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Kitabı oku: «David Copperfield – Tome I», sayfa 4

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M. Peggotty allait parfois à un cabaret appelé Le bon Vivant. Je découvris cela un soir, deux ou trois jours après notre arrivée, en voyant mistress Gummidge lever sans cesse les yeux sur l'horloge hollandaise, entre huit et neuf heures, tout en répétant qu'il était au cabaret, et que, bien mieux, elle s'était doutée dès le matin qu'il ne manquerait pas d'y aller.

Pendant toute la matinée, mistress Gummidge avait été extrêmement abattue, et dans l'après-midi elle avait fondu en larmes, parce que le feu s'était mis à fumer. «Je suis une pauvre créature perdue sans ressource,» s'écria mistress Gummidge, en voyant ce désagrément, tout me contrarie.

«Oh! ce sera bientôt passé,» dit Peggotty (c'est de notre Peggotty que je parle), et puis, voyez-vous, c'est aussi désagréable pour nous que pour vous.

– Oui, mais moi, je le sens davantage,» dit mistress Gummidge.

C'était par un jour très-froid, le vent était perçant. Mistress Gummidge était, à ce qu'il me semblait, très-bien établie dans le coin le plus chaud de la chambre, elle avait la meilleure chaise, mais ce jour-là rien ne lui convenait. Elle se plaignait constamment du froid, qui lui causait une douleur dans le dos: elle appelait cela des fourmillements. Enfin elle se mit à pleurer et à répéter qu'elle n'était qu'une pauvre créature abandonnée, et que tout tournait contre elle.

«Il fait certainement très-froid, dit Peggotty. Nous le sentons bien tous, comme vous.

– Oui, mais moi, je le sens plus que d'autres,» dit Mistress Gummidge.

Et de même à dîner, mistress Gummidge était toujours servie immédiatement après moi, à qui on donnait la préférence comme à un personnage de distinction. Le poisson était mince et maigre, et les pommes de terre étaient légèrement brûlées. Nous avouâmes tous que c'était pour nous un petit désappointement, mais mistress Gummidge fondit en larmes et déclara avec une grande amertume qu'elle le sentait plus qu'aucun de nous.

Quand M. Peggotty rentra, vers neuf heures, l'infortunée mistress Gummidge tricotait dans son coin de l'air le plus misérable. Peggotty travaillait gaiement. Ham raccommodait une paire de grandes bottes. Moi, je lisais tout haut, la petite Émilie à côté de moi. Mistress Gummidge avait poussé un soupir de désolation, et n'avait pas, depuis le thé, levé une seule fois les yeux sur nous.

«Eh bien, les amis, dit M. Peggotty en prenant une chaise, comment ça va-t-il?»

Nous lui adressâmes tous un mot de bienvenue, excepté mistress Gummidge qui hocha tristement la tête sur son tricot.

«Qu'est-ce qui ne va pas? dit M. Peggotty tout en frappant des mains. Courage, vieille mère» (M. Peggotty voulait dire, vieille fille).

Mistress Gummidge n'avait pas la force de reprendre courage. Elle tira un vieux mouchoir de soie noire et s'essuya les yeux, mais au lieu de le remettre dans sa poche, elle le garda à la main, s'essuya de nouveau les yeux et le garda encore, tout prêt pour une autre occasion.

«Qu'est-ce qui cloche, ma bonne femme? dit M. Peggotty.

– Rien, répondit mistress Gummidge. Vous revenez du Bon vivant, Dan?

– Mais oui, j'ai fait ce soir une petite visite au Bon vivant, dit M. Peggotty.

– Je suis fâchée que ce soit moi qui vous force à aller là, dit mistress Gummidge.

– Me forcer! mais je n'ai pas besoin qu'on m'y force, repartit M. Peggotty avec le rire le plus franc; je n'y suis que trop disposé.

– Très-disposé, dit mistress Gummidge en secouant la tête et en s'essuyant les yeux. Oui, oui, très-disposé; je suis fâchée que ce soit à cause de moi que vous y soyez si disposé.

– À cause de vous? Ce n'est pas à cause de vous! dit M. Peggotty.

N'allez pas croire ça.

– Si, si, s'écria mistress Gummidge, je sais que je suis… je sais que je suis une pauvre créature perdue sans ressources, que non-seulement tout me contrarie, mais que je contrarie tout le monde. Oui, oui, je sens plus que d'autres et je le montre davantage. C'est mon malheur.»

Je ne pouvais m'empêcher, tout en écoutant ce discours, de me dire que son malheur se faisait bien sentir aussi à quelques autres membres de la famille. Mais M. Peggotty se garda bien de faire cette réflexion, et se borna à prier mistress Gummidge de reprendre courage.

«J'aimerais mieux être je ne sais pas quoi, dit mistress Gummidge. Certainement je me connais bien: ce sont mes peines qui m'ont aigrie. Je les sens toujours, et alors elles me contrarient. Je voudrais ne pas les sentir, mais je les sens. Je voudrais avoir le coeur plus dur, mais je ne l'ai pas. Je rends cette maison misérable, je ne m'en étonne pas. Je n'ai fait que tourmenter votre soeur tout le jour et M. Davy aussi.»

Ici l'attendrissement me gagna et je m'écriai dans mon trouble:

«Non, mistress Gummidge, vous ne m'avez pas tourmenté.

– Je sais bien que c'est mal à moi, dit mistress Gummidge. C'est mal reconnaître tout ce qu'on a fait pour moi. Je ferais mieux d'aller mourir à l'hospice. Je suis une pauvre créature perdue sans ressources, et il vaut mieux que je ne reste pas ici à faire aller tout de travers. Si les choses vont tout de travers avec moi et que j'aille moi-même tout de travers, il vaut mieux que j'aille tout de travers dans l'hospice de la paroisse. Dan, laissez-moi y aller mourir, pour vous débarrasser de moi!»

À ces mots mistress Gummidge se retira, et alla se coucher. Quand elle fut partie, M. Peggotty, qui jusque-là lui avait manifesté la plus profonde sympathie, se tourna vers nous, le visage encore tout empreint de ce sentiment, et nous dit à voix basse:

«Elle a pensé à l'ancien.»

Je ne comprenais pas bien sur quel ancien on supposait qu'avait pu méditer mistress Gummidge, mais Peggotty m'expliqua, tout en m'aidant à me coucher, que c'était feu M. Gummidge, et que son frère avait toujours cette explication toute prête dans de telles occasions, explication qui lui causait alors une grande émotion. Je l'entendis répéter à Ham, plusieurs fois, du hamac où il était couché:

«Pauvre femme! c'est qu'elle pensait à l'ancien!»

Et toutes les fois que, durant mon séjour, mistress Gummidge se laissa aller à sa mélancolie (ce qui arriva assez fréquemment) il répéta la même chose pour excuser son abattement, et toujours avec la plus tendre commisération.

Quinze jours se passèrent ainsi, sans autre variété que le changement des marées qui faisait sortir ou rentrer M. Peggotty à d'autres heures, et qui apportait aussi quelque variété dans les occupations de Ham. Quand ce dernier n'avait rien à faire, il se promenait quelquefois avec nous pour nous montrer les vaisseaux et les barques. Une ou deux fois, il nous fit faire une excursion en bateau. Je ne sais pourquoi il y a des impressions qui s'associent plus particulièrement à un lieu qu'à un autre, mais je crois que c'est comme cela pour beaucoup de personnes, surtout pour les souvenirs de leur enfance; ce qu'il y a de sûr, c'est que je ne puis jamais lire ou entendre prononcer le nom de Yarmouth sans me rappeler un certain dimanche matin où nous étions sur la plage: les cloches appelaient les fidèles à l'église: La tête de la petite Émilie reposait sur mon épaule: Ham jetait nonchalamment des cailloux dans la mer, et le soleil, dissipant au loin un épais brouillard, nous faisait entrevoir les vaisseaux à l'horizon.

Enfin le jour de la séparation arriva. Je me sentais le courage de quitter M. Peggotty et mistress Gummidge, mais mon coeur se brisait à la pensée de dire adieu à la petite Émilie. Nous allâmes, en nous donnant le bras, jusqu'à l'auberge où le voiturier descendait, et en chemin je promis de lui écrire (je tins plus tard ma promesse, en lui envoyant une page de caractères plus gros que ceux des affiches ou des annonces des appartements à louer). Au moment de nous quitter, notre émotion fut terrible, et s'il m'est jamais arrivé dans ma vie de sentir se faire dans mon coeur un vide immense, c'est ce jour-là.

Pendant tout le temps de ma visite, j'avais été assez ingrat pour la maison paternelle; je n'y avais que peu ou point pensé; mais à peine eus-je repris le chemin de ma demeure, que ma conscience enfantine m'en montra le chemin d'un air de reproche, et plus je me sentis désolé, plus je compris que c'était là mon refuge, et que ma mère était mon amie et ma consolation.

À mesure que nous avancions, ce sentiment s'emparait de moi davantage. Aussi, en reconnaissant sur la route tout ce qui m'était familier et cher, je me sentais transporté du désir d'arriver près de ma mère et de me jeter dans ses bras. Mais Peggotty, au lieu de partager mes transports, cherchait à les calmer (bien que très-tendrement) et elle avait l'air tout embarrassé et mal à son aise.

Blunderstone la Rookery devait cependant, en dépit des efforts de Peggotty, apparaître devant moi, lorsque cela plairait au cheval du voiturier. Je le vis enfin, comme je me le rappelle bien encore, par cette froide matinée, sous un ciel gris qui annonçait la pluie!

La porte s'ouvrit; moitié riant, moitié pleurant, dans une douce agitation, je levai les yeux pour voir ma mère. Ce n'était pas elle, mais une servante inconnue.

«Comment, Peggotty! dis-je d'un ton lamentable, elle n'est pas encore revenue?

– Si, si, monsieur Davy, dit Peggotty, elle est revenue. Attendez un moment, monsieur Davy, et… et je vous dirai quelque chose.»

Au milieu de son agitation, Peggotty, naturellement fort maladroite, mettait sa robe en lambeaux dans ses efforts pour descendre de la carriole, mais j'étais trop étonné et trop désappointé pour le lui dire. Quand elle fut descendue, elle me prit par la main, me conduisit dans la cuisine, à ma grande stupéfaction, puis ferma la porte.

«Peggotty, dis-je tout effrayé, qu'est-ce qu'il y a donc?

– Il n'y a rien, mon cher monsieur Davy; que le bon Dieu vous bénisse! répondit-elle, en affectant de prendre un air joyeux.

– Si, je suis sûr qu'il y a quelque chose. Où est maman?

– Où est maman, monsieur Davy? répéta Peggotty.

– Oui. Pourquoi n'est-elle pas à la grille, et pourquoi sommes- nous entrés ici? Oh! Peggotty!» Mes yeux se remplissaient de larmes et il me semblait que j'allais tomber.

«Que Dieu le bénisse, ce cher enfant! cria Peggotty en me saisissant par le bras. Qu'est-ce que vous avez? Mon chéri, parlez-moi!

– Elle n'est pas morte, elle aussi? Oh! Peggotty, elle n'est pas morte?

– Non!» s'écria Peggotty avec une énergie incroyable; puis elle se rassit toute haletante, en disant que je lui avais porté un coup.

Je me mis à l'embrasser de toutes mes forces pour effacer le coup ou pour lui en donner un autre qui rectifiât le premier, puis je restai debout devant elle, silencieux et étonné.

«Voyez-vous, mon chéri, j'aurais dû vous le dire plus tôt, reprit Peggotty, mais je n'en ai pas trouvé l'occasion. J'aurais dû le faire peut-être, mais voilà… c'est que… je n'ai pas pu m'y décider tout à fait.

– Continuez, Peggotty, dis-je plus effrayé que jamais.

– Monsieur Davy, dit Peggotty en dénouant son chapeau d'une main tremblante et d'une voix entrecoupée, c'est que, voyez-vous, vous avez un papa!»

Je tremblai, puis je pâlis. Quelque chose, je ne saurais dire quoi, quelque chose qui semblait venir du tombeau dans le cimetière, comme si les morts s'étaient réveillés, avait passé auprès de moi, répandant un souffle mortel.

«Un autre, dit Peggotty.

– Un autre?» répétai-je.

Peggotty toussa légèrement, comme si elle avait avalé quelque chose qui lui raclât le gosier, puis me prenant la main, elle me dit:

«Venez le voir.

– Je ne veux pas le voir.

– Et votre maman,» dit Peggotty.

Je ne reculai plus, et nous allâmes droit au grand salon, où elle me laissa. Ma mère était assise à un coin de la cheminée; je vis M. Murdstone assis à l'autre. Ma mère laissa tomber son ouvrage et se leva précipitamment, mais timidement, à ce que je crus voir.

«Maintenant, Clara, ma chère, dit M. Murdstone, souvenez-vous! Il faut vous contenir, il faut toujours vous contenir! Davy, mon garçon, comment vous portez-vous?»

Je lui tendis la main. Après un moment de suspens, j'allai embrasser ma mère: elle m'embrassa aussi, posa doucement la main sur mon épaule, puis se remit à travailler. Je ne pouvais regarder ni elle ni lui, mais je savais bien qu'il nous regardait tous deux; je m'approchai de la fenêtre et je contemplai longtemps quelques arbustes que les frimas faisaient ployer sous leur poids.

Dès que je pus m'échapper, je montai l'escalier. Mon ancienne chambre que j'aimais tant était toute changée, et je devais habiter bien loin de là. Je redescendis pour voir si je trouverais quelque chose qui n'eût pas changé: tout me paraissait si différent! j'errai dans la cour, mais bientôt je fus forcé de m'enfuir, car la niche, jadis vide, était maintenant occupée par un grand chien, à la gueule profonde et à la crinière noire, un vrai diable: à ma vue il s'était élancé vers moi comme pour me happer.

CHAPITRE IV
Je tombe en disgrâce

Si la chambre où on avait transporté mon lit pouvait rendre témoignage de ce qui se passait dans ses murs, je pourrais, aujourd'hui encore (qui est-ce qui demeure là? j'aimerais le savoir), l'appeler en témoignage pour déclarer combien mon coeur était désolé lorsque j'y rentrai ce soir-là. En remontant, j'entendis le gros chien qui continuait d'aboyer après moi; la chambre me paraissait triste et inconnue, j'étais aussi triste qu'elle: je m'assis; mes petites mains se croisèrent machinalement, et je me mis à penser.

Je pensai aux choses les plus bizarres: À la forme de la chambre, aux fentes du plafond, au papier qui recouvrait les murs, aux défauts des carreaux qui faisaient des bosses ou des creux dans le paysage, à ma table de toilette dont les trois pieds boiteux avaient quelque chose de rechigné qui me rappela mistress Gummidge lorsqu'elle songeait à l'Ancien. Et alors je pleurais, mais, sauf que je me sentais tout gelé et misérable, je crois que je ne savais pas bien pourquoi je pleurais. Enfin, dans mon désespoir, il me vint à l'esprit que j'aimais passionnément la petite Émilie, qu'on m'avait enlevé à elle pour m'amener dans un lieu où personne ne m'aimait autant qu'elle. À force de me désoler de cette pensée, je finis par me rouler dans un coin de mon couvre-pied et par m'endormir en pleurant.

Je me réveillai en entendant quelqu'un dire: «Le voilà!» Une main découvrait doucement ma tête brûlante. Ma mère et Peggotty étaient venues me chercher, et c'était la voix de l'une d'elles que j'avais entendue.

«Davy, dit ma mère, qu'est-ce que vous avez donc?»

Comment pouvait-elle se demander cela? Je répondis: «Je n'ai rien.» Mais je détournai la tête pour cacher le tremblement de ma lèvre qui lui en aurait pu dire davantage.

«Davy! dit ma mère, Davy, mon enfant!»

Rien de ce qu'elle aurait pu dire ne m'aurait autant troublé que ces simples mots: «Mon enfant!» Je cachai mes larmes dans mon oreiller, et je repoussai la main de ma mère qui voulait m'attirer vers elle.

«C'est votre faute, Peggotty, méchante que vous êtes! dit ma mère. Je le sais bien. Comment pouvez-vous, je vous le demande, avoir le courage d'indisposer mon cher enfant contre moi ou contre ceux que j'aime. Qu'est-ce que cela veut dire, Peggotty?»

La pauvre Peggotty leva les yeux au ciel et répondit, en commentant la prière d'actions de grâces que je répétais habituellement après le dîner:

«Que le Seigneur vous pardonne, mistress Copperfield, et puissiez- vous ne jamais avoir à vous repentir de ce que vous venez de dire là!

– Il y a de quoi me faire perdre la tête, s'écria ma mère, et cela pendant une lune de miel, quand on devrait croire que mon plus cruel ennemi ne voudrait pas m'enlever un peu de paix et de bonheur. Davy, méchant enfant! Peggotty, atroce femme que vous êtes! Oh! mon Dieu, s'écria ma mère en se tournant de l'un à l'autre avec une irritation capricieuse, quel triste séjour que ce monde, et dans un moment où on devrait s'attendre à n'avoir que des choses agréables!»

Je sentis tout d'un coup se poser sur moi une main qui n'était ni celle de ma mère ni celle de Peggotty; je me glissai au pied de mon lit. C'était la main de M. Murdstone qui tenait mon bras.

«Qu'est-ce que cela signifie, Clara, mon amour? Avez-vous oublié?

Un peu de fermeté, ma chère!

– Je suis bien fâchée, Édouard, dit ma mère, je voulais être raisonnable, mais je me sens si triste!

– Vraiment, dit-il, je suis fâché de vous entendre dire cela; c'est commencer bien tôt, Clara.

– Je dis qu'il est bien dur qu'on me rende malheureuse en ce moment, dit ma mère en faisant une petite moue; et c'est… c'est bien dur… n'est-ce pas?»

Il l'attira à lui, lui murmura quelques mots à l'oreille, et l'embrassa. La tête de ma mère reposait sur son épaule, elle avait passé son bras autour du cou de son mari; je compris dès lors qu'il pourrait toujours, comme il le faisait alors, faire plier à son gré une nature si flexible.

– Descendez, mon amour, dit M. Murdstone, David et moi nous allons revenir tout à l'heure. Ma brave femme, dit-il en se tournant vers Peggotty, lorsqu'il eut vu sortir ma mère de la chambre, en l'accompagnant d'un gracieux sourire, ma brave femme, et il la regardait d'un air menaçant, vous savez le nom de votre maîtresse?

– Il y a longtemps qu'elle est ma maîtresse, monsieur, répondit Peggotty, je dois le savoir.

– C'est vrai, répondit-il, mais tout à l'heure, en montant, j'ai cru vous entendre l'appeler par un nom qui n'est pas le sien. Elle a pris le mien, vous le savez. Ne l'oubliez pas, je vous prie.»

Peggotty sortit sans répondre autrement que par une révérence, tout en me lançant des regards inquiets; elle avait probablement compris qu'on voulait qu'elle s'en allât, et elle n'avait point d'excuse à donner pour rester.

Lorsque nous fûmes tous deux seuls, il ferma la porte, et s'asseyant sur une chaise devant laquelle il se tenait debout, il fixa sur moi un regard perçant; mes yeux à moi s'attachaient aux siens. Il me semble encore entendre battre mon petit coeur.

«David, dit-il, et ses lèvres minces se serraient l'une contre l'autre, quand j'ai à réduire un cheval ou un chien entêté, qu'est-ce que je fais, selon vous?

– Je n'en sais rien.

– Je le bats.»

Je lui avais répondu d'une voix presque éteinte, mais je sentais maintenant que la respiration me manquait tout à fait.

«Je le fais céder et demander grâce. Je me dis, voilà un drôle que je veux dompter, et quand même cela devrait lui coûter tout le sang qu'il a dans les veines, j'en viendrai à bout. Qu'est-ce que je vois-là sur votre joue?

– C'est de la boue, répondis-je.»

Il savait aussi bien que moi que c'était la trace de mes larmes; mais quand même il m'aurait adressé vingt fois la même question, en m'assommant de coups chaque fois, je crois que mon petit coeur se serait brisé avant que je lui répondisse autrement.

«Pour un enfant, vous avez beaucoup d'intelligence, dit-il avec le sourire grave qui lui était familier, et vous m'avez compris, je le vois. Lavez-vous la figure, monsieur, et descendez avec moi.»

Il me montra la toilette, celle que je comparais dans mon esprit à mistress Gummidge, et me fit signe de la tête de lui obéir immédiatement. Je ne doutais pas alors, et je doute encore moins maintenant, qu'il ne fût tout prêt à me rouer de coups, sans le moindre scrupule, si j'avais hésité.

«Clara, ma chère, dit-il, lorsque je lui eus obéi et que nous fûmes descendus au salon, sa main toujours appuyée sur mon bras, on ne vous tourmentera plus, j'espère. Nous corrigerons notre petit caractère.»

Dieu m'est témoin qu'en ce moment un mot de tendresse aurait pu me rendre meilleur pour toute ma vie, peut-être faire de moi une autre créature. En m'encourageant et en m'expliquant ce qui s'était passé, en m'assurant que j'étais le bienvenu et que ce serait toujours là mon chez moi, M. Murdstone aurait pu attirer à lui mon coeur, au lieu de s'assurer une obéissance hypocrite; au lieu de le haïr, j'aurais pu le respecter. Il me sembla que ma mère était fâchée de me voir là debout au milieu de la chambre, l'air malheureux et effaré, et que, lorsqu'elle me vit aller timidement m'asseoir, ses yeux me suivirent plus tristement encore, comme si elle eût souhaité me voir plutôt courir gaiement; mais alors elle ne me dit pas un mot, et plus tard, il n'était plus temps.

Nous dînâmes seuls, tous les trois. Il avait l'air d'aimer beaucoup ma mère, ce qui ne me réconciliait pas avec lui, j'en ai bien peur, et elle, elle l'aimait beaucoup. Je compris à leur conversation qu'ils attendaient ce même soir une soeur aînée de M. Murdstone qui venait demeurer avec eux. Je ne me rappelle pas bien si c'est alors ou plus tard que j'appris, que, sans être positivement dans le commerce, il avait une part annuelle dans les bénéfices d'un négociant en vins de Londres, et que sa soeur avait le même intérêt que lui dans cette maison qui était liée avec sa famille depuis le temps de son arrière grand-père; en tout cas, j'en parle ici par occasion.

Après le dîner, nous étions assis au coin du feu, et je méditais d'aller retrouver Peggotty, mais la crainte que j'avais de mon nouveau maître m'ôtait la hardiesse de m'échapper, lorsqu'on entendit une voiture s'arrêter à la grille du jardin; M. Murdstone sortit pour aller voir qui c'était; ma mère se leva aussi. Je la suivais timidement, quand à la porte du salon elle s'arrêta, et profitant de l'obscurité, elle me prit dans ses bras comme elle faisait jadis, en me disant tout bas qu'il fallait aimer mon nouveau père et lui obéir. Elle me parlait rapidement et en cachette comme si elle faisait mal, mais très-tendrement, et elle me tint une main dans la sienne jusqu'à ce que nous fûmes près de l'endroit du jardin où était son mari, alors elle lâcha ma main et passa la sienne dans le bras de M. Murdstone.

C'était miss Murdstone qui venait d'arriver; elle avait l'air sinistre, les cheveux noirs comme son frère, auquel elle ressemblait beaucoup de figure et de manières; ses sourcils épais se croisaient presque sur son grand nez, comme si elle eût reporté là les favoris que son sexe ne lui permettait pas de garder à leur place naturelle. Elle était suivie de deux caisses noires, dures et farouches comme elle; sur le couvercle on lisait ses initiales en clous de cuivre. Quand elle voulut payer le cocher, elle tira son argent d'une bourse d'acier, elle la renferma ensuite dans un sac qui avait plutôt l'air d'une prison portative suspendue à son bras au moyen d'une lourde chaîne, et qui claquait en se fermant comme une trappe. Je n'avais jamais vu de dame aussi métallique que miss Murdstone.

On la fit entrer dans le salon avec une foule de souhaits de bienvenue, et là elle salua solennellement ma mère comme sa nouvelle et proche parente; puis, levant les yeux sur moi, elle dit:

«Est-ce votre fils, ma belle-soeur?»

Ma mère dit que oui.

«En général, dit miss Murdstone, je n'aime pas les garçons.

Comment vous portez-vous, petit garçon?»

Je répondis à ce discours obligeant que je me portais très-bien et que j'espérais qu'il en était de même pour elle, mais j'y mis si peu de grâce que miss Murdstone me jugea immédiatement en deux mots:

«Mauvaises manières!»

Après avoir prononcé cette sentence d'une voix très-sèche, elle demanda à voir sa chambre, qui devint dès lors pour moi un lieu de terreur et d'épouvante. Jamais on n'y vit les deux malles noires s'ouvrir ni rester entr'ouvertes. Une ou deux fois, en passant timidement ma tête à la porte entrebâillée, je vis, en l'absence de miss Murdstone, une série de petits bijoux et de chaînes d'acier pendus autour de la glace dans un appareil formidable; c'était, dans les jours de grande toilette, la parure de miss Murdstone.

Je crus comprendre qu'elle venait s'installer chez nous pour tout de bon, et qu'elle n'avait nulle intention de jamais repartir. Le lendemain matin elle commença à aider ma mère et elle passa toute la journée à mettre tout en ordre, sans respecter en rien les anciens arrangements. Une des premières choses remarquables que j'observai en miss Murdstone, c'est qu'elle était constamment poursuivie par le soupçon que les domestiques tenaient un homme caché quelque part dans la maison. Sous l'influence de cette conviction, elle se plongeait dans la cave au charbon aux heures les plus étranges, et il ne lui arrivait presque jamais d'ouvrir la porte d'un petit recoin obscur sans la refermer brusquement, dans la persuasion, sans doute, qu'elle le tenait.

Bien que miss Murdstone n'eût rien de très-aérien, elle se levait aussitôt que les alouettes. Avant que personne eût bougé dans la maison, elle était toujours, à ce que je crois encore aujourd'hui, à la recherche de son homme. Peggotty assurait qu'elle dormait un oeil ouvert, mais je n'étais pas de son avis, car, lorsqu'elle eut avancé cette opinion, je voulus en faire sur moi l'expérience, et je la trouvai tout à fait impraticable.

Le matin qui suivit son arrivée elle avait sonné avant le premier chant du coq. Quand ma mère descendit pour le déjeuner, miss Murdstone s'approcha d'elle, au moment où elle allait faire le thé, posa une seconde sa joue contre la sienne, c'était sa manière d'embrasser, et lui dit:

«Vous savez, ma chère Clara, que je suis venue ici pour vous épargner toute espèce d'embarras. Vous êtes beaucoup trop jolie et trop enfant (ma mère rougit et sourit, ce rôle semblait ne pas lui trop déplaire) pour vous charger de devoirs que je pourrai remplir à votre place. Ainsi, ma chère, si vous voulez bien me donner vos clefs, à l'avenir je m'occuperai de tout cela.»

À partir de ce jour, miss Murdstone garda les clefs dans son sac d'acier durant la journée, sous son oreiller pendant la nuit, et ma mère n'eut pas à s'en occuper plus que moi.

Ma mère n'abandonna pourtant pas son autorité à une autre sans essayer de protester. Un soir que miss Murdstone développait à son frère certains plans intérieurs auxquels il donnait son approbation, ma mère se mit tout d'un coup à pleurer en disant qu'il lui semblait qu'au moins on aurait pu la consulter.

«Clara! dit sévèrement M. Murdstone, Clara! vous m'étonnez.

– Oh, vous pouvez bien dire que je vous étonne, Édouard, s'écria ma mère, et répéter qu'il faut de la fermeté, mais je suis bien sûre que cela ne vous plairait pas plus qu'à moi.»

Ici je ferai remarquer que la fermeté était la qualité dominante dont se piquaient M. et miss Murdstone. Je ne sais pas quel nom j'eusse donné alors à cette fermeté, mais je sentais très- clairement que c'était, sous un autre nom, une véritable tyrannie, une humeur opiniâtre, arrogante et diabolique qui leur était commune à tous deux. Leur doctrine, la voici. M. Murdstone était ferme; personne autour de lui ne devait être aussi ferme que M. Murdstone; personne autour de lui ne devait être le moins du monde ferme, car tous devaient plier devant lui. Miss Murdstone faisait exception. Il lui était permis d'être ferme, mais seulement par alliance, et à un degré inférieur et tributaire. Ma mère était une autre exception. Il lui était permis d'être ferme; cela lui était même recommandé; mais seulement à condition d'obéir à leur fermeté, et de croire fermement qu'il n'y avait qu'eux sur la terre qui eussent de la fermeté.

«Il est bien dur, disait ma mère, que dans ma maison…

– Dans ma maison? répéta M. Murdstone. Clara!

– Dans notre maison, je veux dire, balbutia ma mère, évidemment très-effrayée, j'espère que vous savez ce que je veux dire, Édouard, il est bien dur que dans notre maison je n'aie pas la permission de dire un mot sur les affaires du ménage. Je m'en tirais certainement très-bien avant notre mariage. Il y a des témoins, dit ma mère en sanglotant, demandez à Peggotty si je ne m'en tirais pas très-bien quand on ne se mêlait pas de mes affaires.

– Édouard, dit miss Murdstone, mettons fin à tout ceci. Je pars demain.

– Jane Murdstone, dit son frère, taisez-vous! On croirait à vous entendre que vous ne me connaissez pas?

– Je puis bien dire, reprit ma pauvre mère, qui perdait du terrain et qui pleurait à chaudes larmes, je puis bien dire que je ne désire pas que personne s'en aille. Je serais très-malheureuse et très-misérable si quelqu'un s'en allait. Je ne demande pas grand'chose. Je ne suis pas déraisonnable. Je demande seulement qu'on me consulte quelquefois. Je suis très-reconnaissante à tous ceux qui veulent bien m'aider, et je demande seulement qu'on me consulte quelquefois pour la forme. Je croyais autrefois que vous m'aimiez parce que j'étais jeune et sans expérience. Édouard, je me rappelle bien que vous me le disiez alors, mais maintenant vous avez l'air de me haïr à cause de cela même, vous êtes si sévère!

– Édouard, dit miss Murdstone une seconde fois, mettons fin à tout ceci. Je pars demain.

– Jane Murdstone, répondit M. Murdstone d'une voix de tonnerre.

Voulez-vous vous taire? Comment osez-vous?..»

Miss Murdstone tira de prison son mouchoir de poche, et le mit devant ses yeux.

«Clara, continua-t-il en se tournant vers ma mère, vous me surprenez! Vous m'étonnez! Oui, j'avais eu quelque plaisir à épouser une personne simple et sans expérience; je voulais former son caractère et lui donner un peu de cette fermeté et de cette décision dont elle avait besoin. Mais quand Jane Murdstone a la bonté de venir m'aider dans cette entreprise, quand elle consent à remplir, par affection pour moi, une condition qui est presque celle d'une femme de charge, et quand je vois que, pour la récompenser, on la traite grossièrement…

– Oh, je vous en prie, Édouard, je vous en prie, cria ma mère, ne m'accusez pas d'ingratitude. Je ne suis pas ingrate, assurément. Personne ne me l'a jamais reproché. J'ai bien des défauts, mais je n'ai pas celui-là. Oh non, mon ami!

– Quand je vois, reprit-il, sitôt que ma mère eut fini de parler, quand je vois qu'on traite grossièrement Jane Murdstone, mes sentiments s'altèrent et se refroidissent.

– Oh ne dites pas cela, mon ami, reprit ma mère d'un ton suppliant. Oh non, Édouard, je ne peux pas le supporter. Quelques défauts que je puisse avoir, je suis affectueuse. Je sais que je suis affectueuse. Je ne le dirais pas si je n'en étais pas bien sûre. Demandez à Peggotty. Elle vous dira, j'en suis sûre, que je suis affectueuse.

– Il n'y a point de faiblesse, quelle qu'elle soit, qui puisse avoir le moindre poids à mes yeux, Clara, répondit M. Murdstone, remettez-vous.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
28 eylül 2017
Hacim:
690 s. 1 illüstrasyon
Tercüman:
Telif hakkı:
Public Domain
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