vois; un parent du ayez sa carcasse. Ensuite?
– Ensuite, voyant qu'ils ne pouvaient pas s'entendre entre eux sur l'exécution du testament, ils retirent le caveat et je paye tous les legs. À peine si j'avais fait tout cela, quand voilà un neveu qui demande l'annulation du testament. L'affaire se plaide quelques mois après devant un vieux gentleman sourd, dans une petite chambre à côté du cimetière de Saint-Paul; et après que quatre avocats ont passé chacun une journée à embrouiller l'affaire, il passe une semaine ou deux à réfléchir sur les pièces qui faisaient six gros volumes, et il donne son jugement comme quoi le testateur n'avait pas le cerveau bien solide, et comme quoi je dois payer de nouveau tout l'argent, avec tous les frais. J'en appelle. L'affaire vient devant trois ou quatre gentlemen très-endormis, qui l'avaient déjà entendue dans l'autre cour, où ils sont des avocats sans cause. La seule différence, c'est que dans l'autre cour on les appelait les délégués, et que dans cette cour-ci, on les appelle docteurs: tâchez de comprendre ça. Bien: ils confirment très-respectueusement la décision du vieux gentleman sourd. Mon homme de loi avait eu depuis longtemps tout mon argent, tellement qu'entre le principal, comme ils appellent ça, et les frais, je suis ici pour dix mille livres sterling, et j'y resterai à raccommoder des souliers jusqu'à ce que je meure. Quelques gentlemen ont parlé de porter la question devant le parlement, et je crois bien qu'ils l'auraient fait; seulement ils n'avaient pas le temps de venir me voir, et je ne pouvais pas aller leur parler, et ils se sont ennuyés de mes longues lettres, et ils ont abandonné l'affaire, et tout ceci, c'est la vérité devant Dieu, sans un mot de suppression ni d'exagération, comme le savent très-bien cinquante personnes tant ici que dehors.»
Le savetier s'arrêta pour voir quel effet son histoire avait produit sur Sam. Il s'était endormi. Le savetier secoua la cendre de sa pipe, la posa par terre à côté de lui, soupira, tira sa couverture sur sa tête, et s'endormit aussi.
Le lendemain matin, Sam étant activement engagé à polir les souliers de son maître et à brosser ses guêtres noires, dans la chambre du savetier, M. Pickwick se trouvait seul, à déjeûner, lorsqu'un léger coup fut frappé à sa porte. Avant qu'il eût eu le temps de crier entrez! il vit apparaître une tête chevelue et une calotte de velours de coton, articles d'habillement qu'il n'eut pas de peine à reconnaître comme la propriété personnelle de M. Smangle.
«Comment ça va-t-il? demanda ce vertueux personnage, en accompagnant cette question de deux ou trois signes de tête. Attendez-vous quelqu'un ce matin? Il y a trois gentlemen, des gaillards diablement élégants, qui demandent après vous, en bas, et qui frappent à toutes les portes. Aussi ils sont joliment rembarrés par les pensionnaires qui prennent la peine de leur ouvrir.
– Mais à quoi pensent-ils donc! dit M. Pickwick, en se levant. Oui, ce sont sans doute quelques amis que j'attendais plutôt hier.
– Des amis à vous! s'écria Smangle, en saisissant M. Pickwick par la main. En voilà assez, Dieu me damne! dès ce moment ils sont mes amis, et ceux de Mivins aussi: «Diablement agréable et distingué, cet animal de Mivins, hein?» dit M. Smangle avec grande sensibilité.
– Véritablement, répondit M. Pickwick avec hésitation, je connais si peu ce gentleman que…
– Je le sais, interrompit Smangle, en lui frappant sur l'épaule. Vous le connaîtrez mieux quelque jour; vous en serez charmé. Cet homme-là, monsieur, poursuivit Smangle, avec une contenance solennelle, a des talents comiques qui feraient honneur au théâtre de Drury-Lane.
– En vérité?
– Oui, de par Jupiter! Si vous l'entendiez quand il fait les quatre chats dans un tonneau! Ce sont bien quatre chats distincts, je vous en donne ma parole d'honneur. Vous voyez comme c'est spirituel? Dieu me damne! on ne peut pas s'empêcher d'aimer un homme qui a un talent pareil. Il n'a qu'un seul défaut, cette petite faiblesse dont je vous ai prévenu, vous savez?»
Comme, en cet endroit, M. Smangle dandina sa tête d'une manière confidentielle et sympathisante, M. Pickwick sentit qu'il devait dire quelque chose: «Ah! fit-il, en conséquence, et il regarda avec impatience vers la porte.
– Ah! répéta M. Smangle, avec un profond soupir; cet homme-là, monsieur, c'est une délicieuse compagnie; je ne connais pas de meilleure compagnie. Il n'a que ce petit défaut; si l'ombre de son grand-père lui apparaissait, il ferait une lettre de change sur papier timbré, et le prierait de l'endosser.
– Pas possible! s'écria M. Pickwick
– Oui, ajouta M. Smangle; et s'il avait le pouvoir de l'évoquer une seconde fois, il l'évoquerait au bout de deux mois et trois jours, pour renouveler son billet.
– Ce sont-là des traits fort remarquables, dit M. Pickwick; mais pendant que nous causons ici, j'ai peur que mes amis ne soient fort embarrassés pour me trouver.
– Je vais les amener, répondit Smangle en se dirigeant vers la porte. Adieu, je ne vous dérangerai point pendant qu'ils seront ici… À propos…»
En prononçant ces deux derniers mots, Smangle s'arrêta tout à coup, referma la porte, qu'il avait à moitié ouverte, et et retournant sur la pointe du pied près de M. Pickwick, lui dit tout bas à l'oreille:
«Vous ne pourriez pas, sans vous gêner, me prêter une demi-couronne jusqu'à la fin de la semaine prochaine?»
M. Pickwick put à peine s'empêcher de sourire; cependant il parvint à conserver sa gravité, tira une demi-couronne, et la plaça dans la main de M. Smangle. Celui-ci, après un grand nombre de clignements d'œil, qui impliquaient un profond mystère, disparut pour chercher les trois étrangers, avec lesquels il revint bientôt après. Alors ayant toussé trois fois, et fait à M. Pickwick autant de signes de tête, comme une assurance qu'il n'oublierait pas sa dette, il donna des poignées de main à toute la compagnie, d'une manière fort engageante, et se retira.
«Mes chers amis, dit M. Pickwick en pressant alternativement les mains de M. Tupman, de M. Winkle et de M. Snodgrass, qui étaient les trois visiteurs en question; je suis enchanté de vous voir.»
Le triumvirat était fort affecté. M. Tupman branla la tête d'un air éploré; M. Snodgrass tira son mouchoir, avec une émotion visible; M. Winkle se retira à la fenêtre, et renifla tout haut.
«Bonjour gentlemen, dit Sam, qui entrait en ce moment avec les souliers et les guêtres. Plus de mérancolie, comme disait l'écolier quand la maîtresse de pension mourut. Soyez les bienvenus à la prison, gentlemen.
– Ce fou de Sam, dit M. Pickwick en lui tapant sur la tête, pendant qu'il s'agenouillait pour boutonner les guêtres de son maître, ce fou de Sam, qui s'est fait arrêter pour rester avec moi!
– Quoi! s'écrièrent les trois amis.
– Oui, gentlemen, dit Sam, je suis… Tenez-vous tranquille, monsieur, s'il vous plaît… Je suis prisonnier, gentlemen. Me voilà confiné18, comme disait la petite dame.
– Prisonnier, s'écria M. Winkle avec une véhémence inconcevable.
– Ohé, monsieur? reprit Sam, en levant la tête; qu'est-ce qu'il y a, monsieur?
– J'avais espéré Sam, que… C'est-à-dire… Rien, rien,» répondit M. Winkle précipitamment.
Il y avait quelque chose de si brusque et de si égaré dans les manières de M. Winkle, que M. Pickwick regarda involontairement ses deux amis, comme pour leur demander une explication.
«Nous n'en savons rien, dit M. Tupman, en réponse à ce muet appel. Il a été fort agité ces deux jours-ci, et tout à fait différent de ce qu'il est ordinairement. Nous craignions qu'il n'eût quelque chose, mais il le nie résolûment.
– Non, non, dit M. Winkle en rougissant sous le regard de M. Pickwick, je n'ai vraiment rien, je vous assure que je n'ai rien, mon cher monsieur; seulement je serai obligé de quitter la ville, pendant quelque temps, pour une affaire privée, et j'avais espéré que vous me permettriez d'emmener Sam.»
La physionomie de M. Pickwick exprima encore plus d'étonnement.
«Je pense, balbutia M. Winkle, que Sam ne s'y serait pas refusé; mais évidemment cela devient impossible, puisqu'il est prisonnier ici. Je serai donc obligé d'aller tout seul.»
Pendant que M. Winkle disait ceci, M. Pickwick sentit, avec quelque étonnement, que les doigts de Sam tremblaient en attachant ses guêtres, comme s'il avait été surpris ou ému. Quand M. Winkle eut cessé de parler, Sam leva la tête pour le regarder, et quoique le coup d'œil qu'ils échangèrent ne dura qu'un instant, ils eurent l'air de s'entendre.
«Sam, dit vivement M. Pickwick, savez-vous quelque chose de ceci?
– Non monsieur, répliqua Sam, en recommençant à boutonner avec une assiduité extraordinaire.
– En êtes-vous sûr, Sam?
– Eh! mais, monsieur, je suis bien sûr que je n'ai jamais rien entendu sur ce sujet, jusqu'à présent. Si je fais quelques conjectures là-dessus, ajouta Sam, en regardant M. Winkle, je n'ai pas le droit de dire ce que c'est, de peur de me tromper.
– Et moi je n'ai pas le droit de m'ingérer davantage dans les affaires d'un ami, quelque intime qu'il soit, reprit M. Pickwick, après un court silence. À présent je dirai seulement que je n'y comprends rien du tout. Mais en voilà assez là-dessus.»
M. Pickwick s'étant ainsi exprimé, amena la conversation sur un autre sujet, et M. Winkle parut graduellement plus à son aise, quoiqu'il fût encore loin de l'être tout à fait. Cependant nos amis avaient tant de choses à se dire, que la matinée s'écoula rapidement. Vers trois heures, Sam posa sur une petite table un gigot de mouton et un énorme pâté, sans parler de plusieurs plats de légumes et de force pots de porter, qui se promenaient sur les chaises et sur les canapés. Quoique ce repas eût été acheté et dressé dans une cuisine voisine de la prison, chacun se montra disposé à y faire honneur.
Au porter succédèrent une bouteille ou deux d'excellent vin, pour lequel M. Pickwick avait dépêché un exprès au café de la Corne, dans Doctors' Common. Pour dire la vérité, la bouteille ou deux pourraient être plus convenablement énoncées comme une bouteille ou six, car avant qu'elles fussent bues et le thé achevé, la cloche commença à sonner pour le départ des étrangers.
Si la conduite de M. Winkle avait été inexplicable dans la matinée, elle devint tout à fait surnaturelle, lorsqu'il se prépara à prendre congé de son ami, sous l'influence des bouteilles vidées. Il resta en arrière jusqu'à ce que MM. Tupman et Snodgrass eussent disparu, et alors, saisissant la main de M. Pickwick, avec une physionomie où le calme d'une résolution désespérée se mêlait effroyablement avec la quintessence de la tristesse:
«Bonsoir, mon cher monsieur, lui dit-il entre ses dents jointes.
– Dieu vous bénisse, mon cher garçon! répliqua M. Pickwick, en serrant avec chaleur la main de son jeune ami.
– Allons donc! cria M. Tupman de la galerie.
– Oui, oui, sur-le-champ, répondit M. Winkle. Bonsoir!
– Bonsoir,» dit M. Pickwick.
Un autre bonsoir fut échangé, puis un autre, puis une demi-douzaine d'autres, et cependant M. Winkle tenait encore solidement la main du philosophe, et considérait son visage avec la même expression extraordinaire.
«Vous serait-il arrivé quelque chose? lui demanda à la fin M. Pickwick, lorsqu'il eut le bras fatigué de secousses.
– Non, non.
– Eh bien! alors, bonsoir, reprit-il en essayant de dégager sa main.
– Mon ami, mon bienfaiteur, mon respectable mentor, murmura M. Winkle en le saisissant par le poignet; ne me jugez pas sévèrement, et lorsque vous apprendrez à quelles extrémités des obstacles insurmontables…
– Allons donc! dit M. Tupman, en reparaissant à la porte. Si vous ne venez pas, nous allons être enfermés ici!
–Oui, oui; je suis prêt,» répliqua M. Winkle, et par un violent effort il s'arracha de la chambre de M. Pickwick.
Notre philosophe le suivait des yeux le long du corridor, dans un muet étonnement, lorsque Sam parut au haut de l'escalier, et chuchota un instant à l'oreille de M. Winkle.
«Oh! certainement, comptez sur moi, répondit tout haut celui-ci.
– Merci, monsieur. Vous ne l'oublierez pas, monsieur?
– Non, assurément.
– Bonne chance, monsieur, dit Sam, en touchant son chapeau. J'aurais beaucoup aimé aller avec vous, monsieur; mais naturellement le gouverneur avant tout.
– Vous avez raison, cela vous fait honneur, dit M. Winkle;» et en parlant ainsi, les interlocuteurs descendaient l'escalier et disparaissaient.
«C'est très-extraordinaire! pensa M. Pickwick, en rentrant dans sa chambre et en s'asseyant près de sa table dans une attitude réfléchie. Qu'est-ce que ce jeune homme peut aller faire?»
Il y avait quelque temps qu'il ruminait sur cette idée, lorsque la voix de Roker, le guichetier, demanda s'il pouvait entrer.
«Certainement, dit M. Pickwick.
– Je vous ai apporté un traversin plus doux, monsieur, en place du provisoire que vous aviez la nuit dernière.
– Je vous remercie. Voulez-vous prendre un verre de vin?
– Vous êtes bien bon, monsieur, répliqua M. Roker en acceptant le verre. À la vôtre, monsieur.
– Bien obligé.
– Je suis fâché de vous apprendre que votre propriétaire n'est pas très-bien portant ce soir, monsieur, dit le guichetier, en inspectant la bordure de son chapeau, avant de le remettre sur sa tête.
– Quoi! le prisonnier de la chancellerie? s'écria M. Pickwick.
– Il ne sera pas longtemps prisonnier de la chancellerie, monsieur, répliqua Roker, en tournant son chapeau, de manière à pouvoir lire le nom du chapelier.
– Vous me faites frissonner, reprit M. Pickwick. Qu'est-ce que vous voulez dire!
– Il y a longtemps qu'il est poitrinaire, et il avait bien de la peine à respirer cette nuit. Depuis plus de six mois, le docteur nous dit que le changement d'air pourrait seul le sauver.
– Grand Dieu! s'écria M. Pickwick, cet homme a-t-il été lentement assassiné par la loi, durant six mois?
– Je ne sais pas ça, monsieur, repartit Roker, en pesant son chapeau par les bords dans ses deux mains; je suppose qu'il serait mort de même partout ailleurs. Il est allé à l'infirmerie ce matin. Le docteur dit qu'il faut soutenir ses forces autant que possible, et le gouverneur lui envoie du vin et du bouillon de sa maison. Ce n'est pas la faute du gouverneur, monsieur.
– Non, sans doute, répliqua promptement M. Pickwick.
– Malgré cela, reprit Roker en hochant la tête, j'ai peur que tout ne soit fini pour lui. J'ai offert à Neddy, tout à l'heure, de lui parier une pièce de vingt sous contre une de dix, qu'il n'en reviendrait pas, mais il n'a pas voulu tenir le pari, et il a bien fait. Je vous remercie, monsieur. Bonne nuit, monsieur.
– Attendez, dit M. Pickwick avec chaleur, où est l'infirmerie?
– Juste au-dessous de votre chambre, monsieur, je vais vous la montrer si vous voulez.»
M. Pickwick saisit son chapeau sans parler et suivit immédiatement le guichetier.
Celui-ci le conduisit en silence, et levant doucement le loquet de la porte de l'infirmerie, lui fit signe d'entrer. C'était une grande chambre nue, désolée, où il y avait plusieurs lits de fer; l'un d'eux contenait l'ombre d'un homme maigre, pâle, cadavéreux. Sa respiration était courte et oppressée: à chaque minute il gémissait péniblement. Au chevet du lit était assis un petit vieux, portant un tablier de savetier, et qui, à l'aide d'une paire de lunettes à monture de corne, lisait tout haut un passage de la bible. C'était l'heureux légataire.
Le malade posa sa main sur le bras du vieillard et lui fit signe de s'arrêter. Celui-ci ferma le livre et le plaça sur le lit.
«Ouvrez la fenêtre,» dit le malade.
Elle fut ouverte, et le roulement des charrettes et des carrosses, les cris des hommes et des enfants, tous les bruits affairés d'une puissante multitude, pleine de vie et d'occupations, pénétrèrent aussitôt dans la chambre, confondus en un profond murmure. Par-dessus, s'élevaient de temps en temps quelques éclats de rire joyeux ou quelques lambeaux de chansons comiques, qui se perdaient ensuite parmi le tumulte des voix et des pas, sourds mugissements des flots agités de la vie, qui roulaient pesamment au dehors.
Dans toutes les situations, ces sons confus et lointains paraissent mélancoliques à celui qui les écoute de sang-froid, mais combien plus à celui qui veille auprès d'un lit de mort!
«Il n'y a pas d'air ici, dit le malade d'une voix faible. Ces murs le corrompent. Il était frais à l'entour quand je m'y promenais, il y a bien des années, mais en entrant dans la prison il devient chaud et brûlant… Je ne puis plus le respirer.
– Nous l'avons respiré ensemble pendant longtemps, dit le savetier. Allons, allons, patience!»
Il se fit un court silence pendant lequel les deux spectateurs s'approchèrent du lit. Le malade attira sur son lit la main de son vieux camarade de prison et la retint serrée avec affection, dans les siennes.
«J'espère, bégaya-t-il ensuite d'une voix entrecoupée et si faible que ses auditeurs se penchèrent sur son lit pour recueillir les sons à demi formés qui s'échappaient de ses lèvres livides; j'espère que mon juge plein de clémence n'oubliera pas la punition que j'ai soufferte sur terre. Vingt années, mon ami, vingt années dans cette hideuse tombe! Mon cœur s'est brisé, quand mon enfant est morte, et je n'ai pas même pu l'embrasser dans sa petite bière! Depuis lors, au milieu de tous ces bruits et de ces débauches, ma solitude a été terrible. Que Dieu me pardonne! il a vu mon agonie solitaire et prolongée!»
Après ces mots, le vieillard joignit les mains et murmura encore quelque chose, mais si bas qu'on ne pouvait l'entendre, puis il s'endormit. Il ne fit que s'endormir d'abord, car les assistants le virent sourire.
Pendant quelques minutes ils parlèrent entre eux, à voix basse, mais le guichetier s'étant courbé sur le traversin se releva précipitamment. «Ma foi! dit-il, le voilà libéré à la fin.»
Cela était vrai. Mais durant sa vie il était devenu si semblable à un mort, qu'on ne sut point dans quel instant il avait expiré.
CHAPITRE XVI
Où l'on décrit une entrevue touchante entre M. Samuel Weller et sa famille. M. Pickwick fait le tour du petit monde qu'il habite, et prend la résolution de ne s'y mêler, à l'avenir, que le moins possible
Quelques matinées après son incarcération, Sam ayant arrangé la chambre de son maître avec tout le soin possible, et ayant laissé le philosophe confortablement assis près de ses livres et de ses papiers, se retira pour employer une heure ou deux le mieux qu'il pourrait. Comme la journée était belle, il pensa qu'une pinte de porter, en plein air, pourrait embellir son existence, aussi bien qu'aucun autre petit amusement dont il lui serait possible de se régaler.
Étant arrivé à cette conclusion, il se dirigea vers la buvette, acheta sa bière, obtint en outre un journal de l'avant-veille, se rendit à la cour du jeu de quilles, et, s'asseyant sur un banc, commença à s'amuser d'une manière très-méthodique.
D'abord il but un bon coup de bière, et levant les yeux vers une croisée, lança un coup d'œil platonique à une jeune lady qui y était occupée à peler des pommes de terre; ensuite il ouvrit le journal et le plia de manière à mettre au-dessus le compte rendu des tribunaux; mais comme ceci est une œuvre difficile, surtout quand il fait du vent, il prit un autre coup de bière aussitôt qu'il en fut venu à bout. Alors il lut deux lignes du journal, et s'arrêta pour contempler deux individus qui finissaient une partie de paume. Lorsqu'elle fut terminée, il leur cria: Très-bien, d'une manière encourageante, puis regarda tout autour de lui pour savoir si le sentiment des spectateurs coincidait avec le sien. Ceci entraînait la nécessité de regarder aussi aux fenêtres; et comme la jeune lady était encore à la sienne, ce n'était qu'un acte de pure politesse de cligner de l'œil de nouveau et de boire à sa santé, en pantomime, un autre coup de bière. Sam n'y manqua pas; puis ayant hideusement froncé ses sourcils à un petit garçon qui l'avait regardé faire avec des yeux tout grands ouverts, il se croisa les jambes, et, tenant le journal à deux mains, commença à lire sérieusement.
À peine s'était-il recueilli dans l'état d'abstraction nécessaire, quand il crut entendre qu'on l'appelait dans le lointain. Il ne s'était pas trompé, car son nom passait rapidement de bouche en bouche, et peu de secondes après l'air retentissait des cris de: Weller! Weller!
«Ici, beugla Sam, d'une voix de Stentor. Qu'est-ce qu'il y a? Qu'est-ce qu'a besoin de lui? Est-ce qu'il est venu un exprès pour lui dire que sa maison de campagne est brûlée?
– On vous demande au parloir, dit un homme en s'approchant.
– Merci, mon vieux, répondit Sam. Faites un brin attention à mon journal et à mon pot ici, s'il vous plaît. Je reviens tout de suite. Dieu me pardonne! si on m'appelait à la barre du tribunal, on ne pourrait pas faire plus de bruit que cela.»
Sam accompagna ces mots d'une légère tape sur la tête du jeune gentleman ci-devant cité, lequel, ne croyant pas être si près de la personne demandée, criait Weller! de tous ses poumons; puis il traversa la cour, et, montant les marches quatre à quatre, se dirigea vers le parloir. Comme il y arrivait, la première personne qui frappa ses regards fut son cher père, assis au bout de l'escalier, tenant son chapeau dans sa main et vociférant Weller! de toutes ses forces, de demi-minute en demi-minute.
«Qu'est-ce que vous avez à rugir? demanda Sam impétueusement, quand le vieux gentleman se fut déchargé d'un autre cri. Vous voilà d'un si beau rouge que vous avez l'air d'un souffleur de bouteilles en colère; qu'est-ce qu'il y a?
– Ah! répliqua M. Weller. Je commençais à craindre que tu n'aies été faire un tour au parc, Sammy.
– Allons! reprit Sam, n'insultez pas comme cela la victime de votre avarice. Otez-vous de cette marche. Pourquoi êtes-vous assis là? Ce n'est pas mon appartement.
– Tu vas voir une fameuse farce, Sammy, dit M. Weller en se levant.
– Attendez une minute, dit Sam. Vous êtes tout blanc par derrière.
– Tu as raison, Sammy: ôte cela, répliqua M. Weller pendant que son fils l'époussetait. Ça pourrait passer pour une personnalité de se montrer ici avec un habit blanchi à la chaux19.»
Comme M. Weller montrait, en parlant ainsi, des symptômes non équivoques d'un prochain accès de rire, Sam se hâta de l'arrêter.
«Tenez-vous tranquille, lui dit-il. Je n'ai jamais vu un grimacier comme ça. Qu'est-ce que vous avez à vous crever maintenant?
– Sammy, dit M. Weller en essuyant son front, j'ai peur qu'un de ces jours, à force de rire, je ne gagne une attaque d'apoplexie, mon garçon.
– Eh bien! alors, pourquoi riez-vous, demanda Sam. Voyons, qu'est-ce que vous avez à me dire maintenant?
– Devine qui est venu ici avec moi, Samivel? dit M. Weller en se reculant d'un pas ou deux, en pinçant ses lèvres et en relevant ses sourcils.
– M. Pell?»
M. Weller secoua la tête, et ses joues roses se gonflèrent de tous les rires qu'il s'efforçait de comprimer.
«L'homme au teint marbré peut-être?
M. Weller secoua la tête de nouveau.
«Et qui donc, alors?
– Ta belle-mère, Sammy, s'écria le gros cocher, fort heureusement pour lui, car autrement ses joues auraient nécessairement crevé, tant elles étaient distendues. Ta belle-mère, Sammy, et l'homme au nez rouge, mon garçon; et l'homme au nez rouge. Ho! ho! ho!»
En disant cela, M. Weller se laissa aller à de joyeuses convulsions, tandis que Sam le regardait avec un plaisant sourire, qui se répandait graduellement sur toute sa physionomie.
«Ils sont venus pour avoir une petite conversation sérieuse avec toi, Samivel, reprit M. Weller en essuyant ses yeux. Ne leur laisse rien suspecter sur ce créancier dénaturé.
– Comment, ils ne savent pas qui c'est?
– Pas un brin.
– Où sont-ils? reprit Sam, dont le visage répétait toutes les grimaces du vieux gentleman.
– Dans le divan, près du café. Attrape l'homme au nez rouge où ce qu'il n'y a pas de liqueurs, et tu seras malin, Samivel. Nous avons eu une agréable promenade en voiture ce matin pour venir du marché ici, poursuivit M. Weller quand il se sentit capable de parler d'une manière plus distincte. Je conduisais la vieille pie dans le petit char à bancs qu'a appartenu au premier essai de ta belle-mère. On y avait mis un fauteuil pour le berger, et je veux être pendu, Samivel, continua M. Weller avec un air de profond mépris, si on n'a pas apporté sur la route, devant not' porte un marchepied pour le faire monter!
– Bah!.. C'est pas possible?
– C'est la vérité, Sammy; et je voudrais que tu l'aies vu se tenir aux côtés en montant, comme s'il avait eu peur de tomber de six pieds de haut et d'être broyé en un million de morceaux. Malgré ça, il est monté à la fin, et nous voilà partis; mais j'ai peur… j'ai bien peur, Sam, qu'il a été un peu cahoté quand nous tournions les coins.
– Ah! je suppose que vous aurez accroché une borne ou deux?
– Je le crains, Sammy; je crains d'en avoir accroché quelques-unes, repartit M. Weller en multipliant les clins d'œil. J'en ai peur, Sammy. Il s'envolait hors du fauteuil tout le long de la route.»
Ici M. Weller roula sa tête d'une épaule à l'autre en faisant entendre une sorte de râlement enroué, accompagné d'un gonflement soudain de tous ses traits, symptômes qui n'alarmèrent pas légèrement son fils.
«Ne t'effraye pas, Sammy; ne t'effraye pas, dit-il quand, à force de se tortiller et de frapper du pied, il eut recouvré la voix. C'est seulement une espèce de rire tranquille que j'essaye.
– Eh bien! si ce n'est que ça, vous ferez bien de ne pas essayer trop souvent; vous trouveriez que c'est une invention un peu dangereuse.
– Tu ne l'admires pas, Sammy?
– Pas du tout.
– Ah! dit M. Weller avec des larmes qui coulaient encore le long de ses joues, ç'aurait été un bien grand avantage pour moi, si j'avais pu m'y habituer; ça m'aurait sauvé bien des mauvaises paroles avec ta belle-mère. Mais tu as raison: c'est trop dans le genre de l'apoplexie, beaucoup trop, Samivel.»
Cette conversation amena nos deux personnages à la porte du divan. Sam s'y arrêta un instant, jeta par-dessus son épaule un coup d'œil malin à son respectable auteur, qui ricanait derrière lui, puis il tourna le bouton et entra.
«Belle-mère, dit-il en embrassant poliment la dame, je vous suis très-obligé pour cette visite ici. Berger, comment ça vous va-t-il?
– Ah! Samuel, dit Mme Weller, ceci est épouvantable.
– Pas du tout, madame. N'est-ce pas, Berger?» répondit Sam.
M. Stiggins leva ses mains et tourna les yeux vers le ciel, de manière à n'en plus laisser voir que le blanc, ou plutôt que le jaune; mais il ne fit point de réponse vocale.
«Est-ce que ce gentilhomme se trouve mal? demanda Sam à sa belle-mère.
– L'excellent homme est peiné de vous voir ici, répliqua Mme Weller.
– Oh! c'est-il tout? En le voyant j'avais peur qu'il n'eût oublié de prendre du poivre avec les dernières concombres qu'il a mangées. Asseyez-vous, monsieur, les chaises ne se payent point, comme le roi remarqua à ses ministres, le jour où il voulait leur flanquer une semonce.
– Jeune homme, dit M. Stiggins avec ostentation, j'ai peur que vous ne soyez pas amendé par l'emprisonnement.
– Pardon, monsieur, qu'est-ce que vous aviez la bonté d'observer?
– Je crains, jeune homme, que ce châtiment ne vous ait pas adouci, répéta M. Stiggins d'une voix sonore.
– Ah! monsieur, vous êtes bien bon; j'espère bien que je ne suis pas trop doux20; je vous suis bien obligé, monsieur pour vot' bonne opinion.»
À cet endroit de la conversation, un son, qui approchait indécemment d'un éclat de rire, se fit entendre du côté où était assis M. Weller, et sa moitié, ayant rapidement considéré le cas, crut devoir se payer graduellement une attaque de nerfs.
«Weller, s'écria-t-elle, venez ici! (Le vieux gentleman était assis dans un coin.)
– Bien obligé, ma chère; je suis tout à fait bien où je suis.»
À cette réponse Mme Weller fondit en larmes.
«Qu'est-ce qu'il y a, maman? lui demanda Sam.
– Oh! Samuel, répliqua-t-elle, votre père me rend bien malheureuse! il n'est donc sensible à rien?
– Entendez-vous cela? dit Sam. Madame demande si vous n'êtes sensible à rien.
– Bien obligé de sa politesse, Sammy. Je pense que je serais très-sensible au don d'une pipe de sa part. Puis-je en avoir une, mon garçon?»
En entendant ces mots, Mme Weller redoubla ses pleurs, et M. Stiggins poussa un gémissement.
«Ohé! voilà l'infortuné gentleman qui est retombé, dit Sam en se retournant. Où ça vous fait-il mal, monsieur?
– Au même endroit, jeune homme, au même endroit.
– Où cela peut-il être, monsieur? demanda Sam, avec une grande simplicité extérieure.
«Dans mon sein, jeune homme,» répondit M. Stiggins, en appuyant son parapluie sur son gilet.
À cette réponse touchante, Mme Weller incapable de contenir son émotion, sanglota encore plus bruyamment, en affirmant que l'homme au nez rouge était un saint.
«Maman, dit Sam, j'ai peur que ce gentleman, avec le tic dans sa physolomie, ne soit un peu altéré par le mélancolique spectacle qu'il a sous les yeux. C'est-il le cas, maman?»
La digne lady regarda M. Stiggins pour avoir une réponse, et celui-ci, avec de nombreux roulements d'yeux, serra son gosier de sa main droite, et imita l'acte d'avaler, pour exprimer qu'il avait soif.
«Samuel, dit Mme Weller d'une voix dolente, je crains en vérité que ces émotions ne l'aient altéré.