Kitabı oku: «Cantique de Noël», sayfa 2
Scrooge avait souvent entendu dire que Marley n'avait pas d'entrailles, mais il ne l'avait jamais cru jusqu'alors.
Non, et même il ne le croyait pas encore. Quoique son regard pût traverser le fantôme d'outre en outre, quoiqu'il le vît là debout devant lui, quoiqu'il sentît l'influence glaciale de ses yeux glacés par la mort, quoiqu'il remarquât jusqu'au tissu du foulard plié qui lui couvrait la tête, en passant sous son menton, et auquel il n'avait point pris garde auparavant, il refusait encore de croire et luttait contre le témoignage de ses sens.
«Que veut dire ceci? demanda Scrooge caustique et froid comme toujours. Que désirez-vous de moi?
– Beaucoup de choses!»
C'est la voix de Marley, plus de doute à cet égard.
«Qui êtes-vous?
– Demandez-moi qui j'étais.
– Qui étiez-vous alors? dit Scrooge, élevant la voix. Vous êtes bien puriste… pour une ombre.
– De mon vivant j'étais votre associé, Jacob Marley.
– Pouvez-vous… pouvez-vous vous asseoir? demanda Scrooge en le regardant d'un air de doute.
– Je le puis.
– Alors faites-le.»
Scrooge fit cette question parce qu'il ne savait pas si un spectre aussi transparent pouvait se trouver dans la condition voulue pour prendre un siège, et il sentait que, si par hasard la chose était impossible, il le réduirait à la nécessité d'une explication embarrassante. Mais le fantôme s'assit vis-à-vis de lui, de l'autre côté de la cheminée, comme s'il ne faisait que cela toute la journée.
«Vous ne croyez pas en moi? observa le spectre.
– Non, dit Scrooge.
– Quelle preuve de ma réalité voudriez-vous avoir, outre le témoignage de vos sens?
– Je ne sais trop, répondit Scrooge.
– Pourquoi doutez-vous de vos sens?
– Parce que, répondit Scrooge, la moindre chose suffit pour les affecter. Il suffit d'un léger dérangement dans l'estomac pour les rendre trompeurs; et vous pourriez bien n'être au bout du compte qu'une tranche de boeuf mal digérée, une demi-cuillerée de moutarde, un morceau de fromage, un fragment de pomme de terre mal cuite. Qui que vous soyez, pour un mort vous sentez plus la bierre que la bière.»
Scrooge n'était pas trop dans l'habitude de faire des calembours, et il se sentait alors réellement, au fond du coeur, fort peu disposé à faire le plaisant. La vérité est qu'il essayait ce badinage comme un moyen de faire diversion à ses pensées et de surmonter son effroi, car la voix du spectre le faisait frissonner jusque dans la moelle des os.
Demeurer assis, même pour un moment, ses regards arrêtés sur ces yeux fixes, vitreux, c'était là, Scrooge le sentait bien, une épreuve diabolique. Il y avait aussi quelque chose de vraiment terrible dans cette atmosphère infernale dont le spectre était environné. Scrooge ne pouvait la sentir lui-même, mais elle n'était pas moins réelle; car, quoique le spectre restât assis, parfaitement immobile, ses cheveux, les basques de son habit, les glands de ses bottes étaient encore agités comme par la vapeur chaude qui s'exhale d'un four.
«Voyez-vous ce cure-dent? dit Scrooge, retournant vivement à la charge, pour donner le change à sa frayeur, et désirant, ne fût-ce que pour une seconde, détourner de lui le regard du spectre, froid comme un marbre.
– Oui, répondit le fantôme.
– Mais vous ne le regardez seulement pas, dit Scrooge.
– Cela ne m'empêche pas de le voir, dit le spectre.
– Eh bien! reprit Scrooge, je n'ai qu'à l'avaler, et le reste de mes jours je serai persécuté par une légion de lutins, tous de ma propre création. Sottise, je vous dis… sottise!»
À ce mot le spectre poussa un cri effrayant et secoua sa chaîne avec un bruit si lugubre et si épouvantable, que Scrooge se cramponna à sa chaise pour s'empêcher de tomber en défaillance. Mais combien redoubla son horreur lorsque le fantôme, ôtant le bandage qui entourait sa tête, comme s'il était trop chaud pour le garder dans l'intérieur de l'appartement, sa mâchoire inférieure retomba sur sa poitrine.
Scrooge tomba à genoux et se cacha le visage dans ses mains.
«Miséricorde! s'écria-t-il. Épouvantable apparition!.. pourquoi venez-vous me tourmenter?
– Âme mondaine et terrestre! répliqua le spectre; croyez-vous en moi ou n'y croyez-vous pas?
– J'y crois, dit Scrooge; il le faut bien. Mais pourquoi les esprits se promènent-ils sur terre, et pourquoi viennent-ils me trouver?
– C'est une obligation de chaque homme, répondit le spectre, que son âme renfermée au dedans de lui se mêle à ses semblables et voyage de tous côtés; si elle ne le fait pendant la vie, elle est condamnée à le faire après la mort. Elle est obligée d'errer par le monde… (oh! malheureux que je suis!)… et doit être témoin inutile de choses dont il ne lui est plus possible de prendre sa part, quand elle aurait pu en jouir avec les autres sur la terre pour les faire servir à son bonheur!»
Le spectre poussa encore un cri, secoua sa chaîne et tordit ses mains fantastiques.
«Vous êtes enchaîné? demanda Scrooge tremblant; dites-moi pourquoi.
– Je porte la chaîne que j'ai forgée pendant ma vie, répondit le fantôme. C'est moi qui l'ai faite anneau par anneau, mètre par mètre; c'est moi qui l'ai suspendue autour de mon corps, librement et de ma propre volonté, comme je la porterai toujours de mon plein gré. Est-ce que le modèle vous en paraît étrange?»
Scrooge tremblait de plus en plus.
«Ou bien voudriez-vous savoir, poursuivit le spectre, le poids et la longueur du câble énorme que vous traînez vous-même? Il était exactement aussi long et aussi pesant que cette chaîne que vous voyez, il y a aujourd'hui sept veilles de Noël. Vous y avez travaillé depuis. C'est une bonne chaîne à présent!»
Scrooge regarda autour de lui sur le plancher, s'attendant à se trouver lui-même entouré de quelque cinquante ou soixante brasses de câbles de fer; mais il ne vit rien.
«Jacob, dit-il d'un ton suppliant, mon vieux Jacob Marley, parlez- moi encore. Adressez-moi quelques paroles de consolation, Jacob.
– Je n'ai pas de consolation à donner, reprit le spectre. Les consolations viennent d'ailleurs, Ebenezer Scrooge; elles sont apportées par d'autres ministres à d'autres espèces d'hommes que vous. Je ne puis non plus vous dire tout ce que je voudrais. Je n'ai plus que très peu de temps à ma disposition. Je ne puis me reposer, je ne puis m'arrêter, je ne puis séjourner nulle part. Mon esprit ne s'écarta jamais guère au-delà de notre comptoir; vous savez, pendant ma vie, mon esprit ne dépassa jamais les étroites limites de notre bureau de change; et voilà pourquoi, maintenant, il me reste à faire tant de pénibles voyages.»
C'était chez Scrooge une habitude de fourrer les mains dans les goussets de son pantalon toutes les fois qu'il devenait pensif. Réfléchissant à ce qu'avait dit le fantôme, il prit la même attitude, mais sans lever les yeux et toujours agenouillé.
«Il faut donc que vous soyez bien en retard, Jacob, observa Scrooge en véritable homme d'affaires, quoique avec humilité et déférence.
– En retard! répéta le spectre.
– Mort depuis sept ans, rumina Scrooge, et en route tout ce temps-là.
– Tout ce temps-là, dit le spectre… ni trêve ni repos, l'incessante torture du remords.
– Vous voyagez vite? demanda Scrooge.
– Sur les ailes du vent, répliqua le fantôme.
– Vous devez avoir vu bien du pays en sept ans», reprit Scrooge.
Le spectre, entendant ces paroles, poussa un troisième cri, et produisit avec sa chaîne un cliquetis si horrible dans le morne silence de la nuit, que le guet aurait eu toutes les raisons du monde de le traduire en justice pour cause de tapage nocturne.
«Oh! captif, enchaîné, chargé de fers! s'écria-t-il, pour avoir oublié que chaque homme doit s'associer, pour sa part, au grand travail de l'humanité, prescrit par l'Être suprême, et en perpétuer le progrès, car cette terre doit passer dans l'éternité avant que le bien dont elle est susceptible soit entièrement développé: pour avoir oublié que l'immensité de nos regrets ne pourra pas compenser les occasions manquées dans notre vie! et cependant c'est ce que j'ai fait: oh! oui, malheureusement, c'est ce que j'ai fait!
– Cependant vous fûtes toujours un homme exact, habile en affaires, Jacob, balbutia Scrooge qui commençait en ce moment à faire un retour sur lui-même.
– Les affaires! s'écria le fantôme en se tordant de nouveau les mains. C'est l'humanité qui était mon affaire; c'est le bien général qui était mon affaire; c'est la charité, la miséricorde, la tolérance et la bienveillance; c'est tout cela qui était mon affaire. Les opérations de mon commerce n'étaient qu'une goutte d'eau dans le vaste océan de mes affaires.»
Il releva sa chaîne de toute la longueur de son bras, comme pour montrer la cause de tous ses stériles regrets, et la rejeta lourdement à terre.
«C'est à cette époque de l'année expirante, dit le spectre, que je souffre le plus. Pourquoi ai-je alors traversé la foule de mes semblables toujours les yeux baissés vers les choses de la terre, sans les lever jamais vers cette étoile bénie qui conduisit les mages à une pauvre demeure? N'y avait-il donc pas de pauvres demeures aussi vers lesquelles sa lumière aurait pu me conduire?»
Scrooge était très effrayé d'entendre le spectre continuer sur ce ton, et il commençait à trembler de tous ses membres.
«Écoutez-moi, s'écria le fantôme. Mon temps est bientôt passé.
– J'écoute, dit Scrooge; mais épargnez-moi, ne faites pas trop de rhétorique, Jacob, je vous en prie.
– Comment se fait-il que je paraisse devant vous sous une forme que vous puissiez voir, je ne saurais le dire. Je me suis assis mainte et mainte fois à vos côtés en restant invisible.»
Ce n'était pas une idée agréable. Scrooge fut saisi de frissons et essuya la sueur qui découlait de son front.
«Et ce n'est pas mon moindre supplice, continua le spectre… Je suis ici ce soir pour vous avertir qu'il vous reste encore une chance et un espoir d'échapper à ma destinée, une chance et un espoir que vous tiendrez de moi, Ebenezer.
– Vous fûtes toujours pour moi un bon ami, dit Scrooge. Merci.
– Vous allez être hanté par trois esprits», ajouta le spectre.
La figure de Scrooge devint en un moment aussi pâle que celle du fantôme lui-même.
«Est-ce là cette chance et cet espoir dont vous me parliez, Jacob? demanda-t-il d'une voix défaillante.
– Oui.
– Je… je… crois que j'aimerais mieux qu'il n'en fût rien, dit
Scrooge.
– Sans leurs visites, reprit le spectre, vous ne pouvez espérer d'éviter mon sort. Attendez-vous à recevoir le premier demain quand l'horloge sonnera une heure.
– Ne pourrais-je pas les prendre tous à la fois pour en finir,
Jacob? insinua Scrooge.
– Attendez le second à la même heure la nuit d'après, et le troisième la nuit suivante, quand le dernier coup de minuit aura cessé de vibrer. Ne comptez pas me revoir, mais, dans votre propre intérêt, ayez soin de vous rappeler ce qui vient de se passer entre nous.»
Après avoir ainsi parlé, le spectre prit sa mentonnière sur la table et l'attacha autour de sa tête comme auparavant. Scrooge le comprit au bruit sec que firent ses dents lorsque les deux mâchoires furent réunies l'une à l'autre par le bandage. Alors il se hasarda à lever les yeux et aperçut son visiteur surnaturel debout devant lui, portant sa chaîne roulée autour de son bras.
L'apparition s'éloigna en marchant à reculons; à chaque pas qu'elle faisait, la fenêtre se soulevait un peu, de sorte que, quand le spectre l'eût atteinte, elle était toute grande ouverte. Il fit signe à Scrooge d'approcher; celui-ci obéit. Lorsqu'ils furent à deux pas l'un de l'autre, l'ombre de Marley leva la main et l'avertit de ne pas approcher davantage. Scrooge s'arrêta, non pas tant par obéissance que par surprise et par crainte; car, au moment où le fantôme leva la main, il entendit des bruits confus dans l'air, des sons incohérents de lamentation et de désespoir, des plaintes d'une inexprimable tristesse, des voix de regrets et de remords. Le spectre, ayant un moment prêté l'oreille, se joignit à ce choeur lugubre, et s'évanouit au sein de la nuit pâle et sombre.
Scrooge suivit l'ombre jusqu'à la fenêtre, et, dans sa curiosité haletante, il regarda par la croisée.
L'air était rempli de fantômes errant çà et là, comme des âmes en peine, exhalant, à mesure qu'ils passaient, de profonds gémissements. Chacun d'eux traînait une chaîne comme le spectre de Marley; quelques-uns, en petit nombre (c'étaient peut-être des cabinets de ministres complices d'une même politique), étaient enchaînés ensemble; aucun n'était libre. Plusieurs avaient été, pendant leur vie, personnellement connus de Scrooge. Il avait été intimement lié avec un vieux fantôme en gilet blanc, à la cheville duquel était attaché un monstrueux anneau de fer et qui se lamentait piteusement de ne pouvoir assister une malheureuse femme avec son enfant qu'il voyait au-dessous de lui sur le seuil d'une porte. Le supplice de tous ces spectres consistait évidemment en ce qu'ils s'efforçaient, mais trop tard, d'intervenir dans les affaires humaines, pour y faire quelque bien; ils en avaient pour jamais perdu le pouvoir.
Ces créatures fantastiques se fondirent-elles dans le brouillard ou le brouillard vint-il les envelopper dans son ombre, Scrooge n'en put rien savoir, mais et les ombres et leurs voix s'éteignirent ensemble, et la nuit redevint ce qu'elle avait été lorsqu'il était rentré chez lui.
Il ferma la fenêtre: il examina soigneusement la porte par laquelle était entré le fantôme. Elle était fermée à double tour, comme il l'avait fermée de ses propres mains; les verrous n'étaient point dérangés. Il essaya de dire: «Sottise!», mais il s'arrêta à la première syllabe. Se sentant un grand besoin de repos, soit par suite de l'émotion qu'il avait éprouvée, des fatigues de la journée, de cet aperçu du monde invisible, ou de la triste conversation du spectre, soit à cause de l'heure avancée, il alla droit à son lit, sans même se déshabiller, et s'endormit aussitôt.
Deuxième couplet
Le premier des trois esprits
Quand Scrooge s'éveilla, il faisait si noir, que, regardant de son lit, il pouvait à peine distinguer la fenêtre transparente des murs opaques de sa chambre. Il s'efforçait de percer l'obscurité avec ses yeux de furet, lorsque l'horloge d'une église voisine sonna les quatre quarts. Scrooge écouta pour savoir l'heure.
À son grand étonnement, la lourde cloche alla de six à sept, puis de sept à huit, et ainsi régulièrement jusqu'à douze; alors elle s'arrêta. Minuit! Il était deux heures passées quand il s'était couché. L'horloge allait donc mal? Un glaçon devait s'être introduit dans les rouages. Minuit!
Scrooge toucha le ressort de sa montre à répétition, pour corriger l'erreur de cette horloge qui allait tout de travers. Le petit pouls rapide de la montre battit douze fois et s'arrêta.
«Comment! il n'est pas possible, dit Scrooge, que j'aie dormi tout un jour et une partie d'une seconde nuit. Il n'est pas possible qu'il soit arrivé quelque chose au soleil et qu'il soit minuit à midi!»
Cette idée étant de nature à l'inquiéter, il sauta à bas de son lit et marcha à tâtons vers la fenêtre. Il fut obligé d'essuyer les vitres gelées avec la manche de sa robe de chambre avant de pouvoir bien voir, et encore il ne put pas voir grand'chose. Tout ce qu'il put distinguer, c'est que le brouillard était toujours très épais, qu'il faisait extrêmement froid, qu'on n'entendait pas dehors les gens aller et venir et faire grand bruit, comme cela aurait indubitablement eu lieu si le jour avait chassé la nuit et prit possession du monde. Ce lui fut un grand soulagement; car, sans cela que seraient devenues ses lettres de change: «à trois jours de vue, payez à M. Ebenezer Scrooge ou à son ordre», et ainsi de suite? de pures hypothèques sur les brouillards de l'Hudson.
Scrooge reprit le chemin de son lit et se mit à penser, à repenser, à penser encore à tout cela, toujours et toujours et toujours, sans rien y comprendre. Plus il pensait, plus il était embarrassé; et plus il s'efforçait de ne pas penser, plus il pensait. Le spectre de Marley le troublait excessivement. Chaque fois qu'après un mûr examen il décidait, au-dedans de lui-même, que tout cela était un songe, son esprit, comme un ressort qui cesse d'être comprimé, retournait en hâte à sa première position et lui présentait le même problème à résoudre: «était-ce ou n'était-ce pas un songe?»
Scrooge demeura dans cet état jusqu'à ce que le carillon eût sonné trois quarts d'heure de plus; alors il se souvint tout à coup que le spectre l'avait prévenu d'une visite quand le timbre sonnerait une heure. Il résolut de se tenir éveillé jusqu'à ce que l'heure fût passée, et considérant qu'il ne lui était pas plus possible de s'endormir que d'avaler la lune, c'était peut-être la résolution la plus sage qui fût en son pouvoir.
Ce quart d'heure lui parut si long, qu'il crut plus d'une fois s'être assoupi sans s'en apercevoir, et n'avoir pas entendu sonner l'heure. L'horloge à la fin frappa son oreille attentive.
«Ding, dong!
– Un quart, dit Scrooge comptant.
– Ding, dong!
– La demie! dit Scrooge.
– Ding, dong!
– Les trois quarts, dit Scrooge.
– Ding, dong!
– L'heure, l'heure! s'écria Scrooge triomphant, et rien autre!»
Il parlait avant que le timbre de l'horloge eût retenti; mais au moment où celui-ci eût fait entendre un coup profond, lugubre, sourd, mélancolique, une vive lueur brilla aussitôt dans la chambre et les rideaux de son lit furent tirés.
Les rideaux de son lit furent tirés, vous dis-je, de côté, par une main invisible; non pas les rideaux qui tombaient à ses pieds ou derrière sa tête, mais ceux vers lesquels son visage était tourné. Les rideaux de son lit furent tirés, et Scrooge, se dressant dans l'attitude d'une personne à demi couchée, se trouva face à face avec le visiteur surnaturel qui les tirait, aussi près de lui que je le suis maintenant de vous, et notez que je me tiens debout, en esprit, à votre coude.
C'était une étrange figure… celle d'un enfant; et, néanmoins, pas aussi semblable à un enfant qu'à un vieillard vu au travers de quelque milieu surnaturel, qui lui donnait l'air de s'être éloigné à distance et d'avoir diminué jusqu'aux proportions d'un enfant. Ses cheveux, qui flottaient autour de son cou et tombaient sur son dos, étaient blancs comme si c'eût été l'effet de l'âge; et, cependant son visage n'avait pas une ride, sa peau brillait de l'incarnat le plus délicat. Les bras étaient très longs et musculeux; les mains de même, comme s'il eût possédé une force peu commune. Ses jambes et ses pieds, très délicatement formés, étaient nus, comme les membres supérieurs. Il portait une tunique du blanc le plus pur, et autour de sa taille était serrée une ceinture lumineuse, qui brillait d'un vif éclat. Il tenait à la main une branche verte de houx fraîchement coupée; et, par un singulier contraste avec cet emblème de l'hiver, il avait ses vêtements garnis des fleurs de l'été. Mais la chose la plus étrange qui fût en lui, c'est que du sommet de sa tête jaillissait un brillant jet de lumière, à l'aide duquel toutes ces choses étaient visibles, et d'où venait, sans doute, que dans ses moments de tristesse, il se servait en guise de chapeau d'un grand éteignoir, qu'il tenait présentement sous son bras.
Ce n'était point là cependant, en regardant de plus près, son attribut le plus étrange aux yeux de Scrooge. Car, comme sa ceinture brillait et reluisait tantôt sur un point, tantôt sur un autre, ce qui était clair un moment devenait obscur l'instant d'après; l'ensemble de sa personne subissait aussi ces fluctuations et se montrait en conséquence sous des aspects divers. Tantôt c'était un être avec un seul bras, une seule jambe ou bien vingt jambes, tantôt deux jambes sans tête, tantôt une tête sans corps; les membres qui disparaissaient à la vue ne laissaient pas apercevoir un seul contour dans l'obscurité épaisse au milieu de laquelle ils s'évanouissaient. Puis, par un prodige singulier, il redevenait lui-même, aussi distinct et aussi visible que jamais.
«Monsieur, demanda Scrooge, êtes-vous l'esprit dont la venue m'a été prédite?
– Je le suis.»
La voix était douce et agréable, singulièrement basse, comme si, au lieu d'être si près de lui, il se fût trouvé dans l'éloignement.
«Qui êtes-vous donc? demanda Scrooge.
– Je suis l'esprit de Noël passé.
– Passé depuis longtemps? demanda Scrooge, remarquant la stature du nain.
– Non, votre dernier Noël.»
Peut-être Scrooge n'aurait pu dire pourquoi, si on le lui avait demandé, mais il éprouvait un désir tout particulier de voir l'esprit coiffé de son chapeau, et il le pria de se couvrir.
«Eh quoi! s'écria le spectre, voudriez-vous sitôt éteindre avec des mains mondaines la lumière que je donne? N'est-ce pas assez que vous soyez un de ceux dont les passions égoïstes m'ont fait ce chapeau et me forcent à le porter à travers les siècles enfoncé sur mon front!»
Scrooge nia respectueusement qu'il eût l'intention de l'offenser, et protesta qu'à aucune époque de sa vie il n'avait volontairement «coiffé» l'esprit. Puis il osa lui demander quelle besogne l'amenait.
«Votre bonheur!» dit le fantôme.
Scrooge se déclara fort reconnaissant, mais il ne put s'empêcher de penser qu'une nuit de repos non interrompu aurait contribué davantage à atteindre ce but. Il fallait que l'esprit l'eût entendu penser, car il dit immédiatement:
«Votre conversion, alors… Prenez garde!»
Tout en parlant, il étendit sa forte main, et le saisit doucement par le bras.
«Levez-vous! et marchez avec moi!»
C'eût été en vain que Scrooge aurait allégué que le temps et l'heure n'étaient pas propices pour une promenade à pied; que son lit était chaud et le thermomètre bien au-dessous de glace; qu'il était légèrement vêtu, n'ayant que ses pantoufles, sa robe de chambre et son bonnet de nuit; et qu'en même temps il avait à ménager son rhume. Pas moyen de résister à cette étreinte, quoique aussi douce que celle d'une main de femme. Il se leva; mais, s'apercevant que l'esprit se dirigeait vers la fenêtre, il saisit sa robe dans une attitude suppliante.
«Je ne suis qu'un mortel, lui représenta Scrooge, et par conséquent je pourrais bien tomber.
– Permettez seulement que ma main vous touche là, dit l'esprit mettant sa main sur le coeur de Scrooge, et vous serez soutenu dans bien d'autres épreuves encore.»
Comme il prononçait ces paroles, ils passèrent à travers la muraille et se trouvèrent sur une route en rase campagne, avec des champs de chaque côté. La ville avait entièrement disparu: on ne pouvait plus en voir de vestige. L'obscurité et le brouillard s'étaient évanouis en même temps, car c'était un jour d'hiver, brillant de clarté, et la neige couvrait la terre.
«Bon Dieu! dit Scrooge en joignant les mains tandis qu'il promenait ses regards autour de lui. C'est en ce lieu que j'ai été élevé; c'est ici que j'ai passé mon enfance!»
L'esprit le regarda avec bonté. Son doux attouchement, quoiqu'il eût été léger et n'eût duré qu'un instant, avait réveillé la sensibilité du vieillard. Il avait la conscience d'une foule d'odeurs flottant dans l'air, dont chacune était associée avec un millier de pensées, d'espérances, de joies et de préoccupations oubliées depuis longtemps, bien longtemps!
«Votre lèvre tremble, dit le fantôme. Et qu'est-ce que vous avez donc là sur la joue?
– Rien, dit Scrooge tout bas, d'une voix singulièrement émue; ce n'est pas la peur qui me creuse les joues; ce n'est rien, c'est seulement une fossette que j'ai là. Menez-moi, je vous prie, où vous voulez.
– Vous vous rappelez le chemin? demanda l'esprit.
– Me le rappeler! s'écria Scrooge avec chaleur… Je pourrais m'y retrouver les yeux bandés.
– Il est bien étrange alors que vous l'ayez oublié depuis tant d'années! observa le fantôme. Avançons.»
Ils marchèrent le long de la route, Scrooge reconnaissant chaque porte; chaque poteau, chaque arbre, jusqu'au moment où un petit bourg apparut dans le lointain, avec son pont, son église et sa rivière au cours sinueux. Quelques poneys aux longs crins se montrèrent en ce moment trottant vers eux, montés par des enfants qui appelaient d'autres enfants juchés dans des carrioles rustiques et des charrettes que conduisaient des fermiers. Tous ces enfants étaient très animés, et échangeaient ensemble mille cris variés, jusqu'à ce que les vastes campagnes furent si remplies de cette musique joyeuse, que l'air mis en vibration riait de l'entendre.
«Ce ne sont là que les ombres des choses qui ont été, dit le spectre. Elles ne se doutent pas de notre présence.»
Les gais voyageurs avancèrent vers eux; et, à mesure qu'ils venaient, Scrooge les reconnaissait et appelait chacun d'eux par son nom. Pourquoi était-il réjoui, plus qu'on ne peut dire, de les voir? pourquoi son oeil, ordinairement sans expression, s'illuminait-il? pourquoi son coeur bondissait-il à mesure qu'ils passaient? Pourquoi fut-il rempli de bonheur quand il les entendit se souhaiter l'un à l'autre un gai Noël, en se séparant aux carrefours et aux chemins de traverse qui devaient les ramener chacun à son logis? Qu'était un gai Noël pour Scrooge? Foin du gai Noël! Quel bien lui avait-il jamais fait?
«L'école n'est pas encore tout à fait déserte, dit le fantôme. Il y reste encore un enfant solitaire, oublié par ses amis.»
Scrooge dit qu'il le reconnaissait, et il soupira.
Ils quittèrent la grand'route pour s'engager dans un chemin creux parfaitement connu de Scrooge, et s'approchèrent bientôt d'une construction en briques d'un rouge sombre, avec un petit dôme surmonté d'une girouette; sous le toit une cloche était suspendue. C'était une maison vaste, mais qui témoignait des vicissitudes de la fortune; car on se servait peu de ses spacieuses dépendances; les murs étaient humides et couverts de mousse, leurs fenêtres brisées et les portes délabrées. Des poules gloussaient et se pavanaient dans les écuries; les remises et les hangars étaient envahis par l'herbe. À l'intérieur, elle n'avait pas gardé plus de restes de son ancien état; car, en entrant dans le sombre vestibule, et, en jetant un regard à travers les portes ouvertes de plusieurs pièces, ils les trouvèrent pauvrement meublées, froides et solitaires; il y avait dans l'air une odeur de renfermé; tout, en ce lieu, respirait un dénuement glacial qui donnait à penser que ses habitants se levaient souvent avant le jour pour travailler, et n'avaient pas trop de quoi manger.
Ils allèrent, l'esprit et Scrooge, à travers le vestibule, à une porte située sur le derrière de la maison. Elle s'ouvrit devant eux, et laissa voir une longue salle triste et déserte, que rendaient plus déserte encore des rangées de bancs et de pupitres en simple sapin. À l'un de ces pupitres, près d'un faible feu, lisait un enfant demeuré tout seul; Scrooge s'assit sur un banc et pleura en se reconnaissant lui-même, oublié, délaissé comme il avait coutume de l'être alors.
Pas un écho endormi dans la maison, pas un cri des souris se livrant bataille derrière les boiseries, pas un son produit par le jet d'eau à demi gelé, tombant goutte à goutte dans l'arrière- cour, pas un soupir du vent parmi les branches sans feuilles d'un peuplier découragé, pas un battement sourd d'une porte de magasin vide, non, non, pas le plus léger pétillement du feu qui ne fît sentir au coeur de Scrooge sa douce influence, et ne donnât un plus libre cours à ses larmes.
L'esprit lui toucha le bras et lui montra l'enfant, cet autre lui- même, attentif à sa lecture.
Soudain, un homme vêtu d'un costume étranger, visible, comme je vous vois, parut debout derrière la fenêtre, avec une hache attachée à sa ceinture, et conduisant par le licou un âne chargé de bois.
«Mais c'est Ali-Baba! s'écria Scrooge en extase. C'est le bon vieil Ali-Baba, l'honnête homme! Oui, oui, je le reconnais. C'est un jour de Noël que cet enfant là-bas avait été laissé ici tout seul, et que lui il vint, pour la première fois, précisément accoutré comme cela. Pauvre enfant! Et Valentin, dit Scrooge, et son coquin de frère, Orson; les voilà aussi. Et quel est son nom à celui-là, qui fut déposé tout endormi, presque nu, à la porte de Damas; ne le voyez-vous pas? Et le palefrenier du sultan renversé sens dessus dessous par les génies; le voilà la tête en bas! Bon! traitez-le comme il le mérite; j'en suis bien aise. Qu'avait-il besoin d'épouser la princesse!»
Quelle surprise pour ses confrères de la Cité, s'ils avaient pu entendre Scrooge dépenser tout ce que sa nature avait d'ardeur et d'énergie à s'extasier sur de tels souvenirs, moitié riant, moitié pleurant, avec un son de voix des plus extraordinaires, et voir l'animation empreinte sur les traits de son visage!
«Voilà le perroquet! continua-t-il; le corps vert et la queue jaune, avec une huppe semblable à une laitue sur le haut de la tête; le voilà! «Pauvre Robinson Crusoé!» lui criait-il quand il revint au logis, après avoir fait le tour de l'île en canot. «Pauvre Robinson Crusoé, où avez-vous été, Robinson Crusoé?» L'homme croyait rêver, mais non, il ne rêvait pas. C'était le perroquet, vous savez. Voilà Vendredi courant à la petite baie pour sauver sa vie! Allons, vite, courage, houp!»
Puis, passant d'un sujet à un autre avec une rapidité qui n'était point dans son caractère, touché de compassion pour cet autre lui- même qui lisait ces contes: «Pauvre enfant!» répéta-t-il, et il se mit encore à pleurer.
«Je voudrais… murmura Scrooge en mettant la main dans sa poche et en regardant autour de lui après s'être essuyé les yeux avec sa manche; mais il est trop tard maintenant.
– Qu'y a-t-il? demanda l'esprit.
– Rien, dit Scrooge, rien. Je pensais à un enfant qui chantait un Noël hier soir à ma porte; je voudrais lui avoir donné quelque chose: voilà tout.»
Le fantôme sourit d'un air pensif, et de la main, lui fit signe de se taire en disant: «Voyons un autre Noël.»
À ces mots, Scrooge vit son autre lui-même déjà grandi, et la salle devint un peu plus sombre et un peu plus sale. Les panneaux s'étaient fendillés, les fenêtres étaient crevassées, des fragments de plâtre étaient tombés du plafond, et les lattes se montraient à découvert. Mais comment tous ces changements à vue se faisaient-ils? Scrooge ne le savait pas plus que vous. Il savait seulement que c'était exact, que tout s'était passé comme cela, qu'il se trouvait là, seul encore, tandis que tous les autres jeunes garçons étaient allés passer les joyeux jours de fête dans leurs familles.