Kitabı oku: «Aventures de Monsieur Pickwick, Vol. II», sayfa 5
Dans la présente occasion, les dames commencèrent par boire une quantité de thé presque alarmante, à la grande horreur de M. Weller qui, méprisant les signes de Sam, promenait autour de lui des regards où pouvaient se lire, avec facilité, son étonnement et son mépris.
«Sammy, murmura-t-il à son fils, si qué'ques uns de ces gens ici n'ont pas besoin d'être opérés pour l'hydropisie, demain matin, je ne suis pas ton père! Vois-tu cette vieille lady, assise auprès de moi? elle se noie avec du thé.
– Est-ce que vous ne pouvez pas vous tenir tranquille? chuchota Sam.
– Sammy, reprit M. Weller au bout d'un moment et avec un accent d'agitation profonde, fais attention à ce que je te dis, mon garçon; si ce secrétaire continue encore cinq minutes, il va crever à force d'avaler des rôties et de l'eau chaude.
– Eh bien! laissez-le, si ça lui fait plaisir. Ce n'est pas votre affaire.
– Si ça dure plus longtemps, Sammy, poursuivit M. Weller à voix basse, je sens que c'est mon devoir comme homme et comme chrétien, de me lever et d'adresser qué'ques paroles au président. Il y a là une jeune femme, au troisième tabouret, qui a bu neuf tasses et demie; je la vois qui gonfle visiblement à l'œil nu.»
Il n'y a nul doute que M. Weller eût exécuté ses bienveillantes intentions, si un grand bruit, occasionné par le choc des tasses, n'avait pas heureusement annoncé que le thé était terminé. La faïence ayant été enlevée et la table à la serge verte apportée au centre de la chambre, les opérations de la soirée furent entamées par un petit homme chauve, en culotte de velours de coton, qui grimpa soudainement à l'échelle, au hasard imminent de briser ses jambes maigrelettes.
«Ladies et gentlemen, dit le petit homme chauve, je porte au fauteuil notre excellent frère, M. Anthony Humm.»
À cette proposition les dames agitèrent une élégante collection de mouchoirs, et l'impétueux petit homme porta littéralement au fauteuil M. Humm, en le prenant par les épaules et le poussant vers un ustensile d'acajou, qui avait autrefois représenté cette pièce d'ameublement. L'agitation des mouchoirs fut renouvelée, et M. Humm, qui avait un visage blafard et luisant, en état de transpiration perpétuelle, salua gracieusement l'assemblée, à la grande admiration des femelles, et prit gravement son siége. Le silence fut alors réclamé par le petit homme, puis M. Humm se leva, et dit qu'avec la permission des frères et des sœurs de la branche de Brick-Lane, alors présents, le secrétaire lirait le rapport du comité de la branche de Brick-Lane, proposition qui fut encore accueillie par un trépignement de mouchoirs.
Le secrétaire ayant éternué d'une manière très-expressive, et la toux qui saisit toujours une assemblée, quand il va se passer quelque chose d'intéressant, ayant eu son cours régulier, on entendit la lecture du document suivant:
Rapport du Comité de la Branche de Brick-Lane de la Grande Union Ebenezer de l'Association de Tempérance
«Votre comité a poursuivi ses agréables travaux, durant le mois passé, et a l'inexprimable plaisir de vous rapporter les cas suivants de nouveaux convertis à la tempérance.
«M. Walker, tailleur, sa femme et ses deux enfants. Quand il était plus à son aise, il confesse qu'il avait l'habitude de boire de l'ale et de la bière. Il dit qu'il n'est pas certain s'il n'a pas siroté pendant vingt ans, deux fois par semaines, du nez de chien, que votre comité trouve, sur enquête, être composé de porter chaud, de cassonade, de genièvre et de muscade. (Ici une femme âgée pousse un gémissement en s'écriant: c'est vrai!) Il est maintenant sans ouvrage et sans argent; il pense que ce doit être la faute du porter (applaudissements) ou la perte de l'usage de sa main droite; il ne peut pas dire lequel des deux, mais il regarde comme très-probable que s'il n'avait bu que de l'eau toute sa vie, son camarade ne l'aurait pas piqué avec une aiguille rouillée, ce qui a occasionné son accident (immenses applaudissements). Il n'a plus rien à boire que de l'eau claire, et ne se sent jamais altéré (grands applaudissements).
«Betzy Martin, veuve, n'a qu'un enfant et qu'un œil, va en journée comme femme de ménage et blanchisseuse: n'a jamais et qu'un œil, mais sait que sa mère buvait solidement, ne serait pas étonnée si cela en était la cause (terribles applaudissements). Ne regarde pas comme impossible qu'elle eût deux yeux maintenant, si elle s'était toujours abstenue de spiritueux (applaudissements formidables). Était habituée à recevoir par jour 1 shilling et 6 pence, une pinte de porter et un verre d'eau-de-vie, mais depuis qu'elle est devenue membre de la branche de Brick-Lane elle demande toujours à la place 3 shillings et 6 pence (l'annonce de ce fait intéressant est reçue avec le plus étourdissant enthousiasme).
«Henry Beller a été pendant nombre d'années maître d'hôtel pour différents dîners de corporations. En ce temps-là il buvait une grande quantité de vins étrangers. Il en a peut-être emporté quelque fois une bouteille ou deux chez lui. Il n'est pas tout à fait certain de cela, mais il est sûr que s'il les a emportées, il en a bu le contenu. Il se trouve très-mal disposé et mélancolique, est agité la nuit et éprouve une soif continuelle. Il pense que ce doit être le vin qu'il avait l'habitude de boire (applaudissements). Il est sans emploi maintenant, et ne tâte jamais une seule goutte de vins étrangers (applaudissements épouvantables).
«Thomas Burten, marchand de mou du lord maire, des schérifs et de plusieurs membres du Common council (le nom de ce gentleman est entendu avec un intérêt saisissant). Il a une jambe de bois: il trouve qu'une jambe de bois coûte bien cher quand on marche sur le pavé. Il avait l'habitude d'acheter des jambes de bois d'occasion, et buvait régulièrement chaque soir un verre d'eau et de genièvre chaud; quelquefois deux (profonds soupirs). Il s'est aperçu que les jambes d'occasion se fendaient et se pourrissaient très-promptement; il est fermement persuadé que leur constitution était minée par l'eau et le genièvre (applaudissements prolongés). Il achète maintenant des jambes de bois neuves, et ne boit rien que de l'eau et du thé léger. Les nouvelles jambes de bois durent deux fois aussi longtemps que les anciennes, et il attribue cela uniquement à ses habitudes de tempérance (applaudissements triomphants).»
Après cette lecture, Anthony Humm proposa à l'assemblée de se régaler d'une chanson. Il l'invita à se joindre à lui pour chanter les paroles du joyeux batelier, adaptées à l'air du centième psaume par le frère Mordlin, en vue de favoriser les jouissances morales et rationnelles de la société (grands applaudissements). M. Anthony Humm saisit cette opportunité d'exprimer sa ferme persuasion que feu M. Dibdin7, reconnaissant les erreurs de sa jeunesse, avait écrit cette chanson pour montrer les avantages de l'abstinence. «C'est une chanson de tempérance (tourbillon d'applaudissements). La propreté du costume de l'intéressant jeune homme, son habileté, comme rameur, la désirable disposition d'esprit qui lui permettait, suivant la belle expression du poëte, de ramer tout le jour en ne pensant à rien; tout se réunit pour prouver qu'il devait être buveur d'eau (applaudissements). Oh! quel état de vertueuses jouissances (applaudissements enthousiastes)! et quelle fut la récompense du jeune homme! que tous les jeunes gens présents remarquent ceci:
«Les jeunes filles s'empressaient d'entrer dans son bateau (bruyants applaudissements, surtout parmi les dames). Quel brillant exemple! Les jeunes filles se pressant autour du jeune batelier et l'escortant dans le sentier du devoir et de la tempérance. Mais étaient-ce seulement les jeunes filles de bas étage, qui le soignaient, qui le consolaient, qui le soutenaient? Non!
Il était le rameur chéri
Des plus belles dames du monde.
(immenses applaudissements). Le doux sexe se ralliait comme un seul homme… Mille pardons, comme une seule femme… autour du jeune batelier, et se détournait avec dégoût des buveurs de spiritueux (applaudissements). Les frères de la Branche de Brick-Lane sont des bateliers d'eau douce (applaudissements et rires). Cette chambre est leur bateau; cette audience représente les jeunes filles, et l'orateur, quoique indigne, est leur rameur chéri (applaudissements frénétiques et interminables).»
«Sammy, qu'est-ce qui veut dire par le doux sexe? demanda M. Weller à voix basse.
– La femme, répondit Sam du même ton.
– Pour ça, il n'a pas tort; faut qu'elle soit joliment douce pour se laisser plumer par des olibrius comme ça.»
Les observations mordantes du vieux gentleman furent interrompues par le commencement de la chanson que M. Anthony Humm psalmodiait, deux lignes par deux lignes, pour l'instruction de ceux de ses auditeurs qui ne connaissaient point la légende. Pendant qu'on chantait, le petit homme chauve disparut, mais il revint aussitôt que la chanson fut terminée, et parla bas à M. Anthony Humm avec un visage plein d'importance.
«Mes amis, dit M. Humm en levant la main d'un air suppliant, pour faire taire quelques vieilles ladies qui étaient en arrière d'un vers ou deux; mes amis, un délégué de la branche de Dorking, de notre société, le frère Stiggins, est en bas.»
Les mouchoirs s'agitèrent de nouveau et plus fort que jamais, car M. Stiggins était extrêmement populaire parmi les dames de Brick-Lane.
«Il peut entrer, je pense, dit M. Humm en regardant autour de lui avec un sourire fixe. Frère Tadger, il peut venir auprès de nous et remplir sa mission.»
Le petit homme chauve, qui répondait au nom de frère Tadger, dégringola l'échelle avec grande rapidité, puis immédiatement après, on l'entendit remonter avec le révérend M. Stiggins.
«Le voilà qui vient, Sammy, chuchota M. Weller, dont le visage était pourpre d'une envie de rire supprimée.
– Ne lui dites rien, répartit Sam, je ne pourrais pas me retenir. Il est près de la porte; je l'entends qui se cogne la tête contre la cloison.»
Pendant que Sam parlait, la porte s'ouvrit et le frère Tadger parut, immédiatement suivi par le révérend M. Stiggins. L'entrée de celui-ci fut accueillie par des bravos, par des trépignements, par des agitations de mouchoirs. Mais, à toutes ces manifestations de délices, le frère Stiggins ne répondit pas un mot, se contentant de regarder avec un sourire hébété la chandelle qui fumait sur la table, et balançant en même temps son corps d'une manière irrégulière et alarmante.
«Est-ce que vous n'allez pas bien, frère Stiggins? lui dit tout bas M. Anthony Humm.
– Je vais très-bien, monsieur, répliqua M. Stiggins d'une voix aussi féroce que le permettait l'épaisseur de sa langue. Je vais parfaitement, monsieur.
– Tant mieux, tant mieux, reprit M. Anthony Humm, en reculant de quelques pas.
– J'espère que personne ici ne se permet de dire que je ne suis pas bien?
– Oh! certainement non.
– Je les engage à ne pas le dire, monsieur, je les y engage.»
Tendant ce colloque, l'assemblée était restée parfaitement silencieuse, attendant avec une certaine anxiété la reprise de ses travaux ordinaires.
«Frère, dit M. Humm avec un sourire engageant, voulez-vous édifier l'assemblée?
– Non,» répliqua M. Stiggins.
L'assemblée leva les yeux au ciel et un murmure d'étonnement parcourut la salle.
«Monsieur, dit M. Stiggins, en déboutonnant son habit, et en parlant très-haut; j'ai dans l'opinion que cette assemblée s'est honteusement soûlée. – Frère Tadger, continua-t-il avec une férocité croissante, et en se tournant brusquement vers le petit homme chauve; vous êtes soûl, monsieur.»
En disant ces mots, M. Stiggins dans le louable dessein d'encourager la sobriété de rassemblée, et d'en exclure toute personne indigne, lança sur le nez de frère Tadger un coup de poing, si bien appliqué, que le petit secrétaire disparut en un clin d'œil. Il avait été précipité la tête première en bas de l'échelle.
À ce mouvement oratoire, tes femmes poussèrent des cris déchirants, et se précipitant par petits groupes autour de leurs frères favoris, les entourèrent de leurs bras pour les préserver du danger. Cette preuve d'affection touchante devint presque fatale au frère Humm, car il était extrêmement populaire, et il s'en fallut de peu qu'il ne fût étouffé par la foule des séïdes femelles qui se pendirent à son cou, et l'accablèrent de leurs caresses. La plus grande partie des lumières furent promptement éteintes, et l'on n'entendit plus, de toutes parts, qu'un tumulte épouvantable.
«Maintenant, Sammy, dit M. Weller en ôtant sa redingote d'un air délibéré, allez-vous-en me chercher un watchman.
– Et qu'est-ce donc que vous allez faire, en attendant?
– Ne vous inquiétez pas de moi, Sammy; je vas m'occuper à régler un petit compte avec ce Stiggins ici.»
Ayant ainsi parlé, et avant que Sam pût le retenir, l'héroïque vieillard pénétra dans le coin de la chambre où se trouvait le révérend M. Stiggins, et l'attaqua avec une admirable dextérité.
«Venez-vous-en, dit Sam.
– Avancez donc!» s'écria M. Weller, et sans autre avertissement, il administra au révérend M. Stiggins une tape sur la tête, puis se mit à danser autour de lui, avec une légèreté parfaitement admirable chez un gentleman de cet âge.»
Voyant que ses remontrances étaient inutiles, Sam enfonça solidement son chapeau, jeta sur son bras l'habit de son père, et saisissant le gros cocher par la ceinture, l'entraîna de force le long de l'échelle, et de là dans la rue, sans le lâcher, et sans lui permettre de s'arrêter. Comme ils arrivaient au carrefour, ils entendirent le tumulte occasionné par la dispersion, dans différentes directions, des membres la branche de Brick-Lane de la grande union d'Ebenezer à l'association de Tempérance, et virent bientôt après passer le révérend M. Stiggins, que l'on emmenait parmi les huées de la populace, afin de lui faire passer la nuit dans un logement fourni par la cité.
CHAPITRE V
Entièrement consacré au compte-rendu complet et fidèle du mémorable procès de Bardell contre Pickwick
«Je voudrais bien savoir ce que le chef du jury peut avoir mangé ce matin à son déjeuner, dit M. Snodgrass par manière de conversation, dans la mémorable matinée du 14 février.
– Ah! répondit M. Perker, j'espère qu'il a fait un bon déjeuner.
– Pourquoi cela? demanda M. Pickwick.
– C'est fort important, extrêmement important, mon cher monsieur. Un bon jury satisfait, qui a bien déjeûné, est une chose capitale pour nous. Des jurés mécontents ou affamés, sont toujours pour le plaignant.
– Au nom du ciel, dit M. Pickwick, d'un air de complète stupéfaction, quelle est la cause de tout cela?
– Ma foi, je n'en sais rien, répondit froidement le petit homme, c'est pour aller plus vite, je suppose.» Quand le jury s'est retiré dans la chambre des délibérations, si l'heure du dîner est proche, le chef des jurés tire sa montre, et dit:
«Juste ciel! gentlemen, déjà cinq heures moins dix, et je dîné à cinq heures! – Moi aussi,» disent tous les autres, excepté deux individus qui auraient dû dîner à trois heures, et qui en conséquence sont encore plus pressés de sortir. Le chef des jurés sourit et remet sa montre. «Eh bien! gentlemen, qu'est-ce que nous disons? Le plaignant ou le défendant, gentlemen! Je suis disposé à croire, quant à moi… Mais que cela ne vous influence pas… Je suis assez disposé à croire que plaignant a raison.» Là-dessus deux ou trois autres jurés ne manquent pas de dire qu'ils le croient aussi, comme c'est naturel; et alors ils font leur affaire unanimement et confortablement. «Neuf heures dix minutes, continua le petit homme en regardant à sa montre, il est grandement temps de partir, mon cher monsieur. La cour est ordinairement pleine quand il s'agit d'une violation de promesse de mariage. Vous ferez bien de demander une voiture, mon cher monsieur, ou nous arriverons trop tard.»
M. Pickwick tira immédiatement la sonnette; une voiture fut amenée, et les quatre Pickwickiens y étant montés, avec M. Perker, se firent conduire à Guildball. Sam Weller, M. Lowten et le sac bleu, contenant la procédure, suivaient dans un cabriolet.
«Lowten, dit Perker, quand ils eurent atteint la salle des pas perdus, mettez les amis de M. Pickwick dans la tribune des stagiaires; M. Pickwick lui-même sera mieux auprès de moi.
– Par ici, mon cher monsieur, par ici.» En parlant de la sorte, le petit homme prit M. Pickwick par la manche et le conduisit vers un siége peu élevé, situé au-dessous du bureau du conseil du roi. De là, les avoués peuvent commodément chuchoter, dans l'oreille des avocats, les instructions que la marche du procès rend nécessaires. Ils y sont d'ailleurs invisibles au plus grand nombre des spectateurs, car ils sont assis beaucoup plus bas que les avocats et que les jurés, dont les siéges dominent le parquet. Naturellement ils leur tournent le dos, et regardent le juge.
«Voici la tribune des témoins, je suppose? dit M. Pickwick, en montrant, à sa gauche, une espèce de chaire, entourée d'une balustrade de cuivre.
– Oui, mon cher monsieur, répliqua Perker en extrayant une quantité de papiers du sac bleu que Lowten venait de déposer à ses pieds.
– Et là, dit M. Pickwick en indiquant, sur sa droite, une couple de bancs, enfermés d'une balustrade, là siégent les jurés, n'est-il pas vrai?
– Précisément,» répondit Perker, en tapant sur le couvercle de sa tabatière.
Ainsi renseigné, M. Pickwick se tint debout dans un état de grande agitation, et promena ses regarda sur la salle.
Il y avait déjà, dans la galerie, un flot assez épais de spectateurs, et sur le siége des avocats, une nombreuse collection de gentlemen en perruque, dont la réunion présentait cette étonnante et agréable variété de nez et de favoris, pour laquelle le barreau anglais est si justement célèbre. Parmi ces gentlemen, ceux qui possédaient un dossier le tenaient de la manière la plus visible possible, et de temps en temps s'en frottaient le menton, pour convaincre davantage les spectateurs de la réalité de ce fait. Quelques-uns de ceux qui n'avaient aucun dossier à montrer, portaient sous leurs bras de bons gros in-octavo, reliés en basane fauve à titres rouges. D'autres qui n'avaient ni diplômes ni livres, fourraient leurs mains dans leurs poches et prenaient un air aussi important qu'ils le pouvaient, sans s'incommoder; tandis que d'autres encore, allaient et venaient avec une mine suffisante et affairée, satisfaits d'éveiller, de la sorte, l'admiration des étrangers non initiés. Enfin, au grand étonnement de M. Pickwick, ils étaient tous divisés en petits groupes, et causaient des nouvelles du jour, avec la tranquillité la plus parfaite, comme s'il n'avait jamais été question de jugement.
Un salut de M. Phunky, lorsqu'il entra pour prendre sa place, derrière le banc réservé au conseil du roi, attira l'attention de M. Pickwick. À peine lui avait-il rendu sa politesse, lorsque Me Snubbin parut, suivi par M. Mallard, qui déposa sur la table un immense sac cramoisi, donna une poignée de main à M. Perker, et se retira. Ensuite entrèrent deux ou trois autres avocats, et parmi eux un homme au teint rubicond, qui fit un signe de tête amical à Me Snubbin, et lui dit que la matinée était belle.
«Quel est cet homme rubicond, qui vient de saluer notre conseil, et de lui dire que la matinée est belle? demanda tout bas M. Pickwick à son avoué.
– C'est Me Buzfuz, l'avocat de notre adversaire. Ce gentleman placé derrière lui, est M. Skimpin, son junior.»
M. Pickwick, rempli d'horreur, en apprenant la froide scélératesse de cet homme, allait demander comment Me Buzfuz, qui était l'avocat de son adverse partie, osait se permettre de dire, à son propre avocat, qu'il faisait une belle matinée, quand il fut interrompu par un long cri de: silence! que poussèrent les officiers de la cour, et au bruit duquel se levèrent tous les avocats. M. Pickwick se retourna, et s'aperçut que ce tumulte était causé par l'entrée du juge.
M. le juge Stareleigh (qui siégeait en l'absence du chef-justice, empêché par indisposition), était un homme remarquablement court, et si gros qu'il semblait tout visage et tout gilet. Il roula dans la salle sur deux petites jambes cagneuses, et ayant salué gravement le barreau, qui le salua gravement à son tour, il mit ses deux petites jambes sous la table, et son petit chapeau à trois cornes, dessus. Lorsque M. le juge Stareleigh eut fait cela, tout ce qu'on pouvait voir de lui c'étaient deux petits yeux fort drôles, une large face écarlate, et environ la moitié d'une grande perruque très-comique.
Aussitôt que le juge eut pris son siége, l'huissier qui se tenait debout sur le parquet de la cour, cria: silence! d'un ton de commandement, un autre huissier dans la galerie répéta immédiatement: silence! d'une voix colérique, et trois ou quatre autres huissiers lui répondirent avec indignation: silence! Ceci étant accompli, un gentleman en noir, assis au-dessous du juge, appela les noms des jurés. Après beaucoup de hurlements, on découvrit qu'il n'y avait que dix jurés spéciaux qui fussent présents. Me Buzfuz ayant alors demandé que le jury spécial fût complété par des tales quales, le gentleman en noir s'empara immédiatement de deux jurés ordinaires, à savoir un apothicaire et un épicier.
«Gentlemen, dit l'homme en noir, répondez à votre nom pour prêter le serment. Richard Upwitch?
– Voilà, répondit l'épicier.
– Thomas Groffin?
– Présent, dit l'apothicaire.
– Prenez le livre, gentlemen. Vous jugerez fidèlement et loyalement…
– Je demande pardon à la cour, interrompit l'apothicaire, qui était grand, maigre et jaune, mais j'espère que la cour ne m'obligera pas à siéger.
– Et pourquoi cela, monsieur? dit le juge Stareleigh.
– Je n'ai pas de garçon, milord, répondit l'apothicaire.
– Je n'y peux rien, monsieur. Vous devriez en avoir un.
– Je n'en ai pas le moyen, milord.
– Eh bien! monsieur, vous devriez en avoir le moyen, rétorqua le juge en devenant rouge, car son tempérament frisait l'irritable et ne supportait point la contradiction.
– Je sais que je devrais en avoir le moyen, si je prospérais comme je le mérite; mais je ne l'ai pas, milord.
– Faites prêter serment au gentleman, reprit le juge d'un ton péremptoire.»
L'officier n'avait pas été plus loin que le vous jugerez fidèlement et loyalement, quand il fut encore interrompu par l'apothicaire.
«Est-ce qu'il faut que je prête serment, milord? demanda-t-il.
– Certainement, monsieur, répliqua l'entêté petit juge.
– Très-bien, milord, fit l'apothicaire d'un air résigné. Il y aura mort d'homme avant que le jugement soit rendu, voilà tout. Faites-moi prêter serment si vous voulez, monsieur.»
Et l'apothicaire prêta serment avant que le juge eût pu trouver une parole à prononcer.
«Milord, reprit l'apothicaire en s'asseyant fort tranquillement, je voulais seulement vous faire observer que je n'ai laissé qu'un galopin dans ma boutique. C'est un charmant bonhomme, milord, mais qui se connaît fort peu en drogues; et je sais que, dans son idée, sel d'Epsom veut dire acide prussique, et sirop d'Ipécacuanha, laudanum. Voilà tout, milord.»
Ayant proféré ces mots, l'apothicaire s'arrangea commodément sur son siége, prit un visage aimable et parut préparé à tout événement.
M. Pickwick le considérait avec le sentiment de la plus profonde horreur, lorsqu'une légère sensation se fit remarquer dans la cour. Mme Bardell, supportée par Mme Cluppins, fut amenée et placée, dans un état d'accablement pitoyable, à l'autre bout du banc qu'occupait M. Pickwick. Un énorme parapluie fut alors apporté par M. Dodson, et une paire de socques, par M. Fogg, qui, tous les deux, avaient préparé pour cette occasion leurs visages les plus sympathiques et les plus compatissants. Mme Sanders parut ensuite, conduisant master Bardell. À la vue de son enfant, la tendre mère tressaillit, revint à elle et l'embrassa avec des transports frénétiques; puis, retombant dans un état d'imbécillité hystérique, la bonne dame demanda à ses amies où elle était. En répliquant à cette question, Mme Cluppins et Mme Sanders détournèrent la tête et se prirent à pleurer, tandis que MM. Dodson et Fogg suppliaient la plaignante de se tranquilliser. Me Buzfuz frotta ses yeux de toutes ses forces avec un mouchoir blanc et jeta vers le jury un regard qui semblait faire appel à son humanité. Le juge était visiblement affecté, et plusieurs des spectateurs toussèrent pour cacher leur émotion.
«Une très bonne idée, murmura Perker à M. Pickwick. Dodson et Fogg sont d'habiles gens. Voilà une scène d'un excellent effet, mon cher monsieur, d'un excellent effet.»
Pendant que Perker parlait, Mme Bardell revenait lentement à elle, et Mme Cluppins, après avoir soigneusement examiné les boutons de monter Bardell et leurs boutonnières respectives, le plaçait sur le parquet de la cour, devant sa mère: position avantageuse où il ne pouvait manquer d'éveiller la commisération des jurés et du juge. Cependant cela ne s'était pas fait sans une opposition considérable de la part du jeune gentleman lui-même; car il n'était pas éloigné de croire que ce fût là une formalité légale, après laquelle on le condamnerait à une exécution immédiate ou à la transportation au delà des mers pour le reste de ses jours, tout au moins.
«Bardell et Pickwick! cria le gentleman en noir, appelant la cause qui se trouvait la première sur la liste.
– Milord, dit Me Buzfuz, je suis pour la plaignante.
– Avec qui êtes-vous, Me Buzfuz? demanda le juge.»
M. Skimpin salua pour exprimer que c'était avec lui.
«Je parais pour le défendeur, milord, dit à son tour Me Snubbin.
– Il y a quelqu'un avec vous, Me Snubbin? reprit le juge.
– M. Phunky, milord.
– Me Buzfuz et Me Skimpin, pour la plaignante, dit le juge en écrivant les noms sur son livre de notes et en articulant ce qu'il écrivait. Pour le défendeur, Me Snubbin et M. Tronquet.
– Je demande pardon à votre seigneurie: Phunky.
– Oh! très-bien, dit le juge. Je n'avais jamais eu le plaisir d'entendre le nom de monsieur.»
Ici M. Phunky salua et sourit, et le juge salua et sourit aussi; et alors M. Phunky, rougissant jusqu'au blanc des yeux, s'efforça d'avoir l'air d'ignorer que tout le monde le regardait, chose qui n'a jamais réussi jusqu'à présent à personne, et qui suivant toutes probabilités, ne réussira en aucun temps.
«Procédons,» dit le juge.
Les huissiers, crièrent de nouveau: silence! et M. Skimpin exposa l'affaire; mais, lorsqu'elle fut exposée, l'audience n'en fut guère plus avancée, car l'avocat avait soigneusement gardé pour lui-même les particularités qu'il savait; et, quand il se rassit, au bout de trois minutes, la religion du jury était précisément aussi éclairée qu'auparavant.
Me Buzfuz se leva alors, avec toute la dignité qu'exigeait la nature de sa cause, chuchota avec Dodson, conféra brièvement avec Fogg, tira sa robe sur ses épaules, arrangea sa perruque, et s'adressa au jury.
Il commença par dire que jamais, dans le cours de sa carrière, jamais depuis le premier moment où il s'était appliqué à l'étude des lois, il ne s'était approché d'une cause avec des sentiments d'émotion aussi profonde, avec la conscience d'une aussi pesante responsabilité; responsabilité, pouvait-il dire, qu'il n'aurait jamais voulu assumer s'il n'avait pas été soutenu par la conviction, assez forte pour équivaloir à une certitude, par la conviction que la cause de la justice, ou, en d'autres termes, la cause de sa cliente, de sa cliente abusée, innocente et persécutée, devait prévaloir auprès des douze gentlemen intelligents, nobles et généreux, qu'il voyait assis en face de lui.
Les avocats commencent toujours de cette manière, parce que cela rend les jurés contents d'eux-mêmes en leur faisant croire qu'ils doivent être des personnages bien difficiles à tromper. Un effet visible fut produit immédiatement et plusieurs jurés commencèrent à prendre avec activité de volumineuses notes.
«Gentlemen, vous avez appris de mon savant ami, poursuivit Me Buzfuz, quoiqu'il sût très-bien que les gentlemen du jury n'avaient rien appris du tout du savant ami en question; vous avez appris de mon savant ami que ceci est une action pour violation de promesse de mariage, dans laquelle les dommages demandés sont de 1500 livres sterling; mais vous n'avez pas appris de mon savant ami, attendu que cela n'entrait pas dans les attributions de mon savant ami, quels sont les faits et les circonstances de la cause. Ces faits et ces circonstances, gentlemen, vous allez les entendre détaillés par moi et prouvés par les véridiques dames que je placerai devant vous dans cette tribune.»
Ici Me Buzfuz, avec une terrible emphase sur le mot tribune, frappa sa table d'un poing majestueux en regardant Dodson et Fogg. Ceux-ci firent un signe d'admiration pour l'avocat, d'indignation et de défi pour le défendeur.
«La plaignante, gentlemen, continua Me Buzfuz d'une voix douce et mélancolique, la plaignante est une veuve. Oui, gentlemen, une veuve. Feu M. Bardell, après avoir joui, pendant beaucoup d'années, de l'estime et de la confiance de son souverain, comme l'un des gardiens de ses revenus royaux, s'éloigna presque imperceptiblement de ce monde, pour aller chercher ailleurs le repos et la paix, que la douane ne peut jamais accorder.»
À cette poétique description du décès de M. Bardell (qui avait eu la tête cassée d'un coup de pinte dans une rixe de taverne), la voix du savant avocat trembla et s'éteignit un instant. Il continua avec grande émotion.
«Quelque temps avant sa mort, il avait imprimé sa ressemblance sur le front d'un petit garçon. Avec ce petit garçon, seul gage de l'amour du défunt douanier, Mme Bardell se cacha au monde et rechercha la tranquillité de la rue Goswell. Là elle plaça à la croisée de son parloir un écriteau manuscrit portant cette inscription: Appartement de garçon à louer en garni; s'adresser au rez-de-chaussée.»
Ici Me Buzfuz fit une pause, tandis que plusieurs gentlemen du jury prenaient note de ce document.
«Est-ce qu'il n'y a point de date à cette pièce? demanda un juré.
– Non, monsieur, il n'y a point de date, répondit l'avocat. Mais je suis autorisé à déclarer que cet écriteau fut mis à la fenêtre de la plaignante il y a justement trois années. J'appelle l'attention du jury sur les termes de ce document: Appartement de garçon à louer en garni. Messieurs, l'opinion que Mme Bardell s'était formée de l'autre sexe était dérivée d'une longue contemplation des qualités inestimables de l'époux qu'elle avait perdu. Elle n'avait pas de crainte; elle n'avait pas de méfiance; elle n'avait pas de soupçons; elle était tout abandon et toute confiance. M. Bardell, disait la veuve, M. Bardell était autrefois garçon; c'est à un garçon que je demanderai protection, assistance, consolation. C'est dans un garçon que je verrai éternellement quelque chose qui me rappellera ce qu'était M. Bardell, quand il gagna mes jeunes et vierges affections; c'est à un garçon que je louerai mon appartement. Entraînée par cette belle et touchante inspiration (l'une des plus belles inspirations de notre imparfaite nature, gentlemen), la veuve solitaire et désolée sécha ses lames, meubla son premier étage, serra son innocente progéniture sur son sein maternel, et mit à la fenêtre de son parloir l'écriteau que vous connaissez. Y resta-t-il longtemps? Non. Le serpent était aux aguets, la mèche était allumée, la mine était préparée, le sapeur et le mineur étaient à l'ouvrage. L'écriteau n'avait pas été trois jours à la fenêtre du parloir… trois jours, gentlemen! quand un être qui marchait sur deux jambes et qui ressemblait extérieurement à un homme et non point à un monstre, frappa à la porte de Mme Bardell. Il s'adressa au rez-de-chaussée; il loua le logement, et le lendemain il s'y installa. Cet être était Pickwick; Pickwick le défendeur.»