Kitabı oku: «Le Voyage Du Destin»

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Chris J. Biker

Le voyage du destin

Traduit par LariusTrans

La couverture est l’œuvre de l’artiste Emiliano Movio ; sa numérisation a été réalisée par le graphiste Pierluigi Paron pour le compte de Print Service.

Publié par Tektime

© 2020 - Chris J. Biker

PRÉFACE

Cher lecteur, je souhaite faire la lumière sur une incohérence historique que tu découvriras en lisant ce roman dont l’action se déroule au dixième siècle de notre ère, une époque où les Indiens d’Amérique ne connaissaient pas encore les chevaux, lesquels ne sont arrivés dans leurs vies que cinq siècles plus tard. Cependant, n’est-il pas vrai que, lorsqu’on pense aux Indiens d’Amérique, l’image de cavaliers emplumés qui chevauchent en liberté leurs destriers sur leurs terres vient spontanément à l’esprit ? Il n’était pas possible de renoncer à cette vision merveilleuse.

DÉDICACE

À mes filles, Sara et Janis, qui enrichissent jour après jour mon existence du plus beau cadeau qui soit, leur pur Amour.

Chapitre 1

À la grande époque des Vikings, dans le village de Gokstad en Norvège, naquit Ulfr, fils aîné du Roi Olaf.

À l’aube, un étrange gémissement tira Olaf de son sommeil ; il regarda à ses côtés et vit que sa femme Herja n’était pas là. Il s’assit et regarda autour de lui : il la vit qui se tenait debout, appuyée contre le mur, faiblement éclairée par les premières lueurs du jour qui pénétraient par une fente dans la paroi, son buste légèrement ployé en avant ; d’une main elle se tenait à la tapisserie pendue au mur, de l’autre elle soutenait son ventre proéminent.

De ses dents serrées lui échappèrent ces mots : “Fais venir la sage-femme”,

Olaf se leva immédiatement et, traversant la chambre à grandes enjambées, il sortit et appela à voix haute les femmes de service.

“Vite ! Vite !”, cria-t-il dans le silence qui régnait à cette heure.

En quelques instants la maison reprit vie, les femmes couraient à droite et à gauche tandis qu’Olaf répétait encore, en proie à une vive agitation : “Vite ! Vite !”, en restant sur le seuil de la porte pour ne pas perdre sa femme de vue.

Deux femmes se précipitèrent dans la pièce, se faufilant entre les montants de la porte et les flancs de l’homme. Elles allumèrent immédiatement des petits feux en utilisant l’huile de poisson contenue dans les petits récipients semi-hémisphériques en fer répartis le long des murs et qui faisaient fonction de lampes.

“Écartez-vous de là !”, ordonna une voix de femme, laquelle transportait dans ses mains un récipient fumant enrobé dans des pièces de tissu.

C’était la vieille Sigrùn, la sage-femme, la seule qui pût lui parler sur ce ton. Nul ne connaissait son âge, qui devait être fort avancé, à tel point qu’on l’avait surnommée Sigrùn “l’Immortelle” car elle avait mis au monde tous les habitants du village. Elle jouissait d’un respect considérable.

“Vous êtes aussi grand que la porte !”, ajouta-t-elle en passant à côté de lui, suivie par une autre femme qui referma la porte derrière elle.

Olaf resta immobile quelques instants, regardant fixement les décors entaillés du bois, confiant ses prières à Frey et à Freya, les déesses de la fertilité. On s’adressait à elles pour se garantir que l’enfant à naître serait sain et robuste.

L’épouse était entre de bonnes mains, celles de la vieille Sigrùn, considérée comme la Prêtresse des Runes sacrées qu’elle portait gravées dans les paumes de ses mains, une personne dont il ne fallait jamais sous-estimer les prophéties...

Un parfum semblable au citron emplit la pièce : il s’échappait d’une décoction de verveine, ou plutôt de griffes de dragon comme les appelait la vieille. Elle en versa un peu dans une tasse et s’approcha de Herja dont la respiration était saccadée et les yeux barrés à cause des fortes contractions.

Elle l’invita : “Bois, cela atténuera ta douleur.”

Herja ne se le fit pas dire deux fois. Elle aurait avalé n’importe quoi pour atténuer ces douleurs qui l’élançaient. D’autre part le parfum de la décoction était frais et invitant.

La future mère, assistée par la sage-femme et par les autres femmes, était épuisée par le travail qui durait depuis des heures. Quand vint le moment fatidique, on la fit s’incliner sur ses coudes en l’exhortant à pousser.

La vieille Sigrùn entonna une mélopée de paroles incompréhensibles pendant qu’elle imposait ses mains osseuses sur le corps de la jeune femme, appuyant et lui massant le ventre.

La respiration de Herja se fit saccadée et ses cris de douleur conduisirent Olaf à accélérer le rythme nerveux de ses allers-retours devant la porte.

Au dernier cri de sa femme il s’arrêta et retint sa respiration jusqu’au moment de la naissance, lorsque le premier vagissement de son fils fut accompagné d’un chœur de chants magiques.

La vieille Sigrùn, après avoir coupé le cordon ombilical, lava le petit corps avec de l’eau, l’essuya puis l’enduit d’un onguent de trèfle qui protégeait du mauvais sort, apportant savoir et sagesse et, le levant vers le ciel, elle le confia aux forces de la nature et à leur dieu Odin...

La porte s’ouvrit enfin.

“Vous pouvez entrer”, annonça la sage-femme, tandis qu’elle s’apprêtait à sortir avec les autres femmes à sa suite.

Olaf s’approcha de sa femme qui tenait entre ses bras leur premier-né.

“C’est un garçon !”, dit-elle en souriant, lui remettant le bébé entre ses bras robustes.

Olaf lui rendit son sourire et, regardant son fils avec orgueil, il dit :”Nous devons lui donner un nom qui soit digne de sa race.”

Mais il pensait depuis des mois à ce nom, en espérant que ce fût un garçon.

“Je suis sûre que tu as déjà choisi le nom le plus approprié pour lui”, ajouta Herja avec le regard complice de celle qui avait déjà tout compris.

Olaf lui adressa un clin d’œil et éclata de rire. Tenant le petit entre ses grandes mains, il leva les bras au ciel et, d’une voix solennelle, il prononça son nom.

“Ulfr, que les dieux t’accordent une vie aussi glorieuse que celle qu’a vécue ton grand-père !”

Le choix d’un nom était fondamental chez les Vikings parce qu’ils étaient convaincus qu’il influencerait le caractère et le destin : pour cette raison il reçut le nom de son grand-père paternel, chef valeureux et marchand fort habile, qui passa la majeure partie de sa vie aux commandes de son knarr, une superbe embarcation viking à la proue magistralement sculptée en forme de tête d’animal sauvage, recouverte d’or et d’argent ; sur son embarcation trônait celle d’un loup parce que Ulfr signifie “loup”...

Chapitre 2

Au même moment, dans les grandes plaines d’Amérique du Nord, au sein de la tribu du Grand Ciel, naissait Faucon Doré, l’aînée du chef de tribu, Grand Aigle.

Les premières lueurs de l’aube annonçaient une journée nouvelle.

Fleur des Bois fut tirée de son sommeil par une douleur lancinante. Elle s’assit, le souffle court, et chercha dans la pénombre le visage de son mari qui dormait auprès d’elle. Grand Aigle ne s’était aperçu de rien et elle préféra ne pas l’éveiller.

Elle se leva lentement en s’efforçant de ne pas faire de bruit. Elle inspira l’air frais et léger et se dirigea lentement vers le tipi de sa mère.

À quatre pattes elle souleva le rabat de peau de l’entrée.

“Maman...”, appela-t-elle à voix basse, pour ne pas réveiller son père, Trois Élans.

“C’est l’heure ?”, s’enquit Rosée du Matin en s’asseyant.

“Oui”, répondit la jeune femme, le visage contracté et serrant avec force le morceau de peau.

“Attends ici ! Je vais appeler ta tante”, dit-elle avant de s’éloigner en courant vers le tipi de sa sœur.

Fleur des Bois acquiesça mais, sans écouter ce que lui avait dit sa mère, elle se dirigea lentement vers une hutte isolée où accouchaient les femmes de la tribu.

Un autre élancement la saisit à l’improviste, la faisant ployer de douleur : les deux femmes accoururent pour la rejoindre et, lui apportant leur soutien, l’accompagnèrent à l’intérieur de la hutte.

Sa tante Étoile Bleue, se précipita vers le fleuve pour prendre de l’eau, pendant que sa mère lui préparait une couche confortable sur laquelle elle la fit étendre dans l’attente de l’accouchement.

Elles préparèrent une infusion de feuilles de framboisier rouge.

“Bois, cela t’aidera à abréger le travail”, lui expliqua Rosée du Matin.

Mais les contractions étaient encore trop éloignées l’une de l’autre. Cette infusion avait toujours fonctionné avec les autres parturientes de la tribu mais elle semblait ne pas avoir d’effet sur elle.

“Peux-tu marcher ?” lui demanda sa mère.

Elle répondit sans conviction : “Oui... Oui...”

“Il faut que tu marches, ainsi l’accouchement sera plus rapide” lui expliqua-t-elle.

Pendant que Rosée du Matin et Étoile Bleue préparait tout le nécessaire, Fleur des Bois, entre une contraction et l’autre, marchait à l’extérieur de la hutte alors que le soleil se levait.

Grand Aigle se réveilla et, s’étant rendu compte de l’absence de sa femme, il se précipita à l’extérieur du tipi. Il la vit marcher lentement, puis s’arrêter tout d’un coup, le buste en avant, pliée par la douleur.

“Fleur des Bois !” appela-t-il, courant vers elle.

Il lui entoura le dos avec un bras pour la soutenir, lui offrant l’appui de l’autre.

“Il faut que je marche” lui dit-elle après avoir repris son souffle.

“D’accord ! Nous le ferons ensemble” proposa Grand Aigle, attentionné.

Ils marchèrent plus d’une heure. Les contractions étaient de plus en plus rapprochées ; à chaque fois que l’une d’elles survenait, Fleur des Bois aurait voulu crier mais elle se retenait, poussant seulement un gémissement étouffé pour ne pas effrayer son mari. Mais lui sentait combien elle souffrait parce que sa main enserrait son bras avec force. Ce serrement était d’autant plus marqué que la douleur provoquée par la contraction était plus forte. Jusqu’au moment où elle ne desserra plus la prise.

Le souffle court, elle lui dit : “Nous y sommes, accompagne-moi.”

Grand Aigle la confia aux mains expertes de sa belle-mère et de sa tante. Elles la couchèrent sur la couche moelleuse pendant que sa mère lui expliquait comment respirer pour atténuer la douleur. Mais les douleurs étaient toujours plus intenses et lancinantes, sa respiration toujours plus courte. Les deux femmes l’aidèrent à se mettre à genoux ; elle était moite de transpiration et, au moment crucial, elle se cambra et émit un cri que tout le village entendit, puis tout se passa très vite. Elle était née.

Quand elle vit sa nouveau-née, l’accouchement lui parut un lointain souvenir et les douleurs de l’enfantement s’estompèrent.

Après la coupe du cordon ombilical, les femmes lui tendirent une autre infusion d’extraits de racines, appelées par les Amérindiens “racines de la naissance” parce qu’elles arrêtent l’hémorragie qui suit l’accouchement. Pendant que Fleur des Bois la buvait à petites gorgées, les deux femmes s’occupèrent de la nouveau-née.

On lava la petite et son corps fut frictionné avec des herbes aromatiques et oint d’un mélange de graisse et d’argile rouge. Elles l’enveloppèrent dans des peaux douces et la déposèrent dans le berceau. Le cordon ombilical fut confié à sa grand-mère qui l’enveloppa dans des feuilles de sauge et le déposa avec soin dans une bourse en peau, décorée avec des pigments naturels, qu’elle accrocha à l’extrémité du berceau. Cette amulette l’accompagnerait durant toute sa vie et au-delà...

Au moment de sa naissance un faucon survola le village : embrasé par le soleil il paraissait doré, tandis qu’au premier vagissement de la nouveau-née un hurlement prolongé, puissant, en provenance des Rochers Sacrés situés derrière eux, se fit entendre. Grand Aigle et le reste de la tribu suivirent son vol du regard, en direction d’une autre silhouette, immobile, qui regardait dans leur direction : il s’agissait d’un loup. Tous deux disparurent derrière les rochers lorsque le faucon parvint à sa hauteur.

Le Chaman prophétisa :

“Le vol de ce faucon a dépassé les limites de nos montagnes. Vers ce loup, le pionnier, l’esprit libre de la nature intacte et sauvage...” L’homme s’interrompit, Rosée du Matin venait de sortir pour annoncer la naissance.

“Tu peux entrer et faire la connaissance de ta fille !” lui annonça-t-elle.

Grand Aigle pénétra à l’intérieur de la hutte. Il était ému et la vue de cette minuscule créature emplit son cœur d’une telle joie qu’elle jaillissait de ses yeux. Il attendit que les femmes sortissent avant de prendre la petite dans ses bras et décrivit à sa femme ce survol d’un faucon au moment de sa naissance.

“Je pense que le Grand Esprit t’a suggéré son nom, Faucon Doré est tout à fait digne de la fille d’un grand chef”, acquiesça Fleur des Bois.

“Qu’il en soit fait selon la volonté du Grand Esprit !”, affirma-t-il satisfait.

Il s’agenouilla près de sa femme et lui tendit la petite afin qu’elle pût l’allaiter. Il resta sur place à contempler le premier repas de sa fille et pensa qu’il n’existait rien de plus merveilleux sur Terre que la vision d’une mère en train d’allaiter son enfant.

Quatre jours après la naissance de Faucon Doré fut organisée la cérémonie d’assignation du nom, qu’aucun des membres de la tribu ne connaissait encore. Fleur des Bois blanchit son visage avec de la farine sacrée de maïs puis l’enveloppa dans la plus belle des couvertures et, avec Grand Aigle, ils la portèrent pour la première fois à l’extérieur pour la présenter au Soleil levant et à toute la tribu.

La naissance d’un enfant était toujours accueillie avec de grandes manifestations de joie, comme le don le plus précieux. Un enfant n’appartenait pas qu’à sa famille mais également à l’ensemble de la tribu.

“Le Grand Esprit a envoyé son messager qui par son vol a traversé notre village.” Il prit la petite entre ses mains et la leva au ciel, en proclamant son nom.

“Faucon Doré est son nom. Le Grand Esprit donne à cette fille les qualités du faucon afin qu’elle grandisse courageuse et forte, généreuse et altruiste.”

Les coups de tambour résonnèrent dans l’air, le Chaman entonna un chant sacré auquel se joignirent toutes les voix de la tribu, les paroles accompagnant la Danse Sacrée.

Chapitre 3

Huit hivers après la naissance de Ulfr, outre Isgred sa sœur de sang, un nouveau membre intégra la fratrie : Thorald, un garçon de son âge, fils d’Harald, Jarl du village voisin d’Oseberg.

Entre les deux clans existait depuis des générations un lien très fort.

Harald, à la suite du décès de sa femme Sigrid, morte en couches en même temps que sa deuxième-née, était un homme brisé. Il décida de confier l’instruction et la formation de son fils unique à la famille de son grand ami, le roi Olaf et son épouse Herja, pendant quelques années.

Tous deux regardaient leur ami avec préoccupation. Harald était un bel homme de trente ans, mais la douleur engendrée par cette grave perte était visible sur son visage, éprouvé et las, qui le faisait paraître bien plus vieux qu’il n’était en réalité.

Olaf posa sa main sur son épaule.

Il s’efforça de le réconforter : “Courage mon ami ! Ne t’inquiète pas pour Thorald, il sera bien traité ici, nous nous occuperons de tout.”

“J’en suis convaincu !”, affirma l’homme d’un ton de voix qui ne révélait pas le découragement qui, au contraire, l’accablait.

Harald posa le regard sur son fils, assis à côté de lui, la tête basse et les yeux fixés sur ses petites mains. Il eut un serrement de cœur et lui caressa la tête. L’enfant releva la tête pour regarder son père, ses jeunes lèvres serrées pour ne pas pleurer.

Herja prit deux récipients, provenant de cornes naturelles de vache, décorées d’incisions et de fines plaques d’or, qu’elle emplit d’hydromel et qu’elle tendit aux deux hommes, avant de s’adresser à Thorald.

“Viens !” l’invita-t-elle avec la douceur d’une mère, lui tendant la main. “Ulfr t’attend.”

L’enfant se tourna vers son père qui opina du chef.

En s’efforçant d’afficher une certaine sérénité, il le rassura : “Tout ira bien.”

Thorald prit la main d’Herja et, ensemble, ils traversèrent la pièce mais, avant de sortir, l’enfant se tourna une dernière fois vers son père et lui sourit, comme pour le rassurer à son tour.

Olaf attendit qu’ils soient sortis avant de lever la corne, imité en cela par Harald.

“Buvons ! En souvenir de Sigrid et de tous nos ancêtres”, proposa-t-il à son ami.

“Drekka Minni !”. Ils trinquèrent à l’unisson, vidant les cornes d’un seul trait.

Olaf passa la main sur ses moustaches puis il suggéra : “Maintenant tu dois penser à surmonter cette période : tu pourrais partir pour un long voyage.”

“J’y ai songé. Si Thorald avait été plus grand, je l’aurais emmené avec moi.”

“On pourrait faire ceci : tu voyageras et tu feras du commerce également pour mon compte, pendant que je m’occuperai de l’éduquer et le faire grandir sain et fort”, suggéra Olaf.

“Mon ami tu ne m’as jamais déçu !” déclara Harald.

Les deux hommes échangèrent un regard chargé d’un profond attachement et d’un respect réciproque.

“Je suis sûr que tu en ferais autant pour moi !” déclara Olaf sans l’ombre d’un doute, lui tendant la paume de sa main droite, geste que lui rendit son ami.

Harald voyagea pendant des années et, en de nombreuses occasions, il hiverna loin de sa maison.

Les deux enfants commencèrent aussitôt leur éducation et l’entraînement. Ils furent instruits des lois, de l’histoire, du travail du bois et du fer et ils apprirent tous les secrets de la métallurgie. Ils se familiarisèrent avec les armes, pratiquant diverses disciplines au quotidien.

Au cours des veillées du long et glacial hiver norvégien, toute la famille se réunissait dans la tiédeur du foyer domestique où, pendant que les femmes tissaient et que les hommes sculptaient le bois, on transmettait aux enfants, au travers des récits des anciens, la connaissance du passé de la famille et du clan, ainsi que les principes, les valeurs et le code d’honneur que tout bon Viking ne devait jamais enfreindre.

Ulfr et Thorald grandissaient sains et robustes, ils étudiaient et s’entraînaient ensemble et, entre eux, se créa un très fort lien affectif. Comme leurs pères avant eux, ils devinrent frères jurés selon un ancien rite magique...

L’hiver tirait à sa fin, les nefs vikings sillonnaient les eaux scandinaves et les Vikings qui avaient hiverné loin de chez eux étaient de retour dans leurs familles. Même Harald, à la surprise générale, revint en ce printemps.

C’était le neuvième misseri d’été pour les deux petits Vikings, vers la mi-Avril, quand ils consacrèrent leur fraternité.

Ce jour était le premier de leur entraînement à l’arc et tout avait été préparé à l’extérieur, derrière la maison, un lieu d’où on jouissait d’une vue d’ensemble sur tout le domaine.

“Portez votre jambe gauche en avant, cela vous aidera à viser mieux et avec puissance”, suggéra Bjorn, le meilleur archer du clan. “Pointez...”

Les deux enfants de placèrent comme on leur avait indiqué et, saisissant l’arc avec la flèche déjà apprêtée, ils tendirent la corde de toutes leurs forces, serrant les yeux pour se focaliser sur l’objectif. Deux sacs remplis de paille faisaient office de fantoche, la cible peinte à la hauteur du cœur.

“Maintenant !” ordonna Bjorn.

Les deux petits archers décochèrent leur premier dard et une expression de déception s’afficha sur leurs visages quand ils suivirent le vol des traits, loin de la cible.

“Par l’œil d’Odin !” exclama la voix d’un homme.

Tous les regards se portèrent dans cette direction tandis que Leif, un gros bonhomme aux cheveux roux, sortait des buissons avec une chèvre morte, transpercée par les flèches.

Bjorn regarda avec étonnement Olaf et Harald. “Ils l’ont descendue du premier coup !”, dit-il incrédule.

L’expression de fierté et de satisfaction des deux enfants suscita la sympathie et l’amusement des présents.

“Que faisait donc cette chèvre en dehors de la bergerie ?” demanda Olaf en extrayant les traits de la pauvre bête.

“Elle s’était échappée et j’essayais de la ramener au bercail”, expliqua l’homme.

“Tu as eu de la chance : ç’aurait pu être toi à la place de la chèvre”, observa Harald.

“En effet !”, s’exclama Leif, écarquillant ses yeux gris. Il ajouta à l’adresse des enfants, qui ébauchèrent un vague sourire d’excuse : “Les flèches l’ont touchée au moment où je la saisissais.”

“J’ai survécu à mille batailles dans ma jeunesse et je ne tiens pas à rejoindre le Valhalla par la main de deux enfants !”, exclama-t-il d’un ton ironique. Et il conclut sur le ton de la plaisanterie : “Et je ne suis pas convaincu que les valkyries m’auraient accueilli... mort à la poursuite d’une chèvre !”, provoquant l’hilarité générale.

“Mon bon ami, quand tu entreras au Valhalla, ce sera certainement digne du grand Viking que tu as été ! À présent apporte cette chèvre à la cuisinière, qu’elle la prépare pour le repas”, ordonna Olaf en pouffant de rire.

Leif acquiesça et, inclinant la tête en signe de respect, se dirigea vers les cuisines.

L’archer rappela l’attention des deux enfants : “Maintenant concentrez-vous sur la cible... Parce que vous ne vaincrez pas un ennemi en décimant son bétail.”

“Tu dois admettre que la première flèche de leur vie présage bien de l’avenir”, déclara Harald, d’un ton mi-satisfait et mi-amusé.

“Apparemment...”, répondit Bjorn. “Maintenant il faut qu’ils s’engagent à fond et démontrent qu’ils méritent bien ce présage”, ajouta-t-il en s’adressant aux deux enfants, déjà prêts à recevoir ses ordres.

Du bruit dans leur dos attira l’attention d’Olaf et d’Harald. Les portes de l’étable s’ouvrirent et, après six mois, une multitude d’animaux se déversa à l’extérieur tandis que quelques hommes du clan, entre mugissements, grognements et bèlements, s’efforçaient de maintenir un semblant d’ordre pour mener les plus de cinq cents têtes de bétail sur les terres où ils pourraient paître en liberté.

“Emmenez le bétail loin d’ici autrement ces deux-là vont en faire un massacre !”, s’écria Olaf d’un ton goguenard.

Au milieu de toute cette agitation survint Leif qui, d’un pas rapide se dirigeait dans leur direction, apparemment anxieux de leur communiquer quelque chose.

“La vieille Sigrùn a vu la chèvre et vous fait dire qu’elle vous attend tous dans la Clairière Sacrée”, leur annonça-t-il dès qu’il les eut rejoints.

“Entendu !”, commenta Olaf, échangeant un regard d’entente avec Harald.

“Vous reprendrez l’entraînement à notre retour”, dit-il à Bjorn.

“Je vous attends ici”, répondit l’archer.

Tous les quatre se mirent en marche, laissant le village derrière eux. La terre s’était libérée de sa gangue de glace et, avec la douceur dispensée par le soleil, la vie avait repris dans le village de Gokstad. Le domaine d’Olaf était beau, de grandes dimensions et s’étendait le long de la côte et vers l’intérieur des terres sur des kilomètres, ce dont il n’était pas peu fier.

Les champs étaient séparés par des murets de pierre qui les ceinturaient ; quelques paysans étaient occupés à labourer la terre, d’autres s’occupaient des semailles : le seigle, l’orge si précieux, tous les légumes et l’avoine -cette dernière destinée à servir de fourrage pour nourrir le grand nombre de têtes de bétail au cours de l’hiver à venir-.

Les premières fleurs constellaient les vastes étendues de trèfle dans lesquelles étaient disséminées des baies, des mûriers, des framboisiers ; ces prés s’étendaient jusqu’à l’endroit où, du sol, s’élevaient les parois rocheuses qui marquaient la frontière d’avec les possessions d’Harald. Avec le dégel, la cascade avait recommencé à jaillir au travers des roches recouvertes de lichens, grossissant le torrent qui traversait le bois et la Clairière Sacrée.

Le chemin qu’ils parcouraient était bordé de rangées de pommiers et d’aubépines qui avaient germé et d’où pointaient déjà des fleurs blanches. Ils poursuivirent leur chemin en silence, entre les bruits de la nature qui se réveillait et les rayons du soleil qui filtraient parmi les arbres. On entrevoyait les premiers nids construits par les oiseaux ; à certaines branches pendaient des paniers de paille en forme de spirale dans lesquels les abeilles avaient commencé à édifier leurs ruches : elles seraient emplies de miel à la fin de l’été, miel avec lequel les Vikings feraient de l’excellent hydromel.

Ils parvinrent à la Clairière Sacrée où la vieille Sigrùn les attendait.

Ils s’approchèrent de la femme, enveloppée de la tête aux pieds dans son noir manteau. Deux tresses de cheveux blancs dépassaient de la capuche et lui tombaient jusqu’aux hanches, ses yeux ressortaient comme deux aigues-marines. Deux corbeaux, créatures liées au culte du dieu Odin, étaient immobiles sur ses épaules. La vieille étendit les bras vers le ciel et les deux oiseaux prirent leur envol au-dessus de leurs têtes, avant de disparaître dans l’épaisseur des arbres.

“Ce chêne a été planté par vos pères quand ils avaient à peu près votre âge ; il a grandi sain et fort, comme leur amitié”, leur déclara-t-elle avec une pointe d’orgueil dans la voix.

Puis elle s’abaissa et cueillit un rejet issu des racines de l’arbre, et l’éleva vers le ciel.

“Aujourd’hui les dieux ont exprimé leur volonté à travers vos flèches et l’arbre de Thor a engendré une nouvelle vie... Vous êtes prêts pour votre serment !” proféra la vieille Sigrùn en offrant la pousse aux deux jeunes garçons.

Les deux petits Vikings choisirent un lieu peu éloigné du chêne et retournèrent une motte d’herbe au-dessus de laquelle ils se percèrent la paume de la main droite pour ensuite, avec un poignée de main, mélanger leurs sangs en se jurant réciproquement fidélité ; avec le sang ils fertilisèrent la motte et s’en servirent pour recouvrir la base de la pousse qu’ils venaient de planter, scellant ainsi un pacte de fraternité pour toute leur vie...

Isgred, en plus de l’instruction dispensée aux enfants d’une noble maisonnée, devait apprendre comment gouverner la maison, particulièrement quand son mari aurait pris la mer pour une expédition lointaine. Elle aussi, un jour, comme sa mère, dirigerait la ferme, élèverait ses enfants, gérerait les affaires de son mari. Un jour elle aussi porterait, accrochées à sa ceinture, les clés de la maison, symbole de l’autorité et du respect dont jouissait une femme dans la famille.

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