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Kitabı oku: «Les grandes espérances», sayfa 30

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Comme il arrivait rarement que j'entrasse par la porte de Whitefriars, quand le Temple était fermé, et que j'étais très crotté et très fatigué, je ne me formalisai pas, en voyant le portier m'examiner avec beaucoup d'attention en tenant la porte entr'ouverte pour me laisser passer. Pour aider sa mémoire je lui dis mon nom.

«Je n'en étais pas bien certain, monsieur, mais je le pensais. Voici une lettre, monsieur; la personne qui l'a apportée a dit que vous soyez assez bon pour la lire à la lanterne.»

Très surpris de cette recommandation, je pris la lettre. Elle était adressée à Philip Pip, Esquire, et au haut de l'enveloppe étaient ces mots:» VEUILLEZ LIRE CETTE LETTRE ICI MÊME.» Je l'ouvris, le portier m'éclairait, et je lus de la main de Wemmick:

«NE RENTREZ PAS CHEZ VOUS!»

Toutes les fantaisies et les bruits de la nuit qui m'assiégeaient disaient le même refrain: NE RENTREZ PAS CHEZ VOUS! Cette phrase s'insinuait dans tout ce que je pensais, comme l'aurait fait une douleur physique. Il n'y avait pas longtemps, j'avais lu dans les journaux qu'un inconnu était venu aux Hummums dans la nuit, s'était mis au lit, s'était suicidé, et que le lendemain matin on l'avait trouvé baigné dans son sang. Il me vint dans l'idée que cet inconnu avait dû occuper cette même voûte, et je me levai pour m'assurer qu'il n'y avait pas de traces rouges. Alors j'ouvris la porte pour regarder dans les couloirs et me ranimer un peu à la vue d'une lumière lointaine, près de laquelle je savais que le garçon de service dormait. Mais pendant tout ce temps, je me demandais: «Pourquoi ne dois-je pas rentrer chez moi?.. Que peut-il être arrivé à la maison?.. Si j'y rentrais, y trouverais-je Provis en sûreté?..» Ces questions occupaient à tel point mon esprit, qu'on aurait pu supposer qu'il n'y avait plus de place pour d'autres réflexions. Même lorsque je pensais à Estelle, et à la manière dont nous nous étions quittés ce jour-là pour toujours, et quand je me rappelais les circonstances de notre séparation, et tous ses regards, et toutes ses intonations, et le mouvement de ses doigts pendant qu'elle tricotait, même alors j'étais poursuivi ici, là et partout par cet avertissement: NE RENTREZ PAS CHEZ VOUS! Quand à la fin je m'assoupis, à force d'épuisement d'esprit et de corps, cela devint un immense verbe imaginaire, qu'il me fallut conjuguer à l'impératif présent: Ne rentre pas chez toi; qu'il ne rentre pas chez lui; ne rentrons pas chez nous; qu'ils ne rentrent pas chez eux; et puis virtuellement: Je ne puis pas et je ne dois pas rentrer chez moi; je ne pouvais pas, ne voulais pas et ne devais pas rentrer chez moi, jusqu'à ce que je sentisse que j'allais devenir fou. Je me roulai sur l'oreiller et regardai les grands ronds fixes sur la muraille.

J'avais recommandé que l'on m'éveillât à sept heures, car il était clair que je devais voir Wemmick avant tout autre personne, et également clair que c'était là une circonstance pour laquelle il ne fallait lui demander que ses sentiments de Walmorth. Ce fut pour moi un grand soulagement de sortir de la chambre où j'avais passé la nuit si misérablement, et il ne fut pas nécessaire de frapper deux fois à la porte pour me faire sauter de ce lit d'inquiétudes.

À huit heures, j'étais en vue des murs du château. La petite servante entrait justement dans la forteresse avec deux petits pains chauds. Je passai la poterne et franchis le pont-levis, en même temps qu'elle. J'arrivai ainsi sans être annoncé, pendant que Wemmick préparait le thé pour lui et pour son père. Une porte ouverte m'offrait en perspective le vieux au lit.

«Tiens! monsieur Pip, dit Wemmick, vous êtes donc revenu?

– Oui, répondis-je, mais je ne suis pas rentré chez moi.

– C'est très bien! dit-il en se frottant les mains, j'ai laissé un mot pour vous à chacune des portes du Temple, à tout hasard. Par quelle porte êtes-vous entré?»

Je le lui dis:

«J'irai à toutes les autres dans la journée, dit Wemmick, et je détruirai les lettres. C'est une bonne règle de ne jamais laisser de preuves écrites, quand on peut l'éviter, parce qu'on ne sait jamais si cela ne servira pas contre soi un jour. Je vais prendre une liberté avec vous. Vous est-il égal de faire cuire cette saucisse pour le vieux?»

Je répondis que je serais enchanté de le faire.

«Alors, vous pouvez aller à votre ouvrage, Mary Anne, dit Wemmick à la petite servante, ce qui nous laisse seuls, vous voyez, monsieur Pip,» ajouta-t-il en clignant de l'œil pendant qu'elle s'éloignait.

Je le remerciai de son amitié et de sa prudence, et nous continuâmes à causer à voix basse, pendant que je faisais griller la saucisse et qu'il beurrait la mie du petit pain de son père.

«Maintenant, monsieur Pip, vous savez, nous nous comprenons. Nous sommes dans nos capacités personnelles et privées, et ce n'est pas d'aujourd'hui que nous sommes engagés dans une transaction confidentielle. Les sentiments officiels sont une chose; mais nous sommes extra-officiels pour le moment.»

Je fis un signe d'assentiment cordial. J'étais tellement surexcité, que j'avais déjà enflammé la saucisse du vieux comme une torche et que j'avais été obligé de l'éteindre.

«J'ai accidentellement appris hier matin, me trouvant dans un certain lieu, où je vous ai conduit une fois… même entre vous et moi, il vaut mieux ne pas dire les noms, quand on peut l'éviter…

– Beaucoup mieux, dis-je; je vous comprends.

– J'ai appris là, par hasard, hier matin, dit Wemmick, qu'une certaine personne, qui n'est pas entièrement étrangère aux colonies et qui n'est pas non plus dénuée d'un certain avoir… je ne sais pas qui cela peut être réellement, nous ne nommerons pas cette personne…

– C'est inutile, dis-je.

– …avait fait quelques petits tours dans certaine partie du monde où vont bien des gens, pas toujours pour satisfaire leurs inclinations personnelles, et qui n'est pas tout à fait sans rapports avec les dépenses du gouvernement.»

En regardant sa figure je fis un véritable feu d'artifice de la saucisse du vieux, et cela apporta une grande distraction dans mon attention et dans celle de Wemmick. Je lui fis mes excuses.

«Cette personne disparaissant de cet endroit, et personne n'entendant plus parler d'elle dans les environs, dit Wemmick, on a formé des conjectures et soulevé des théories: j'ai aussi appris que vous aviez été surveillé dans votre appartement de la Cour du Jardin au Temple, et que vous pourriez l'être encore.

– Par qui? dis-je.

– Je ne voudrais pas entrer dans ces détails, dit Wemmick évasivement, cela pourrait empiéter sur ma responsabilité offi-cielle. J'ai appris cela comme j'ai appris bien d'autres choses curieuses en d'autres temps, dans le même lieu. Je ne vous dis pas cela sur des informations reçues, je l'ai entendu.»

Il me prit des mains la fourchette à rôtir et la saucisse tout en parlant, et disposa convenablement sur un petit plateau le déjeuner de son père. Avant de le lui servir, il entra dans sa chambre avec une serviette propre, qu'il attacha sous le menton du vieillard. Il le souleva, mit son bonnet de nuit de côté, et lui donna un air tout à fait crâne. Ensuite il plaça son déjeuner devant lui avec grand soin, et dit:

«C'est bien, n'est-ce pas, vieux père?»

Ce à quoi le joyeux vieillard répondit:

«Très bien! John, mon garçon, très bien!»

Comme il paraissait tacitement entendu que le vieux n'était pas dans un état présentable, je pensais qu'en conséquence il fallait le regarder comme invisible, et je fis semblant d'ignorer complètement tout ce qui se passait.

«Cette surveillance exercée sur moi dans mon appartement, surveillance que j'avais déjà eu quelque raison de soupçonner, dis-je à Wemmick quand il revint, est inséparable de la personne à laquelle vous avez fait allusion, n'est-ce pas?»

Wemmick prit un air très sérieux:

«Je ne puis pas vous assurer cela d'après ce que j'en sais. Je veux dire que je ne puis pas vous affirmer qu'il en a été ainsi d'abord; mais, ou cela est, ou sera, ou est en grand danger d'être.»

Comme je voyais que sa position à la Petite Bretagne l'empêchait d'en dire davantage, et que je savais (et je lui en étais très reconnaissant) combien il sortait de sa voie ordinaire, en me disant ce qu'il me disait, je ne pus pas le presser; mais je lui dis, après un moment de méditation, que j'aimerais bien lui faire une question, le laissant juge d'y répondre ou de n'y pas répondre, comme il le voudrait, certain que j'étais que ce qu'il ferait serait bien. Il posa son déjeuner et croisant les bras et pinçant ses manches de chemise (il trouvait commode de rester chez lui sans habit), il me fit signe aussitôt de faire ma question.

«Vous avez entendu parler d'un homme de mauvaise conduite, dont le vrai nom est Compeyson?»

Il me répondit par un autre signe.

«Vit-il encore?»

Un autre signe.

«Est-il à Londres?»

Il me fit encore un signe, comprima excessivement sa boite aux lettres, me fit un dernier signe, et continua son déjeuner.

«Maintenant, dit Wemmick, que les questions sont faites, ce qu'il dit avec emphase et répéta pour ma gouverne, j'arrive à ce que je fis après avoir entendu ce que j'avais entendu. Je me rendis à la Cour du Jardin pour vous trouver. Ne vous trouvant pas, je fus chez Clarricker, pour trouver M. Herbert.

– Et vous l'avez trouvé? fis-je avec inquiétude.

– Et je l'ai trouvé. Sans prononcer un seul nom, sans entrer dans aucun détail, je lui ai fait entendre que s'il avait connaissance qu'il y ait quelqu'un… Tom, Jack, ou Richard dans votre appartement, ou dans le voisinage immédiat, il ferait mieux d'éloigner Tom, Jack, ou Richard, pendant que vous étiez absent.

– Il a dû être bien embarrassé?

– Bien embarrassé?.. Pas le moins du monde, parce que je lui ai fait entendre qu'il n'était pas prudent d'essayer de trop éloigner Tom, Jack, ou Richard, pour le présent. Monsieur Pip, je vais vous dire quelque chose. Dans les circonstances présentes, il n'y a rien de tel qu'une grande ville, quand une fois l'on y est. N'ouvrez pas trop tôt la porte, restez tranquille, laissez les choses se remettre un peu avant d'essayer d'ouvrir, même pour laisser entrer l'air du dehors.»

Je le remerciai de ses bons avis, et je lui demandai ce qu'avait fait Herbert.

«M. Herbert, dit Wemmick, après être resté immobile pendant une demi-heure, a trouvé un moyen. Il m'a confié sous le sceau du secret, qu'il recherchait une jeune dame, qui a, comme vous le savez sans doute, un père alité, lequel père ayant été quelque chose comme purser, couche dans un lit d'où il peut voir les vaisseaux monter et descendre le fleuve. Vous connaissez probablement cette jeune dame?..

– Pas personnellement,» dis-je.

La vérité est que la jeune dame en question avait vu en moi un camarade dépensier, qui ne pouvait que nuire à Herbert, et que, lorsque Herbert avait proposé de me présenter à elle, elle avait accueilli sa proposition avec un empressement si modéré, que Herbert avait été obligé de me confier l'état des choses, en me disant qu'il fallait laisser s'écouler quelque temps avant de faire sa connaissance. Quand j'avais entrepris de faire la carrière d'Herbert à son insu, j'avais supporté l'indifférence de sa fiancée avec une joyeuse philosophie. Lui et elle, de leur côté, n'avaient pas été très désireux d'introduire une troisième personne dans leurs entrevues, et, bien que j'eusse l'assurance de m'être depuis élevé dans l'estime de Clara, et que la jeune dame et moi échangions depuis quelque temps des messages et des souvenirs, par l'entremise d'Herbert, je ne l'avais néanmoins jamais vue. Quoi qu'il en soit, je ne fatiguais pas Wemmick avec ces détails.

«M. Herbert me demanda, dit Wemmick, si la maison aux fenêtres cintrées qui se trouve à côté de la rivière, dans l'espace compris entre Limehouse et Greenwich, et qui est tenue, à ce qu'il paraît, par une très respectable veuve, qui a un des étages supérieurs à louer, ne pourrait pas, selon moi, servir de retraite momentanée à Tom, Jack, ou Richard? Je trouvai cela très convenable pour trois raisons que je vais vous donner: primo, c'est loin de votre quartier et loin de l'agglomération ordinaire des rues grandes ou petites; secundo, sans en approcher vous-même, vous pourriez toujours être à portée d'avoir de nouvelles de Tom, Jack ou Richard, par M. Herbert; tertio, après un certain temps, et quand cela sera prudent, si vous voulez glisser Tom, Jack, ou Richard à bord de quelque paquebot étranger, c'est tout près.»

Réconforté par ces considérations, je remerciai Wemmick à plusieurs reprises, et je le priai de continuer.

«Eh bien! monsieur, M. Herbert se jeta dans l'affaire avec une ferme volonté, et vers neuf heures, hier soir, il installait Tom, Jack, ou Richard, n'importe lequel, ni vous ni moi n'avons besoin de le savoir, dans la maison avec le plus grand succès. À l'ancien logement, on laissa entendre qu'il était appelé à Douvres; et de fait, il prit la route de Douvres, et fit un coude pour revenir. Maintenant, un autre grand avantage de tout cela, c'est que tout a été fait sans vous, et que si quelqu'un a épié vos mouvements, on saura que vous étiez loin, à plusieurs milles, et occupé de tout autre chose. Cela détournera les soupçons et les embrouillera, et c'est pour la même raison que je vous ai recommandé, quand même vous reviendriez hier soir, de ne pas rentrer chez vous. Cela apportera encore plus de confusion, c'est tout ce qu'il faut.»

Wemmick ayant terminé son déjeuner, regarda sa montre et commença à mette son paletot.

«Et maintenant, monsieur Pip, dit-il, les mains encore dans ses manches, j'ai probablement fait tout ce que je pouvais faire; mais si je puis faire davantage au point de vue de Walworth et dans ma capacité strictement personnelle et privée, je serai aise de le faire. Voici l'adresse. Il ne peut y avoir d'inconvénient à ce que vous alliez ce soir voir par vous-même que tout est bien pour Tom, Jack ou Richard, avant de rentrer chez vous. Mais quand une fois vous serez retourné chez vous, ce qui est une autre raison pour que vous n'y soyez pas rentré hier soir, ne revenez pas ici. Vous y êtes le bien venu, c'est certain, monsieur Pip…»

Ses mains n'étaient pas encore tout à fait sorties des manches de son habit, je les pris et les secouai.

«Et… laissez-moi finalement appuyer sur un point important pour vous.»

En disant cela, il mit ses mains sur mes épaules, et il ajouta d'une voix basse et solennelle tout à la fois:

«Tâchez ce soir de vous emparer de ses valeurs portatives; vous ne savez pas ce qui peut lui arriver.

Ayez soin qu'il n'arrive rien à ses valeurs portatives.»

Désespérant tout à fait de bien faire comprendre à Wemmick mes intentions sur ce point, je lui dis que j'essayerais.

«Il est l'heure, dit Wemmick, et il faut que je parte. Si vous n'aviez rien de mieux à faire jusqu'à la nuit, voilà ce que je vous conseillerais de faire. Vous semblez très fatigué, et cela vous ferait beaucoup de bien de passer une journée tranquille avec le vieux; il va se lever tout à l'heure, et vous mangerez un petit morceau de… vous vous rappelez le cochon?..

– Sans doute, dis-je.

– Eh bien! un petit morceau de cette pauvre petite bête. Cette saucisse que vous avez grillée en était. C'était sous tous les rapports, un cochon de première qualité. Goûtez-le, quand ce ne serait que parce que c'est une vieille connaissance. Adieu, père! dit-il avec un air joyeux.

– Adieu, John, adieu mon garçon!» cria le vieillard, de l'intérieur de la maison.

Je m'endormis bientôt devant le feu de Wemmick, et le vieux et moi nous goûtâmes la société l'un de l'autre, en dormant plus ou moins pendant toute la journée. Nous eûmes pour dîner une queue de porc et des légumes récoltés sur la propriété, et je faisais des signes de tête au vieux, avec une bonne intention, toutes les fois que je manquais de le faire accidentellement. Quand il fit tout à fait nuit, je laissai le vieillard préparer le feu pour faire rôtir le pain, et je jugeai, au nombre de tasses à thé, aussi bien qu'aux regards qu'il lançait aux deux petites portes de la muraille, que miss Skiffins était attendue.

CHAPITRE XVI

Huit heures avaient sonné avant que je fusse arrivé à l'endroit où l'air commence à se parfumer de l'odeur des copeaux et de la sciure de bois provenant des chantiers de construction de bateaux, et des fabricants de mâts, de rames et de poulies qui se trouvent au bord de l'eau. Toute cette partie des rives du fleuve, en aval du pont, m'était inconnue, et quand je me trouvai près de la Tamise, je vis que l'endroit que je cherchais n'était pas où je l'avais supposé, et qu'il n'était rien moins que facile à trouver. On l'appelait le Moulin du Bord de l'Eau, près du Bassin aux Écus (Mill Pond Bank, Chinks's Basin), et je n'avais d'autre indication pour arriver près du Bassin au Écus, que de savoir qu'il se trouvait dans les environs de la Vieille Corderie de Cuivre Vert (Old Green Copper Rope Walk).

Il est bien inutile de dire combien je vis de vaisseaux en réparation dans les bassins d'échouage, combien de vieilles carcasses de navires en train d'être démolies, quel amas de limon et d'autres lies, laissées par la marée; quels chantiers de construction et de démolition de bateaux; quelles ancres rouillées, mordant aveuglément dans la terre, quoique hors de service depuis des années; quel amas incommensurable de tonneaux et de madriers accumulés, et dans combien de champs de cordes, qui n'étaient pas la Vieille Corderie que je cherchais, je faillis maintes fois me perdre. Après avoir plusieurs fois touché à ma destination, et m'en être autant de fois éloigné, j'arrivai inopinément, par un détour, au Moulin du Bord de l'Eau. C'était une sorte de lieu assez frais, tout bien considéré, où le vent de la rivière avait assez de place pour se retourner, et où il y avait deux ou trois arches et un tronçon de vieux moulin en ruines; et puis il y avait la Vieille Corderie, dont je pouvais distinguer l'étroite et longue perspective au clair de lune, le long d'une série de poteaux en bois plantés en terre, qui ressemblaient à de vieux râteaux à glaner, et qui, en vieillissant, avaient perdu presque toutes leurs dents.

Choisissant parmi les quelques habitations étranges qui entourent le Moulin du Bord de l'Eau, une maison à façade en bois à trois étages de fenêtres cintrées, pas à travées, ce qui n'est pas du tout la même chose, j'examinai la plaque de la porte, et j'y lus: Mrs WHIMPLE. C'était le nom que je cherchais. Je frappai, et une femme âgée, à l'air aimable et aisé, vint m'ouvrir. Elle fut immédiatement remplacée par Herbert, qui me conduisit en silence dans le parloir et ferma la porte. Il me semblait étrange de voir son visage, qui m'était familier, tout à fait chez lui dans ce quartier et dans cette chambre, qui m'étaient si peu familiers, et je me surpris le regardant, avec autant d'étonnement que je regardais le buffet du coin avec ses verres et ses porcelaines de Chine, les coquillages sur la cheminée et les gravures coloriées sur la muraille, représentant la mort du capitane Cook, le lancement d'un vaisseau, et Sa Majesté le roi George III en perruque de cocher en grande tenue, en culottes de peau et en bottes à revers, sur la terrasse de Windsor.

«Tout va bien, Haendel, dit Herbert, et il est très content, quoique très désireux de vous voir. Ma chère Clara est avec son père; et, si vous voulez attendre jusqu'à ce qu'elle descende, je vous la présenterai; puis, ensuite, nous monterons là-haut… C'est son père!»

J'avais entendu un grognement plaintif au-dessus de ma tête, et probablement mon visage avait exprimé une muette interrogation.

«Je crains que ce ne soit un triste et vieux routier, dit Herbert en souriant. Mais je ne l'ai jamais vu. Ne sentez-vous pas le rhum? Il ne le quitte pas.

– Le rhum? dis-je.

– Oui, repartit Herbert, et vous pouvez vous imaginer comment il calme sa goutte. Il persiste aussi à garder toutes les provisions là-haut dans sa chambre et à les distribuer. Il les entasse sur des planches au-dessus de sa tête, et il pèse tout; sa chambre doit avoir l'air de la boutique d'un épicier.»

Pendant qu'il parlait ainsi, le grognement de tout à l'heure était devenu un rugissement prolongé, puis il s'éteignit.

«Quelle autre conséquence pouvait-il en résulter, dit Herbert en manière d'explication, s'il a voulu couper le fromage? Un homme qui a la goutte dans la main droite, et partout ailleurs, peut-il s'attendre à trancher un double Gloucester sans se faire mal?»

Il paraissait s'être fait très mal, car il fit entendre un autre rugissement, rugissement furieux cette fois-ci.

«Avoir Provis pour locataire de l'étage supérieur est une véritable aubaine pour Mrs Whimple, dit Herbert, car il est certain qu'en général personne ne supporterait ce bruit. C'est une curieuse maison, Haendel, n'est-ce pas?»

C'était une curieuse maison, en vérité, mais elle était remarquablement propre et bien tenue.

«Mrs Whimple, dit Herbert, quand je lui fis cette remarque, est le modèle des ménagères, et je ne sais réellement pas ce que ferait ma Clara sans son aide maternelle, car Clara n'a plus sa mère, Haendel, ni aucun parent dans le monde, après le vieux Gruff and Grim13.

– Assurément ce n'est pas son nom, Herbert?

– Non, non, dit Herbert, c'est le nom que je lui ai donné. Son nom est M. Barley. Mais quelle bénédiction pour le fils de mon père et de ma mère d'aimer une fille qui n'a pas de parents, et qui ne peut jamais se tracasser elle-même, ni tracasser les autres à propos de sa famille.»

Herbert m'avait dit, dans une première occasion, et me rappela alors, qu'il avait d'abord connu miss Clara Barley quand elle terminait son éducation dans une pension d'Hammersmith, et que, lorsqu'elle avait été rappelée à la maison pour soigner son père, lui et elle avaient confié leur affection à la maternelle Mrs Whimple, par laquelle elle avait toujours été protégée depuis avec une bonté et une discrétion sans égales. Il était entendu que quoi que ce fût d'une nature tendre ne pouvait être confié au vieux Barley, par la raison qu'il n'entendait absolument rien aux sujets plus psychologiques que la goutte, le rhum et les fournitures de vivres.

Pendant que nous causions ainsi à voix basse, et que le grognement soutenu du vieux Barley vibrait dans la poutre qui traversait le plafond, la porte du parloir s'ouvrit, et une très jolie fille, élancée, aux yeux bleus, âgée d'environ vingt ans, entra, tenant un panier à la main. Herbert la débarrassa tendrement du panier, et me la présenta en rougissant:

«Clara,» me dit-il.

C'était réellement une personne bien charmante, et elle aurait pu passer pour une fée captive que cet ogre brutal de vieux Barley avait forcée à le servir.

«Tenez, dit Herbert, en me montrant le panier, avec un sourire tendre et compatissant; voici le souper de la pauvre Clara, qu'on lui sert tous les soirs. Voici sa ration de pain et sa tranche de fromage, et voici son rhum que je bois. Voici le déjeuner de M. Barley pour demain, il est tout prêt à cuire: deux côtelettes de mouton, trois pommes de terre, un peu de pois cassés, un peu de farine, deux onces de beurre, une pincée de sel et tout ce poivre noir. Tout cela est cuit ensemble et servi chaud. Qu'on me pende, si ce n'est pas une excellente chose pour la goutte!»

Il y avait quelque chose de si naturel et de si charmant dans la manière résignée avec laquelle Clara regardait ces provisions une à une, à mesure que Herbert en faisait l'énumération, et quelque chose de si confiant, de si aimant et de si innocent dans la manière modeste avec laquelle elle s'abandonnait au bras d'Herbert, qui l'enlaçait, et quelque chose de si doux en elle, qui avait tant besoin de protection au Moulin du Bord de l'Eau, près du Bassin aux Écus et de la Vieille Corderie de Cuivre Vert, avec le vieux Barley grognant dans la poutre, que je n'aurais pas voulu défaire l'engagement qui existait entre elle et Herbert pour tout l'argent contenu dans le portefeuille que je n'avais jamais ouvert.

Je la regardai avec plaisir et admiration, quand tout à coup le grognement redevint un rugissement, et on entendit à l'étage au-dessus un effroyable bruit, comme si un géant à jambe de bois essayait de percer le plafond pour venir à nous. Sur ce, Clara dit à Herbert:

«Papa me demande, mon ami!»

Et elle se sauva.

«Voilà un vieux gueux que vous aurez de la peine à comprendre, dit Herbert. Que croyez-vous qu'il demande, Haendel?

– Je ne sais pas, dis-je, quelque chose à boire.

– C'est cela même! s'écria Herbert, comme si j'avais deviné quelque chose de très difficile. Il a son grog préparé dans un petit baril, sur sa table. Attendez un moment, et vous allez entendre Clara le soulever pour lui en faire prendre. Là! la voilà!»

On entendit alors un autre rugissement, avec une secousse prolongée à la fin.

«Maintenant, dit Herbert, le silence s'étant rétabli, il boit… Puis le grognement ayant encore raisonné dans la poutre, il est recouché,» ajouta Herbert.

Clara revint bientôt après, et Herbert m'accompagna en haut pour voir l'objet de nos soins. En passant devant la porte de M. Barley, nous l'entendîmes murmurer d'une voix enrouée, dans un ton qui s'élevait et s'abaissait comme le vent, le refrain suivant, dans lequel je substitue un bon souhait à quelque chose de tout à fait opposé.

«Oh! soyez tous bénis!.. Voici le vieux Bill Barley… le vieux Bill Barley… Soyez tous bénis… Voici le vieux Bill Barley à plat sur le dos, mordieu!.. couché à plat sur le dos, comme une vieille limande blessée. Voici votre vieux Bill Barley… Soyez tous bénis… oh! soyez tous bénis!..»

Herbert m'apprit que l'invisible Barley conversait avec lui-même jour et nuit, en manière de consolation, ayant souvent, quand il faisait jour, l'œil sur un télescope, qui était ajusté sur son lit, pour lui permettre de surveiller le fleuve.

Je trouvai Provis, confortablement installé dans ses deux petites chambres, en haut de la maison; elles étaient fraîches et bien aérées, et on y entendait beaucoup moins M. Barley qu'au-dessous. Il n'exprima nulle alarme, et parut n'en ressentir aucune qui valût la peine d'être mentionnée; mais je fus frappé de son adoucissement indéfinissable; je n'aurais pu dire alors comment ce changement s'était opéré, et dans la suite, quand je l'ai essayé, je n'ai jamais pu me rappeler comment cela avait pu se faire; mais c'était un fait certain.

Les réflexions que m'avait permis de faire un jour de repos avaient eu pour résultat ma détermination bien arrêtée de ne rien lui dire à l'égard de Compeyson; car d'après ce que je savais, son animosité contre cet homme pouvait le conduire à le chercher, et à précipiter ainsi sa propre perte. En conséquence, quand Herbert et moi fûmes assis avec lui devant le feu, je lui demandai avant tout s'il s'en rapportait au jugement et aux sources d'information de Wemmick.

«Ah! Ah! mon cher ami, répondit-il, avec un grave signe de tête, Jaggers le connaît.

– Alors j'ai causé avec Wemmick, dis-je, et je suis venu pour vous dire quelle prudence il m'a recommandée et quels conseils il m'a donnés.»

Je le fis exactement, avec la réserve que je viens de dire, et je lui appris comment Wemmick avait entendu dire à Newgate (était-ce des employés ou des prisonniers, je ne pouvais le dire) qu'il était sous le coup de soupçons, et que mon logement avait été surveillé, comment Wemmick avait recommandé qu'il restât caché pendant quelque temps, et que moi je restasse éloigné de lui, et ce que Wemmick avait dit à propos de son éloignement. J'ajoutai que, bien entendu, quand il serait temps, je partirais avec lui, ou que je le suivrais de près, selon ce qui paraîtrait plus prudent au jugement de Wemmick. Je ne touchai pas à ce qui devait suivre; car, en vérité, je n'étais pas du tout tranquille, et ce n'était pas très clair dans mon propre esprit, maintenant que je voyais Provis dans cette condition plus douce, et cependant dans un péril imminent, à cause de moi. Quant à changer ma manière de vivre, en augmentant mes dépenses, je lui demandai si dans les circonstances présentes, difficiles et peu viables, cela ne serait pas simplement ridicule, sinon pire.

Il ne put nier ceci et même il se montra très raisonnable. Son retour était une entreprise très aventureuse; il l'avait toujours considérée ainsi, disait-il. Il ne ferait rien pour la rendre désespérée et il avait peu à craindre pour sa sûreté avec de si bons soutiens.

Herbert, qui avait tenu les yeux fixés sur le feu en réfléchissant, dit alors:

«D'après les suggestions de Wemmick, il m'est venu à l'idée une chose qui pourra être de quelque utilité. Nous sommes tous les deux bons canotiers, Haendel, et nous pourrions lui faire descendre nous-mêmes la rivière, quand le moment sera venu. De cette manière, il n'y aurait à louer ni bateau, ni bateliers, et cela nous épargnerait au moins le risque d'être soupçonnés; et tous risques sont bons à éviter. Sans nous inquiéter de la saison, ne pensez-vous pas que ce serait une bonne chose si vous commenciez dès à présent à avoir un bateau à l'escalier du Temple, et si vous preniez l'habitude de monter et de descendre la rivière de temps en temps? Une fois que vous en auriez pris l'habitude, personne n'y fera attention et ne s'en inquiètera. Faites-le vingt fois ou cinquante fois, et il n'y aura rien d'étonnant à ce que vous le fassiez une vingt et unième ou une cinquante et unième fois.»

Ce plan me plut, et Provis en fut tout à fait enthousiasmé. Nous convînmes qu'il serait mis à exécution, et que Provis ne nous reconnaîtrait jamais, si nous venions à descendre au delà du pont, passé le Moulin du Bord de l'Eau. Mais nous décidâmes ensuite qu'il baisserait le store de la partie orientale de sa fenêtre toutes les fois qu'il nous verrait et que tout serait pour le mieux.

Notre conférence étant alors terminée, et tout étant arrangé, je me levai pour partir, faisant observer à Herbert que lui et moi nous ferions mieux de ne pas rentrer ensemble, et que j'allais prendre une demi-heure d'avance sur lui.

«Je n'aime pas à vous laisser ici, dis-je à Provis, bien que je ne doute pas que vous ne soyez plus en sûreté ici que près de moi. Adieu!

13.Gruff, repoussant, rude, aigre; Grim, affreux, cruel, renfrogné. Plaisanterie impossible à rendre et très habituelle en anglais, où l'on donne aux individus des surnoms en rapport avec leur caractère.
Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
27 eylül 2017
Hacim:
700 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain