Kitabı oku: «UKAPISME - Une Gauche perdue»
ibidem-Verlag, Stuttgart
Table des matières
Les abréviations
Remerciements
Préface
Partis politiques de gauche
Introduction
PREMIERE PARTIE
1 Origines historiques
2 Lutte pour une République socialiste ukrainienne indépendante
3 Ukapism: Le marxisme anticolonial en Ukraine soviétique 1920-1925
SECONDE PARTIE
Auteurs de certains écrits
1 Lev Yurkevych. l’ukraine et la guerre
2 Comité pour la défense de la révolution
3 Pas de pogroms dans la République ukrainienne!
4 déclaration du comité organisateur du parti des travailleurs social-démocratiques ukrainiens (gauche)
5 Résolution de la fraction des Indépendants sur la situation courante 6eme Congrès du Parti Social-Démocrate Ukrainien des Travailleurs
6 Déclaration de la fraction des Indépendants de l’USDRP Comité d’organisation de la fractiondes Indépendants
7 Mémorandum du Parti communiste ukrainien au Congrès de la III ème Internationale communiste, 1920
8 Volodymyr Vynnychenko. La Révolution est en danger !
9 Lettre du Camarade Yuri (Georgy) Lapchynsky à la Rédaction du „Chervony Prapor“ (Drapeau Rouge).
10 Volodymyr Vynnychenko. Vous a’êtes point fidèles à vous-mêmes!
11 Appel du CC de l'UKP aux ouvriers et paysans d'Ukraine avec un appel à ne pas soutenir la nouvelle politique économique du PKP (b)
12 Volodymyr Levynsky. L'internationale socialiste et les peuples opprimés
Bibliographie
Les abréviations
KP(b)U – Komunistychna partiya (bilʹshovykiv) Ukrayiny: Le Parti communiste (bolchevik) d'Ukraine
RKP – Rosiysʹka komunistychna partiya: Parti communiste russe
RSDRP(b) - Rosiysʹka hromadsʹko-demokratychna robitnycha partiya (bilʹshovykiv) - POSDR(b)
UKP - Ukrayinsʹka komunistychna partiya: Le Parti communiste ukrainien
UKP(b) – Ukrayinsʹka komunistychna partiya (borotbysty): Le Parti communiste ukrainien (Borotbisty)
UNR – Ukrayinsʹka Narodna Respublika: UPR - République populaire ukrainienne
UPSR – Ukrayinsʹka partiya sotsialistiv-revolyutsioneriv: Parti ukrainien des révolutionnaires socialistes
USDRP – Ukrayinsʹka sotsial-demokratychna robitnycha partiya: Parti Ouvrier Social-Démocrate Ukrainien - POSDU
USDRP(nez.) – Ukrayinsʹka sotsial-demokratychna robitnycha partiya (nezalezhnyky): Parti Ouvrier Social-Démocrate Ukrainien (Indépendantiste)
Remerciements
L'auteur tient à remercier les nombreuses personnes qui l'ont aidé à produire ce livre. L'auteur exprime sa gratitude à son ami et camarade Marko Bojcun et à John-Paul Himka de l'Université de l'Alberta.
L'auteur est particulièrement reconnaissant pour la traduction de "Grandes lignes de l'histoire du Parti Communiste Ukrainien (Indépendantiste)" de Vincent Présumey. Cet essai a été publié pour la première fois dans la revue Debatte en août 2009. Merci Olivier Delbeke pour son aide dans l'édition et la traduction des textes de ce livre.
L'auteur remercie le Dr Bohdan Krawchenko de l'Université d'Asie centrale dont le soutien et l'assistance ont rendu ce livre possible. Merci à Andreas Umland d'avoir publié ceci dans sa précieuse série de livres.
Je suis reconnaissant à Stephen Velychenko de l'Université de Toronto qui a aidé l'auteur dans ses recherches, son livre Painting Imperialism and Nationalism Red est une contribution significative à l'histoire des marxistes ukrainiens.
Les auteurs remercient Zakhar Popovych, Nina Potarska, Volodymyr Ischenko, Denys Pilash, Oleg Vernyk, Olga Brukhovetska, Denys Gorbach, Gregory Schwartz, Yuliya Yurkechenko, Stefan Melnyk et Andrey Zhdorov pour leur aide au fil des ans.
L'auteur est particulièrement reconnaissant à Andriy Ryepa pour la traduction des textes clés de ce livre, et à Bob Archer, David Watson, Kirsty Long, Emma Rimpilainen et Stan Crooke pour leur aide à l'édition.
Préface
Un travail pionnier, à propos d’un continent perdu, dont la connaissance est nécessaire aux luttes d’aujourd’hui : ainsi peut se présenter cet ouvrage, formé de l’étude de Christopher Ford sur le courant communiste ukrainien indépendantiste des origines à 1925, suivi de plusieurs documents de l’époque en langue française.
D’une façon générale, la vulgate dominante à propos de l’Ukraine pendant la révolution « russe » se réduit à ceci : en Ukraine régnait un grand désordre, mais les bolcheviks avec l’armée rouge ont finalement vaincu les blancs, les nationalistes ukrainiens (réactionnaires et antisémites) de Petlioura, et l’armée paysanne anarchiste de Makhno. Point final.
Cette vulgate dominante comporte deux interprétations, l’une pro-« soviétique » où le nationalisme ukrainien est réduit à la contre-révolution, l’autre anticommuniste qui le présente comme démocratique et antitotalitaire. Ces deux interprétations paraissent s’opposer mais elles reposent sur la même ignorance totale de ce que fut l’histoire réelle (une variante est l’interprétation qui ne connait que Makhno comme force n’étant ni de droite, ni communiste).
« L’ignorance n’a jamais servi de rien à personne » (Marx citant Spinoza). L’histoire réelle est celle d’une révolution visant à l’émancipation nationale, paysanne et sociale, en Ukraine, qui voit courant 1917 les forces issues de l’ancien Parti Ouvrier Social-Démocrate d’Ukraine, avec les Socialistes Révolutionnaires, dominer ce pays, mais hésiter et se faire déborder par leur propre base, par les bolcheviks russes, et tromper par les diplomaties de l’Entente puis des empires centraux.
Or les courants majoritaires qui tirent les leçons de cette rude expérience ne furent pas les nationalistes proprement dits de l’ancien social-démocrate Petlioura, qui va s’allier à la Pologne de Pilsudski et laisser le champ libre aux « atamans », généraux réactionnaires et antisémites, mais ceux des courants révolutionnaires prolétariens et en même temps partisans d’une véritable indépendance ukrainienne. Il s’agit, en résumé, de trois courants : les socialistes-révolutionnaires ukrainiens indépendantistes, appelés borot’bistes, le courant social-démocrate puis communiste indépendantiste étudié ici, appelé Nezhalezhnyky (indépendantiste) ou oukapiste (d’après son sigle entre 1919 et 1925, l’UKP), et les tendances indépendantistes minoritaires parmi les bolcheviks, dont deux militants, Chakhrai et Mazlakh, ont produit un ouvrage important sous forme de lettre à Lénine fin 1918, qui fit référence aussi pour les communistes indépendantistes non bolcheviks.
Ces trois courants furent, fin 1918 début 1919, majoritaires à la base, et dans les armées paysannes rouges ou vertes formées dans la région de K’yiv, aussi bien en opposition au pouvoir bolchevik russe, à K’yiv, qu’au Directoire de Petlioura, à L’viv. Un membre de ce Directoire jusqu’en janvier 1919, Volodomyr Vinnitchenko, en fut en outre fort proche : il a ensuite tenté de rapprocher la Hongrie soviétique et l’Ukraine, puis tenté de collaborer avec le pouvoir bolchevik, avant de choisir l’émigration.
En dehors des publications ukrainiennes ou russes, l’ouvrage de Chakhrai et Mazlakh existe en langue anglaise (On the current situation in the Ukraine, Ann Arbor, 1969), et les borot’bistes, force paysanne bien plus puissante que les bolcheviks, qui rejoignent ces derniers et s’émiettent à partir de fin 1919, non sans influencer la politique suivie en Ukraine durant la NEP, ont été étudiés par Yvan Maistrenko, réédité en 2017 par Idibem-Verlag avec une présentation de Christopher Ford. Reste le courant communiste indépendantiste proprement dit, dont le présent ouvrage donne donc la première présentation générale en langue anglaise ou française.
C’est un véritable continent perdu, d’abord parce que le marxisme ukrainien a des racines profondes, remontant jusqu’à l’Association Internationale des Travailleurs. Le seul nom connu en est souvent celui de Roman Rosdolsky, connaisseur de Marx et défenseur des « peuples [soi-disant] sans histoires ». Vous en découvrirez d’autres, praticiens autant que théoriciens de la révolution – la révolution prolétarienne tant russe qu’ukrainienne car plusieurs furent aux premiers rangs en 17 à Petrograd, comme soldats - les Yurkevitch, Richitsky, Mazurenko, Levinsky … Le communisme indépendantiste ne nait pas de scissions obscures en 1918-1919 mais plonge ses racines dans cette tradition, qu’il restaure.
Ensuite, ce courant intervient activement dans la révolution en 1919 surtout, en tentant d’imposer une Ukraine soviétique mais indépendante de la Russie. Notons qu’il se heurte alors à Rakovsky, choisi par Lénine qui le vantait de n’être ni russe, ni juif, ni polonais, ni … ukrainien, alors qu’il s’agissait de gouverner l’Ukraine ! Les lecteurs français qui connaissent Rakovsky par les travaux de Pierre Broué seront surpris : en 1919 Rakovsky est le véhicule aveugle du chauvinisme grand-russe, et les conséquences en sont catastrophiques (c’est par la suite que, en 1923, Rakovsky combattra la bureaucratie et sera écarté par Staline). L’UKP en formation tente de produire une double insurrection à la fois nationale et soviétique : la mutinerie de Zeleny fut, nous apprend Christopher Ford, le plus important soulèvement de soldats de l’armée rouge, devant Cronstadt. Son occultation totale n’en est que plus frappante. Lénine et Trotsky, fin 1919, font promesses et concessions, semblent avoir compris la question nationale ukrainienne … les borot’bistes rejoignent le PC d’Ukraine et l’UKP est légale … mais on ne transforme pas un appareil d’Etat dominateur …
La guerre avec la Pologne voit revenir en force tout le chauvinisme russe. L’UKP a un temps le vent en poupe, gagnant des borot’bistes déçus par leur dissolution dans le parti au pouvoir, gagnant aussi des courants venus de ce dernier, et agissant souvent en alliance avec les partis juifs, notamment le Poale Tsion. C’est alors que l’UKP se présente comme adhérente à la Comintern, dans laquelle elle est le seul parti à se réclamer ouvertement de la « révolution permanente », nationale, démocratique et socialiste, souvent appelée par eux « la libération universelle ».
C’est en définitive – et ils le disent – l’échec de la révolution prolétarienne en Allemagne et en Europe qui retire leurs perspectives aux communistes indépendantistes ukrainiens. Peu à peu l’étau répressif se resserre. Ils discutent de la NEP et, dans l’ensemble, s’y opposent, rapprochant bureaucratisme et capitalisme. Ils ont de l’influence chez les ouvriers du Donbass et appellent à former de véritables comités de paysans pauvres et pas des caricatures policières. Et ils agacent le pouvoir en se réclamant de l’Internationale communiste dont, comme ont pu le faire d’autres opposants chacun de leur côté (Paul Lévi, Bordiga, l’Opposition ouvrière …) ils affirment que sa « juridiction » devrait être au-dessus du PCUS. Finalement ils sont contraints à la dissolution en mars 1925, dernier parti légal en URSS à cette date : un tour de force ! « Ainsi prenaient fin les 25 années d’existence organisée du marxisme ukrainien. » (C. Ford), une tradition marxiste et nationale détruite par l’appareil stalinien en train de s’affirmer.
Depuis 2013-2014 l’Ukraine s’est rappelée au monde, d’abord par une poussée révolutionnaire ébranlant et disloquant l’Etat pendant quelques mois, et chassant un président corrompu, puis par une poussée contre-révolutionnaire et impérialiste dirigée par Vladimir Poutine annexant la Crimée et jetant la boue et le sang de la « guerre hybride » sur le Donbass. La plupart des courants et militants occidentaux peinent à saisir la portée de ces évènements et à avoir une vision du destin des nations européennes capable de pousser à l’Est de l’Elbe et du Danube. Certains s’imaginent que des sortes d’Etats pseudo-ouvriers affrontent les « nazis ukrainiens » ! En ce moment même ce sont les derniers mineurs du Donbass qui affrontent les mafias soutenues par le pouvoir russe, et les syndicats indépendants qui cherchent à affirmer leur existence contre la présidence de Zelensky à K’yiv. Ces luttes auront des répercussions capitales en Russie et dans toute l’Europe centrale. Mais elles seront en grande partie aveugles tant que la nation ukrainienne, comme la nation bélarussienne, la nation géorgienne et les nations baltes, sans oublier la Finlande, n’auront pas reconquis leur propre histoire. Ce sont des révolutions prolétariennes pour l’indépendance nationale qu’ont connu ces pays en 1917-1923. Se réapproprier cette véritable histoire, c’est construire l’avenir !
Vincent Présumey
Partis politiques de gauche
Le but de la présente étude est de retracer en détail l'histoire de ces marxistes ukrainiens connus sous le nom d'Ukapisty, leur origine et leur rôle dans la révolution ukrainienne et dans la vie de l'Ukraine soviétique jusqu'à leur liquidation en 1925.
Avant d'aborder le sujet principal de l'étude, il sera toutefois utile d'identifier brièvement les principaux partis politiques de gauche qui, avec l'Ukapisty, ont joué un rôle dans l'histoire ukrainienne pendant cette période.
Le Parti communiste ukrainien (en abrégé UKP) connu sous le nom d'Ukapisty de l'UKP, l'abréviation ukrainienne du parti. L'UKP est né et est issu de la gauche du Parti ouvrier social-démocrate ukrainien (USDRP), ils ont formé la faction de Nezalezhnyky (les indépendants) en 1918 et ont commencé à publier le journal Chervony Prapor (Drapeau Rouge) . Ils sont devenus un parti distinct en 1919 et se sont relancés sous le nom d’UKP en décembre 1919
Le Parti Communiste ukrainien (Groupe étranger) a été formé en février 1920 par des membres de l'USDRP à l'étranger et quelques social-démocrates ukrainiens de Galice. Il était distinct de l'UKP en Ukraine, il existait dans plusieurs villes européennes et publiait l'hebdomadaire Nova Doba ( L’Epoque Nouvelle).
Le Parti communiste ukrainien (Borotbisty), (en abrégé UKP(b)) était une continuation du Parti ukrainien des révolutionnaires socialistes (UPSR). Ils ont commencé comme le groupe «internationaliste» vers la fin de 1917 qui a remporté la majorité du parti en mai 1918. « L’UPSR se scissionna et la gauche adopta le nom Borotbisty après le nom du journal du parti Borotba [Lutte]. en août 1919 le parti a pris le nom « Enfin, au printemps 1920, les Borotbisty fusionnaient avec le KP(b)U ».
“Le Parti communiste (Bolshevik) d’Ukraine (en abrégé KP(b)U) était à bien des égards le prolongement du parti ouvrier social-démocrate russe (bolsheviks). Il eut une influence significative parmi les travailleurs urbains d’Ukraine. En grande partie un parti du prolétariat russe ou russifié, son impacte sur la paysannerie ukrainienne fut négligeable ». Le KP(b)U a été fondé en avril 1918 par des délégués bolcheviques d'Ukraine et un groupe de social-démocrates ukrainiens de gauche en tant que parti indépendant. Cela a été annulé en mai 1918 et le KP (b) U est devenu une branche du Parti communiste russe.
Parti ouvrier social-démocrate russe - Les mencheviks jouissent d'un soutien important parmi les travailleurs ukrainiens. Ils avaient un plus grand nombre de partisans dans les “cellules”. Branches ukrainiennes du RSDRP et avaient plus de partisans dans le mouvement ouvrier en Ukraine que les bolcheviks. « Comme des travailleurs qualifiés et plus expérimentés, les ouvriers dans les grandes entreprises s’orientaient vers le menshevisme. » Les mencheviks ont dirigé de nombreux syndicats, dont le premier centre syndical ukrainien - Utsentroprof, créé en 1918.
Le Parti ukrainien des révolutionnaires socialistes de gauche (Borbisty) était en fait une branche ukrainienne du Parti russe des révolutionnaires socialistes de gauche, qui à son tour était un descendant de la Narodnaya Volya (Volonté du peuple ou liberté du peuple). « Les Borbisty avaient une certaine influence sur la rive gauche de l’Ukraine (la partie de l’Ukraine a l’est du fleuve Dnepr), principalement dans les villes, mais moins dans les villages.
Le Syndicat général des travailleurs juifs (Bund) au moment de la révolution de février comptait 175 organisations locales en Ukraine. « En février 1919, le Bund connut une scission et la gauche forma l’Union communiste juive générale (Kombund). » “En mai 1919, le Kombund fusionna avec le Parti communiste juive d’Ukraine pour établir l’Union communiste juive d’Ukraine (Komfarband) qui comptait 4000 militants ».
Poalei Zion - Parti des travailleurs sociaux-démocrates juifs (travailleurs de Sion) a été constitué en juillet 1905 lors d'une conférence à Kiev, un parti de sionistes marxistes. Une fois établi, le travail de Poale Zion dans l’empire russe était concentré dans les provinces ukrainienne et biélorusse. En août 1919, une faction communiste s'est déclarée parti distincte, le Parti communiste juif (EKP). En 1923, Poalei Zion lui-même a changé son nom pour devenir le Parti des travailleurs communistes juifs Poale Zion, le dernier parti indépendant en Union soviétique.
Le parti des anarchistes ukrainiens, adeptes de Nestor Makhno, était un phénomène typiquement ukrainien. Il avait un large public parmi les paysans du sud de l'Ukraine.
En outre, il y avait plusieurs petits groupes: les Maximalistes, les Communistes Révolutionnaires. À l'exception des anarchistes et mencheviks, tous les partis mentionnés ci-dessus ont finalement fusionné avec le KP(b)U.
Introduction
Sont présentés ici pour la première fois en langue française, un récit historique et une sélection d'écrits de marxistes ukrainiens dont les noms et les rôles ont été depuis longtemps oubliés dans l'histoire du mouvement ouvrier.
Ce volume de textes perdus cherche à combler une lacune dans notre connaissance et notre compréhension de la période révolutionnaire.
Le sujet de ce livre est celui d’une gauche perdue, perdue non pas seulement en raison de son extermination physique pendant la terreur de masse du régime stalinien et de l’occupation de l’Ukraine par Hitler.
Mais aussi en raison d'une longue succession d'approches rétrogrades de l'histoire de la révolution qui ont considéré la tradition marxiste ukrainienne de manière péjorative.
Particulièrement depuis les événements du Maïdan de 2014, nous avons vu un regain d'intérêt en Ukraine; mais cette évolution positive s'accompagne d'une nouvelle régression; nous avons assisté à la renaissance d'un récit autrefois avancé par le vieux mouvement blanc russe pendant la révolution. Ses partisans fondent leur interprétation de la question ukrainienne sur un ensemble de principes clés:
1) « La Grande Russie, la« Petite Russie » et la« Biélorussie »sont trois branches d'un seul peuple russe,
2.) La langue et la culture russes sont la réalisation commune sous la direction du seul peuple russe;
3) La «petite Russie», c'est-à-dire l'Ukraine, est une partie inséparable d'une Russie unitaire;
4) l'idée d'une nation ukrainienne séparée est une fabrication des puissances étrangères qui visent le démembrement et l'affaiblissement de la Russie.
La réinhumation du général Denikin en 2005 avec tous les honneurs militaires à Moscou était un symbole approprié de cette reconnexion avec l'Empire. Que Denikin ait obtenu des sponsors occidentaux pour la cause nationaliste russe en 1919 est compréhensible ; que Vladimir Poutine puisse mobiliser le soutien de l'extrême droite européenne contemporaine n'est pas une surprise.
Ce qui est significatif, c'est le soutien de secteurs de gauche à une telle régression historique dans la Russie moderne, qui ne prétend pas à un camouflage communiste en agissant en tant qu'héritière et gardienne de la politique impérialiste des tsars.
La régression est également apparente dans l'Ukraine indépendante. Les personnages présentés dans ce livre tel un Volodymyr Vynnychenko sont commémorés non pas en tant que socialistes, mais en tant qu'acteurs de premier plan de la révolution ukrainienne qui forme un élément fondamental de l'idéologie de l'État ukrainien moderne.
Les efforts de décolonisation de l'histoire ukrainienne ont été confrontés au danger de remplacer les contraintes du passé par les nouvelles contraintes d'un récit historique alternatif et étatique. Un pays où les éloges officiels de la révolution ignorent ou minimisent souvent le socialisme des pionniers de l'Ukraine indépendante. De nombreux historiens ukrainiens depuis 1991 ont considéré la révolution comme principalement une lutte de libération nationale.
Ce qui revient à s’identifier aux conclusions auxquelles sont parvenus les participants modérés et conservateurs de la Révolution.
Cette histoire d'en haut a considéré la conduite de l'élite comme décisive dans l'issue de la révolution, et non celle des masses ouvrières et paysannes.
Un nouveau tournant dans l'approche de l'histoire a eu lieu à partir de 2014, en particulier par le groupe qui dirige l'Institut ukrainien pour la mémoire nationale qui a cherché la révolution actuelle comme un développement historique linéaire et unique vers un État qui cherche à assainir la révolution du contenu socialiste et à placer les conservateurs au centre de la scène.
Les figures de Symon Petlyura, Pavlo Skoropadsky et par dessus tout Stepan Bandera, sont dépeintes comme si elles représentaient à elles seules le mouvement ukrainien et incarnaient presque la nation elle-même. Rien de plus que les nationalistes intégraux de l'époque de la guerre, notamment l'Organisation des nationalistes ukrainiens dirigée par Bandera, qui sont présentés comme les héritiers de la révolution de 1917-1921.
Ce point de vue rétrograde a été contesté par non moins qu’une personnalité comme Volodymyr Vynnychenko, l'une des figures les plus populaires de la révolution et le leader de l'État ukrainien indépendant.
Vynnychenko, un social-démocrate vétéran et chef du groupe des Affaires étrangères du Parti communiste ukrainien, a fait valoir que la défaite de leur «printemps ukrainien» n'était pas seulement due à la faiblesse militaire mais au désordre politique, les bolcheviks avaient une «peur intense de perdre la colonie» mais aussi «ont hissé la bannière de la révolution sociale et économique la plus décisive qui a été le cri des masses ouvrières-paysannes ukrainiennes». 1 La question a été posée ainsi : «ou la libération nationale ou la libération sociale», «ou l’Ukraine ou «la terre et les usines» ». Organe central de la révolution, la «Rada centrale n'a pas cherché à combiner ces deux slogans», estimant que «l'enthousiasme de la renaissance nationale serait au-dessus de tous les autres intérêts».
Vynnychenko y voyait un problème récurrent. Les adeptes de Bandera ont adopté une approche encore plus dogmatique et ont refusé d'apprendre de l'histoire:
Les jeunes Bandero-UHVRistes, m'enseignant comment lutter pour l'Ukraine, m'ont dit catégoriquement que seuls les idiots et les traîtres soulèvent la question de ce que devrait être l'Ukraine. Pour eux, cette question n'a aucun poids, seule compte l'Ukraine.2
En revanche, Vynnychenko a vu la tendance historique de la révolution comme l'effort des masses vers l'émancipation universelle, il a souligné que tous ne pensaient pas de la même manière, la révolution a créé un courant de « libération unilatérale» (odnobichnoho vyzvolennya) axé sur le national -l’État - et le «courant universel» qui cherchait une «libération globale» (vsebichnoho vyzvolennya) à la fois sociale et nationale.3
Les membres du «courant universel» comprenaient les socialistes-révolutionnaires ukrainiens de gauche (Borotbisty) et les sociaux-démocrates ukrainiens de gauche (Ukapisty) et des éléments de l'opposition au sein du Parti communiste (bolcheviks) d'Ukraine. Ce livre est l'histoire d'un élément de ce courant universel, les Ukapistes, mais ce n'est pas seulement leur histoire.
Alors que la révolution se déroulait, les Borotbistes s’étant dissous et ayant été incorporés dans le KP (b) U, et les bolcheviks d'opposition se révélant incapables de progresser, ce furent les Ukapistes qui furent en mesure d'unifier les marxistes ukrainiens en un parti communiste ukrainien véritablement indépendant.
Le fait que le chef de l 'opposition fédéraliste du KP(b)U - Yuri Lapchynsky les ait rejoints dans cette entreprise est un témoignage du potentiel de l' Ukapisme. Ce sont ces marxistes ukrainiens qui ont cherché à réaliser les objectifs émancipateurs de la révolution, une lutte qu'ils avaient entamée dans les rangs de la social-démocratie ukrainienne depuis le début du siècle.
Importance historique du marxisme ukrainien
Les marxistes ukrainiens du Parti ouvrier social-démocrate ukrainien, par l'intermédiaire de son comité de Petrograd, ont organisé des soldats ukrainiens dans les régiments Izmailovsky et Semenov. À un moment critique, ils décidèrent du sort de la Révolution de février 1917 dans leur bataille contre les troupes tsaristes. À partir de ce moment, ce parti jouera un rôle de premier plan dans la révolution nationale en Ukraine.
Un marxiste Vynnychenko fut d'abord président du Secrétariat général de la Rada centrale, le gouvernement autonome d'Ukraine, puis de la République populaire ukrainienne. Dans son étude historique, la Renaissance d'une nation, il a écrit que ce sont les social-démocrates ukrainiens qui étaient les mieux placés pour prendre la tête de la révolution:
Et non pas pour chanter les louanges d'un parti, mais au nom de l'objectivité historique et de la compréhension de tout le processus de notre mouvement, je dois noter: la plus grande partie du fardeau à la fois de ce travail héroïque et de toutes les erreurs graves ultérieures, a été imposée au courant social-démocrate. On peut dire avec confiance que le rôle de premier plan dans la renaissance de la nation ukrainienne a été joué par la social-démocratie ukrainienne à l'époque. 4
Lorsque la révolution a commencé, il y avait trois partis politiques ukrainiens, le Parti ukrainien des socialistes-fédéralistes, formé à partir de l'Association progressiste ukrainienne modérée, pour la plupart des intellectuels sans relations politiques ou organisationnelles avec les paysans ou les travailleurs.
Le Parti ukrainien des socialistes révolutionnaires n'existait qu’à l’état de groupes embryonnaires avant de se former en avril 1917. Il s'est développé au cours de la révolution en s'organisant en un de parti de masse de la paysannerie ukrainienne, fort d’un million de membres. Par conséquent, le seul parti politique, au sens strict du terme, était l'USDRP. Comme l'a noté Vynnychenko :
Il avait un passé considérable (depuis 1901, portant alors le nom de Parti révolutionnaire ukrainien ; en 1904 et le changeant en Parti ouvrier social-démocrate ukrainien). Son programme et ses tactiques, issus du programme et des tactiques du socialisme international, étaient déjà adaptés aux conditions ukrainiennes. Il avait son histoire, ses traditions, ses méthodes et sa propre école. La pratique du travail clandestin du parti révolutionnaire a familiarisé ses membres à une bonne organisation, les a éduqués, a formé une perspective stable et les a habitués au travail politique. Le nom même du parti, ainsi que les noms de ses principales personnalités, étaient connus d'un large éventail de travailleurs ukrainiens. N'étant pas nombreuses, les organisations du parti se composaient en même temps d'un élément prolétarien instruit, avancé, très actif et révolutionnaire.5
En Ukraine, l’actuelle histoire officielle de l’État honore leur rôle de «combattants pour l’indépendance de l’Ukraine», mais il n’y a pas de reconnaissance du fait qu’ils étaient marxistes. Pourtant, la réalité est que les marxistes ukrainiens ont apporté une contribution significative à la lutte non seulement pour l'émancipation nationale mais aussi sociale.
Les marxistes ont joué un rôle vital dans le mouvement ukrainien moderne à chaque étape de son développement depuis les tout débuts du renouveau national ukrainien au XIXe siècle. La figure de proue de cette génération était Mykhailo Drahomanov, le remarquable penseur politique ukrainien de l'époque. Sous l'influence directe de Drahomanov, l'un des premiers partis socialistes d'Europe de l'Est et le premier parti politique ukrainien - le Parti radical ruthène-ukrainien a été fondé à Lviv en 1890.6 Un ami et collaborateur de Drahamanov était Mykola Ziber, le commentateur préféré de Marx et le premier théoricien marxiste et éditeur des idées de Marx dans l'Empire russe. 7
Le «précurseur du marxisme ukrainien», Serhii Podolynsky faisait partie du cercle genevois des socialistes ukrainiens avec Drahamanov et était co-rédacteur en chef de la première revue politique ukrainienne moderne –Hromada [Communauté]. En 1875, Podolynsky a hissé la bannière d'un parti social-démocrate ukrainien. C'était un écrivain prolifique et un organisateur énergique. Ce cercle socialiste qui a publié Hromada a vu des dizaines de milliers de livres et de la propagande introduits clandestinement en Ukraine, la confiscation d'un lot, conduisant au premier procès antisocialiste de l'histoire autrichienne. Podolynsky dans ses mémoires a indiqué que la plus grande menace pour les dirigeants ukrainiens et la clé du succès du socialisme ukrainien seraient:
Ceux qui portent Karl Marx dans une poche et dans l'autre, le père Taras Shevchenko, c'est-à-dire des gens qui savent combiner les enseignements du socialisme avec les traditions et les sympathies évoquées par le nationalisme ukrainien local, c'est-à-dire le désir du peuple ukrainien, en même temps que l'émancipation économique, pour parvenir à l'indépendance politique et culturelle ». 8