Kitabı oku: «Les Chants de Maldoror», sayfa 8
Tremdall a touché la main pour la dernière fois, à celui qui s'absente volontairement, toujours fuyant devant lui, toujours l'image de l'homme le poursuivant. Le juif errant se dit que, si le sceptre de la terre appartenait à la race des crocodiles, il ne fuirait pas ainsi. Tremdall, debout sur la vallée, a mis une main devant ses yeux, pour concentrer les rayons solaires, et rendre sa vue plus perçante, tandis que l'autre palpe le sein de l'espace, avec le bras horizontal et immobile. Penché en avant, statue de l'amitié, il regarde, avec des yeux mystérieux comme la mer, grimper sur la pente de la côte, les guêtres du voyageur, aidé de son bâton ferré. La terre semble manquer à ses pieds, et quand même il le voudrait, il ne pourrait retenir ses larmes et ses sentiments:
«Il est loin; je vois sa silhouette cheminer sur un étroit sentier. Où s'en va-t-il, de ce pas pesant? Il ne le sait lui-même … Cependant, je suis persuadé que je ne dors pas; qu'est-ce qui s'approche, et va à la rencontre de Maldoror? Comme il est grand, le dragon … plus qu'un chêne! On dirait que ses ailes blanchâtres, nouées par de fortes attaches, ont des nerfs d'acier, tant elles fendent l'air avec aisance. Son corps commence par un buste de tigre, et se termine par une longue queue de serpent. Je n'étais pas habitué à voir ces choses. Qu'a-t-il donc sur le front? J'y vois écrit, dans une langue symbolique, un mot que je ne puis déchiffrer. D'un dernier coup d'aile, il s'est transporté auprès de celui dont je connais le timbre de voix. Il lui a dit: «Je t'attendais, et toi aussi. L'heure est arrivée; me voilà. Lis, sur mon front, mon nom écrit en signes hiéroglyphiques.» Mais lui, à peine a-t-il vu venir l'ennemi, s'est changé en aigle immense, et se prépare au combat, en faisant claquer de contentement son bec recourbé, voulant dire par là qu'il se charge, à lui seul, de manger la partie postérieure du dragon. Les voilà qui tracent des cercles dont la concentricité diminue, espionnant leurs moyens réciproques, avant de combattre; ils font bien. Le dragon me paraît plus fort; je voudrais qu'il remportât la victoire sur l'aigle. Je vais éprouver de grandes émotions, à ce spectacle où une partie de mon être est engagée. Puissant dragon, je t'exciterai de mes cris, s'il est nécessaire; car, il est de l'intérêt de l'aigle qu'il soit vaincu. Qu'attendent-ils pour s'attaquer? Je suis dans des transes mortelles. Voyons, dragon, commence, toi, le premier, l'attaque. Tu viens de lui donner un coup de griffe sec: ce n'est pas trop mal. Je t'assure que l'aigle l'aura senti; le vent emporte la beauté de ses plumes, tachées de sang. Ah! l'aigle t'arrache un œil avec son bec, et, toi, tu ne lui avais arraché que la peau; il fallait faire attention à cela. Bravo, prends ta revanche, et casse-lui une aile; il n'y a pas à dire, tes dents de tigres sont très bonnes. Si tu pouvais approcher de l'aigle, pendant qu'il tournoie dans l'espace, lancé en bas vers la campagne! Je le remarque, cet aigle t'inspire de la retenue, même quand il tombe. Il est par terre, il ne pourra pas se relever. L'aspect de toutes ces blessures béantes m'enivre. Vole à fleur de terre autour de lui, et, avec les coups de ta queue écaillée de serpent, achève-le, si tu peux. Courage, beau dragon; enfonce-lui tes griffes vigoureuses, et que le sang se mêle au sang, pour former des ruisseaux où il n'y ait pas d'eau. C'est facile à dire, mais non à faire. L'aigle vient de combiner un nouveau plan stratégique de défense, occasionné par les chances malencontreuses de cette lutte mémorable; il est prudent. Il s'est assis solidement, dans une position inébranlable, sur l'aile restante, sur ses deux cuisses, et sur sa queue, qui lui servait auparavant de gouvernail. Il défie des efforts plus extraordinaires que ceux qu'on lui a opposés jusqu'ici. Tantôt, il tourne aussi vite que le tigre, et n'a pas l'air de se fatiguer; tantôt, il se couche sur le dos, avec ses deux fortes pattes en l'air, et, avec sang-froid, regarde ironiquement son adversaire. Il faudra, à bout de compte, que je sache qui sera le vainqueur; le combat ne peut pas s'éterniser. Je songe aux conséquences qu'il en résultera! L'aigle est terrible, et fait des sauts énormes qui ébranlent la terre, comme s'il allait prendre son vol; cependant, il sait que cela lui est impossible. Le dragon ne s'y fie pas; il croit qu'à chaque instant l'aigle va l'attaquer par le côté où il manque d'œil … Malheureux que je suis! C'est ce qui arrive. Comment le dragon s'est laissé prendre à la poitrine? Il a beau user de la ruse et de la force; je m'aperçois que l'aigle, collé à lui par tous ses membres, comme une sangsue, enfonce de plus en plus son bec, malgré de nouvelles blessures qu'il reçoit, jusqu'à la racine du cou, dans le ventre du dragon. On ne lui voit que le corps. Il paraît être à l'aise; il ne se presse pas d'en sortir. Il cherche sans doute quelque chose, tandis que le dragon, à la tête de tigre, pousse des beuglements qui réveillent les forêts. Voilà l'aigle, qui sort de cette caverne. Aigle, comme tu es horrible! Tu es plus rouge qu'une mare de sang! Quoique tu tiennes dans ton bec nerveux un cœur palpitant, tu es si couvert de blessures, que tu peux à peine te soutenir sur tes pattes emplumées; et que tu chancelles, sans desserrer le bec, à côté du dragon qui meurt dans d'effroyables agonies. La victoire a été difficile; n'importe, tu l'as remportée: il faut, au moins, dire la vérité … Tu agis d'après les règles de la raison, en te dépouillant de la forme d'aigle, pendant que tu t'éloignes du cadavre du dragon. Ainsi donc, Maldoror, tu as été vainqueur! Ainsi donc, Maldoror, tu as vaincu l'Espérance! Désormais, le désespoir se nourrira de ta substance la plus pure! Désormais. tu rentres, à pas délibérés, dans la carrière du mal! Malgré que je sois, pour ainsi dire, blasé sur la souffrance, le dernier coup que tu as porté au dragon n'a pas manqué de se faire sentir en moi. Juge toi-même si je souffre! Mais tu me fais peur. Voyez, voyez, dans le lointain, cet homme qui s'enfuit. Sur lui, terre excellente, la malédiction a poussé son feuillage touffu; il est maudit et il maudit. Où portes-tu tes sandales? Où t'en vas-tu, hésitant comme un somnambule, au-dessus d'un toit? Que ta destinée perverse s'accomplisse! Maldoror, adieu! Adieu, jusqu'à l'éternité, où nous ne nous retrouverons pas ensemble!»
C'était une journée de printemps. Les oiseaux répandaient leurs cantiques en gazouillements, et les humains, rendus à leurs différents devoirs, se baignaient dans la sainteté de la fatigue. Tout travaillait à sa destinée: les arbres, les planètes, les squales. Tout, excepté le Créateur! Il était étendu sur la route, les habits déchirés. Sa lèvre inférieure pendait comme un câble somnifère: ses dents n'étaient pas lavées, et la poussière se mêlait aux ondes blondes de ses cheveux. Engourdi par un assoupissement pesant, broyé contre les cailloux, son corps faisait des efforts inutiles pour se relever. Ses forces l'avaient abandonné, et il gisait, là, faible comme le ver de terre, impassible comme l'écorce. Des flots de vin remplissaient les ornières, creusées par les soubresauts nerveux de ses épaules. L'abrutissement, au groin de porc, le couvrait de ses ailes protectrices, et lui jetait un regard amoureux. Ses jambes, aux muscles détendus, balayaient le sol, comme deux mâts aveugles. Le sang coulait de ses narines: dans sa chute, sa figure avait frappé contre un poteau … Il était soûl! Horriblement soûl! Soûl comme une punaise qui a mâché pendant la nuit trois tonneaux de sang! Il remplissait l'écho de paroles incohérentes, que je me garderai de répéter ici; si l'ivrogne suprême ne se respecte pas, moi, je dois respecter les hommes. Saviez-vous que le Créateur … se soûlât! Pitié pour cette lèvre, souillée dans les coupes de l'orgie! Le hérisson, qui passait, lui enfonça ses pointes dans le dos, et dit: «Ça, pour toi. Le soleil est à la moitié de sa course: travaille, fainéant, et ne mange pas le pain des autres. Attends un peu, et tu vas voir, si j'appelle le kakatoès, au bec crochu.» Le pivert et la chouette, qui passaient, lui enfoncèrent le bec entier dans le ventre, et dirent: «Ça, pour toi. Que viens-tu faire sur cette terre? Est-ce pour offrir cette lugubre comédie aux animaux? Mais, ni la taupe ni le casoar, ni le flammant ne t'imiteront, je te le jure.» L'âne, qui passait, lui donna un coup de pied sur la tempe, et dit: «Ça, pour toi. Que t'avais-je fait pour me donner des oreilles si longues? Il n'y a pas jusqu'au grillon qui ne me méprise.» Le crapaud, qui passait, lança un jet de bave sur son front, et dit: «Ça, pour toi. Si tu ne m'avais fait l'œil si gros, et que je t'eusse aperçu dans l'état où je te vois, j'aurais chastement caché la beauté de tes membres sous une pluie de renoncules, de myosotis et de camélias, afin que nul ne te vît.» Le lion, qui passait, inclina sa face royale, et dit: «Pour moi, je le respecte, quoique sa splendeur nous paraisse pour le moment éclipsée. Vous autres, qui faites les orgueilleux, et n'êtes que des lâches, puisque vous l'avez attaqué quand il dormait, seriez-vous contents, si, mis à sa place, vous supportiez, de la part des passants, les injures que vous ne lui avez pas épargnées?» L'homme, qui passait, s'arrêta devant le Créateur méconnu; et, aux applaudissements du morpion et de la vipère, fienta, pendant trois jours, sur son visage auguste! Malheur à l'homme, à cause de cette injure; car, il n'a pas respecté l'ennemi, étendu dans le mélange de boue, de sang et de vin; sans défense et presque inanimé!… Alors, le Dieu souverain, réveillé enfin, par toutes ces insultes mesquines, se releva comme il put; en chancelant, alla s'asseoir sur une pierre, les bras pendants, comme les deux testicules du poitrinaire; et jeta un regard vitreux, sans flamme, sur la nature entière, qui lui appartenait. O humains, vous êtes les enfants terribles; mais, je vous en supplie, épargnons cette grande existence, qui n'a pas encore fini de cuver la liqueur immonde, et, n'ayant pas conservé assez de force pour se tenir droite, est retombée, lourdement, sur cette roche, où elle s'est assise, comme un voyageur. Faites attention à ce mendiant qui passe; il a vu que le derviche tendait un bras affamé, et, sans savoir à qui il faisait l'aumône, il a jeté un morceau de pain dans cette main qui implore la miséricorde. Le Créateur lui a exprimé sa reconnaissance par un mouvement de tête. Oh! vous ne saurez jamais comme de tenir constamment les rênes de l'univers devient une chose difficile! Le sang monte quelquefois à la tête, quand on s'applique à tirer du néant une dernière comète, avec une nouvelle race d'esprits. L'intelligence, trop remuée de fond en comble, se retire comme un vaincu, et peut tomber, une fois dans la vie, dans les égarements dont vous avez été témoins!
Une lanterne rouge, drapeau du vice, suspendue à l'extrémité d'une tringle, balançait sa carcasse au fouet des quatre vents, au-dessus d'une porte massive et vermoulue. Un corridor sale, qui sentait la cuisse humaine, donnait sur un préau, où cherchaient leur pâture des coqs et des poules, plus maigres que leurs ailes. Sur la muraille qui servait d'enceinte au préau, et située du côté de l'ouest, étaient parcimonieusement pratiquées diverses ouvertures, fermées par un guichet grillé. La mousse recouvrait ce corps de logis, qui sans doute, avait été un couvent et servait, à l'heure actuelle, avec le reste du bâtiment, comme demeure de toutes ces femmes qui montraient, chaque jour, à ceux qui entraient, l'intérieur de leur vagin, en échange d'un peu d'or. J'étais sur un pont, dont les piles plongeaient dans l'eau fangeuse d'un fossé de ceinture. De sa surface élevée, je contemplais dans la campagne cette construction penchée sur sa vieillesse et les moindres détails de son architecture intérieure. Quelquefois, la grille d'un guichet s'élevait sur elle-même en grinçant, comme par l'impulsion ascendante d'une main qui violentait la nature du fer; un homme présentait sa tète à l'ouverture dégagée à moitié, avançait ses épaules, sur lesquelles tombait le plâtre écaillé, faisant suivre, dans cette extraction laborieuse, son corps couvert de toiles d'araignées. Mettant ses mains, ainsi qu'une couronne, sur les immondices de toutes sortes qui pressaient le sol de leur poids, tandis qu'il avait encore la jambe engagée dans les torsions de la grille, il reprenait ainsi sa posture naturelle, allait tremper ses mains dans un baquet boiteux, dont l'eau savonnée avait vu s'élever, tomber des générations entières, et s'éloignait ensuite, le plus vite possible, de ces ruelles faubouriennes, pour aller respirer l'air pur vers le centre de la ville. Lorsque le client était sorti, une femme toute nue se portait au dehors, de la même manière, et se dirigeait vers le même baquet. Alors, les coqs et les poules accouraient en foule des divers points du préau, attirés par l'odeur séminale, la renversaient par terre, malgré ses efforts vigoureux, trépignaient la surface de son corps comme un fumier, et déchiquetaient, à coups de bec, jusqu'à ce qu'il sortit du sang, les lèvres flasques de son vagin gonflé. Les poules et les coqs, avec leur gosier rassasié, retournaient gratter l'herbe du préau; la femme, devenue propre, se relevait, tremblante, couverte de blessures, comme lorsqu'on s'éveille après un cauchemar. Elle laissait tomber le torchon qu'elle avait apporté pour essuyer ses jambes; n'ayant plus besoin du baquet commun, elle retournait dans sa tanière, comme elle en était sortie, pour attendre une autre pratique. A ce spectacle, moi, aussi, je voulus pénétrer dans cette maison! J'allais descendre du pont, quand je vis, sur l'entablement d'un pilier, cette inscription, en caractères hébreux: «Vous qui passez sur ce pont, n'y allez pas. Le crime y séjourne avec le vice; un jour, ses amis attendirent en vain un jeune homme qui avait franchi la porte fatale.» La curiosité l'emporta sur la crainte; au bout de quelques instants, j'arrivai devant un guichet, dont la grille possédait de solides barreaux, qui s'entre-croisaient étroitement. Je voulus regarder dans l'intérieur, à travers ce tamis épais. D'abord, je ne pus rien voir; mais, je ne tardai pas à distinguer les objets qui étaient dans la chambre obscure, grâce aux rayons du soleil qui diminuait sa lumière et allait bientôt disparaître à l'horizon. La première et la seule chose qui frappa ma vue fut un bâton blond, composé de cornets, s'enfonçant les uns dans les autres. Ce bâton se mouvait! Il marchait dans la chambre! Ses secousses étaient si fortes que le plancher chancelait; avec ses deux bouts, il faisait des brèches énormes dans la muraille et paraissait un bélier qu'on ébranle contre la porte d'une ville assiégée. Ses efforts étaient inutiles; les murs étaient construits avec de la pierre de taille, et, quand il choquait la paroi, je le voyais se recourber en lame d'acier et rebondir comme une balle élastique. Ce bâton n'était donc pas fait en bois! Je remarquai, ensuite, qu'il se roulait et se déroulait avec facilité comme une anguille. Quoique haut comme un homme, il ne se tenait pas droit. Quelquefois, il l'essayait, et montrait un de ses bouts, devant le grillage du guichet. Il faisait des bonds impétueux, retombait à terre et ne pouvait défoncer l'obstacle. Je me mis à le regarder de plus en plus attentivement et je vis que c'était un cheveu! Après une grande lutte, avec la matière qui l'entourait comme une prison, il alla s'appuyer contre le lit qui était dans cette chambre, la racine reposant sur un tapis et la pointe adossée au chevet. Après quelques instants de silence, pendant lesquels j'entendis des sanglots entrecoupés, il éleva la voix et parla ainsi: «Mon maître m'a oublié dans cette chambre; il ne vient pas me chercher. Il s'est levé de ce lit, où je suis appuyé, il a peigné sa chevelure parfumée et n'a pas songé qu'auparavant j'étais tombé à terre. Cependant, s'il m'avait ramassé, je n'aurais pas trouvé étonnant cet acte de simple justice. Il m'abandonne, dans cette chambre claquemurée, après s'être enveloppé dans les bras d'une femme. Et quelle femme! Les draps sont encore moites de leur contact attiédi et portent, dans leur désordre, l'empreinte d'une nuit passée dans l'amour …» Et je me demandais qui pouvait être son maître! Et mon œil se recollait à la grille avec plus d'énergie!… «Pendant que la nature entière sommeillait dans sa chasteté, lui, il s'est accouplé avec une femme dégradée, dans des embrassements lascifs et impurs. Il s'est abaissé jusqu'à laisser approcher, de sa face auguste, des joues méprisables par leur impudence habituelle, flétries dans leur sève. Il ne rougissait pas, mais, moi, je rougissais pour lui. Il est certain qu'il se sentait heureux de dormir avec une telle épouse d'une nuit. La femme, étonnée de l'aspect majestueux de cet hôte, semblait éprouver des voluptés incomparables, lui embrassait le cou avec frénésie.» Et je me demandais qui pouvait être son maître! Et mon œil se recollait à la grille avec plus d'énergie!… «Moi, pendant ce temps, je sentais des pustules envenimées qui croissaient plus nombreuses, en raison de son ardeur inaccoutumée pour les jouissances de la chair, entourer ma racine de leur fiel mortel, absorber, avec leurs ventouses, la substance génératrice de ma vie. Plus ils s'oubliaient, dans leurs mouvements insensés, plus je sentais mes forces décroître. Au moment où les désirs corporels atteignaient au paroxysme de la fureur, je m'aperçus que ma racine s'affaissait sur elle-même, comme un soldat blessé par une balle. Le flambeau de la vie s'étant éteint en moi, je me détachai, de sa tête illustre, comme une branche morte; je tombai à terre, sans courage, sans force, sans vitalité; mais, avec une profonde pitié pour celui auquel j'appartenais; mais, avec une éternelle douleur pour son égarement volontaire!…» Et je me demandais qui pouvait être son maître! Et mon œil se recollait à la grille avec plus d'énergie!… «S'il avait, au moins, entouré de son âme le sein innocent d'une vierge. Elle aurait été plus digne de lui et la dégradation aurait été moins grande. Il embrasse, avec ses lèvres, ce front couvert de boue, sur lequel les hommes ont marché avec le talon, plein de poussière!… Il aspire, avec des narines effrontées, les émanations de ces deux aisselles humides!… J'ai vu la membrane des dernières se contracter de honte, pendant que, de leur côté, les narines se refusaient à cette respiration infâme. Mais lui, ni elle, ne faisaient aucune attention aux avertissements solennels des aisselles, à la répulsion morne et blême des narines. Elle levait davantage ses bras, et lui, avec une poussée plus forte, enfonçait son visage dans leur creux. J'étais obligé d'être le complice de cette profanation. J'étais obligé d'être le spectateur de ce déhanchement inouï; d'assister à l'alliage forcé de ces deux êtres, dont un abîme incommensurable séparait les natures diverses …» Et je me demandais qui pouvait être son maître! Et mon œil se recollait à la grille avec plus d'énergie!… «Quand il fut rassasié de respirer cette femme, il voulut lui arracher ses muscles un par un; mais, comme c'était une femme, il lui pardonna et préféra faire souffrir un être de son sexe. Il appela, dans la cellule voisine, un jeune homme qui était venu dans cette maison pour passer quelques moments d'insouciance avec une de ces femmes, et lui enjoignit de venir se placer à un pas de ses yeux. Il y avait longtemps que je gisais sur le sol. N'ayant pas la force de me lever sur ma racine brûlante, je ne pus voir ce qu'ils firent. Ce que je sais, c'est qu'à peine le jeune homme fut à portée de sa main, que des lambeaux de chair tombèrent aux pieds du lit et vinrent se placer à mes côtés. Ils me racontaient tout bas que les griffes de mon maître les avaient détachés des épaules de l'adolescent. Celui-ci, au bout de quelques heures, pendant lesquelles il avait lutté contre une force plus grande, se leva du lit et se retira majestueusement. Il était littéralement écorché des pieds jusqu'à la tête; il traînait, à travers les dalles delà chambre, sa peau retournée. Il se disait que son caractère était plein de bonté; qu'il aimait à croire ses semblables bons aussi; que pour cela il avait acquiescé au souhait de l'étranger distingué qui l'avait appelé auprès de lui; mais que, jamais, au grand jamais, il ne se serait attendu à être torturé par un bourreau. Par un pareil bourreau, ajoutait-il après une pause. Enfin, il se dirigea vers le guichet, qui se fendit avec pitié jusqu'au nivellement du sol, en présence de ce corps dépourvu d'épiderme. Sans abandonner sa peau, qui pouvait encore lui servir, ne serait-ce que comme manteau, il essaya de disparaître de ce coupe-gorge; une fois éloigné de la chambre, je ne pus voir s'il avait eu la force de regagner la porte de sortie. Oh! comme les poules et les coqs s'éloignaient avec respect, malgré leur faim, de cette longue traînée de sang, sur la terre imbibée!» Et je me demandais qui pouvait être son maître! Et mes yeux se recollaient à la grille avec plus d'énergie!… «Alors, celui qui aurait dû penser davantage à sa dignité et à sa justice, se releva, péniblement, sur son coude fatigué. Seul, sombre, dégoûté et hideux!… Il s'habilla lentement. Les nonnes, ensevelies depuis des siècles dans les catacombes du couvent, après avoir été réveillées en sursaut par les bruits de cette nuit horrible, qui s'entre-choquaient entre eux dans une cellule située au-dessus des caveaux, se prirent par la main, et vinrent former une ronde funèbre autour de lui. Pendant qu'il recherchait les décombres de son ancienne splendeur; qu'il lavait ses mains avec du crachat en les essuyant ensuite sur ses cheveux (il valait mieux les laver avec du crachat, que de ne pas les laver du tout, après le temps d'une nuit entière passée dans le vice et le crime), elles entonnèrent les prières lamentables pour les morts, quand quelqu'un est descendu dans la tombe. En effet, le jeune homme ne devait pas survivre à ce supplice, exercé sur lui par une main divine, et ses agonies se terminèrent pendant le chant des nonnes …» Je me rappelai l'inscription du pilier; je compris ce qu'était devenu le rêveur pubère que ses amis attendaient encore chaque jour depuis le moment de sa disparition … Et je me demandais qui pouvait être son maître! Et mes yeux se recollaient à la grille avec plus d'énergie!… «Les murailles s'écartèrent pour le laisser passer; les nonnes, le voyant prendre son essor, dans les airs, avec des ailes qu'il avait cachées jusque-là dans sa robe d'émeraude, se replacèrent en silence dessous le couvercle de la tombe. Il est parti dans sa demeure céleste, en me laissant ici; cela n'est pas juste. Les autres cheveux sont restés sur sa tête; et, moi, je gis, dans cette chambre lugubre, sur le parquet couvert de sang caillé, de lambeaux de viande sèche; cette chambre est devenue damnée, depuis qu'il s'y est introduit; personne n'y entre; cependant, j'y suis enfermé. C'en est donc fait! Je ne verrai plus les légions des anges marcher en phalanges épaisses, ni les astres se promener dans les jardins de l'harmonie. Eh bien, soit … je saurai supporter mon malheur avec résignation. Mais, je ne manquerai pas de dire aux hommes ce qui s'est passé dans cette cellule. Je leur donnerai la permission de rejeter leur dignité, comme un vêtement inutile, puisqu'ils ont l'exemple de mon maître; je leur conseillerai de sucer la verge du crime, puisqu'un autre l'a déjà fait …» Le cheveu se tut … Et je me demandais qui pouvait être son maître! Et mes yeux se recollaient à la grille avec plus d'énergie!… Aussitôt le tonnerre éclata; une lueur phosphorique pénétra dans la chambre. Je reculai, malgré moi, par je ne sais quel instinct d'avertissement; quoique je fusse éloigné du guichet, j'entendis une autre voix, mais, celle-ci rampante et douce, de crainte de se faire entendre: «Ne fais pas de pareils bonds! Tais-toi … tais-toi … si quelqu'un t'entendait! je te replacerai parmi les autres cheveux; mais, laisse d'abord le soleil se coucher à l'horizon, afin que la nuit couvre tes pas … je ne t'ai pas oublié; mais, on t'aurait vu sortir, et j'aurais été compromis. Oh! si tu savais comme j'ai souffert depuis ce moment! Revenu au ciel, mes archanges m'ont entouré avec curiosité; ils n'ont pas voulu me demander le motif de mon absence. Eux, qui n'avaient jamais osé élever leur vue sur moi, jetaient, s'efforçant de deviner l'énigme, des regards stupéfaits sur ma face abattue, quoiqu'ils n'aperçussent pas le fond de ce mystère, et se communiquaient tout bas des pensées qui redoutaient en moi quelque changement inaccoutumé. Ils pleuraient des larmes silencieuses; ils sentaient vaguement que je n'étais plus le même, devenu inférieur à mon identité. Ils auraient voulu connaître quelle funeste résolution m'avait fait franchir les frontières du ciel, pour venir m'abattre sur la terre, et goûter des voluptés éphémères, qu'eux-mêmes méprisent profondément. Ils remarquèrent sur mon front une goutte de sperme, une goutte de sang. La première avait jailli des cuisses de la courtisane! La deuxième s'était élancée des veines du martyr! Stigmates odieux! Rosaces inébranlables! Mes archanges ont retrouvé, pendus aux halliers de l'espace, les débris flamboyants de ma tunique d'opale, qui flottaient sur les peuples béants. Ils n'ont pas pu la reconstruire, et mon corps reste nu devant leur innocence; châtiment mémorable de la vertu abandonnée. Vois les sillons qui se sont tracé un lit sur mes joues décolorées: c'est la goutte de sperme et la goutte de sang, qui filtrent lentement le long de mes rides sèches. Arrivées à la lèvre supérieure, elles font un effort immense, et pénètrent dans le sanctuaire de ma bouche, attirées, comme un aimant, par le gosier irrésistible. Elles m'étouffent, ces deux gouttes implacables. Moi, jusqu'ici, je m'étais cru le Tout-Puissant; mais, non; je dois abaisser le cou devant le remords qui me crie: «Tu n'es qu'un misérable!» Ne fais pas de pareils bonds! Tais-toi … tais-toi … si quelqu'un t'entendait! je te replacerai parmi les autres cheveux; mais, laisse d'abord le soleil se coucher à l'horizon, afin que la nuit couvre tes pas … J'ai vu Satan, le grand ennemi, redresser les enchevêtrements osseux de la charpente, au-dessus de son engourdissement de larve, et, debout, triomphant, sublime, haranguer ses troupes rassemblées; comme je le mérite, me tourner en dérision. Il a dit qu'il s'étonnait beaucoup que son orgueilleux rival, pris en flagrant délit par le succès, enfin réalisé, d'un espionnage perpétuel, pût ainsi s'abaisser jusqu'à baiser la robe de la débauche humaine, par un voyage de long cours à travers les récifs de l'éther, et faire périr, dans les souffrances, un membre de l'humanité. Il a dit que ce jeune homme, broyé dans l'engrenage de mes supplices raffinés, aurait peut-être pu devenir une intelligence de génie; consoler les hommes, sur cette terre, par des chants admirables de poésie, de courage, contre les coups de l'infortune. Il a dit que les nonnes du couvent-lupanar ne retrouvent plus leur sommeil; rôdent dans le préau, gesticulant comme des automates, écrasant avec le pied les renoncules et les lilas; devenues folles d'indignation, mais, non assez, pour ne pas se rappeler la cause qui engendra cette maladie dans leur cerveau … (Les voici qui s'avancent, revêtues de leur linceul blanc; elles ne se parlent pas; elles se tiennent par la main. Leurs cheveux tombent en désordre sur leurs épaules nues; un bouquet de fleurs noires est penché sur leur sein. Nonnes, retournez dans vos caveaux; la nuit n'est pas encore complètement arrivée; ce n'est que le crépuscule du soir … O cheveu, tu le vois toi-même; de tous les côtés, je suis assailli par le sentiment déchaîné de ma dépravation!) Il a dit que le Créateur, qui se vante d'être la Providence de tout ce qui existe, s'est conduit avec beaucoup de légèreté, pour ne pas dire plus, en offrant un pareil spectacle aux mondes étoilés; car, il a affirmé clairement le dessein qu'il avait d'aller rapporter dans les planètes orbiculaires comment je maintiens, par mon propre exemple, la vertu et la bonté dans la vastitude de mes royaumes. Il a dit que la grande estime, qu'il avait pour un ennemi si noble, s'était envolée de son imagination, et qu'il préférait porter la main sur le sein d'une jeune fille, quoique cela soit un acte de méchanceté exécrable, que de cracher sur ma figure, recouverte de trois couches de sang et de sperme mêlés, afin de ne pas salir son crachat baveux. Il a dit qu'il se croyait, à juste titre, supérieur à moi, non par le vice, mais par la vertu et la pudeur; non par le crime, mais par la justice. Il a dit qu'il fallait m'attacher à une claie, à cause de mes fautes innombrables; me faire brûler à petit feu dans un brasier ardent, pour me jeter ensuite dans la mer, si toutefois la mer voudrait me recevoir. Que, puisque je me vantais d'être juste, moi, qui l'avais condamné aux peines éternelles pour une révolte légère qui n'avait pas eu de suites graves, je devais donc faire justice sévère sur moi-même, et juger impartialement ma conscience, chargée d'iniquités … Ne fais pas de pareils bonds! Tais-toi … tais-toi … si quelqu'un t'entendait! je te replacerai parmi les autres cheveux; mais, laisse d'abord le soleil se coucher à l'horizon, afin que la nuit couvre tes pas.» Il s'arrêta un instant; quoique je ne le visse point, je compris, par ce temps d'arrêt nécessaire, que la houle de l'émotion soulevait sa poitrine, comme un cyclone giratoire soulève une famille de baleines. Poitrine divine, souillée, un jour, par l'amer contact des tétons d'une femme sans pudeur! Ame royale, livrée, dans un moment d'oubli, au crabe de la débauche, au poulpe de la faiblesse de caractère, au requin de l'abjection individuelle, au boa de la morale absente, et au colimaçon monstrueux de l'idiotisme! Le cheveu et son maître s'embrassèrent étroitement, comme deux amis qui se revoient après une longue absence. Le Créateur continua, accusé reparaissant devant son propre tribunal: «Et les hommes, que penseront-ils de moi, dont ils avaient une opinion si élevée, quand ils apprendront les errements de ma conduite, la marche hésitante de ma sandale, dans les labyrinthes boueux de la matière, et la direction de ma route ténébreuse à travers les eaux stagnantes et les humides joncs de la mare où, recouvert de brouillards, bleuit et mugit le crime, à la patte sombre!… Je m'aperçois qu'il faut que je travaille beaucoup à ma réhabilitation, dans l'avenir, afin de reconquérir leur estime. Je suis le Grand-Tout: et cependant, par un côté, je reste inférieur aux hommes, que j'ai créés avec un peu de sable! Raconte-leur un mensonge audacieux, et dis-leur que je ne suis jamais sorti du ciel, constamment enfermé, avec les soucis du trône, entre les marbres, les statues et les mosaïques de mes palais. Je me suis présenté devant les célestes fils de l'humanité; je leur ai dit: «Chassez le mal de vos chaumières, et laissez entrer au foyer le manteau du bien. Celui qui portera la main sur un de ses semblables, en lui faisant au sein une blessure mortelle, avec le fer homicide, qu'il n'espère point les effets de ma miséricorde, et qu'il redoute les balances de la justice. Il ira cacher sa tristesse dans les bois; mais, le bruissement des feuilles, à travers les clairières, chantera à ses oreilles la ballade du remords; et il s'enfuira de ces parages, piqué à la hanche par le buisson, le houx et le chardon bleu, ses pas rapides entrelacés par la souplesse des lianes et les morsures des scorpions. Il se dirigera vers les galets de la plage; mais, la marée montante, avec ses embruns et son approche dangereuse, lui raconteront qu'ils n'ignorent pas son passé; et il précipitera sa course aveugle vers le couronnement de la falaise, tandis que les vents stridents d'équinoxe, en s'enfonçant dans les grottes naturelles du golfe et les carrières pratiquées sous la muraille des rochers retentissants, beugleront comme les troupeaux immenses des buffles des pampas. Les phares de la côte le poursuivront, jusqu'aux limites du septentrion, de leurs reflets sarcastiques, et les feux follets des maremmes, simples vapeurs en combustion, dans leurs danses fantastiques, feront frissonner les poils de ses pores, et verdir l'iris de ses yeux. Que la pudeur se plaise dans vos cabanes, et soit en sûreté à l'ombre de vos champs. C'est ainsi que vos fils deviendront beaux, et s'inclineront devant leurs parents avec reconnaissance; sinon, malingres, et rabougris comme le parchemin des bibliothèques, ils s'avanceront à grands pas, conduits par la révolte, contre le jour de leur naissance et le clitoris de leur mère impure.» Comment les hommes voudront-ils obéir à ces lois sévères, si le législateur lui-même se refuse le premier à s'y astreindre?… Et ma honte est immense comme l'éternité!» J'entendis le cheveu qui lui pardonnait, avec humilité, sa séquestration, puisque son maître avait agi par prudence et non par légèreté; et le pâle dernier rayon de soleil qui éclairait mes paupières se retira des ravins de la montagne. Tourné vers lui, je le vis se replier ainsi qu'un linceul … Ne fais pas de pareils bonds! Tais-toi … tais-toi … si quelqu'un t'entendait! Il te replacera parmi les autres cheveux. Et, maintenant que le soleil est couché à l'horizon, vieillard cynique et cheveu doux, rampez, tous les deux, vers l'éloignement du lupanar, pendant que la nuit, étendant son ombre sur le couvent, couvre l'allongement de vos pas furtifs dans la plaine … Alors, le pou, sortant subitement de derrière un promontoire, me dit, en hérissant ses griffes: «Que penses-tu de cela?» Mais, moi, je ne voulus pas lui répliquer. Je me retirai, et j'arrivai sur le pont. J'effaçai l'inscription primordiale, je la remplaçai par celle-ci: «Il est douloureux de garder, comme un poignard, un tel secret dans son cœur; mais, je jure de ne jamais révéler ce dont j'ai été témoin, quand je pénétrai, pour la première fois, dans ce donjon terrible.» Je jetai, par dessus le parapet, le canif qui m'avait servi à graver les lettres; et, faisant quelques rapides réflexions sur le caractère du Créateur en enfance, qui devait encore, hélas! pendant bien de temps, faire souffrir l'humanité (l'éternité est longue), soit par les cruautés exercées, soit par le spectacle ignoble des chancres qu'occasionne un grand vice, je fermai les yeux, comme un homme ivre, à la pensée d'avoir un tel être pour ennemi, et je repris, avec tristesse, mon chemin à travers les dédales des rues.