Kitabı oku: «Aventures de Monsieur Pickwick, Vol. II», sayfa 3
«Mon désir de vous être présenté dans un semblable but, monsieur, paraît sans doute fort extraordinaire à une personne qui voit tant d'affaires du même genre?»
L'avocat essaya de regarder gravement son feu, mais il eut beau faire, le sourire revint encore sur ses lèvres. M. Pickwick continua:
«Les gentlemen de votre profession, monsieur, voient toujours le plus mauvais côté de la nature humaine. Toutes les discussions, toutes les rancunes, toutes les haines, se produisent devant vous. Vous savez par expérience jusqu'à quel point les jurés se laissent prendre par la mise en scène, et naturellement vous attribuez aux autres le désir d'employer, dans un but d'intérêt et de déception, le moyen dont vous connaissez si bien la valeur, parce que vous l'employez constamment dans l'intention louable et honorable de faire tout ce qui est possible en faveur de vos clients. Je crois qu'il faut attribuer à cette cause l'opinion vulgaire mais générale, que vous êtes, comme corps, froids, soupçonneux, égoïstes. Je sais donc fort bien, monsieur, tout le désavantage qu'il y a à vous faire une semblable déclaration, dans la circonstance où je me trouve. Néanmoins, comme vous l'a dit mon ami, M. Perker, je suis venu ici pour vous déclarer positivement que je suis innocent de l'action qu'on m'impute; et quoique je connaisse parfaitement l'inestimable valeur de votre assistance, je vous demande la permission d'ajouter que je renoncerais à me servir de votre talent, si vous n'étiez pas absolument convaincu de ma sincérité.»
Longtemps avant la fin de ce discours (qui, nous devons le dire, était d'une nature fort prolixe pour M. Pickwick), l'avocat était retombé dans ses distractions. Cependant, au bout de quelques minutes de silence et après avoir repris sa plume, il parut se ressouvenir de la présence de son client, et levant les yeux de dessus son papier, il dit d'un ton assez brusque:
«Qui est-ce qui est avec moi dans cette cause?
– M. Phunky, répliqua l'avoué.
– Phunky? Phunky? Je n'ai jamais entendu ce nom-là. C'est donc un jeune homme?
– Oui, c'est un très-jeune homme. Il n'y a que quelques semaines qu'il a plaidé sa première cause, il n'y a pas encore huit ans qu'il est au barreau.
– Oh! c'est ce que je pensais, reprit maître Snubbin, avec cet accent de commisération que l'on emploie dans le monde pour parler d'un pauvre petit enfant sans appui. – M. Mallard, envoyez chez monsieur… monsieur…
– Phunky, Holborn-Court, suppléa M. Perker
– Très-bien. Faites-lui dire, je vous prie, de venir ici un instant.»
M. Mallard partit pour exécuter sa commission, et maître Snubbin retomba dans son abstraction, jusqu'au moment où M. Phunky fut introduit.
M. Phunky était un homme d'un âge mûr, quoique un avocat en bourgeon. Il avait des manières timides, embarrassées, et en parlant, il hésitait péniblement. Cependant ce défaut ne semblait pas lui être naturel, mais paraissait provenir de la conscience qu'il avait des obstacles que lui opposait son manque de fortune ou de protections, ou peut-être bien de savoir faire. Il était intimidé par l'avocat, et se montrait obséquieusement poli pour l'avoué.
«Je n'ai pas encore eu le plaisir de vous voir, M. Phunky,» dit maître Snubbin avec une condescendance hautaine.
M. Phunky salua. Il avait eu, pendant huit ans et plus, le plaisir de voir maître Snubbin, et de l'envier aussi, avec toute l'envie d'un homme pauvre.
«Vous êtes avec moi dans cette cause, à ce que j'apprends? poursuivit l'avocat.»
Si M. Phunky avait été riche, il aurait immédiatement envoyé chercher son clerc, pour savoir ce qui en était; s'il avait été habile, il aurait appliqué son index à son front et aurait tâché de se rappeler si, dans la multitude de ses engagements, il s'en trouvait un pour cette affaire: mais, comme il n'était ni riche ni habile (dans ce sens, du moins), il devint rouge et salua.
«Avez-vous lu les pièces, M. Phunky? continua le grand avocat.»
Ici encore, M. Phunky aurait dû déclarer qu'il n'en avait aucun souvenir; mais comme il avait examiné tous les papiers qui lui avaient été remis, et comme, le jour ou la nuit, il n'avait pas pensé à autre chose depuis deux mois qu'il avait été retenu comme junior de maître Snubbin, il devint encore plus rouge, et salua sur nouveaux frais.
«Voici M. Pickwick, reprit l'avocat en agitant sa plume dans la direction de l'endroit où notre philosophe se tenait debout.
M. Phunky salua M. Pickwick avec toute la révérence qu'inspire un premier client, et ensuite inclina la tête du côté de son chef.
«Vous pourriez emmener M. Pickwick, dit maître Snubbin, et… et… et écouter tout ce que M. Pickwick voudra vous communiquer. Après cela, nous aurons une consultation, naturellement.»
Ayant ainsi donné à entendre qu'il avait été dérangé suffisamment, maître Snubbin qui était devenu de plus en plus distrait, appliqua son lorgnon à ses yeux, pendant un instant, salua légèrement, et s'enfonça plus profondément dans l'affaire qu'il avait devant lui. C'était une prodigieuse affaire; une interminable procédure occasionnée par le fait d'un individu, décédé depuis environ un siècle, et qui avait envahi un sentier conduisant d'un endroit d'où personne n'était jamais venu, à un autre endroit où personne n'était jamais allé!
M. Phunky ne voulant jamais consentir à passer une porte avant M. Pickwick et son avoué, il leur fallut quelque temps avant d'arriver dans le square. Ils s'y promenèrent longtemps en long et en large, et le résultat de leur conférence fut qu'il était fort difficile de prévoir si le verdict serait favorable ou non; que personne ne pouvait avoir la prétention de prédire le résultat de l'affaire; enfin qu'on était fort heureux d'avoir prévenu l'autre partie, en retenant maître Snubbin.
Après avoir entendu différents autres topiques de doute et de consolation, également bien appropriés à son affaire, M. Pickwick tira Sam du profond sommeil où il était tombé depuis une heure, et ayant dit adieu à Lowten, retourna dans la Cité, suivi de son fidèle domestique.
CHAPITRE III
Où l'on décrit plus compendieusement que ne l'a jamais fait aucun journal de la cour une soirée de garçon, donnée par M. Bob Sawyer en son domicile, dans le Borough
Le repos et le silence qui caractérisent Lant-street, dans le Borough3, font couler jusqu'au fond de l'âme les trésors d'une douce mélancolie. C'est une rue de traverse dont la monotonie est consolante et où l'on voit toujours beaucoup d'écriteaux aux croisées. Une maison, dans Lant-street, ne pourrait guère recevoir la dénomination d'hôtel, dans la stricte acception du mot; mais, cependant, c'est un domicile fort souhaitable. Si quelqu'un désire se retirer du monde, se soustraire à toutes les tentations, se précautionner contre tout ce qui pourrait l'engager à regarder par la fenêtre, nous lui recommandons Lant-street par-dessus toute autre rue.
Dans cette heureuse retraite sont colonisées quelques blanchisseuses de fin, une poignée d'ouvriers relieurs, un ou deux recors, plusieurs petits employés des Docks, une pincée de couturières et un assaisonnement d'ouvriers tailleurs. La majorité des aborigènes dirige ses facultés vers la location d'appartements garnis, ou se dévoue à la saine et libérale profession de la calandre. Ce qu'il y a de plus remarquable dans la nature morte de cette région, ce sont les volets verts, les écriteaux de location, les plaques de cuivre sur les portes et les poignées de sonnettes du même métal. Les principaux spécimens du règne animal sont les garçons de taverne, les marchands de petits gâteaux et les marchands de pommes de terre cuites. La population est nomade; elle disparaît habituellement à l'approche du terme, et généralement pendant la nuit. Les revenus de S.M. sont rarement recueillis dans cette vallée fortunée. Les loyers sont hypothétiques, et la distribution de l'eau est souvent interrompue faute du payement de la rente.
Au commencement de la soirée à laquelle M. Pickwick avait été invité par M. Bob Sawyer, ce jeune praticien et son ami, M. Ben Allen, s'étalaient aux deux coins de la cheminée, au premier étage d'une des maisons de la rue que nous venons de décrire. Les préparatifs de réception paraissaient complets. Les parapluies avaient été retirés du passage et entassés derrière la porte de l'arrière-parloir; la servante de la propriétaire avait ôté son bonnet et son châle de dessus la rampe de l'escalier, où ils étaient habituellement déposés. Il ne restait que deux paires de socques sur le paillasson, derrière la porte de la rue; enfin, une chandelle de cuisine, dont la mèche était fort longue, brûlait gaiement sur le bord de la fenêtre de l'escalier. M. Bob Sawyer avait acheté lui-même les spiritueux dans un caveau de High-street, et avait précédé jusqu'à son domicile celui qui les portait, pour empêcher la possibilité d'une erreur. Le punch était déjà préparé dans une casserole de cuivre. Une petite table, couverte d'une vieille serge verte, avait été amenée du parloir pour jouer aux cartes, et les verres de l'établissement, avec ceux qu'on avait empruntés à la taverne voisine, garnissaient un plateau, sur le carré.
Nonobstant la nature singulièrement satisfaisante de tous ces arrangements, un nuage obscurcissait la physionomie de M. Bob Sawyer. Assis à côté de lui, Ben Allen regardait attentivement les charbons avec une expression de sympathie qui vibra mélancoliquement dans sa voix lorsqu'il se prit à dire, après un long silence:
«C'est damnant qu'elle ait tourné à l'aigre justement aujourd'hui! Elle aurait bien dû attendre jusqu'à demain.
– C'est pure méchanceté, pure méchanceté! rétorqua M. Bob Sawyer avec véhémence. Elle dit que, si j'ai assez d'argent pour donner une soirée, je dois en avoir assez pour payer son petit mémoire.
– Depuis combien de temps court-il? demanda M. Ben Allen (par parenthèse un mémoire est l'engin locomotif le plus extraordinaire que le génie de l'homme ait jamais inventé: une fois en mouvement, il continue à courir de soi-même, sans jamais s'arrêter, durant la vie la plus longue).
– Il n'y a guère que trois ou quatre mois», répliqua l'autre.
Ben Allen toussa d'un air désespéré en contemplant fixement les barres de la grille. À la fin, il ajouta:
«Ça sera diablement désagréable si elle se met dans la tête de faire son sabbat quand les amis seront arrivés, hein?
– Horrible! murmura Bob Sawyer, horrible!»
En ce moment un léger coup se fit entendre à la porte. M. Bob Sawyer jeta un regard expressif à son ami; et, lorsqu'il eut dit: «Entrez!» on vit apparaître dans l'ouverture de la porte la tête mal peignée d'une servante, dont l'apparence aurait fait peu d'honneur à la fille d'un balayeur retraité.
«Sauf votre respect, monsieur Sawyer, Mme Raddle désire vous parler.»
M. Bob Sawyer n'avait pas encore médité sa réponse, lorsque la jeune fille disparut subitement, comme quelqu'un qui est violemment tiré par derrière, et en même temps un autre coup fut frappé à la porte, un coup sec et décidé, qui semblait dire: me voici; c'est moi.
M. Bob Sawyer regarda son ami avec un air de mortelle appréhension, et cria de nouveau: «Entrez.»
La permission n'était nullement nécessaire, car, avant qu'elle fût articulée, une petite femme, pâle et tremblante de colère, s'était élancée dans la chambre.
«M. Sawyer, dit-elle en s'efforçant de paraître calme, voulez-vous avoir la bonté de régler mon petit mémoire? Je vous serai bien obligée, parce que j'ai mon loyer à payer ce soir, et que mon propriétaire est en bas qui attend.»
Ici la petite femme se frotta les mains et fixa fièrement ses regards sur la muraille, par-dessus la tête de M. Bob Sawyer.
«Je suis excessivement fâché de vous incommoder, madame Raddle, répondit Bob avec déférence, mais…
– Oh! cela ne m'incommode pas, interrompit la petite femme, d'une voix aigre. Je n'en avais pas absolument besoin avant le jour d'aujourd'hui; mais, comme cet argent-là va directement dans la poche du propriétaire, autant valait que vous le gardissiez pour moi. Vous me l'avez promis pour aujourd'hui, monsieur Sawyer, et tous les gentlemen qui ont vécu ici ont toujours tenu leur parole, comme doit le faire nécessairement quiconque est véritablement un gentleman.»
Ayant ainsi parlé, mistress Raddle secoua sa tête, mordit ses lèvres, se frotta les mains encore plus fort, et regarda le mur plus fixement que jamais. Il était clair que la vapeur s'amassait, comme le dit plus tard M. Bob lui-même, dans un style d'allégorie orientale.
«Je suis bien fâché, madame Raddle, répondit-il avec toute l'humilité imaginable; mais le fait est que j'ai été désappointé dans la cité aujourd'hui.»
C'est un endroit bien extraordinaire que cette cité; nous connaissons un nombre étonnant de gens qui y sont journellement désappointés.
«Eh bien! monsieur Sawyer, dit mistress Raddle en se plantant solidement sur une des rosaces du tapis de Kidderminster, qu'est-ce que cela me fait à moi?
– Je… je suis certain, madame Raddle, répondit Bob en éludant la dernière question; je suis certain qu'avant le milieu de la semaine prochaine nous pourrons tout ajuster, et qu'ensuite nous marcherons plus régulièrement.»
C'était là tout ce que voulait Mme Raddle. Elle avait escaladé l'appartement de l'infortuné Bob avec tant d'envie de faire une scène, qu'elle aurait été probablement contrariée si elle avait reçu son argent. En effet, elle était singulièrement bien disposée pour une récréation de ce genre, car elle venait d'échanger, dans la cuisine, avec M. Raddle, quelques compliments préparatoires.
«Supposez-vous, monsieur Sawyer, s'écria-t-elle en élevant la voix pour l'édification des voisins, supposez-vous que je garderai éternellement dans ma maison un individu qui ne pense jamais à payer son loyer, et qui ne donne pas même un rouge liard pour le beurre et pour le sucre de son déjeuner, ni pour le lait qu'on lui achète à la porte? Supposez-vous qu'une femme honnête et laborieuse, qui a vécu vingt ans dans cette rue (dix ans sur le pavé et neuf ans et neuf mois dans cette maison), n'a rien autre chose à faire que de s'éreinter pour loger et nourrir un tas de paresseux qui sont toujours à fumer, à boire et à flâner, au lieu de travailler pour payer leur mémoire? Supposez-vous…
– Ma bonne dame, dit M. Ben Allen d'une voix conciliante…
– Ayez la bonté, monsieur, de garder vos observations pour vous-même, dit mistress Raddle en comprimant soudain le rapide torrent de son éloquence, et en s'adressant à l'interrupteur avec une lenteur et une solennité imposante. Je ne pense pas, monsieur, que vous ayez aucun droit de m'adresser votre conversation? Je ne pense pas vous avoir loué cet appartement?
– Non, certainement, répondit Benjamin.
– Parfaitement, monsieur, rétorqua mistress Raddle avec une politesse hautaine; parfaitement, monsieur; et vous voudrez bien alors vous contenter de briser les bras et les jambes du pauvre monde, dans les hôpitaux, et vous tenir à votre place. Autrement il y aura peut-être ici quelque personne qui vous y fera tenir, monsieur.
– Mais vous êtes une femme si peu raisonnable… dit Benjamin.
– Je vous demande excuse, jeune homme, s'écria mistress Raddle, que la colère inondait d'une sueur froide. Voulez-vous avoir la bonté de répéter un peu ce mot-là?
– Madame, répondit Benjamin, qui commençait à devenir inquiet pour son propre compte, je n'attachais pas d'offense à cette expression.
– Je vous demande excuse, jeune homme, reprit mistress Raddle d'un ton encore plus impératif et plus élevé. Qui avez-vous appelé une femme? Est-ce à moi que vous adressez cette remarque-là, monsieur?
– Eh! mon Dieu!.. fit Benjamin.
– Je vous demande, oui ou non, si c'est à moi que vous appliquez ce nom-là, monsieur? interrompit mistress Raddle avec fureur, en ouvrant la porte toute grande.
– Eh!.. oui!.. parbleu! confessa le pauvre étudiant.
– Oui, parbleu! reprit mistress Raddle en reculant graduellement jusqu'à la porte, et en élevant la voix à sa plus haute clef, pour le bénéfice spécial de M. Raddle, qui était dans la cuisine. En effet, chacun sait qu'on peut m'insulter dans ma propre maison, pendant que mon mari roupille en bas, sans faire plus d'attention à moi qu'à un caniche. Il devrait rougir (ici mistress Raddle commença à sangloter); il devrait rougir de laisser traiter sa femme comme la dernière des dernières, par des bouchers de chair humaine qui déshonorent le logement (autres sanglots). Le poltron! le sans cœur! qui laisse sa femme exposée à toutes sortes d'avanies! Voyez-vous, le capon; il a peur de monter pour corriger ces bandits-là! Il a peur de monter! Il a peur de monter!»
Ici mistress Raddle s'arrêta pour écouter si la répétition de ce défi avait réveillé sa meilleure moitié. Voyant qu'elle n'y pouvait réussir, elle commençait à descendre l'escalier en poussant d'innombrables sanglots, lorsqu'un double coup de marteau retentit violemment à la porte de la rue. Elle y répondit par des gémissements qui duraient encore au sixième coup frappé par le visiteur; puis, à la fin, dans un accès irrésistible d'agonie mentale, elle renversa tous les parapluies et se précipita dans l'arrière-parloir en fermant la porte après elle avec un fracas épouvantable.
«N'est-ce pas ici que demeure M. Sawyer? demanda M. Pickwick à la servante qui lui ouvrit la porte.
– Au premier, la porte en face de l'escalier, répondit la jeune fille en rentrant dans la cuisine avec sa chandelle, parfaitement convaincue qu'elle avait fait tout ce qu'exigeaient les circonstances.»
M. Snodgrass, qui était entré le dernier, parvint, après bien des efforts, à fermer la porto de la rue; et les pickwickiens, ayant grimpé l'escalier en trébuchant, furent reçus par Bob, qui n'avait pas osé descendre au-devant d'eux, de peur d'être assailli par Mme Raddle.
«Comment vous portez-vous? leur dit l'étudiant déconfit, charmé de vous voir. Prenez garde aux verres!»
Cet avertissement s'adressait à M. Pickwick, qui avait posé son chapeau sur le plateau.
«Pardon! s'écria celui-ci; je vous demande pardon.
– Il n'y a pas de mal; il n'y a pas de mal, reprit l'amphitryon. Je suis un peu à l'étroit ici; mais il faut en prendre son parti quand on vient voir un garçon. Entrez donc… Vous avez déjà vu ce gentleman, je pense?»
M. Pickwick secoua la main de M. Benjamin Allen, et ses amis suivirent son exemple. Ils étaient à peine assis lorsqu'on entendit frapper de nouveau un double coup à la porte.
«J'espère que c'est Jack Hopkins, dit Bob. Chut!.. Oui, c'est lui. Montez, Jack, montez.»
Des pas lourds retentirent sur l'escalier, et Jack Hopkins se présenta sous un gilet de velours noir, orné de boutons flamboyants. Il portait, en outre, une chemise bleue rayée, surmontée d'un faux-col blanc.
«Vous arrivez bien tard, lui dit Ben.
– J'ai été retenu à l'hôpital.
– Y a-t-il quelque chose de nouveau!
– Non, rien d'extraordinaire. Un assez bon accident, toutefois.
– Qu'est-ce que c'est, monsieur? demanda M. Pickwick.
– Un homme qui est tombé d'un quatrième étage, voilà tout. Mais c'est un cas superbe.
– Voulez-vous dire que le patient guérira probablement?
– Non, répondit le nouveau venu d'un air d'indifférence, j'imagine plutôt qu'il en mourra; mais il y aura une belle opération demain; quel spectacle magnifique si c'est Slasher qui opère!
– Vous regardez donc M. Slasher comme un bon opérateur?
– Le meilleur qui existe assurément. La semaine dernière, il a désarticulé la jambe d'un enfant, qui a mangé cinq pommes et un morceau de pain d'épice pendant l'opération. Mais ce n'est pas tout; deux minutes après, le moutard a déclaré qu'il ne voulait pas rester là pour le roi de Prusse, et qu'il le dirait à sa mère si on ne commençait pas.
– Vous m'étonnez, s'écria M. Pickwick.
– Bah! cela n'est rien; n'est-il pas vrai, Bob?
– Rien du tout, répliqua M. Sawyer.
– À propos, Bob, reprit Hopkins en jetant vers le visage attentif de M. Pickwick un coup d'œil à peine perceptible, nous avons eu un curieux accident la nuit dernière. On nous a amené un enfant qui avait avalé un collier.
– Avalé quoi, monsieur? interrompit M. Pickwick.
– Un collier. Non pas tout à la fois, cela serait trop fort; vous ne pourriez pas avaler cela, n'est-ce pas? Hein! monsieur Pickwick. Ha! ha! ha!»
Ici M. Hopkins éclata de rire, enchanté de sa propre plaisanterie, puis il continua:
«Non, mais voici la chose. Les parents du bambin sont très-pauvres; la sœur aînée achète un collier, un collier commun, des grosses boules de bois noir. L'enfant, qui aime beaucoup les joujoux, escamote le collier, le cache, joue avec coupe le fil et avale une boule. Il trouve que c'est une fameuse farce; il recommence le lendemain et avale une autre boule…
– Juste ciel! interrompit M. Pickwick, quelle épouvantable chose! Mais je vous demande pardon, monsieur; continuez.
– Le lendemain, l'enfant avale deux boules. Le surlendemain, il se régale de trois, et ainsi de suite, si bien qu'en une semaine il avait expédié tout le collier, vingt-cinq boules en tout. La sœur, qui est une jeune fille économe, et qui ne dépense guère d'argent en parure, se dessèche les lacrymales à force de pleurer son collier; elle le cherche partout, mais je n'ai pas besoin de vous dire qu'elle ne le trouve nulle part. Quelques jours après, la famille était à dîner… une épaule de mouton cuite au four avec des pommes de terre… l'enfant, qui n'avait pas faim, jouait dans la chambra. Voilà que l'on entend un bruit du diable, comme s'il était tombé de la grêle. «Ne fais pas ce bruit là, mon garçon, dit le père. – Ce n'est pas moi, répond le moutard. – C'est bon, dit le père; ne le fais plus alors.» Il y eut un court silence, et le bruit recommença de plus belle. «Mon garçon, dit le père, si tu ne m'écoutes pas, tu te trouveras dans ton lit en moins de rien.» En même temps, il secoue l'enfant, pour lui faire mieux comprendre la chose, et voilà qu'il entend un cliquetis terrible. «Dieu me damne! s'écrie-t-il, c'est dans le corps de mon fils! Il a le croup dans le ventre! – Non, non, papa» dit le moucheron en se mettant à pleurer. C'est le collier de ma sœur; je l'ai avalé, papa.» Le père prend l'enfant dans ses bras et court avec lui à l'hôpital; et, tout le long du chemin, les boules de bois retentissaient dans son estomac à chaque secousse; et les boutiquiers cherchaient de tous les côtes d'où venait un si drôle de bruit. L'enfant est à l'hôpital maintenant; et il fait tant de tapage en marchant, qu'on a été obligé de l'entortiller dans une houppelande de watchman, de peur qu'il n'éveille les autres malades.
«Voilà l'accident le plus extraordinaire dont j'aie jamais entendu parler! s'écria M. Pickwick, en donnant sur la table un coup de poing emphatique.
– Oh! cela n'est rien encore, rétorqua Jack Hopkins. N'est-ce pas, Bob?
– Non, certainement.
– Je vous assure, monsieur, reprit Hopkins, qu'il arrive des choses singulières dans notre profession.
– Je le crois facilement, répondit M. Pickwick.»
Un nouveau coup de marteau frappé à la porte annonça un gros jeune homme, dont l'énorme tête était ombragée d'une perruque noire. Il amenait avec lui un jouvenceau engaîné dans une étroite redingote, et qui avait une physionomie scorbutique. Ensuite arriva un gentleman dont la chemise était semée de petites ancres rouges. Celui-ci fut suivi de près par un pâle garçon, décoré d'une lourde chaîne en chrysocale. L'entrée d'un individu maniéré, au linge parfaitement blanc, aux bottines de lasting, compléta la réunion. La petite table à la serge verte fut amenée; le premier service de punch fut apporté dans un pot blanc, et les trois heures suivantes furent dévouées au vingt et un, à un demi penny la fiche. Une fois seulement cet agréable jeu fut interrompu par une légère difficulté qui s'éleva entre le jeune nomma scorbutique et le gentleman aux ancres rouges. À cette occasion le premier exprima un brûlant désir de tirer le nez du second, et celui qui portait les emblèmes de l'espérance déclara qu'il n'entendait accepter, à titre gratuit, aucune insolence, ni de l'irascible jeune homme à la contenance scorbutique, ni de tout autre individu, orné d'une tête humaine.
Quand la dernière banque fut terminée, et lorsque le compte des fiches et des pence fut ajusté à la satisfaction de toutes les parties, M. Bob Sawyer sonna pour le souper, et ces convives se comprimèrent dans les coins, pendant qu'on servait le festin.
Ce n'était pas une opération aussi facile qu'on pourrait l'imaginer. D'abord il fut nécessaire d'éveiller la fille qui était tombée endormie sur la table de la cuisine. Cela prit un peu de temps, et même lorsqu'elle eut répondu à la sonnette, un autre quart-d'heure s'écoula avant qu'on pût exciter chez elle une faible étincelle de raison. D'autre part, l'homme à qui on avait demandé des huîtres, n'avait pas reçu l'ordre de les ouvrir; or il est très-difficile d'ouvrir une huître avec un couteau de table, ou avec une fourchette à deux pointes; aussi n'en put-on pas tirer grand parti. Le bœuf n'offrit guère plus de ressources, car il n'était pas assez cuit, et l'on en pouvait dire autant du jambon, quoiqu'il fût de la boutique allemande du coin de la rue. En revanche l'on possédait abondance de porter dans un broc d'étain, et il y avait assez de fromage pour contenter tout le monde, car il était très-fort. Au total le souper fut aussi bon qu'il l'est en général dans une réunion de ce genre.
Après souper, un autre bol de punch fut placé sur la table, avec un paquet de cigares et deux bouteilles d'eau-de-vie. Mais alors il y eut une pause pénible, occasionnée par une circonstance fort commune en pareille occasion et qui pourtant n'en est pas moins embarrassante.
Le fait est que la fille était occupée à laver les verres. L'établissement s'enorgueillissait d'en posséder quatre; ce que nous ne rapportons nullement comme étant injurieux à Mme Raddle, car il n'y a jamais eu, jusqu'à présent, d'appartement garni où l'on ne fût pas à court de verres. Ceux de l'hôtesse étaient des petits goblets, étroits et minces; ceux qu'on avait empruntés l'auberge voisine étaient de grands vases soufflés, hydropiques, portés, chacun, sur un gros pied goutteux. Ceci, de soi, aurait été suffisant pour avertir la compagnie de l'état réel des affaires; mais la jeune servante factotum, pour empêcher la possibilité du doute à cet égard, s'était emparée violemment de tous les verres, longtemps avant que la bière fût finie, en déclarant hautement, malgré les clins d'œil et les interruptions de l'amphytrion, qu'elle allait les porter en bas pour les rincer.
C'est, dit le proverbe, un bien mauvais vent que celui qui ne souffle rien de bon pour personne. L'homme maniéré, aux bottines d'étoffe, s'était inutilement efforcé d'accoucher d'une plaisanterie durant la partie. Il remarqua l'occasion et la saisit aux cheveux. À l'instant où les verres disparurent, il commença une longue histoire, au sujet d'une réponse singulièrement heureuse, faite par un grand personnage politique, dont il avait oublié le nom, à un autre individu également noble et illustre, dont il n'avait jamais pu vérifier l'identité. Il s'étendit soigneusement et avec détail sur diverses circonstances accessoires, mais il ne put jamais venir à bout, dans ce moment, de se rappeler la réponse même, quoiqu'il eût l'habitude de raconter cette anecdote, avec grand succès, depuis dix années.
«Voilà qui est drôle! s'écria l'homme maniéré, est-ce extraordinaire d'oublier ainsi!
– J'en suis fâché, dit Bob, en regardant avec anxiété vers la porte, car il croyait avoir entendu un froissement de verres, j'en suis très-fâché!
– Et moi aussi, répliqua le narrateur, parce que je suis sûr que cela vous aurait bien amusé. Mais ne vous chagrinez pas, d'ici à une demi-heure, ou environ, j'espère bien parvenir à m'en souvenir.»
L'homme maniéré en était là, lorsque les verres revinrent; et M. Bob Sawyer qui jusqu'alors était resté comme absorbé lui dit en souriant gracieusement, qu'il serait enchanté d'entendre la fin de son histoire, et que, telle qu'elle était, c'était la meilleure qu'il eût jamais oui raconter.
En effet, la vue des verres avait replacé notre ami Bob dans un état d'équanimité qu'il n'avait pas connu depuis son entrevue avec l'hôtesse. Son visage s'était éclairci, et il commençait à se sentir tout à fait à son aise.
«Maintenant, Betsy, dit-il avec une grande suavité, en dispersant le petit rassemblement de verres que la jeune fille avait concentré au milieu de la table; maintenant, Betsy de l'eau chaude, et dépêchez-vous, comme une brave fille.»
– Vous ne pouvez pas avoir d'eau chaude, répliqua Betsy.
– Pas d'eau chaude! s'écria Bob.
– Non, reprit la servante avec un hochement de tête plus négatif que n'aurait pu l'être le langage le plus verbeux, madame a dit que vous c'en auriez point.»
La surprise qui se peignait sur le visage des invités inspira un nouveau courage à l'amphitryon.
«Apportez de l'eau chaude sur-le-champ, sur-le-champ! dit-il avec le calme du désespoir.
– Mais je ne peux pas! Mme Raddle a éteint le feu et enfermé la bouilloire avant d'aller se coucher.
– Oh! c'est égal, c'est égal, ne vous tourmentez pas pour si peu, dit M. Pickwick, en remarquant le tumulte des passions qui agitaient la physionomie de Bob Sawyer, de l'eau froide sera tout aussi bonne.
– Oui, certainement, ajouta Benjamin Allen.
– Mon hôtesse est sujette à de légères attaques de dérangement mental, dit Bob avec un sourire glacé. Je crains d'être obligé de lui donner congé.
– Non, non, fit Benjamin.
– Je crains d'y être obligé, poursuivit Bob, avec une fermeté héroïque. Je lui payerai ce que je lui dois, et je lui donnerai congé ce matin.»
Pauvre garçon! avec quelle dévotion il souhaitait de pouvoir le faire!
Les lamentables efforts de Bob pour se relever de ce dernier coup, communiquèrent leur influence décourageante à la compagnie. La plupart de ses hôtes, pour ranimer leurs esprits, s'attachèrent avec un surcroît de cordialité au grog froid, dont les premiers effets se firent sentir par un renouvellement d'hostilités entre le jeune homme scorbutique et le propriétaire de la chemise pleine d'espoir. Les belligérants signalèrent pendant quelque temps leur mépris mutuel par une variété de froncements de sourcil et de reniflements; mais à la fin, le jeune scorbutique sentit qu'il était nécessaire de provoquer un éclaircissement. On va voir comment il s'y prit pour cela.