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Kitabı oku: «Les malheurs de Sophie», sayfa 5

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XIV. La joue écorchée

Sophie était colère ; c’est un nouveau défaut dont nous n’avons pas encore parlé.

Un jour elle s’amusait à peindre un de ses petits cahiers d’images, pendant que son cousin Paul découpait des cartes pour en faire des paniers à salade, des tables et des bancs. Ils étaient tous deux assis à une petite table en face l’un de l’autre ; Paul, en remuant les jambes, faisait remuer la table.

« Fais donc attention, lui dit Sophie d’un air impatienté ; tu pousses la table, je ne peux pas peindre. »

Paul prit garde pendant quelques minutes, puis il oublia et recommença à faire trembler la table.

« Tu es insupportable, Paul ! s’écria Sophie ; je t’ai déjà dit que tu m’empêchais de peindre. »

Paul. – Ah bah ! pour les belles choses que tu fais, ce n’est pas la peine de se gêner.

Sophie. – Je sais très bien que tu ne te gênes jamais ; mais, comme tu me gênes, je te prie de laisser tes jambes tranquilles.

Paul, d’un air moqueur. – Mes jambes n’aiment pas à rester tranquilles, elles bougent malgré moi.

Sophie, fâchée. – Je les attacherai avec une ficelle, tes ennuyeuses jambes ; et, si tu continues à les remuer, je te chasserai.

Paul. – Essaie donc un peu ; tu verras ce que savent faire les pieds qui sont au bout de mes jambes.

Sophie. – Vas-tu me donner des coups de pied, méchant ?

Paul. – Certainement, si tu me donnes des coups de poing.

Sophie, tout à fait en colère, lance de l’eau à la figure de Paul, qui, se fâchant à son tour, donne un coup de pied à la table et renverse tout ce qui était dessus. Sophie s’élance sur Paul et lui griffe si fort la figure, que le sang coule de sa joue. Paul crie ; Sophie, hors d’elle-même, continue à lui donner des tapes et des coups de poing. Paul, qui n’aimait pas à battre Sophie, finit par se sauver dans un cabinet, où il s’enferme. Sophie a beau frapper à la porte, Paul n’ouvre pas. Sophie finit par se calmer. Quand sa colère est passée, elle commence à se repentir de ce qu’elle a fait ; elle se souvient que Paul a risqué sa vie pour la défendre contre les loups.

« Pauvre Paul, pensa-t-elle, comme j’ai été méchante pour lui ! Comment faire pour qu’il ne soit plus fâché ? Je ne voudrais pas demander pardon ; c’est ennuyeux de dire : « Pardonne-moi… » Pourtant, ajouta-t-elle après avoir un peu réfléchi, c’est bien plus honteux d’être méchant ! Et comment Paul me pardonnera-t-il, si je ne lui demande pas pardon ? »

Après avoir un peu réfléchi, Sophie se leva, alla frapper à la porte du cabinet où s’était enfermé Paul, mais cette fois pas avec colère, ni en donnant de grands coups de poing, mais doucement ; elle appela d’une voix bien humble : « Paul, Paul ! » Mais Paul ne répondit pas. « Paul, ajouta-t-elle, toujours d’une voix douce, mon cher Paul, pardonne-moi, je suis bien fâchée d’avoir été méchante. Paul, je t’assure que je ne recommencerai pas. »

La porte s’entr’ouvrit tout doucement, et la tête de Paul parut. Il regarda Sophie avec méfiance :

« Tu n’es plus en colère ? Bien vrai ? lui dit-il.

– Oh non ! non, bien sûr, cher Paul, répondit Sophie ; je suis bien triste d’avoir été si méchante. »

Paul ouvrit tout à fait la porte, et Sophie, levant les yeux, vit son visage tout écorché ; elle poussa un cri et se jeta au cou de Paul.

« Oh ! mon pauvre Paul, comme je t’ai fait mal ! comme je t’ai griffé ! que faire pour te guérir ?

– Ce ne sera rien, répondit Paul, cela passera tout seul. Cherchons une cuvette et de l’eau pour me laver. Quand le sang sera parti, il n’y aura plus rien du tout. »

Sophie courut avec Paul chercher une cuvette pleine d’eau ; mais il eut beau tremper son visage dans la cuvette, frotter et essuyer, les marques des griffes restaient toujours sur la joue. Sophie était désolée.

« Que va dire maman ? dit-elle. Elle sera en colère contre moi et elle me punira. »

Paul, qui était très bon, se désolait aussi ; il ne savait qu’imaginer pour ne pas faire gronder Sophie.

« Je ne peux pas dire que je suis tombé dans les épines, dit-il, parce que ce ne serait pas vrai… Mais si, … attends donc ; tu vas voir. »

Et voilà Paul qui part en courant ; Sophie le suit ; ils entrent dans le petit bois près de la maison ; Paul se dirige vers un buisson de houx, se jette dedans et se roule de manière à avoir le visage piqué et écorché par les pointes des feuilles. Il se relève plus écorché qu’auparavant.

Lorsque Sophie voit ce pauvre visage tout saignant, elle se désole, elle pleure.

« C’est moi, dit-elle, qui suis cause de tout ce que tu souffres, mon pauvre Paul ! C’est pour que je ne sois pas punie que tu t’écorches plus encore que je ne l’avais fait dans ma colère. Oh ! cher Paul ! comme tu es bon ! Comme je t’aime !

Allons vite à la maison pour me laver encore le visage, dit Paul. N’aie pas l’air triste, ma pauvre Sophie. Je t’assure que je souffre très peu ; demain ce sera passé. Ce que je te demande seulement, c’est de ne pas dire que tu m’as griffé ; si tu le faisais, j’en serais fort triste et je n’aurais pas la récompense de mes piqûres de houx. Me le promets-tu ?

Oui, dit Sophie en l’embrassant ; je ferai tout ce que tu voudras. »

Ils rentrèrent dans leur chambre, et Paul retrempa son visage dans l’eau.

Quand ils allèrent au salon, les mamans qui y étaient poussèrent un cri de surprise en voyant le visage écorché et bouffi du pauvre Paul.

« Où t’es-tu arrangé comme cela ? demanda Mme d’Aubert. Mon pauvre Paul, on dirait que tu t’es roulé dans les épines. »

Paul. – C’est précisément ce qui m’est arrivé, maman. Je suis tombé, en courant, dans un buisson de houx, et, en me débattant pour me relever, je me suis écorché le visage et les mains.

Madame d’Aubert. – Tu es bien maladroit d’être tombé dans ce houx, tu n’aurais pas dû te débattre, mais te relever bien doucement.

Madame de Réan. – Où donc étais-tu, Sophie ? Tu aurais dû l’aider à se relever.

Paul. – Elle courait après moi, ma tante ; elle n’a pas eu le temps de m’aider ; quand elle est arrivée, je m’étais déjà relevé.

Mme d’Aubert emmena Paul pour mettre sur ses écorchures de la pommade de concombre.

Sophie resta avec sa maman, qui l’examinait avec attention.

Madame de Réan. – Pourquoi es-tu triste, Sophie ?

Sophie, rougissant. – Je ne suis pas triste, maman.

Madame de Réan. – Si fait, tu es triste et inquiète comme si quelque chose te tourmentait.

Sophie, les larmes aux yeux et la voix tremblante. – Je n’ai rien, maman ; je n’ai rien.

Madame de Réan. – Tu vois bien que, même en me disant que tu n’as rien, tu es prête à pleurer.

Sophie, éclatant en sanglots. – Je ne peux… pas… vous dire… J’ai… promis… à Paul.

Madame de Réan, attirant Sophie. — Écoute, Sophie, si Paul a fait quelque chose de mal, tu ne dois pas tenir ta promesse de ne pas me le dire. Je te promets, moi, que je ne gronderai pas Paul, et que je ne le dirai pas à sa maman ; mais je veux savoir ce qui te rend si triste, ce qui te fait pleurer si fort, et tu dois me le dire.

Sophie cache sa figure dans les genoux de Mme de Réan, et sanglote si fort quelle ne peut pas parler.

Mme de Réan cherche à la rassurer, à l’encourager, et enfin Sophie lui dit :

« Paul n’a rien fait de mal, maman ; au contraire, il est très bon, et il a fait une très belle chose ; c’est moi seule qui ai été méchante, et c’est pour m’empêcher d’être grondée et punie qu’il s’est roulé dans le houx. »

Mme de Réan, de plus en plus surprise, questionna Sophie, qui lui raconta tout ce qui s’était passé entre elle et Paul.

« Excellent petit Paul ! s’écria Mme de Réan ; quel bon cœur il a ! Quel courage et quelle bonté ! Et toi, ma pauvre Sophie, quelle différence entre toi et ton cousin ! Vois comme tu te laisses aller à tes colères et comme tu es ingrate envers cet excellent Paul, qui te pardonne toujours, qui oublie toujours tes injustices, et qui, aujourd’hui encore, a été si généreux pour toi. »

Sophie. – Oh oui ! maman, je vois bien tout cela, et à l’avenir jamais je ne me fâcherai contre Paul.

Madame de Réan. – Je n’ajouterai aucune réprimande ni aucune punition à celle que te fait subir ton cœur. Tu souffres du mal de Paul, et c’est ta punition : elle te profitera plus que toutes celles que je pourrais t’infliger. D’ailleurs tu as été sincère, tu as tout avoué quand tu pouvais tout cacher : c’est très bien, je te pardonne à cause de ta franchise.

XV. Élisabeth

Sophie était assise un jour dans son petit fauteuil ; elle ne faisait rien et elle pensait.

« À quoi penses-tu ? » lui demanda sa maman.

Sophie. – Je pense à Élisabeth Chéneau, maman.

Madame de Réan. – Et à propos de quoi penses-tu à elle ?

Sophie. – C’est que j’ai remarqué hier qu’elle avait une grande écorchure au bras, et, quand je lui ai demandé comment elle s’était écorchée, elle a rougi, elle a caché son bras, elle m’a dit tout bas : « Tais-toi ; c’est pour me punir. » Je cherche à comprendre ce qu’elle a voulu me dire.

Madame de Réan. – Je vais te l’expliquer, si tu veux, car, moi aussi, j’ai remarqué cette écorchure, et sa maman m’a raconté comment elle se l’était faite. Écoute bien ; c’est un beau trait d’Élisabeth. »

Sophie, enchantée d’avoir une histoire à entendre, rapprocha son petit fauteuil de sa maman pour mieux écouter.

Madame de Réan. – Tu sais qu’Élisabeth est très bonne, mais qu’elle est malheureusement un peu colère (Sophie baisse les yeux) ; il lui arrive même de taper sa bonne dans ses accès de colère. Elle en est désolée après, mais elle ne réfléchit qu’après, au lieu de réfléchir avant. Avant-hier elle repassait les robes et le linge de sa poupée ; sa bonne mettait les fers au feu, de peur qu’Élisabeth ne se brûlât. Élisabeth était ennuyée de ne pas les faire chauffer elle-même ; sa bonne le lui défendait, et l’arrêtait toutes les fois qu’elle voulait mettre son fer au feu sans lui en rien dire. Enfin elle trouva moyen d’arriver à la cheminée, et elle allait placer son fer, lorsque la bonne la vit, retira le fer et lui dit : « Puisque vous ne m’écoutez pas, Élisabeth, vous ne repasserez plus ; je prends les fers et je les remets dans l’armoire. – Je veux mes fers, cria Élisabeth ; je veux mes fers ! – Non, mademoiselle, vous ne les aurez pas. – Méchante Louise, rendez-moi mes fers, dit Élisabeth en colère. – Vous ne les aurez pas ; les voici enfermés », ajouta Louise en retirant la clef de l’armoire. Élisabeth, furieuse, voulut arracher la clef des mains de sa bonne, mais elle ne put y parvenir. Alors dans sa colère elle la griffa si fortement que le bras de Louise fut écorché et saigna. Quand Élisabeth vit le sang, elle fut désolée ; elle demanda pardon à Louise, elle lui baisait le bras, elle le bassinait avec de l’eau. Louise, qui est une très bonne femme, la voyant si affligée, l’assurait que son bras ne lui faisait pas mal. « Non, non, disait Élisabeth en pleurant, je mérite de souffrir comme je vous ai fait souffrir ; écorchez-moi le bras comme j’ai écorché le vôtre, ma bonne ; que je souffre ce que vous souffrez. » Tu penses bien que la bonne ne voulut pas faire ce qu’Élisabeth lui demandait, et celle-ci ne dit plus rien. Elle fut très douce le reste du jour, et alla se coucher très sagement. Le lendemain, quand sa bonne la leva, elle vit du sang à son drap, et, regardant son bras, elle le vit horriblement écorché. « Qui est-ce qui vous a blessée ainsi, ma pauvre enfant ? s’écria-t-elle. – C’est moi-même, ma bonne, répondit Élisabeth, pour me punir de vous avoir griffée hier. Quand je me suis couchée, j’ai pensé qu’il était juste que je me fisse souffrir ce que vous souffriez, et je me suis griffé le bras jusqu’au sang. » La bonne, attendrie, embrassa Élisabeth, qui lui promit d’être sage à l’avenir. Tu comprends maintenant ce que t’a dit Élisabeth et pourquoi elle a rougi ?

Sophie. – Oui, maman, je comprends très bien. C’est très beau ce qu’Élisabeth a fait. Je pense qu’elle ne se mettra plus jamais en colère, puisqu’elle sait COMME C’EST MAL.

Madame de Réan, souriant. — Est-ce que tu ne fais jamais ce que tu sais être mal ?

Sophie, embarrassée. – Mais moi, maman, je suis plus jeune : j’ai quatre ans, et Élisabeth en a cinq.

Madame de Réan. – Cela ne fait pas une grande différence ; souviens-toi de ta colère il y a huit jours, contre ce pauvre Paul qui est si gentil.

Sophie. – C’est vrai, maman ; mais je crois tout de même que je ne recommencerai pas et que je ne ferai plus ce que je sais être une chose mauvaise.

Madame de Réan. – Je l’espère pour toi, Sophie, mais prends garde de te croire meilleure que tu n’es. Cela s’appelle orgueil, et tu sais que l’orgueil est un bien vilain défaut.

Sophie ne répondit pas, mais elle sourit d’un air satisfait qui voulait dire qu’elle serait certainement toujours sage.

La pauvre Sophie fut bientôt humiliée, car voici ce qui arriva deux jours après.

XVI. Les fruits confits

Sophie rentrait de la promenade avec son cousin Paul. Dans le vestibule attendait un homme qui semblait être un conducteur de diligence et qui tenait un paquet sous le bras.

« Qui attendez-vous, monsieur ? » lui dit Paul très poliment.

L’Homme. – J’attends Mme de Réan, monsieur ; j’ai un paquet à lui remettre.

Sophie. – De la part de qui ?

L’Homme. – Je ne sais pas, mademoiselle, j’arrive de la diligence ; le paquet vient de Paris.

Sophie. – Mais qu’est-ce qu’il y a dans le paquet ?

L’Homme. – Je pense que ce sont des fruits confits et des pâtes d’abricots. Du moins c’est comme cela qu’ils sont inscrits sur le livre de la diligence.

Les yeux de Sophie brillèrent ; elle passa sa langue sur ses lèvres.

« Allons vite prévenir maman », dit-elle à Paul ; et elle partit en courant. Quelques instants après, la maman arriva, paya le port du paquet et l’emporta au salon, où la suivirent Sophie et Paul. Ils furent très attrapés quand ils virent Mme de Réan poser le paquet sur la table et retourner à son bureau pour lire et écrire.

Sophie et Paul se regardèrent d’un air malheureux.

« Demande à maman de l’ouvrir », dit tout bas Sophie à Paul.

Paul, tout bas. – Je n’ose pas ; ma tante n’aime pas qu’on soit impatient et curieux.

Sophie, tout bas. – Demande-lui si elle veut que nous lui épargnions la peine d’ouvrir le paquet en l’ouvrant nous-mêmes.

La Maman. – J’entends très bien ce que vous dites, Sophie ; c’est très mal de faire la fausse, de faire semblant d’être obligeante et de vouloir m’épargner un ennui, quand c’est tout bonnement par curiosité et par gourmandise que tu veux ouvrir ce paquet. Si tu m’avais dit franchement : « Maman, j’ai envie de voir les fruits confits, permettez-moi de défaire le paquet », je te l’aurais permis. Maintenant je te défends d’y toucher.

Sophie, confuse et mécontente, s’en alla dans sa chambre, suivie de Paul.

« Voilà ce que c’est que d’avoir voulu faire des finesses, lui dit Paul. Tu fais toujours comme cela, et tu sais que ma tante déteste les faussetés. »

Sophie. – Pourquoi aussi n’as-tu pas demandé tout de suite quand je te l’ai dit ? Tu veux toujours faire le sage et tu ne fais que des bêtises.

Paul. – D’abord je ne fais pas de bêtises ; ensuite je ne fais pas le sage. Tu dis cela parce que tu es furieuse de ne pas avoir les fruits confits.

Sophie. – Pas du tout, monsieur, je ne suis furieuse que contre vous, parce que vous me faites toujours gronder.

Paul. – Même le jour où tu m’as si bien griffé ?

Sophie, honteuse, rougit et se tut. Ils restèrent quelque temps sans se parler ; Sophie aurait bien voulu demander pardon à Paul, mais l’amour-propre l’empêchait de parler la première. Paul, qui était très bon, n’en voulait plus à Sophie ; mais il ne savait comment faire pour commencer la conversation. Enfin, il trouva un moyen très habile : il se balança sur sa chaise, et il se pencha tellement en arrière, qu’il tomba. Sophie accourut pour l’aider à se relever.

« Tu t’es fait mal, pauvre Paul ? » lui dit-elle.

Paul. – Non, AU CONTRAIRE.

Sophie, riant. — Ah ! au contraire. C’est assez drôle, cela.

Paul. – Oui ! puisqu’en tombant j’ai fait finir notre querelle.

Sophie, l’embrassant. – Mon bon Paul, comme tu es bon ! C’est donc exprès que tu es tombé ? tu aurais pu te faire mal.

Paul. – Non ; comment veux-tu qu’on se fasse mal en tombant d’une chaise si basse ? À présent que nous sommes amis, allons jouer.

Et ils partirent en courant. En traversant le salon, ils virent le paquet toujours ficelé. Paul entraîna Sophie, qui avait bien envie de s’arrêter, et ils n’y pensèrent plus.

Après le dîner, Mme de Réan appela les enfants.

« Nous allons enfin ouvrir le fameux paquet, dit-elle, et goûter à nos fruits confits. Paul, va me chercher un couteau pour couper la ficelle. » Paul partit comme un éclair et rentra presque au même instant, tenant un couteau, qu’il présenta à sa tante.

Mme de Réan coupa la ficelle, défit les papiers qui enveloppaient les fruits, et découvrit douze boîtes de fruits confits et de pâtes d’abricots.

« Goûtons-les pour voir s’ils sont bons, dit-elle en ouvrant une boîte. Prends-en deux, Sophie ; choisis ceux que tu aimerais le mieux. Voici des poires, des prunes, des noix, des abricots, du cédrat, de l’angélique. »

Sophie hésita un peu ; elle examinait lesquels étaient les plus gros ; enfin elle se décida pour une poire et un abricot. Paul choisit une prune et de l’angélique. Quand tout le monde en eut pris, la maman ferma la boîte, encore à moitié pleine, la porta dans sa chambre et la posa sur le haut d’une étagère. Sophie l’avait suivie jusqu’à la porte.

En revenant, Mme de Réan dit à Sophie et à Paul qu’elle ne pourrait pas les mener promener, parce qu’elle devait faire une visite dans le voisinage.

« Amusez-vous pendant mon absence, mes enfants ; promenez-vous, ou restez devant la maison, comme vous voudrez. »

Et, les embrassant, elle monta en voiture avec M. et Mme d’Aubert et M. de Réan.

Les enfants restèrent seuls et jouèrent longtemps devant la maison. Sophie parlait souvent de fruits confits.

« Je suis fâchée, dit-elle, de n’avoir pas pris d’angélique ni de prune ; ce doit être très bon.

– Oui, c’est très bon, répondit Paul, mais tu pourras en manger demain ; ainsi n’y pense plus, crois-moi, et jouons. »

Ils reprirent leur jeu, qui était de l’invention de Paul. Ils avaient creusé un petit bassin et ils le remplissaient d’eau ; mais il fallait en remettre toujours, parce que la terre buvait l’eau à mesure qu’ils la versaient. Enfin, Paul glissa sur la terre boueuse et renversa un arrosoir plein sur ses jambes.

« Aïe, aïe ! s’écria-t-il, comme c’est froid ! Je suis trempé ; il faut que j’aille changer de souliers, de bas, de pantalon. Attends-moi là, je reviendrai dans un quart d’heure. »

Sophie resta près du bassin, tapotant l’eau avec sa petite pelle, mais ne pensant ni à l’eau, ni à la pelle, ni à Paul. À quoi pensait-elle donc ? Hélas ! Sophie pensait aux fruits confits, à l’angélique, aux prunes ; elle regrettait de ne pas pouvoir en manger encore, de n’avoir pas goûté à tout.

« Demain, pensa-t-elle, maman m’en donnera encore ; je n’aurai pas le temps de bien choisir. Si je pouvais les regarder d’avance, je remarquerais ceux que je prendrai demain… Et pourquoi ne pourrais-je pas les regarder ? Je n’ai qu’à ouvrir la boîte. »

Voilà Sophie, bien contente de son idée, qui court à la chambre de sa maman et qui cherche à atteindre la boîte ; mais elle a beau sauter, allonger le bras, elle ne peut y parvenir ; elle ne sait comment faire ; elle cherche un bâton, une pincette, n’importe quoi, lorsqu’elle se tape le front avec la main en disant :

« Que je suis donc bête ! je vais approcher un fauteuil et monter dessus ! »

Sophie tire et pousse un lourd fauteuil tout près de l’étagère, grimpe dessus, atteint la boîte, l’ouvre et regarde avec envie les beaux fruits confits. « Lequel prendrai-je demain ? » dit-elle. Elle ne peut se décider : c’est tantôt l’un, tantôt l’autre. Le temps se passait pourtant ; Paul allait bientôt revenir.

« Que dirait-il s’il me voyait ici ? pensa-t-elle. Il croirait que je vole les fruits confits, et pourtant je ne fais que les regarder… J’ai une bonne idée : si je grignotais un tout petit morceau de chaque fruit, je saurais le goût qu’ils ont tous, je saurais lequel est le meilleur, et personne ne verrait rien, parce que j’en mordrais si peu que cela ne paraîtrait pas. »

Et Sophie mordille un morceau d’angélique, puis un abricot, puis une prune, puis une noix, puis une poire, puis du cédrat, mais elle ne se décide pas plus qu’avant.

« Il faut recommencer », dit-elle.

Elle recommence à grignoter, et recommence tant de fois, qu’il ne reste presque plus rien dans la boîte. Elle s’en aperçoit enfin ; la frayeur la prend.

« Mon Dieu, mon Dieu ! qu’ai-je fait ? dit-elle. Je ne voulais qu’y goûter, et j’ai presque tout mangé. Maman va s’en apercevoir dès qu’elle ouvrira la boîte ; elle devinera que c’est moi. Que faire, que faire ?… Je pourrais bien dire que ce n’est pas moi ; mais maman ne me croira pas… Si je disais que ce sont les souris ? Précisément, j’en ai vu une courir ce matin dans le corridor. Je le dirai à maman ; seulement je dirai que c’était un rat, parce qu’un rat est plus gros qu’une souris, et qu’il mange plus, et, comme j’ai mangé presque tout, il vaut mieux que ce soit un rat qu’une souris. »

Sophie, enchantée de son esprit, ferme la boîte, la remet à sa place et descend du fauteuil. Elle retourne au jardin en courant ; à peine avait-elle eu le temps de prendre sa pelle, que Paul revint.

Paul. – J’ai été bien longtemps, n’est-ce pas ? c’est que je ne trouvais pas mes souliers ; on les avait emportés pour les cirer, et j’ai cherché partout avant de les demander à Baptiste. Qu’as-tu fait pendant que je n’y étais pas ?

Sophie. – Rien du tout, je t’attendais ; je jouais avec l’eau.

Paul. – Mais tu as laissé le bassin se vider ; il n’y a plus rien dedans. Donne-moi ta pelle, que je batte un peu le fond pour le rendre plus solide ; va pendant ce temps puiser de l’eau dans le baquet.

Sophie alla chercher de l’eau pendant que Paul travaillait au bassin. Quand elle revint, Paul lui rendit la pelle et dit :

« Ta pelle est toute poissée ; elle colle aux doigts ; qu’est-ce que tu as mis dessus ?

– Rien, répondit Sophie ; rien. Je ne sais pas pourquoi elle colle. »

Et Sophie plongea vivement ses mains dans l’arrosoir plein d’eau, parce qu’elle venait de s’apercevoir qu’elles étaient poissées.

« Pourquoi mets-tu tes mains dans l’arrosoir ? » demanda Paul.

Sophie, embarrassée. – Pour voir si elle est froide.

Paul, riant. – Quel drôle d’air tu as depuis que je suis revenu ! On dirait que tu as fait quelque chose de mal.

Sophie, troublée. – Quel mal veux-tu que j’aie fait ! Tu n’as qu’à regarder ; tu ne trouveras rien de mal. Je ne sais pas pourquoi tu dis que j’ai fait quelque chose de mal : tu as toujours des idées ridicules.

Paul. – Comme tu te fâches ! C’est une plaisanterie que j’ai faite. Je t’assure que je ne crois à aucune mauvaise action de ta part, et tu n’as pas besoin de me regarder d’un air si farouche.

Sophie leva les épaules, reprit son arrosoir et le versa dans le bassin, qui se vida sur le sable. Les enfants jouèrent ainsi jusqu’à huit heures ; les bonnes vinrent les chercher et les emmenèrent. C’était l’heure du coucher.

Sophie eut une nuit un peu agitée ; elle rêva qu’elle était près d’un jardin dont elle était séparée par une barrière ; ce jardin était rempli de fleurs et de fruits qui semblaient délicieux. Elle cherchait à y entrer ; son bon ange la tirait en arrière et lui disait d’une voix triste : « N’entre pas, Sophie ; ne goûte pas à ces fruits qui te semblent si bons, et qui sont amers et empoisonnés ; ne sens pas ces fleurs qui paraissent si belles et qui répandent une odeur infecte et empoisonnée. Ce jardin est le jardin du mal. Laisse-moi te mener dans le jardin du bien. – Mais, dit Sophie, le chemin pour y aller est raboteux, plein de pierres, tandis que l’autre est couvert d’un sable fin, doux aux pieds. – Oui, dit l’ange, mais le chemin raboteux te mènera dans un jardin de délices. L’autre chemin te mènera dans un lieu de souffrance, de tristesse ; tout y est mauvais ; les êtres qui l’habitent sont méchants et cruels ; au lieu de te consoler, ils riront de tes souffrances, ils les augmenteront en te tourmentant eux-mêmes. » Sophie hésita ; elle regardait le beau jardin rempli de fleurs, de fruits, les allées sablées et ombragées ; puis, jetant un coup d’œil sur le chemin raboteux et aride qui semblait n’avoir pas de fin, elle se retourna vers la barrière, qui s’ouvrit devant elle, et, s’arrachant des mains de son bon ange, elle entra dans le jardin. L’ange lui cria : « Reviens, reviens, Sophie, je t’attendrai à la barrière ; je t’y attendrai jusqu’à ta mort, et, si jamais tu reviens à moi, je te mènerai au jardin de délices par le chemin raboteux, qui s’adoucira et s’embellira à mesure que tu y avanceras. » Sophie n’écouta pas la voix de son bon ange : de jolis enfants lui faisaient signe d’avancer, elle courut à eux, ils l’entourèrent en riant, et se mirent les uns à la pincer, les autres à la tirailler, à lui jeter du sable dans les yeux.

Sophie se débarrassa d’eux avec peine, et, s’éloignant, elle cueillit une fleur d’une apparence charmante ; elle la sentit et la rejeta loin d’elle : l’odeur en était affreuse. Elle continua à avancer, et, voyant les arbres chargés des plus beaux fruits, elle en prit un et y goûta ; mais elle le jeta avec plus d’horreur encore que la fleur : le goût en était amer et détestable. Sophie, un peu attristée, continua sa promenade, mais partout elle fut trompée comme pour les fleurs et les fruits. Quand elle fut restée quelque temps dans ce jardin où tout était mauvais, elle pensa à son bon ange, et, malgré les promesses et les cris des méchants, elle courut à la barrière et aperçut son bon ange, qui lui tendait les bras. Repoussant les méchants enfants, elle se jeta dans les bras de l’ange, qui l’entraîna dans le chemin raboteux. Les premiers pas lui parurent difficiles, mais plus elle avançait et plus le chemin devenait doux, plus le pays lui semblait frais et agréable. Elle allait entrer dans le jardin du bien, lorsqu’elle s’éveilla agitée et baignée de sueur. Elle pensa longtemps à ce rêve. « Il faudra, dit-elle, que je demande à maman de me l’expliquer » ; et elle se rendormit jusqu’au lendemain.

Quand elle alla chez sa maman, elle lui trouva le visage un peu sévère ; mais le rêve lui avait fait oublier les fruits confits, et elle se mit tout de suite à le raconter.

La Maman. – Sais-tu ce qu’il peut signifier, Sophie ! C’est que le bon Dieu, qui voit que tu n’es pas sage, te prévient par le moyen de ce rêve que, si tu continues à faire tout ce qui est mal et qui te semble agréable, tu auras des chagrins au lieu d’avoir des plaisirs. Ce jardin trompeur, c’est l’enfer ; le jardin du bien, c’est le paradis ; on y arrive par un chemin raboteux, c’est-à-dire en se privant de choses agréables, mais qui sont défendues ; le chemin devient plus doux à mesure qu’on marche, c’est-à-dire qu’à force d’être obéissant, doux, bon, on s’y habitue tellement que cela ne coûte plus d’obéir et d’être bon, et qu’on ne souffre plus de ne pas se laisser aller à toutes ses volontés.

Sophie s’agita sur sa chaise ; elle rougissait, regardait sa maman ; elle voulait parler ; mais elle ne pouvait s’y décider. Enfin Mme de Réan, qui voyait son agitation, vint à son aide en lui disant :

« Tu as quelque chose à avouer, Sophie ; tu n’oses pas le faire, parce que cela coûte toujours d’avouer une faute. C’est précisément le chemin raboteux dans lequel t’appelle ton bon ange et qui te fait peur. Voyons, Sophie, écoute ton bon ange, et saute hardiment dans les pierres du chemin qu’il t’indique. »

Sophie rougit plus encore, cacha sa figure dans ses mains et, d’une voix tremblante, avoua à sa maman qu’elle avait mangé la veille presque toute la boîte de fruits confits.

Madame de Réan. – Et comment espérais-tu me le cacher ?

Sophie. – Je voulais vous dire, maman, que c’étaient les rats qui l’avaient mangée.

Madame de Réan. – Et je ne l’aurais jamais cru, comme tu le penses bien, puisque les rats ne pouvaient lever le couvercle de la boîte et le refermer ensuite ; les rats auraient commencé par dévorer, déchirer la boîte pour arriver aux fruits confits. De plus, les rats n’avaient pas besoin d’approcher un fauteuil pour atteindre l’étagère.

Sophie, surprise. – Comment ! Vous avez vu que j’avais tiré le fauteuil ?

Madame de Réan. – Comme tu avais oublié de l’ôter, c’est la première chose que j’ai vue hier en rentrant chez moi. J’ai compris que c’était toi, surtout après avoir regardé la boîte et l’avoir trouvée presque vide. Tu vois comme tu as bien fait de m’avouer ta faute ; tes mensonges n’auraient fait que l’augmenter et t’auraient fait punir plus sévèrement. Pour récompenser l’effort que tu fais en avouant tout, tu n’auras d’autre punition que de ne pas manger de fruits confits tant qu’ils dureront.

Sophie baisa la main de sa maman, qui l’embrassa ; elle retourna ensuite dans sa chambre, où Paul l’attendait pour déjeuner.

Paul. – Qu’as-tu donc, Sophie ? Tu as les yeux rouges.

Sophie. – C’est que j’ai pleuré.

Paul. – Pourquoi ? Est-ce que ma tante t’a grondée ?

Sophie. – Non, mais c’est que j’étais honteuse de lui avouer une mauvaise chose que j’ai faite hier.

Paul. – Quelle mauvaise chose ? Je n’ai rien vu, moi.

Sophie. – Parce que je me suis cachée de toi.

Et Sophie raconta à Paul comment elle avait mangé la boîte de fruits confits, après avoir voulu seulement les regarder et choisir les meilleurs pour le lendemain.

Paul loua beaucoup Sophie d’avoir tout avoué à sa maman.

« Comment as-tu eu ce courage ? » dit-il.

Sophie lui raconta alors son rêve, et comment sa maman le lui avait expliqué. Depuis ce jour Paul et Sophie parlèrent souvent de ce rêve, qui les aida à être obéissants et bons.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
30 ağustos 2016
Hacim:
130 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
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