Kitabı oku: «Les Chants de Maldoror», sayfa 3

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L'enfant s'est écrié:

–Si Dieu nous laisse vivre!

–Ange radieux, viens à moi: tu te promèneras dans la prairie, du matin jusqu'au soir: tu ne travailleras point. Mon palais magnifique est construit avec des murailles d'argent, des colonnes d'or et des portes de diamants. Tu te coucheras quand tu voudras, au son d'une musique céleste, sans faire ta prière. Quand, au matin, le soleil montrera ses rayons resplendissants et que l'alouette joyeuse emportera, avec elle, son cri, à perte de vue, dans les airs, tu pourras encore rester au lit, jusqu'à ce que cela te fatigue. Tu marcheras sur les tapis les plus précieux; tu seras constamment enveloppé dans une atmosphère composée des essences parfumées des fleurs les plus odorantes.

–Il est temps de reposer le corps et l'esprit. Lève-toi, mère de famille, sur tes chevilles musculeuses. Il est juste que tes doigts raidis abandonnent l'aiguille du travail exagéré. Les extrêmes n'ont rien de bon.

–Oh! que ton existence sera suave! Je te donnerai une bague enchantée; quand tu en retourneras le rubis, tu seras invisible, comme les princes, dans les contes des fées.

–Remets tes armes quotidiennes dans l'armoire protectrice, pendant que, de mon côté, j'arrange mes affaires.

–Quand tu le replaceras dans sa position ordinaire, tu reparaîtras tel que la nature t'a formé, ô jeune magicien. Cela, parce que je t'aime et que j'aspire à faire ton bonheur.

–Va-t'en, qui que tu sois; ne me prends pas par les épaules.

–Mon fils, ne t'endors point, bercé par les rêves de l'enfance: la prière en commun n'est pas commencée et tes habits ne sont pas encore soigneusement placés sur une chaise … A genoux! Éternel créateur de l'univers, tu montres la bonté inépuisable jusque dans les plus petites choses.

–Tu n'aimes donc pas les ruisseaux limpides, où glissent des milliers de petits poissons rouges, bleus et argentés? Tu les prendras avec un filet si beau, qu'il les attirera de lui-même, jusqu'à ce qu'il soit rempli. De la surface, tu verras des cailloux brillants, plus polis que le marbre.

–Mère, vois ces griffes; je me méfie de lui; mais ma conscience est calme, car je n'ai rien à me reprocher.

–Tu nous vois, prosternés à tes pieds, accablés du sentiment de ta grandeur. Si quelque pensée orgueilleuse s'insinue dans notre imagination, nous la rejetons aussitôt avec la salive du dédain et nous t'en faisons le sacrifice irrémissible.

–Tu t'y baigneras avec de petites filles, qui t'enlaceront de leurs bras. Une fois sortis du bain, elles te tresseront des couronnes de roses et d'œillets. Elles auront des ailes transparentes de papillon et des cheveux d'une longueur ondulée, qui flottent autour de la gentillesse de leur front.

–Quand même ton palais serait plus beau que le cristal, je ne sortirais pas de cette maison pour te suivre. Je crois que tu n'es qu'un imposteur, puisque tu me parles si doucement, de crainte de te faire entendre. Abandonner ses parents est une mauvaise action. Ce n'est pas moi qui serais fils ingrat. Quant à tes petites filles, elles ne sont pas si belles que les yeux de ma mère.

–Toute notre vie s'est épuisée dans les cantiques de ta gloire. Tels nous avons été jusqu'ici, tels nous serons, jusqu'au moment où nous recevrons de toi l'ordre de quitter cette terre.

–Elles t'obéiront à ton moindre signe et ne songeront qu'à te plaire. Si tu désires l'oiseau qui ne se repose jamais, elles te l'apporteront. Si tu désires la voiture de neige, qui transporte au soleil en un clin d'œil, elles te l'apporteront. Que ne t'apporteraient-elles pas! Elles t'apporteraient même le cerf-volant, grand comme une tour, qu'on a caché dans la lune, et à la queue duquel sont suspendus, par des liens de soie, des oiseaux de toute espèce. Fais attention à toi … écoute mes conseils.

–Fais ce que tu voudras: je ne veux pas interrompre ma prière, pour appeler au secours. Quoique ton corps s'évapore, quand je veux l'écarter, sache que je ne te crains pas.

–Devant toi, rien n'est grand, si ce n'est la flamme exhalée d'un cœur pur.

–Réfléchis à ce que je t'ai dit, si tu ne veux pas t'en repentir.

–Père céleste, conjure, conjure les malheurs qui peuvent fondre sur notre famille.

–Tu ne veux donc pas te retirer, mauvais esprit?

–Conserve cette épouse chérie, qui m'a consolé dans mes découragements …

–Puisque tu me refuses, je te ferai pleurer et grincer des dents comme un pendu.

–Et ce fils aimant, dont les chastes lèvres s'entr'ouvrent à peine aux baisers de l'aurore de vie.

–Mère, il m'étrangle … Père, secourez-moi … Je ne puis plus respirer … Votre bénédiction!

Un cri d'ironie immense s'est élevé dans les airs. Voyez comme les aigles, étourdis, tombent du haut des nuages, en roulant sur eux-mêmes, littéralement foudroyés par la colonne d'air.

–Son cœur ne bat plus … Et celle-ci est morte, en même temps que le fruit de ses entrailles, fruit que je ne reconnais plus, tant il est défiguré … Mon épouse!… Mon fils!… Je me rappelle un temps lointain où je fus époux et père.

Il s'était dit, devant le tableau qui s'offrit à ses yeux, qu'il ne supporterait pas cette injustice. S'il est efficace, le pouvoir que lui ont accordé les esprits infernaux, ou plutôt qu'il tire de lui-même, cet enfant, avant que la nuit s'écoule, ne devait plus être.

Celui qui ne sait pas pleurer (car il a toujours refoulé la souffrance en dedans) remarqua qu'il se trouvait en Norwège. Aux îles Faeroé, il assista à la recherche des nids d'oiseaux de mer, dans les crevasses à pic, et s'étonna que la corde de trois cents mètres, qui retient l'explorateur au-dessus du précipice, fût choisie d'une telle solidité. Il voyait là, quoi qu'on dise, un exemple frappant de la bonté humaine, et il ne pouvait en croire ses yeux. Si c'était lui qui eût dû préparer la corde, il aurait fait des entailles en plusieurs endroits, afin qu'elle se coupât, et précipitât le chasseur dans la mer! Un soir, il se dirigea vers un cimetière, et les adolescents qui trouvent du plaisir à violer les cadavres de belles femmes mortes depuis peu, purent, s'ils le voulurent, entendre la conversation suivante, perdue dans le tableau d'une action qui va se dérouler en même temps.

–N'est-ce pas, fossoyeur, que tu voudras causer avec moi? Un cachalot s'élève peu à peu du fond de la mer, et montre sa tête au-dessus des eaux, pour voir le navire qui passe dans ses parages solitaires. La curiosité naquit avec l'univers.

–Ami, il m'est impossible d'échanger des idées avec toi. Il y a longtemps que les doux rayons de la lune font briller le marbre des tombeaux. C'est l'heure silencieuse où plus d'un être humain rêve qu'il voit apparaître des femmes enchaînées, traînant leurs linceuls, couverts de taches de sang, comme un ciel noir, d'étoiles. Celui qui dort pousse des gémissements, pareils à ceux d'un condamné à mort, jusqu'à ce qu'il se réveille, et s'aperçoive que la réalité est trois fois pire que le rêve. Je dois finir de creuser cette fosse, avec ma bêche infatigable, afin qu'elle soit prête demain matin. Pour faire un travail sérieux, il ne faut pas faire deux choses à la fois.

–Il croit que creuser une fosse est un travail sérieux! Tu crois que creuser une fosse est un travail sérieux?

–Lorsque le sauvage pélican se résout à donner sa poitrine à dévorer à ses petits, n'ayant pour témoin que celui qui sut créer un pareil amour, afin de faire honte aux hommes, quoique le sacrifice soit grand, cet acte se comprend. Lorsqu'un jeune homme voit, dans les bras de son ami, une femme qu'il idolâtrait, il se met alors à fumer un cigare; il ne sort pas de la maison, et se noue d'une amitié indissoluble avec la douleur; cet acte se comprend. Quand un élève interne, dans un lycée, est gouverné, pendant des années, qui sont des siècles, du matin jusqu'au soir et du soir jusqu'au lendemain, par un paria de la civilisation, qui a constamment les yeux sur lui, il sent les flots tumultueux d'une haine vivace, monter comme une épaisse fumée, à son cerveau, qui lui paraît près d'éclater. Depuis le moment où on l'a jeté dans la prison, jusqu'à celui, qui s'approche, où il en sortira, une fièvre intense lui jaunit la face, rapproche ses sourcils, et lui creuse les yeux. La nuit, il réfléchit, parce qu'il ne veut pas dormir. Le jour, sa pensée s'élance au-dessus des murailles de la demeure de l'abrutissement, jusqu'au moment où il s'échappe, ou qu'on le rejette, comme un pestiféré, de ce cloître éternel; cet acte se comprend. Creuser une fosse dépasse souvent les forces de la nature. Comment veux-tu, étranger, que la pioche remue cette terre, qui d'abord nous nourrit, et puis nous donne un lit commode, préservé du vent de l'hiver soufflant avec furie dans ces froides contrées, lorsque celui qui tient la pioche, de ses tremblantes mains, après avoir toute la journée palpé convulsivement les joues des anciens vivants qui rentrent dans son royaume, voit, le soir, devant lui, écrit en lettres de flammes, sur chaque croix de bois, l'énoncé du problème effrayant que l'humanité n'a pas encore résolu: la mortalité ou l'immortalité de l'âme. Le créateur de l'univers, je lui ai toujours conservé mon amour; mais, si, après la mort, nous ne devons plus exister, pourquoi vois-je, la plupart des nuits, chaque tombe s'ouvrir, et leurs habitants soulever doucement les couvercles de plomb, pour aller respirer l'air frais?

–Arrête-toi dans ton travail. L'émotion t'enlève tes forces; tu me parais faible comme le roseau; ce serait une grande folie de continuer. Je suis fort: je vais prendre ta place. Toi, mets-toi à l'écart; tu me donneras des conseils, si je ne fais pas bien.

–Que ses bras sont musculeux, et qu'il y a du plaisir à le regarder bêcher la terre avec tant de facilité!

–Il ne faut pas qu'un doute inutile tourmente ta pensée: toutes ces tombes, qui sont éparses dans un cimetière, comme les fleurs dans une prairie, comparaison qui manque de vérité, sont dignes d'être mesurées avec le compas serein du philosophe. Les hallucinations dangereuses peuvent venir le jour; mais, elles viennent surtout la nuit. Par conséquent, ne t'étonne pas des visions fantastiques que tes yeux semblent apercevoir. Pendant le jour, lorsque l'esprit est en repos, interroge ta conscience; elle te dira, avec sûreté, que le Dieu qui a créé l'homme avec une parcelle de sa propre intelligence possède une bonté sans limites, et recevra, après la mort terrestre, ce chef- d'œuvre dans son sein. Fossoyeur, pourquoi pleures-tu? Pourquoi ces larmes, pareilles à celles d'une femme? Rappelle-toi le bien; nous sommes sur ce vaisseau démâté pour souffrir. C'est un mérite, pour l'homme, que Dieu l'ait jugé capable de vaincre ses souffrances les plus graves. Parle, et, puisque, d'après tes vœux les plus chers, l'on ne souffrirait pas, dis en quoi consisterait alors la vertu, idéal que chacun s'efforce d'atteindre, si ta langue est faite comme celle des autres hommes.

–Où suis-je? N'ai-je pas changé de caractère? Je sens un souffle puissant de consolation effleurer mon front rasséréné, comme la brise du printemps ranime l'espérance des vieillards. Quel est cet homme dont le langage sublime a dit des choses que le premier venu n'aurait pas prononcées? Quelle beauté de musique dans la mélodie incomparable de sa voix! Je préfère l'entendre parler, que chanter d'autres. Cependant, plus je l'observe, plus sa figure n'est pas franche. L'expression générale de ses traits contraste singulièrement avec ces paroles que l'amour de Dieu seul a pu inspirer. Son front, ridé de quelques plis, est marqué d'un stygmate indélébile. Ce stygmate, qui l'a vieilli avant l'âge, est-il honorable ou est-il infâme? Ses rides doivent-elles être regardées avec vénération? Je l'ignore et je crains de le savoir. Quoiqu'il dise ce qu'il ne pense pas, je crois néanmoins qu'il a des raisons pour agir comme il l'a fait, excité par les restes en lambeaux d'une charité détruite en lui. Il est absorbé dans des méditations qui me sont inconnues, et il redouble d'activité dans un travail ardu qu'il n'a pas l'habitude d'entreprendre. La sueur mouille sa peau: il ne s'en aperçoit pas. Il est plus triste que les sentiments qu'inspire la vue d'un enfant au berceau. Oh! comme il est sombre!… D'où sors-tu?… Étranger, permets que je touche, et que mes mains, qui étreignent rarement celles des vivants, s'imposent sur la noblesse de ton corps. Quoi qu'il en arrive, je saurais à quoi m'en tenir. Ces cheveux sont les plus beaux que j'aie touchés dans ma vie. Qui serait assez audacieux pour contester que je ne connais pas la qualité des cheveux?

–Que me veux-tu, quand je creuse une tombe? Le lion ne souhaite pas qu'on l'agace, quand il se repaît. Si tu ne le sais pas, je te l'apprends. Allons, dépêche-toi; accomplis ce que tu désires.

–Ce qui frissonne à mon contact, en me faisant frissonner moi-même, est de la chair, à n'en pas douter. Il est vrai … je ne rêve pas! Qui es-tu donc, toi, qui te penches là pour creuser une tombe, tandis que, comme un paresseux qui mange le pain des autres, je ne fais rien? C'est l'heure de dormir, ou de sacrifier son repos à la science. En tout cas, nul n'est absent de sa maison, et se garde de laisser la porte ouverte, pour ne pas laisser entrer les voleurs. Il s'enferme dans sa chambre, le mieux qu'il peut, tandis que les cendres de la vieille cheminée savent encore réchauffer la salle d'un reste de chaleur. Toi, tu ne fais pas comme les autres; tes habits indiquent un habitant de quelque pays lointain.

–Quoique je ne sois pas fatigué, il est inutile de creuser la fosse davantage. Maintenant, déshabille-moi; puis, tu me mettras dedans.

–La conversation, que nous avons tous les deux, depuis quelques instants, est si étrange, que je ne sais que te répondre … Je crois qu'il veut rire.

–Oui, oui, c'est vrai, je voulais rire; ne fais plus attention à ce que j'ai dit.

Il s'est affaissé, et le fossoyeur s'est empressé de le soutenir!

–Qu'as-tu?

–Oui, oui, c'est vrai, j'avais menti … j'étais fatigué quand j'ai abandonné la pioche … c'est la première fois que j'entreprenais ce travail … ne fais plus attention à ce que j'ai dit.

–Mon opinion prend de plus en plus de la consistance: c'est quelqu'un qui a des chagrins épouvantables. Que le ciel m'ôte la pensée de l'interroger. Je préfère rester dans l'incertitude, tant il m'inspire de la pitié. Puis, il ne voudrait pas me répondre, cela est certain: c'est souffrir deux fois que de communiquer son cœur en cet état anormal.

–Laisse-moi sortir de ce cimetière; je continuerai ma route.

–Tes jambes ne te soutiennent point; tu t'égarerais, pendant que tu cheminerais. Mon devoir est de t'offrir un lit grossier; je n'en ai pas d'autre. Aie confiance en moi; car, l'hospitalité ne demandera point la violation de tes secrets.

–O pou vénérable, toi dont le corps est dépourvu d'élytres, un jour, tu me reprochas avec aigreur de ne pas aimer suffisamment ta sublime intelligence, qui ne se laisse pas lire: peut-être avais-tu raison, puisque je ne sens même pas de la reconnaissance pour celui-ci. Fanal de Maldoror, où guides-tu ses pas?

–Chez moi. Que tu sois un criminel, qui n'a pas eu la précaution de laver sa main droite, avec du savon, après avoir commis son forfait, et facile à reconnaître, par l'inspection de cette main; ou un frère qui a perdu sa sœur; ou quelque monarque dépossédé, fuyant de ses royaumes, mon palais vraiment grandiose, est digne de te recevoir. Il n'a pas été construit avec du diamant et des pierres précieuses, car ce n'est qu'une pauvre chaumière, mal bâtie; mais, cette chaumière célèbre a un passé historique que le présent renouvelle et continue sans cesse. Si elle pouvait parler, elle t'étonnerait, toi, qui me parais ne t'étonner de rien. Que de fois, en même temps qu'elle, j'ai vu défiler, devant moi, les bières funéraires, contenant des os bientôt plus vermoulus que le revers de ma porte, contre laquelle je m'appuyai. Mes innombrables sujets augmentent chaque jour. Je n'ai pas besoin de faire, à des périodes fixes, aucun recensement pour m'en apercevoir. Ici, c'est comme chez les vivants; chacun paie un impôt, proportionnel à la richesse de la demeure qu'il s'est choisie; et, si quelque avare refusait de délivrer sa quote-part, j'ai ordre, en parlant à sa personne, de faire comme les huissiers: il ne manque pas de chacals et de vautours qui désireraient faire un bon repas. J'ai vu se ranger, sous les drapeaux de la mort, celui qui fut beau; celui qui, après sa vie, n'a pas enlaidi; l'homme, la femme, le mendiant, les fils de rois; les illusions de la jeunesse, les squelettes des vieillards; le génie, la folie; la paresse, son contraire; celui qui fut faux, celui qui fut vrai; le masque de l'orgueilleux, la modestie de l'humble; le vice couronné de fleurs et l'innocence trahie.

–Non certes, je ne refuse pas ta couche, qui est digne de moi, jusqu'à ce que l'aurore vienne, qui ne tardera point. Je te remercie de ta bienveillance … Fossoyeur, il est beau de contempler les ruines des cités; mais, il est plus beau de contempler les ruines des humains!

Le frère de la sangsue marchait à pas lents dans la forêt. Il s'arrête à plusieurs reprises, en ouvrant la bouche pour parler. Mais, chaque fois sa gorge se resserre, et refoule en arrière l'effort avorté. Enfin, il s'écrie: «Homme, lorsque tu rencontres un chien mort retourné, appuyé contre une écluse qui l'empêche de partir, n'aille pas, comme les autres, prendre avec ta main, les vers qui sortent de son ventre gonflé, les considérer avec étonnement, ouvrir un couteau, puis en dépecer un grand nombre, en te disant que, toi, aussi, tu ne seras pas plus que ce chien. Quel mystère cherches-tu? Ni moi, ni les quatre pattes-nageoires de l'ours marin de l'océan Boréal, n'avons pu trouver le problème de la vie. Prends garde, la nuit s'approche, et tu es là depuis le matin. Que dira ta famille, avec ta petite sœur, de te voir si tard arriver? Lave tes mains, reprends la route qui va où tu dors … Quel est cet être, là-bas, à l'horizon, et qui ose approcher de moi, sans peur, à sauts obliques et tourmentés; et quelle majesté, mêlée d'une douceur sereine! Son regard, quoique doux, est profond. Ses paupières énormes jouent avec la brise, et paraissent vivre. Il m'est inconnu. En fixant ses yeux monstrueux, mon corps tremble; c'est la première fois, depuis que j'ai sucé les sèches mamelles de ce qu'on appelle une mère. Il y a comme une auréole de lumière éblouissante autour de lui. Quand il a parlé, tout s'est tu dans la nature, et a éprouvé un grand frisson. Puisqu'il te plaît de venir à moi, comme attiré par un aimant, je ne m'y opposerai pas. Qu'il est beau! Ça me fait de la peine de le dire. Tu dois être puissant; car, tu as une figure plus qu'humaine, triste comme l'univers, belle comme le suicide. Je t'abhorre autant que je le peux; et je préfère voir un serpent, entrelacé autour de mon cou depuis le commencement des siècles, que non pas tes yeux … Comment!… c'est toi, crapaud! … gros crapaud!… infortuné crapaud!… Pardonne!… pardonne!… Que viens-tu faire sur cette terre où sont les maudits? Mais, qu'as-tu donc fait de tes pustules visqueuses et fétides, pour avoir l'air si doux? Quand tu descendis d'en haut, par un ordre supérieur, avec la mission de consoler les diverses races d'êtres existants, tu t'abattis sur la terre, avec la rapidité du milan, les ailes non fatiguées de cette longue, magnifique course; je te vis! Pauvre crapaud! Comme alors je pensais à l'infini, en même temps qu'à ma faiblesse. «Un de plus qui est supérieur à ceux de la terre, me disais-je: cela, par la volonté divine. Moi, pourquoi pas aussi? A quoi bon l'injustice, dans les décrets suprêmes? Est-il insensé, le Créateur; cependant le plus fort, dont la colère est terrible!» Depuis que tu m'es apparu, monarque des étangs et des marécages! couvert d'une gloire qui n'appartient qu'à Dieu, tu m'as en partie consolé; mais, ma raison chancelante s'abîme devant tant de grandeur! Qui es-tu donc? Reste … oh! reste encore sur cette terre! Replie tes blanches ailes, et ne regarde pas en haut, avec des paupières inquiètes … Si tu pars, partons ensemble!» Le crapaud s'assit sur les cuisses de derrière (qui ressemblent tant à celles de l'homme!) et, pendant que les limaces, les cloportes et les limaçons s'enfuyaient à la vue de leur ennemi mortel, prit la parole en ces termes: «Maldoror, écoute-moi. Remarque ma figure, calme comme un miroir, et je crois avoir une intelligence égale à la tienne. Un jour, tu m'appelas le soutien de ta vie. Depuis lors, je n'ai pas démenti la confiance que tu m'avais vouée. Je ne suis qu'un simple habitant des roseaux, c'est vrai; mais, grâce à ton propre contact, ne prenant que ce qu'il y avait de beau en toi, ma raison s'est agrandie, et je puis te parler. Je suis venu vers toi, afin de te retirer de l'abîme. Ceux qui s'intitulent tes amis te regardent, frappés de consternation, chaque fois qu'ils te rencontrent, pâle et voûté, dans les théâtres, dans les places publiques, dans les églises, ou pressant, de deux cuisses nerveuses, ce cheval qui ne galope que pendant la nuit, tandis qu'il porte son maître-fantôme, enveloppé dans un long manteau noir. Abandonne ces pensées, qui rendent ton cœur vide comme un désert; elles sont plus brûlantes que le feu. Ton esprit est tellement malade que tu ne t'en aperçois pas, et que tu crois être dans ton naturel, chaque fois qu'il sort de ta bouche des paroles insensées, quoique pleines d'une infernale grandeur. Malheureux! qu'as-tu dit depuis le jour de ta naissance? O triste reste d'une intelligence immortelle, que Dieu avait créée avec tant d'amour! Tu n'as engendré que des malédictions plus affreuses que la vue de panthères affamées! Moi, je préférerais avoir les paupières collées, mon corps manquant des jambes et des bras, avoir assassiné un homme, que ne pas être toi! Parce que je te hais. Pourquoi avoir ce caractère qui m'étonne? De quel droit viens-tu sur cette terre, pour tourner en dérision ceux qui l'habitent, épave pourrie, ballottée par le scepticisme? Si tu ne t'y plais pas, il faut retourner dans les sphères d'où tu viens. Un habitant des cités ne doit pas résider dans les villages, pareil à un étranger. Nous savons que, dans les espaces, il existe des sphères plus spacieuses que la nôtre, et dont les esprits ont une intelligence que nous ne pouvons même pas concevoir. Eh bien, va-t'en!… retire-toi de ce sol mobile!… montre enfin ton essence divine, que tu as cachée jusqu'ici; et, le plus tôt possible, dirige ton vol ascendant vers ta sphère, que nous n'envions point, orgueilleux que tu es! car, je ne suis pas parvenu à reconnaître si tu es un homme ou plus qu'un homme! Adieu donc; n'espère plus retrouver le crapaud sur ton passage. Tu as été la cause de ma mort. Moi, je pars pour l'éternité, afin d'implorer ton pardon!»

S'il est quelquefois logique de s'en rapporter à l'apparence des phénomènes, ce premier chant finit ici. Ne soyez pas sévère pour celui qui ne fait encore qu'essayer sa lyre: elle rend un son si étrange! Cependant, si vous voulez être impartial, vous reconnaîtrez déjà une empreinte forte, au milieu des imperfections. Quant à moi, je vais me remettre au travail, pour faire paraître un deuxième chant, dans un laps de temps qui ne soit pas trop retardé. La fin du dix-neuvième siècle verra son poëte (cependant, au début, il ne doit pas commencer par un chef-d'œuvre, mais suivre la loi de la nature): il est né sur les rives américaines, à l'embouchure de la Plata, là où deux peuples, jadis rivaux, s'efforcent actuellement de se surpasser par le progrès matériel et moral. Buenos-Ayres, la reine du Sud, et Montevideo, la coquette, se tendent une main amie, à travers les eaux argentines du grand estuaire. Mais, la guerre éternelle a placé son empire destructeur sur les campagnes, et moissonne avec joie des victimes nombreuses. Adieu, vieillard, et pense à moi, si tu m'as lu. Toi, jeune homme, ne te désespère point; car, tu as un ami dans le vampire, malgré ton opinion contraire. En comptant l'acarus sarcopte qui produit la gale, tu auras deux amis.

FIN DU PREMIER CHANT
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Litres'teki yayın tarihi:
01 aralık 2018
Hacim:
300 s. 1 illüstrasyon
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