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Kitabı oku: «David Copperfield – Tome II», sayfa 37

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CHAPITRE XXXIII
Un visiteur

Je touche au terme du récit que j'ai voulu faire; mais il y a encore un incident sur lequel mon souvenir s'arrête souvent avec plaisir, et sans lequel un des fils de ma toile resterait emmêlé.

Ma renommée et ma fortune avaient grandi, mon bonheur domestique était parfait, j'étais marié depuis dix ans. Par une soirée de printemps, nous étions assis au coin du feu, dans notre maison de Londres, Agnès et moi. Trois de nos enfants jouaient dans la chambre, quand on vint me dire qu'un étranger voulait me parler.

On lui avait demandé s'il venait pour affaire, et il avait répondu que non: il venait pour avoir le plaisir de me voir, et il arrivait d'un long voyage. Mon domestique disait que c'était un homme d'âge qui avait l'air d'un fermier.

Cette nouvelle produisit une certaine émotion; elle avait quelque chose de mystérieux qui rappelait aux enfants le commencement d'une histoire favorite que leur mère se plaisait à leur raconter, et où l'on voyait arriver ainsi déguisée sous son manteau, une méchante vieille fée qui détestait tout le monde. L'un de nos petits garçons cacha sa tête dans les genoux de sa maman pour être à l'abri de tout danger, et la petite Agnès (l'aînée de nos enfants), assit sa poupée sur une chaise, pour figurer à sa place, et courut derrière les rideaux de la fenêtre d'où elle laissait passer la forêt de boucles dorées de sa petite tête blonde, curieuse de voir ce qui allait se passer.

«Faites entrer!» dis-je.

Nous vîmes bientôt apparaître et s'arrêter dans l'ombre, sur le seuil de la porte, un vieillard vert et robuste, avec des cheveux gris. La petite Agnès, attirée par son air avenant, avait couru à sa rencontre pour le faire entrer, et je n'avais pas encore bien reconnu ses traits, quand ma femme, se levant tout à coup, s'écria d'une voix émue que c'était M. Peggotty.

C'était M. Peggotty! Il était vieux à présent, mais de ces vieillesses vermeilles, vives et vigoureuses. Quand notre première émotion fut calmée et qu'il fut établi, avec les enfants sur ses genoux, devant le feu, dont la flamme illuminait sa face, il me parut aussi fort et aussi robuste, je dirai même aussi beau, pour son âge, que jamais.

«Maître Davy!» dit-il. Et comme ce nom d'autrefois, prononcé du même temps qu'autrefois, réjouissait mon oreille! «Maître Davy, c'est un beau jour que celui où je vous revois, avec votre excellente femme!

– Oui, mon vieil ami, c'est vraiment un beau jour! m'écriai-je.

– Et ces jolis enfants! dit M. Peggotty. Les belles petites fleurs que cela fait! Maître Davy, vous n'étiez pas plus grand que le plus petit de ces trois enfants-là, quand je vous ai vu pour la première fois. Émilie était de la même taille, et notre pauvre garçon n'était qu'un petit garçon!

– J'ai changé plus que vous depuis ce temps-là, lui dis-je. Mais laissons tous ces bambins aller se coucher, et comme il ne peut pas y avoir en Angleterre d'autre gîte pour vous ce soir que celui-ci, dites-moi où je puis envoyer chercher vos bagages? est- ce toujours le vieux sac noir qui a tant voyagé? Et puis, tout en buvant un verre de grog de Yarmouth, nous causerons de tout ce qui s'est passé depuis dix ans.

– Êtes-vous seul? dit Agnès.

– Oui, madame, dit-il en lui baisant la main, je suis tout seul.»

Il s'assit entre nous: nous ne savions comment lui témoigner notre joie, et en écoutant cette voix qui m'était si familière, j'étais tenté de croire qu'il en était encore au temps où il poursuivait son long voyage à la recherche de sa nièce chérie.

«Il y a une fameuse pièce d'eau à traverser, dit-il, pour rester seulement quelques semaines. Mais l'eau me connaît (surtout quand elle est salée) et les amis sont les amis; aussi, nous voilà réunis. Tiens! ça rime, dit M. Peggotty surpris de cette découverte; mais, ma parole! c'est sans le vouloir.

– Est-ce que vous comptez refaire bientôt tous ces milliers de lieues-là? demanda Agnès.

– Oui, madame, répondit-il, je l'ai promis à Émilie avant de partir. Voyez-vous, je ne rajeunis pas à mesure que je prends des années, et si je n'étais pas venu ce coup-ci, il est probable que je ne l'aurais jamais fait. Mais j'avais trop grande envie de vous voir, maître Davy et vous, dans votre heureux ménage, avant de devenir trop vieux.»

Il nous regardait comme s'il ne pouvait pas rassasier ses yeux. Agnès écarta gaiement les longues mèches de ses cheveux gris sur son front, pour qu'il pût nous voir mieux à son aise.

«Et maintenant, racontez-nous, lui dis-je, tout ce qui vous est arrivé.

– Ça ne sera pas long, maître Davy. Nous n'avons pas fait fortune, mais nous avons prospéré tout de même. Nous avons bien travaillé pour y arriver: nous avons mené d'abord une vie un peu dure, mais nous avons prospéré tout de même. Nous avons fait de l'élève de moutons, nous avons fait de la culture, nous avons fait un peu de tout, et nous avons, ma foi! fini par être aussi bien que nous pouvions espérer de l'être. Dieu nous a toujours protégés, dit-il en inclinant respectueusement la tête, et nous n'avons fait que réussir: c'est-à-dire, à la longue, pas du premier coup: si ce n'était hier, c'était aujourd'hui; si ce n'était pas aujourd'hui, c'était demain.

– Et Émilie? dîmes-nous à la fois, Agnès et moi.

– Émilie, madame, n'a jamais, depuis notre départ, fait sa prière du soir en allant se coucher, là-bas, dans les bois où nous étions établis, de l'autre côté du soleil, sans que je l'aie entendue murmurer votre nom. Quand vous l'avez eu quittée et que nous avons eu perdu de vue maître Davy, ce fameux soir qui nous a vus partir, elle a été d'abord très-abattue, et je suis sûr et certain que, si elle avait su alors ce que maître Davy avait eu la prudence et la bonté de nous cacher, elle n'aurait pas pu résister à ce coup-là. Mais il y avait à bord des pauvres gens qui étaient malades, et elle s'est occupée à les soigner; il y avait des enfants, et elle les a soignés aussi: ça l'a distraite; en faisant du bien autour d'elle, elle s'en est fait à elle-même.

– Quand est-ce qu'elle a appris le malheur? lui demandai-je.

– Je le lui ai caché, après que je l'ai su moi-même, dit M. Peggotty. Nous vivions dans un lieu solitaire, mais au milieu des plus beaux arbres et des roses qui montaient jusque sur notre toit. Un jour, tandis que je travaillais aux champs, il est venu un voyageur anglais de notre Norfolk ou de notre Suffolk (je ne sais plus trop lequel des deux); et comme de raison, nous l'avons fait entrer, pour lui donner à boire et à manger; nous l'avons reçu de notre mieux. C'est ce que nous faisons tous dans la colonie. Il avait sur lui un vieux journal, où se trouvait le récit de la tempête. C'est comme ça qu'elle l'a appris. Quand je suis rentré le soir, j'ai vu qu'elle le savait.»

Il baissa la voix à ces mots, et sa figure reprit cette expression de gravité que je ne lui avais que trop connue.

«Cela l'a-t-il beaucoup changée?

– Oui, pendant longtemps, dit-il, peut-être même jusqu'à ce jour. Mais je crois que la solitude lui a fait du bien. Elle a eu beaucoup à faire à la ferme; il lui a fallu soigner la volaille et le reste; elle a eu du mal, ça lui a fait du bien. Je ne sais, dit-il d'un air pensif, si vous reconnaîtriez à présent notre Émilie, maître Davy!

– Elle est donc bien changée?

– Je n'en sais rien. Je la vois tous les jours, je ne peux pas savoir; mais il y a des moments où je trouve qu'elle est bien mince, dit M. Peggotty en regardant le feu, un peu vieillie, un peu languissante, triste, avec ses yeux bleus; l'air délicat, une jolie petite tête un peu penchée, une voix tranquille… presque timide. Voilà mon Émilie!»

Nous l'observions en silence, tandis qu'il regardait toujours le feu d'un air pensif.

«Les uns croient, dit-il, qu'elle a mal placé son affection, d'autres, que son mariage a été rompu par la mort. Personne ne sait ce qu'il en est. Elle aurait pu se marier, ce ne sont pas les occasions qui ont manqué; mais elle m'a dit: «Non, mon oncle, c'est fini pour toujours.» Avec moi, elle est toujours gaie; mais elle est réservée quand il y a des étrangers; elle aime à aller au loin pour donner une leçon à un enfant, ou pour soigner un malade, ou pour faire quelque cadeau à une jeune fille qui va se marier, car elle a fait bien des mariages, mais sans vouloir jamais assister à une noce. Elle aime tendrement son oncle, elle est patiente; tout le monde l'aime, jeunes et vieux. Tous ceux qui souffrent viennent la trouver. Voilà mon Émilie!»

Il passa sa main sur les yeux, et avec un soupir à demi réprimé, il releva la tête.

«Marthe est-elle encore avec vous? demandai-je.

– Marthe s'est mariée dès la seconde année, maître Davy. Un jeune homme, un jeune laboureur, qui passait devant notre maison en se rendant au marché avec les denrées de son maître… le voyage est de cinq cents milles pour aller et revenir… lui a offert de l'épouser (les femmes sont très-rares de ce côté-là), pour aller ensuite s'établir à leur compte dans les grands bois. Elle m'a demandé de raconter à cet homme son histoire, sans rien cacher. Je l'ai fait; ils se sont mariés, et ils vivent à quatre cents milles de toute voix humaine. Ils n'en entendent pas d'autre que la leur, et celle des petits oiseaux.

– Et mistress Gummidge?» demandai-je.

Il faut croire que nous avions touché là une corde sensible, car M. Peggotty éclata de rire, et se frotta les mains tout le long des jambes, de haut en bas, comme il faisait jadis quand il était de joyeuse humeur, sur le vieux bateau.

«Vous me croirez si vous voulez, dit-il; mais figurez-vous qu'elle a trouvé un épouseur. Si le cuisinier d'un navire, qui s'est fait colon là-bas, M. Davy, n'a pas demandé mistress Gummidge en mariage, je veux être pendu! Je ne peux pas dire mieux!»

Jamais je n'avais vu Agnès rire de si bon coeur. L'enthousiasme subit de Peggotty l'amusait tellement, qu'elle ne pouvait se tenir; plus elle riait et plus elle me faisait rire, plus l'enthousiasme de M. Peggotty allait croissant et plus il se frottait les jambes.

«Et qu'est-ce que mistress Gummidge a dit de ça? demandai-je, quand j'eus repris un peu de sang-froid.

– Eh bien! dit M. Peggotty, au lieu de lui répondre: «Merci bien, je vous suis très-obligée; mais je ne veux pas changer de condition à l'âge que j'ai,» mistress Gummidge a saisi un baquet plein d'eau qui était à côté d'elle, et elle le lui a vidé sur la tête. Le malheureux cuisinier en était submergé. Il s'est mis à crier au secours de toutes ses forces; si bien que j'ai été obligé d'aller à la rescousse.»

Là-dessus, M. Peggotty d'éclater de rire, et nous de lui faire compagnie.

«Mais je dois vous dire une chose, pour rendre justice à cette excellente créature, reprit-il en s'essuyant les yeux, qu'il avait pleins de larmes à force de rire. Elle nous a tenu tout ce qu'elle nous avait promis, et elle a fait mieux. C'est bien maintenant la plus obligeante, la plus fidèle, la plus honnête femme qui ait jamais existé, maître Davy. Elle ne s'est pas plainte une seule minute d'être seule et abandonnée, pas même lorsque nous nous sommes trouvés bien en peine, en face de la colonie, comme de nouveaux débarqués. Et quant à l'ancien, elle n'y a plus pensé, je vous assure, depuis son départ d'Angleterre.

– À présent, lui dis-je, parlons de M. Micawber. Vous savez qu'il a payé tout ce qu'il devait ici, jusqu'au billet de Traddles? Vous vous le rappelez, ma chère Agnès? par conséquent nous devons supposer qu'il réussit dans ses entreprises. Mais donnez-nous de ses dernières nouvelles.»

M. Peggotty mit en souriant la main à la poche de son gilet, et en tira un paquet de papier bien plié d'où il sortit, avec le plus grand soin, un petit journal qui avait une drôle de mine.

«Il faut vous dire, maître Davy, ajouta-t-il, que nous avons quitté les grands bois, et que nous vivons maintenant près du port de Middlebay, où il y a ce que nous appelons une ville.

– Est-ce que M. Micawber était avec vous dans les grands bois?

– Je crois bien, dit M. Peggotty; et il s'y est mis de bon coeur. Jamais vous n'avez rien vu de pareil. Je le vois encore, avec sa tête chauve, maître Davy, tellement inondée de sueur sous un soleil ardent, que j'ai cru qu'elle allait se fondre en eau. Et maintenant il est magistrat.

– Magistrat?» dis-je.

M. Peggotty mit le doigt sur un paragraphe du journal, où je lus l'extrait suivant du Times de Middlebay:

«Le dîner solennel offert à notre éminent colon et concitoyen Wilkins Micawber, magistrat du district de Middlebay, a eu lieu hier dans la grande salle de l'hôtel, où il y avait une foule à étouffer. On estima qu'il n'y avait pas moins de quarante-sept personnes à table, sans compter tous ceux qui encombraient le corridor et l'escalier. La société la plus charmante, la plus élégante et la plus exclusive de Middlebay s'y était donné rendez- vous, pour venir rendre hommage à cet homme si remarquable, si estimé et si populaire. Le docteur Mell (de l'école normale de Salem-House, port Middlebay), présidait le banquet; à sa droite était assis notre hôte illustre. Lorsqu'on a eu enlevé la nappe, et exécuté d'une manière admirable notre chant national de Non Nobis, dans lequel nous avons particulièrement distingué la voix métallique du célèbre amateur Wilkins Micawber junior, on a porté, selon l'usage, les toasts patriotiques de tout fidèle Américain, aux acclamations de l'assemblée. Dans un discours plein de sentiment, le docteur Mell a proposé la santé de notre hôte illustre, l'ornement de notre ville. «Puisse-t-il ne jamais nous quitter, que pour grandir encore, et puisse son succès parmi nous être tel, qu'il lui soit impossible de s'élever plus haut!» Rien ne saurait décrire l'enthousiasme avec lequel ce toast a été accueilli. Les applaudissements montaient, montaient toujours, roulant avec impétuosité comme les vagues de l'Océan. À la fin on fit silence, et Wilkins Micawber se leva pour faire entendre ses remercîments. Nous n'essayerons pas, vu l'état encore relativement imparfait des ressources intellectuelles de notre établissement, de suivre notre éloquent concitoyen dans la volubilité des périodes de sa réponse, ornée des fleurs les plus élégantes. Qu'il nous suffise de dire que c'était un chef-d'oeuvre d'éloquence, et que les larmes ont rempli les yeux de tous les assistants, lorsque, remontant au début de son heureuse carrière, il a conjuré les jeunes gens qui se trouvaient dans son auditoire de ne jamais se laisser entraîner à contracter des engagements pécuniaires qu'il leur serait impossible de remplir. On a encore porté des toasts au docteur Mell; à mistress Micawber, qui a remercié par un gracieux salut de la grande porte, où une voie lactée de jeunes beautés étaient montées sur des chaises, pour admirer et pour embellir à la fois cet émouvant spectacle; à mistress Ridger Begs (ci-devant miss Micawber); à mistress Mell; à Wilkins Micawber junior (qui a fait pâmer de rire toute l'assemblée en demandant la permission d'exprimer sa reconnaissance par une chanson, plutôt que par un discours); à la famille de M. Micawber (bien connue, il est inutile de le faire remarquer, dans la mère patrie), etc., etc. À la fin de la séance, les tables ont disparu, comme par enchantement, pour faire place aux danseurs. Parmi les disciples de Terpsichore, qui n'ont cessé leurs ébats que lorsque le soleil est venu leur rappeler le moment du départ, on remarquait en particulier Wilkins Micawber junior et la charmante miss Héléna, quatrième fille du docteur Mell.»

Je retrouvai là avec plaisir le nom du docteur Mell; j'étais charmé de découvrir dans cette brillante situation M. Mell, mon ancien maître d'études, le pauvre souffre-douleur de notre magistrat du Middlesex, quand M. Peggotty m'indiqua une autre page du même journal, où je lus:

À DAVID COPPERFIELD, L'ÉMINENT AUTEUR.

«Mon cher monsieur,

«Des années se sont écoulées depuis qu'il m'a été donné de contempler chaque jour, de visu, des traits maintenant familiers à l'imagination d'une portion considérable du monde civilisé.

«Mais, mon cher monsieur, bien que je sois privé (par un concours de circonstances qui ne dépendent pas de moi) de la société de l'ami et du compagnon de ma jeunesse, je n'ai pas cessé de le suivre de la pensée dans l'essor rapide qu'il a pris au haut des airs. Rien n'a pu m'empêcher, non, pas même l'Océan

Qui nous sépare en mugissant, (Burns.)

de prendre ma part des régals intellectuels qu'il nous a prodigués.

«Je ne puis donc laisser partir d'ici un homme que nous estimons et que nous respectons tous deux, mon cher monsieur, sans saisir cette occasion publique de vous remercier en mon nom et, je ne crains pas de le dire, au nom de tous les habitants de Port- Middlebay, au plaisir desquels vous contribuez si puissamment.

«Courage, mon cher monsieur! vous n'êtes pas inconnu ici, votre talent y est apprécié. Quoique relégués dans une contrée lointaine, il ne faut pas croire pour cela que nous soyons, comme le disent nos détracteurs, ni indifférents, ni mélancoliques, ni (je puis le dire) des lourdauds. Courage, mon cher monsieur! continuez ce vol d'aigle! Les habitants du Port-Middlebay vous suivront à travers la nue avec délices, avec plaisir, avec instruction!

«Et parmi les yeux qui s'élèveront vers vous de cette région du globe, vous trouverez toujours, tant qu'il jouira de la vie et de la lumière,

«L'oeil qui appartient à

«WILKINS MICAWBER, magistrat

En parcourant les autres colonnes du journal, je découvris que M. Micawber était un de ses correspondants les plus actifs et les plus estimés. Il y avait de lui une autre lettre relative à la construction d'un pont. Il y avait aussi l'annonce d'une nouvelle édition de la collection de ses chefs-d'oeuvre épistolaires en un joli volume, considérablement augmentée, et je crus reconnaître que l'article en tête des colonnes du journal, en premier Paris, était également de sa main.

Nous parlâmes souvent de M. Micawber, le soir, avec M. Peggotty, tant qu'il resta à Londres. Il demeura chez nous tout le temps de son séjour, qui ne dura pas plus d'un mois. Sa soeur et ma tante vinrent à Londres, pour le voir. Agnès et moi, nous allâmes lui dire adieu à bord du navire, quand il s'embarqua; nous ne lui dirons plus adieu sur la terre.

Mais, avant de quitter l'Angleterre, il alla avec moi à Yarmouth, pour voir une pierre que j'avais fait placer dans le cimetière, en souvenir de Ham. Tandis que, sur sa demande, je copiais pour lui la courte inscription qui y était gravée, je le vis se baisser et prendre sur la tombe un peu de terre avec une touffe de gazon.

«C'est pour Émilie, me dit-il en le mettant contre son coeur. Je le lui ai promis, maître Davy.»

CHAPITRE XXXIV
Un dernier regard en arrière

Et maintenant, voilà mon histoire finie. Pour la dernière fois, je reporte mes regards en arrière avant de clore ces pages.

Je me vois, avec Agnès à mes côtés, continuant notre voyage sur la route de la vie. Je vois autour de nous nos enfants et nos amis, et j'entends, parfois, le long du chemin, le bruit de bien des voix qui me sont chères.

Quels sont les visages qui appellent plus particulièrement mon intérêt dans cette foule dont je recueille les voix? Tenez! les voici qui viennent au devant de moi pour répondre à ma question!

Voici d'abord ma tante avec des lunettes d'un numéro plus fort; elle a plus de quatre-vingts ans, la bonne vieille; mais elle est toujours droite comme un jonc, et, par un beau froid, elle fait encore ses deux lieues à pied tout d'une traite.

Près d'elle, toujours près d'elle, voici Peggotty ma chère vieille bonne: elle aussi porte des lunettes; le soir elle se met tout près de la lampe, l'aiguille en main, mais elle ne prend jamais son ouvrage sans poser sur la table son petit bout de cire, son mètre domicilié dans la petite maisonnette, et sa boîte à ouvrage, dont le couvercle représente la cathédrale de Saint-Paul.

Les joues et les bras de Peggotty, jadis si durs et si rouges que je ne comprenais pas, dans mon enfance, comment les oiseaux ne venaient pas le becqueter plutôt que des pommes sont maintenant tout ratatinés; et ses yeux, qui obscurcissaient de leur éclat tous les traits de son visage dans leur voisinage, se sont un peu ternis (bien qu'ils brillent encore); mais son index raboteux, que je comparais jadis dans mon esprit à une râpe à muscade, est toujours le même, et quand je vois mon dernier enfant s'y accrocher en chancelant pour arriver de ma tante jusqu'à elle, je me rappelle notre petit salon de Blunderstone et le temps où je pouvais à peine marcher moi-même. Ma tante est enfin consolée de son désappointement passé: elle est marraine d'une véritable Betsy Trotwood en chair et en os, et Dora (celle qui vient après) prétend que grand'tante la gâte.

Il y a quelque chose de bien gros dans la poche de Peggotty, ce ne peut être que le livre des crocodiles; il est dans un assez triste état, plusieurs feuilles ont été déchirées et rattachées avec une épingle, mais Peggotty le montre encore aux enfants comme une précieuse relique. Rien ne m'amuse comme de revoir, à la seconde génération, mon visage d'enfant, relevant vers moi ses yeux émerveillés par les histoires de crocodiles. Cela me rappelle ma vieille connaissance Brooks de Sheffield.

Au milieu de mes garçons, par ce beau jour d'été, je vois un vieillard qui fait des cerfs-volants, et qui les suit du regard dans les airs avec une joie qu'on ne saurait exprimer. Il m'accueille d'un air ravi, et commence, avec une foule de petits signes d'intelligence:

«Trotwood, vous serez bien aise d'apprendre que, quand je n'aurai rien de mieux à faire, j'achèverai le Mémoire, et que votre tante est la femme la plus remarquable du monde, monsieur!»

Quelle est cette femme qui marche, courbée, en s'appuyant sur une canne? Je reconnais sur son visage les traces d'une beauté fière qui n'est plus, quoiqu'elle cherche à lutter encore contre l'affaiblissement de son intelligence grondeuse, imbécile, égarée? Elle est dans un jardin; près d'elle se tient une femme rude, sombre, flétrie, avec une cicatrice à la lèvre. Écoutons ce qu'elles se disent.

«Rose, j'ai oublié le nom de ce monsieur.»

Rose se penche vers elle et lui annonce M. Copperfield.

«Je suis bien aise de vous voir, monsieur. Je suis fâchée de remarquer que vous êtes en deuil. J'espère que le temps vous apportera quelque soulagement!»

La personne qui l'accompagne la gronde de ses distractions:

«Il n'est pas du tout en deuil; regardez plutôt,» et elle essaye de la tirer de ses rêveries.

«Vous avez vu mon fils, monsieur, dit la vieille dame. Êtes-vous réconciliés?»

Puis, me regardant fixement, elle porte, en gémissant, la main à son front. Tout à coup elle s'écrie, d'une voix terrible: «Rosa, venez ici. Il est mort!» Et Rosa, à genoux devant elle, lui prodigue tour à tour ses caresses et ses reproches; ou bien elle s'écrie dans son amertume: «Je l'aimais plus que vous ne l'avez jamais aimé;» ou bien elle s'efforce de l'endormir sur son sein, comme un enfant malade. C'est ainsi que je les quitte; c'est ainsi que je les retrouve toujours; c'est ainsi que, d'année en année, leur vie s'écoule.

Mais voici un vaisseau qui revient des Indes. Quelle est cette dame anglaise, mariée à un vieux Crésus écossais, à l'air rechigné et aux oreilles pendantes? Serait-ce par hasard Julia Mills?

Oui, vraiment, c'est Julia Mills, toujours pimpante et pie- grièche, et voilà son nègre qui lui apporte des lettres et des cartes sur un plateau de vermeil; voilà une mulâtresse vêtue de blanc, avec un mouchoir rouge noué autour de la tête, pour lui servir son tiffin1 dans son cabinet de toilette. Mais Julie n'écrit plus son journal, elle ne chante plus le Glas funèbre de l'Affection; elle ne fait que se quereller sans cesse avec le vieux Crésus écossais, une espèce d'ours jaune, au cuir tanné. Julia est plongée dans l'or jusqu'au cou: jamais elle ne parle, jamais elle ne rêve d'autre chose. Je l'aimais mieux dans le désert de Sahara.

Ou plutôt le voici, le désert de Sahara! Car Julia a beau avoir une belle maison, une société choisie, et donner tous les jours de magnifiques dîners, je ne vois pas près d'elle de rejeton verdoyant, pas la plus petite pousse qui promette un jour des fleurs ou des fruits. Je ne vois que ce qu'elle appelle sa société: M. Jack Maldon, du haut de sa grandeur, tournant en ridicule la main qui l'y a élevé, et me parlant du docteur comme d'une antiquaille bien amusante. Ah! Julia, si la société ne se compose pour vous que de messieurs et de dames aussi futiles, si le principe sur lequel elle repose est, avant tout, une indifférence avouée pour tout ce qui peut avancer ou retarder le progrès de l'humanité, nous aurions aussi bien fait, je crois, de nous perdre dans le désert de Sahara; au moins nous aurions pu trouver moyen d'en sortir.

Mais le voilà, ce bon docteur, notre excellent ami; il travaille à son Dictionnaire (il en est à la lettre D); qu'il est heureux entre sa femme et ses livres! Et voilà aussi le vieux troupier: mais il en a bien rabattu et il est loin d'avoir conservé son influence d'autrefois.

Voici aussi un homme bien affairé, qui travaille au Temple dans son cabinet, ses cheveux (du moins ce qui lui en reste) sont plus récalcitrants que jamais, grâce à la friction constante qu'exerce sur sa tête sa perruque d'avocat: c'est mon bon vieil ami Traddles. Il a sa table couverte de piles de papiers, et je lui dis en regardant autour de moi:

«Si Sophie était encore votre copiste, Traddles, elle aurait terriblement de besogne!

– Oui, certainement, mon cher Copperfield! Mais quel bon temps que celui que nous avons passé à Holborn-Court! N'est-il pas vrai?

– Quand elle vous disait qu'un jour vous deviendriez juge, quoique ce ne fût pas tout à fait là le bruit public en ville!

– En tout cas, dit Traddles, si jamais cela m'arrive…

– Vous savez bien que cela ne tardera pas.

– Eh bien, mon cher Copperfield, quand je serai juge, je trahirai le secret de Sophie, comme je le lui ai promis alors.»

Nous sortons bras dessus bras dessous. Je vais dîner chez Traddles en famille. C'est l'anniversaire de Sophie, et chemin faisant, Traddles ne me parle que de son bonheur présent et passé.

«Je suis venu à bout, mon cher Copperfield, d'accomplir tout ce que j'avais le plus à coeur. D'abord le révérend Horace est maintenant recteur d'une cure qui lui vaut par an quatre cent cinquante livres sterling. Après cela, nos deux fils reçoivent une excellente éducation et se distinguent dans leurs études par leur travail et leurs succès. Et puis nous avons marié avantageusement trois des soeurs de Sophie; il y en a encore trois qui vivent avec nous; quant aux trois autres, elles tiennent la maison du révérend Horace, depuis la mort de miss Crewler; et elles sont toutes heureuses comme des reines.

– Excepté… dis-je.

– Excepté la Beauté, dit Traddles, oui. C'est bien malheureux qu'elle ait épousé un si mauvais sujet. Il avait un certain éclat qui l'a séduite. Mais après tout, maintenant qu'elle est chez nous, et que nous nous sommes débarrassés de lui, j'espère bien que nous allons lui faire reprendre courage.»

Traddles habite une de ces maisons peut-être dont Sophie et lui examinaient jadis la place, et distribuaient en espérance le logement intérieur, dans leurs promenades du soir. C'est une grande maison, mais Traddles serre ses papiers dans son cabinet de toilette, avec ses bottes; Sophie et lui logent dans les mansardes, pour laisser les plus jolies chambres à la Beauté et aux autres soeurs. Il n'y a pas une chambre de réserve dans la maison, car je ne sais comment cela se fait, mais il a toujours, pour une raison ou pour une autre, une infinité de «petites soeurs» à loger. Nous ne mettons pas le pied dans une pièce qu'elles ne se précipitent en foule vers la porte, et ne viennent étouffer, pour ainsi dire, Traddles dans leurs embrassements. La pauvre Beauté est ici à perpétuité: elle reste veuve avec une petite fille. En l'honneur de l'anniversaire de Sophie, nous avons à dîner les trois soeurs mariées, avec leurs trois maris, plus le frère d'un des maris, le cousin d'un autre mari, et la soeur d'un troisième mari, qui me paraît sur le point d'épouser le cousin. Au haut bout de la grande table est assis Traddles, le patriarche, toujours bon et simple comme autrefois. En face de lui, Sophie le regarde d'un air radieux, à travers la table, chargée d'un service qui brille assez pour qu'on ne s'y trompe pas: ce n'est pas du métal anglais.

Et maintenant! au moment de finir ma tâche, j'ai peine à m'arracher à mes souvenirs, mais il le faut; toutes ces figures s'effacent et disparaissent. Pourtant il y en a une, une seule, qui brille au-dessus de moi comme une lueur céleste, qui illumine tous les autres objets à mes yeux, et les domine tous. Celle-là, elle me reste.

Je tourne la tête et je la vois à côté de moi, dans sa beauté sereine. Ma lampe va s'éteindre, j'ai travaillé si tard cette nuit; mais la chère image, sans laquelle je ne serais rien, me tient fidèlement compagnie.

Ô Agnès, ô mon âme, puisse cette image, toujours présente, être ainsi près de moi quand je serai arrivé, à mon tour, au terme de ma vie! Puissé-je, quand la réalité s'évanouira à mes yeux, comme ses ombres vaporeuses dont mon imagination se sépare volontairement en ce moment, te retrouver encore près de moi, le doigt levé pour me montrer le ciel!

FIN
1.Nom que l'on donne dans l'Inde aux seconds déjeuners.
Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
28 eylül 2017
Hacim:
670 s. 1 illüstrasyon
Tercüman:
Telif hakkı:
Public Domain
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