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Kitabı oku: «Le magasin d'antiquités, Tome II», sayfa 16

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«Non, monsieur Richard, dit Brass avec émotion; non, je ne le reprendrai pas. Je le laisserai en cet endroit, monsieur. Le reprendre, monsieur Richard, ce serait jeter un doute sur vous, et j'ai en vous, monsieur, une confiance illimitée. Nous laisserons là ce billet, monsieur, s'il vous plaît; pour rien au monde, je ne voudrais le reprendre.»

Et, ce disant, M. Brass lui frappa deux ou trois fois sur l'épaule, de la façon la plus amicale.

«Soyez certain, ajouta-t-il, que je n'ai pas moins confiance en votre probité qu'en la mienne.»

En tout autre temps, M. Swiveller eût attaché médiocrement d'importance à ce compliment; mais vu les circonstances présentes, il éprouva un grand soulagement de cette assurance qu'on ne lui faisait point l'injure de le soupçonner. Il répondit convenablement. Alors M. Brass le prit par la main et parut s'abandonner à une sombre méditation; il en fut de même de miss Sally. Richard aussi s'était plongé dans ses pensées. À tout moment, il craignait d'entendre accuser la marquise, car il ne pouvait s'empêcher de la croire coupable.

Durant quelques minutes, ils restèrent tous trois dans cette attitude.

Soudain miss Sally donna un grand coup sur le pupitre avec son poing fermé en s'écriant:

«Je le tiens.»

En effet, elle tenait le pupitre, et elle avait touché juste; car elle en fit voler un morceau de son poing mignon; mais ce n'était pas là le sens de ses paroles.

«Eh bien! dit Brass avec impatience. Expliquez-vous!

– Eh bien! répliqua la soeur, d'un air de triomphe, depuis ces trois ou quatre dernières semaines n'y a-t-il pas eu quelqu'un qui rôdait dans l'étude et dehors? Cette personne n'a-t-elle pas été laissée seule quelquefois dans l'étude, grâce à votre confiance? et me soutiendrez-vous que ce n'est pas là le voleur?

– Quelle personne?.. cria Brass.

– Attendez donc, comment l'appelez-vous?.. Kit!

– Le domestique de M. Garland?

– Certainement.

– Jamais! s'écria Brass, jamais! Ne me parlez pas de ça. Pas un mot de plus!»

Et il secouait la tête, et il agitait ses deux mains comme s'il eût voulu détruire dix mille toiles d'araignée.

«Jamais je ne croirai cela de lui; jamais!

– Eh bien! moi, je parie, répéta miss Brass en humant une nouvelle prise de tabac, je parie que c'est notre voleur.

– Eh bien! moi, je parie, répliqua Sampson avec violence, que ce n'est pas lui. Qu'est-ce que c'est que cela? Comment osez-vous l'accuser? Des caractères comme celui-là doivent-ils être en butte à des insinuations pareilles? Savez-vous bien que c'est le garçon le plus honnête et le plus fidèle qui ait jamais existé, et qu'il a une réputation sans tache?.. Entrez, entrez.»

Ces derniers mots ne s'adressaient pas à miss Sally, quoiqu'ils eussent été prononcés sur le même ton que les chaleureuses remontrances qui avaient précédé, mais à une personne qui venait de frapper à la porte de l'étude; et à peine M. Brass les eut-il fait entendre, que Kit lui-même parut et dit:

«Le gentleman d'en haut est-il chez lui, monsieur, s'il vous plaît?

– Oui, Kit, dit Brass encore enflammé d'une vertueuse indignation et regardant sa soeur avec des yeux pleins de courroux et les sourcils froncés; oui, Kit, il y est. Je suis charmé de vous voir, Kit; je me réjouis de vous voir. Passez par ici, Kit, en redescendant.»

Et quand le jeune homme se fut retiré:

«Ce garçon-là un voleur! s'écria Brass; lui un voleur, avec cette physionomie franche et ouverte!.. Je lui confierais de l'or sans le compter. Monsieur Richard, ayez la bonté de vous rendre immédiatement chez Wrasp et Compagnie, dans Broad-Street, et d'y demander s'ils ont eu des instructions pour paraître dans l'affaire Karmen et Painter. Ce garçon-là un voleur! reprit Sampson en ricanant de colère. Suis-je donc aveugle, sourd, imbécile? Est-ce que je ne sais pas juger la nature humaine d'un coup d'oeil? Kit un voleur! Bah!»

Jetant à miss Sally cette interjection finale avec un incommensurable dédain, Sampson Brass plongea la tête dans son pupitre comme pour se soustraire à la vue des misères et des bassesses de ce monde, et jeter un dernier défi à la médisance, à l'abri du couvercle à demi clos.

CHAPITRE XXII

M. Sampson Brass était seul dans l'étude, au moment où Kit, ayant rempli sa commission, sortit de chez le gentleman et descendit l'escalier, environ un quart d'heure après être monté. Le procureur ne chantait point comme à l'ordinaire. Il n'était pas non plus assis à son pupitre. La porte, toute grande ouverte, laissa voir M. Brass adossé au feu et ayant un air si étrange, que Kit s'imagina qu'il lui avait pris quelque indisposition subite.

«Qu'y a-t-il donc, monsieur? dit Kit.

– Ce qu'il y a!.. répondit vivement Brass. Rien. Pourquoi y aurait-il quelque chose?

– Vous êtes tellement pâle, que je vous aurais à peine reconnu.

– Bah! bah! pure imagination, cria Brass en se penchant pour relever les cendres; jamais je n'ai été mieux, Kit; jamais de ma vie je ne me suis mieux porté. Je suis même très-gai. Ah! ah! Comment va notre ami d'en haut?

– Beaucoup mieux.

– J'en suis ravi; mille remercîments. Un parfait gentleman! honnête, libéral, généreux, ne donnant aucun embarras; un admirable locataire. Ah! ah! M. Garland se porte bien, j'espère, Kit? Et mon ami le poney, mon ami intime, vous savez? Ah! ah!»

Kit donna des nouvelles satisfaisantes de tout le petit monde d'Abel-Cottage. M. Brass, qui semblait distrait et impatient, se plaça sur son tabouret, et invita Kit à s'approcher en le prenant par la boutonnière.

«J'ai pensé, Kit, dit le procureur, que je pourrais faire gagner à votre mère quelques petits émoluments. Vous avez votre mère, je crois? Si j'ai bonne mémoire, vous m'avez raconté que…

– Oh! oui, monsieur, oui, certainement.

– Une veuve, n'est-ce pas? une veuve laborieuse?

– La femme la plus dure à la besogne et la meilleure mère qui ait jamais existé, monsieur.

– Ah! s'écria Brass, c'est touchant, très-touchant. Une pauvre veuve luttant pour tenir ses orphelins dans un état décent et confortable. C'est un délicieux tableau de vertu humaine. Déposez votre chapeau, Kit.

– Merci, monsieur, il faut que je m'en aille tout de suite.

– Posez-le toujours, pendant que vous êtes là, dit Brass, qui lui prit son chapeau des mains et mit quelque désordre dans les papiers en lui cherchant une place sur le pupitre. Je pensais, Kit, que très-souvent nous avons à louer des maisons pour les personnes de notre clientèle, etc. Or, vous savez que nous sommes obligés de mettre du monde dans ces maisons pour les surveiller, et malheureusement ce sont trop souvent des gens à qui nous ne pouvons nous fier. Qui nous empêcherait d'avoir une personne en qui nous pussions avoir une confiance absolue, en même temps que nous nous donnerions la douceur de faire une bonne action? Je m'explique: qui nous empêcherait d'employer cette digne femme, votre mère, tantôt à une besogne, tantôt à une autre? Elle aurait le logement, et un bon logement, à peu près toute l'année, sans impositions, en outre une allocation hebdomadaire; tout cela donnerait à votre famille bien des avantages dont elle ne saurait jouir dans sa condition présente. Qu'est-ce que vous en pensez? Y voyez-vous quelque objection? Je n'ai pas en cela d'autre désir que de vous rendre service, Kit; ainsi ne vous gênez pas, expliquez-vous librement.»

En parlant ainsi, Brass remua deux ou trois fois le chapeau qu'il glissa de nouveau parmi les papiers, avec l'air de chercher quelque chose.

«Quelle objection pourrais-je faire à une proposition aussi bienveillante que la vôtre, monsieur? répondit Kit d'un accent pénétré. Je ne sais vraiment, monsieur, comment vous remercier.

– Eh bien! alors,» dit Brass se tournant tout à coup vers lui et approchant son visage de celui de Kit, avec un sourire si repoussant que le jeune homme, même dans toute la plénitude de sa reconnaissance, recula presque effrayé, «eh! bien, alors c'est fait

Kit le regarda d'un air de trouble.

«C'est fait, dis-je, reprit Sampson se frottant les mains et reprenant ses manières doucereuses. Ah! ah! vous verrez, Kit, vous verrez. Mais, bon Dieu! que M. Richard tarde à revenir! Quel ennuyeux flâneur!.. Voulez-vous bien veiller sur l'étude une minute, le temps seulement de monter là-haut? une minute seulement. Je ne vous tiendrai pas un instant de plus, Kit.»

En même temps, M. Brass s'élança hors de l'étude où il revint presque aussitôt. M. Swiveller rentra; et comme Kit sortait en toute hâte de la chambre pour regagner le temps perdu, miss Brass elle-même le rencontra au seuil de la porte.

«Oh! dit ironiquement Sally, qui en entrant le suivit de l'oeil, voici votre favori qui s'en va, Sammy!

– Oui, il s'en va, répondit Brass. Mon favori, tant que vous voudrez. Un honnête garçon, monsieur Richard, un digne jeune homme.

– Hem! fit miss Brass avec une petite toux provoquante.

– Je vous dis, drôlesse, s'écria Sampson avec colère, que je donnerais ma vie en gage de sa probité. Est-ce que ça ne finira pas? Serai-je toujours harcelé, obsédé par vos honteux soupçons? N'avez-vous aucun respect pour le vrai mérite, méchant garnement que vous êtes? Tenez, si vous voulez que je vous le dise, je suspecterais plutôt votre honnêteté que la sienne!»

Miss Sally tira sa tabatière d'étain et huma longuement et lentement une prise de tabac, tout en attachant sur son frère un regard fixe et ferme.

«Elle me rendra fou de rage, monsieur Richard, dit Brass; elle m'exaspère au delà de toute mesure. Je suis enflammé, je suis outré, monsieur. Ce ne sont pas là les manières, ce n'est pas là la tenue d'un homme qui est dans les affaires; mais elle me met hors de moi!

– Pourquoi ne le laissez-vous pas tranquille? dit Richard à miss Sally.

– Parce que c'est plus fort qu'elle, monsieur, répliqua Sampson; parce que c'est un besoin de sa nature que de m'irriter et de me vexer; je crois que sans cela elle tomberait malade. Mais n'importe, n'importe; j'ai fait ce que je voulais. J'ai montré ma confiance en ce jeune homme. Aujourd'hui encore, il a gardé l'étude. Ah! ah!.. Fi! vilaine vipère!»

La belle vierge huma une nouvelle prise de tabac et mit dans sa poche sa boite d'étain, tout en continuant de contempler son frère avec un sang-froid parfait.

«Aujourd'hui encore il vient de garder l'étude, répéta Brass d'un ton triomphant; je lui ai donné cette nouvelle preuve de ma confiance, et je ne m'en tiendrai pas là. Eh bien! où donc est le?..

– Qu'avez-vous perdu? demanda M. Swiveller.

– O ciel!.. s'écria Brass, tâtant toutes ses poches l'une après l'autre, regardant dans le pupitre, dessus, dessous, et bouleversant d'une main fébrile les papiers voisins; le billet, monsieur Richard! le billet de banque de cinq livres, qu'est-il devenu? Je l'avais laissé ici… Dieu me pardonne!

– Allons!.. s'écria à son tour miss Sally, tressaillant, frappant ses mains et semant les papiers sur le plancher. Disparu!.. Qui est-ce qui avait raison?.. Qui est-ce qui l'a pris?.. Ce n'est pas pour les cinq livres!.. Qu'est-ce que c'est que cela, cinq livres?.. Mais ce garçon est honnête, vous savez, très-honnête. Ce serait une indignité de le soupçonner. Ne courez pas après lui. Non, non, pour rien au monde!..

– Sur ma parole, monsieur Richard, répliqua le procureur, qui n'avait cessé de fouiller ses poches avec tous les signes de la plus vive agitation, je crains que ce ne soit une vilaine affaire. Certainement le billet de banque a disparu, monsieur; que faut-il faire?

– Ne courez pas après lui, dit miss Sally, se bourrant de plus en plus le nez de tabac. Non, non, gardez-vous-en bien. Laissez-lui le temps de se débarrasser du billet. Ce serait trop cruel de le surprendre en flagrant délit!»

M. Swiveller et Sampson Brass se regardèrent mutuellement après avoir regardé miss Brass; l'un et l'autre étaient bouleversés. Soudain, par une même impulsion, ils saisirent leurs chapeaux et s'élancèrent dans la rue dont ils prirent le milieu, renversant tout sur leur passage, comme s'ils couraient pour échapper à la mort.

Or, justement Kit avait couru aussi, bien qu'un peu moins vite, et comme il était parti depuis quelques minutes, il avait sur eux une assez grande avance. Cependant, comme ils connaissaient bien son itinéraire, du train dont ils allaient, ils l'eurent bientôt rattrapé, au moment où, il venait de reprendre haleine pour recommencer à courir.

«Arrêtez!.. cria Sampson lui posant une main sur l'épaule, tandis que M. Swiveller le happait de l'autre côté. Pas si vite, monsieur. Vous êtes donc bien pressé?

– Oui, je le suis, dit Kit les regardant tous deux avec une vive surprise.

– Il… il… m'est pénible de tous soupçonner, dit Sampson d'une voix haletante; mais un objet de quelque valeur vient de disparaître de l'étude. J'espère que vous ne savez pas ce que c'est.

– Savoir quoi! bon Dieu, monsieur Brass! s'écria Kit tremblant de la tête aux pieds. Vous ne supposez pas…

– Non, non, dit vivement Brass. Je ne suppose rien. Ce n'est pas moi qui vous accuse. Vous allez me suivre tranquillement chez moi, j'espère?

– Volontiers. Pourquoi pas?

– Certainement! dit Brass. Pourquoi pas? J'ai bien peur que la chose ne finisse pas par un «pourquoi pas.» Si vous saviez quels assauts j'ai eus à supporter ce matin pour vous défendre, Christophe, vous en seriez peiné.

– Et moi, je suis sûr que vous regretterez, monsieur, de m'avoir soupçonné. Allons, revenons vite chez vous.

– Oui, oui! s'écria Brass. Le plus tôt sera le mieux. Monsieur Richard, ayez la bonté de prendre ce bras; moi, je vais prendre celui-ci. Il n'est pas facile de marcher trois de front; mais dans les circonstances où nous nous trouvons, c'est indispensable; il n'y a pas d'autre moyen.»

Kit passa du blanc au rouge et du rouge au blanc lorsqu'ils s'assurèrent ainsi de sa personne, et un moment il parut disposé à résister. Mais, faisant un prompt retour sur lui-même, et songeant que s'il engageait une lutte, il pourrait être traîné par le collet à travers les rues, il se borna à répéter d'un accent plein de sincérité et avec des larmes dans les yeux, qu'ils auraient bien du regret de ce qu'ils faisaient là, et se laissa emmener. Tandis qu'ils reprenaient le chemin de l'étude, M. Swiveller, à qui ses fonctions présentes répugnaient extrêmement, saisit un instant propice pour souffler à l'oreille de Kit que, s'il consentait à avouer sa faute, fût-ce par un simple mouvement de tête, et qu'il lui promit de ne plus recommencer à l'avenir, il l'autorisait à donner un croc-en-jambe à Sampson Brass pour se sauver; mais Kit ayant repoussé cette offre avec indignation, il ne resta plus d'autre parti à Swiveller que de le tenir ferme jusqu'à ce qu'ils eussent atteint Bevis-Marks, où on le mit en présence de la charmante Sarah, qui prit aussitôt la précaution de fermer la porte à clef.

«Maintenant, dit Brass, vous savez, Christophe, l'innocence ne saurait mieux ressortir que d'un examen minutieux qui satisfasse pleinement toutes les parties. En conséquence, si vous voulez bien permettre qu'on vous fouille, ce sera pour tout le monde un grand soulagement.»

Il accompagna ces paroles d'une démonstration qui indiquait le genre d'enquête à pratiquer, autrement dit, il retourna la coiffe de son chapeau.

«Fouillez-moi, dit fièrement Kit en croisant ses bras. Mais songez-y bien, monsieur, vous en aurez du regret jusqu'à la fin de vos jours.

– C'est assurément une circonstance très-pénible, dit Brass avec un soupir, comme il plongeait sa main dans une des poches de Kit et en retirait une collection variée de menus objets, c'est une circonstance très-pénible. Il n'y a rien là dedans, monsieur Richard; parfait, parfait. Rien non plus ici, monsieur Rien dans la veste, monsieur Richard; rien dans les basques de l'habit. Vraiment j'en suis ravi.»

Richard Swiveller, tenant à la main le chapeau de Kit, suivait l'opération avec le plus vif intérêt, et dissimulait du mieux possible un léger sourire, tandis que Brass, fermant un oeil, sondait avec l'autre l'intérieur d'une des manches du pauvre jeune homme comme il eût regardé dans un télescope. Soudain Sampson, se retournant vivement vers son clerc, lui ordonna de fouiller le chapeau.

«Il y a un mouchoir, dit Richard.

– Nul mal à cela, monsieur, répondit Brass appliquant son oeil à l'autre manche et parlant du ton d'un homme qui aperçoit devant lui une perspective illimitée. Un mouchoir, c'est très-innocent. Quoique pourtant la Faculté ne considère point, je pense, monsieur Richard, l'habitude de porter un mouchoir dans un chapeau comme très-favorable à la santé. J'ai entendu dire que cela tient la tête trop chaude. Mais à tout autre point de vue, l'examen est satisfaisant, très-satisfaisant.»

Une triple exclamation jetée à la fois par Richard Swiveller, miss Sally et Kit lui-même, arrêta net le procureur. Sampson tourna la tête et vit Richard le billet de banque à la main.

«Dans le chapeau?.. s'écria Brass avec une sorte de glapissement.

– Sous le mouchoir, et caché dans la doublure,» dit Richard, frappé d'horreur à cette découverte.

M. Brass regarda successivement Richard, miss Sally, les murs, le plafond et le plancher, tout enfin, excepté Kit qui était demeuré stupéfié et incapable de faire un mouvement.

«Et voilà, s'écria Brass enjoignant ses mains, voilà donc ce que c'est que ce monde qui tourne sur son axe, soumis aux influences de la lune et aux révolutions qui s'opèrent autour des corps célestes et ainsi de suite!.. Voilà donc la nature humaine!.. O nature, nature!.. Voilà le malheureux que je voulais faire profiter des ressources de ma petite industrie, et pour qui, même en ce moment encore, j'éprouve une compassion telle, que je le laisserais volontiers partir!.. Mais, ajouta M. Brass d'un accent plus ferme, avant tout je suis homme de loi, et par conséquent mon devoir est de donner l'exemple en mettant à exécution les lois de mon heureuse patrie. Pardonnez-moi, ma chère Sally, et tenez-le ferme de l'autre côté. Monsieur Richard, ayez la bonté de courir chercher un constable. Le temps de la faiblesse est passé, monsieur; la force morale est revenue. Un constable, monsieur, s'il vous plaît!»

CHAPITRE XXIII

Kit était comme plongé dans un sommeil léthargique, les yeux tout grands ouverts et fixés sur le sol, sans prendre garde à la main tremblante de M. Brass qui le tenait par un des bouts de sa cravate, ni à la serre beaucoup plus solide de miss Sally qui en avait étreint l'autre bout; cependant les précautions de la vieille fille n'étaient pas pour lui sans inconvénient: car miss Sally, cette femme enchanteresse, outre qu'elle lui enfonçait de temps en temps les phalanges de ses doigts dans la gorge un peu plus qu'il ne fallait, avait dès le premier moment appréhendé si fortement ce malheureux, que même dans le désordre et l'égarement de ses pensées, il ne pouvait s'empêcher de se sentir suffoqué. Il resta dans cette posture, entre le frère et la soeur, passif et n'opposant aucune résistance, jusqu'au moment où M. Swiveller revint suivi d'un constable.

Ce fonctionnaire était sans doute familiarisé avec des scènes de cette nature; les vols qui chaque jour défilaient sous ses yeux, depuis le minime larcin jusqu'à l'effraction dans les maisons habitées, ou les aventures de grand chemin, n'étaient pour lui qu'une affaire comme une autre; il ne voyait dans les individus coupables de ces méfaits qu'autant de pratiques qui venaient se faire servir au magasin de loi criminelle en gros et en détail dont il tenait le comptoir; aussi reçut-il de M. Brass le rapport de ce qui s'était passé à peu près avec autant d'intérêt et de surprise qu'en pourrait montrer un entrepreneur de pompes funèbres, s'il lui fallait écouter dans les plus minutieux détails le récit de la dernière maladie du mort auquel il vient rendre par profession les devoirs suprêmes. Ce fut donc avec une parfaite indifférence qu'il arrêta Kit.

«Nous ferons bien, dit ce ministre subalterne de la police, de le conduire au bureau du magistrat, tandis que celui-ci y est encore. Je vous prierai, monsieur Brass, de venir avec nous, ainsi que…»

Il regarda miss Sally d'un air d'hésitation et de doute, comme s'il ne savait comment qualifier une personne qui pouvait être prise aussi raisonnablement pour un griffon ou tout autre monstre mythologique.

«Madame, hein? dit Sampson.

– Ah! oui… madame, répliqua le constable. Le jeune homme qui a découvert le billet est nécessaire également.

– Monsieur Richard, monsieur, dit Brass d'une voix dolente Quelle triste nécessité!.. Mais l'autel de la patrie, monsieur…

– Vous prendrez un fiacre, je suppose? interrompit le constable saisissant avec peu de précaution par le bras, au-dessus du coude, Kit que ses gardiens avaient relâché. Veuillez en envoyer chercher un.

– Mais permettez-moi de dire un mot, s'écria Kit levant ses yeux et regardant autour de lui d'un air de supplication. Un mot seulement! Je suis aussi innocent que pas un de vous. Sur mon âme, je ne suis pas coupable. Moi, un voleur! Ah! monsieur Brass, vous ne le croyez pas, j'en suis sûr. C'est bien mal de votre part.

– Je vous donne ma parole, constable…» dit Brass.

Mais ici le constable l'interrompit, en vertu de ce principe constitutionnel: «Les paroles volent,» faisant observer que les paroles ne sont que de la bouillie pour les chats, mais que les serments en justice sont la nourriture des hommes forts.

«Parfaitement juste, constable, dit Brass toujours sur le même ton dolent; c'est d'une exactitude rigoureuse. Constable, je fais devant vous le serment qu'il y a quelques minutes à peine, avant d'avoir fait cette fatale découverte, j'avais encore tant d'estime pour ce jeune homme, que je lui eusse confié… Un fiacre, monsieur Richard! Vous tardez bien, monsieur!..

– Vous ne trouverez personne, s'écria Kit, pour peu qu'il me connaisse, qui n'ait confiance en moi. Qu'on demande à qui que ce soit si jamais l'on a douté de ma probité, si jamais j'ai fait tort d'un farthing à personne. Autrefois, quand j'étais pauvre, quand j'avais faim, ai-je jamais été pris en faute, et peut-on supposer que je commencerais à l'être aujourd'hui?.. Oh! réfléchissez à ce que vous faites. Comment, avec cette affreuse accusation qui pèse sur moi, oserais-je jamais revoir les meilleurs amis qu'il y ait au monde?»

M. Brass répondit que le prisonnier aurait bien fait de penser à tout cela plus tôt; et il était en train de lui adresser d'autres observations d'une nature aussi peu consolante, quand on entendit le locataire demander, du haut de l'escalier, ce qu'il y avait et pourquoi tout ce tapage et ce bruit de pas qui remplissaient la maison.

Involontairement, Kit fit un mouvement pour s'élancer vers la porte, dans son désir de répondre lui-même; mais il fut vivement retenu par le constable, et il eut la douleur de voir M. Sampson Brass sortir seul pour aller raconter les faits à sa manière.

Quand M. Brass fut de retour, il dit, au sujet du gentleman:

«Il est comme nous tous: il ne voulait pas y croire. Que ne puis- je moi-même mettre en doute le témoignage de mes sens! Mais malheureusement ce témoignage est irréfragable. Mes yeux n'ont pas besoin de subir un débat contradictoire, et, en disant cela avec véhémence, il clignotait et frottait ses yeux, ils sont bien obligés de s'en tenir à leur impression première. Allons, Sarah! j'entends le fiacre qui roule dans Bevis-Marks; mettez votre chapeau; nous partirons immédiatement. Triste commission! Il me semble que je vais à l'enterrement.

– Monsieur Brass, dit Kit, accordez-moi une faveur. Conduisez-moi d'abord chez M. Witherden.»

Sampson secoua la tête d'un air d'irrésolution.

«Je vous en prie, dit le jeune homme. Mon maître y est. Au nom du ciel, conduisez-moi là d'abord.

– En vérité, je ne sais pas… balbutia le procureur; qui peut- être avait ses raisons secrètes pour désirer de se présenter sous le jour le plus favorable aux yeux du notaire. Constable, combien de temps avons-nous?»

Le constable, qui, durant toute cette scène, avait mâchonné une paille avec la plus grande philosophie, répondit que, si l'on partait tout de suite, on aurait bien le temps; mais que, si l'on s'amusait à lanterner, il faudrait aller tout droit à Mansion- House; et finalement, il déclara que ça lui était bien égal, qu'on en ferait ce qu'on voudrait.

M. Richard Swiveller, que le fiacre avait amené, était resté incrusté dans, le meilleur coin sur la banquette de derrière. M. Brass invita le constable à faire avancer le prisonnier, et se déclara prêt à partir. En conséquence, le constable, tenant toujours Kit de la même manière et le poussant un peu devant lui, à la distance réglementaire d'environ trois quarts de bras, le fit monter dans la voiture où il le suivit. Miss Sally grimpa ensuite. La voiture se trouvant remplie par les quatre personnes qui l'occupaient, M. Sampson Brass se jucha sur le siège et fit partir le cocher.

Encore étourdi complètement par le changement soudain et terrible qui s'était opéré dans son sort, Kit était assis tristement, promenant son regard à travers la glace de la portière. Il appelait de tous ses voeux l'apparition dans la rue de quelque phénomène monstrueux qui pût lui donner lieu de croire avec raison qu'il faisait un rêve. Hélas! tous les objets qu'il apercevait n'étaient que trop réels et trop connus; c'était la même succession de détours de rue, c'étaient les mêmes maisons, les mêmes flots de gens courant sur le trottoir, les uns près des autres, dans diverses directions; le même mouvement de charrettes et de voitures sur la chaussée; les mêmes étalages bien connus à la porte des boutiques: une régularité dans le bruit et le tumulte, telle que jamais rêve n'en a possédé. Toute fantastique qu'elle semblait être, la situation n'en était donc pas moins réelle. Kit était arrêté sous une accusation de vol; le billet de banque avait été trouvé sur lui, bien qu'il fût innocent en pensée comme en action, et on l'emmenait prisonnier!

Absorbé par ces cruelles idées, songeant dans l'affliction de son coeur à sa mère et au petit Jacob, se disant que la conscience même de son innocence ne suffirait pas pour soutenir sa fermeté en face de ses amis, si ces derniers le croyaient coupable; perdant de plus en plus l'espérance et le courage à mesure qu'on approchait de la maison du notaire, le pauvre Kit continuait de regarder fixement sans rien voir à travers la glace, quand tout à coup, comme si le nain avait été évoqué par une conjuration magique, la hideuse face de Quilp lui apparut.

Quel rayonnement de joie il y avait sur cette face!

Quilp était à la fenêtre d'une taverne d'où il promenait ses regards dans la rue; et il se penchait si fort en avant, les coudes appuyés sur le rebord de la croisée et la tête posée entre ses deux mains, que cette attitude, ainsi que ses efforts pour comprimer un éclat de rire, le faisaient paraître tout bouffi, tout gonflé et deux fois plus gros et plus large que de coutume. En le reconnaissant, M. Brass fit immédiatement arrêter la voiture juste en face de l'endroit où était le nain. Celui-ci ôta son chapeau et salua les voyageurs avec une hideuse et grotesque politesse.

– Ohé! cria-t-il. Où allez-vous ainsi, Brass? Où allez-vous?

Quoi! Sally est aussi avec vous? Douce Sally! Et Richard? Aimable Richard! Et Kit? Honnête Kit!

– Il est tout à fait jovial!.. dit Brass au cocher. Ah! monsieur, une triste affaire!.. Ne croyez jamais à la probité, monsieur.

– Pourquoi pas? répliqua le nain. Pourquoi pas, coquin de procureur?

– Un billet de banque se perd dans notre étude, monsieur, dit Brass en secouant la tête, et il se retrouve dans son chapeau. Je l'avais laissé seul un moment auparavant. Pas moyen de se faire illusion, monsieur. Une kyrielle de preuves. Rien n'y manque.

– Eh! quoi, s'écria le nain, avançant son corps à moitié hors de la fenêtre, Kit un voleur! Kit un voleur! Ah! ah! ah! Eh bien, c'est le voleur le plus laid qu'on puisse montrer pour un penny. Ohé, Kit! Ah! ah! ah! Comment? vous avez fait arrêter ce pauvre Kit avant qu'il ait eu seulement le temps de me rosser. Est-ce malheureux! Ohé, Kit!»

Et en même temps, il fit entendre une explosion de rire qui fit trembler le cocher sur son siège, montrant du doigt la perche d'un teinturier voisin, d'où pendaient diverses étoffes, qui figuraient, par analogie, un homme accroché au gibet.

«Ah! voilà comme ça finit, Kit?.. cria-t-il en se frottant rudement les mains. Ah! ah! ah! Quel chagrin pour le petit Jacob et pour son aimable mère!.. Brass, envoyez-lui le ministre du Petit-Béthel, pour qu'il l'assiste et le console. Holà, Kit, holà! En avant, marche, cocher. Bonjour, bonjour, Kit; bonne chance; bon courage; toutes mes amitiés aux Garland, à la bonne chère dame et au gentleman. Dites-leur, je vous prie, que j'ai demandé de leurs nouvelles. Bien des voeux pour eux, pour vous, pour tout le monde, Kit, pour tout le monde!»

Ces voeux et ces adieux coulaient comme un torrent, et le flot en durait encore lorsque la voiture fut hors de vue. Bien sûr enfin de ne plus apercevoir le fiacre, Quilp releva la tête et se roula sur le parquet dans un accès de joie furibonde.

On arriva chez le notaire, ce qui ne fut pas long, car on avait rencontré le nain dans une rue voisine, à très-peu de distance de la maison de M. Witherden. Brass descendit; et ouvrant d'un air triste la portière du fiacre, il invita sa soeur à l'accompagner dans l'étude, pour préparer les excellentes personnes qui se trouvaient dans la maison à la fâcheuse nouvelle qu'on leur apportait. Il requit également l'assistance de M. Swiveller. Tous trois entrèrent dans l'étude, M. Sampson donnant le bras à sa soeur, et M. Swiveller seul, derrière eux.

Le notaire était assis devant le feu, au fond de l'étude; il causait avec M. Abel et M. Garland; M. Chukster, assis à son pupitre, attrapait comme il pouvait à la volée quelques lambeaux de leur conversation. Tout en tournant le bouton, M. Brass observa, à travers le vitrage de la porte, cette disposition locale; et voyant que le notaire l'avait reconnu, il commença à secouer la tête et à soupirer profondément, tout le long de la cloison qui les séparait encore.

«Monsieur, dit Sampson, retirant son chapeau et portant à ses lèvres les deux premiers doigts du gant de castor de sa main droite, je me nomme Brass, Brass de Bevis-Marks, monsieur. J'ai eu l'honneur et le plaisir, monsieur, de soutenir contre vous quelques petites affaires testamentaires. Comment va votre santé, monsieur?

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Litres'teki yayın tarihi:
28 eylül 2017
Hacim:
440 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
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