Kitabı oku: «Recherches nouvelles sur l'histoire ancienne, tome I», sayfa 19
§ VIII.
Analyse de la liste mède de Ktésias
Selon Hérodote, les Mèdes n'eurent que quatre rois, qui furent:
Ils eurent huit rois
[284] Voyez le fragment cité en Diodore.
Diodore a omis le temps d'Astuigas, nous le suppléons par Hérodote.
Eusèbe a modifié cette liste, en y introduisant Deïokès à la place d'Artaïos; et l'arménien Mosès, qui suit Eusèbe, a substitué à l'Astuag des Grecs son vrai nom mède Azdehak282; il en résulte la liste comparative que nous avons jointe. Mosès ne donne pas de nombre d'années.
Le Syncelle, page 359, dit que les Mèdes, jusqu'à l'époque de Kyrus, dominèrent 30 ans. Cette faute est d'un copiste, il faut lire 300. Il dit, page 235, que depuis Sardanapale, leurs rois régnèrent 276 ans; cette erreur est de lui, comme lorsqu'il dit, page 212, que Kyaxarès régna 32 et son prédécesseur 51 ans. En général on ne peut compter sur ce mutilateur audacieux et négligent. Tenons-nous-en à Diodore. En partant d'un point connu, commençons par Astuigas… Il est évidemment l'Astyag d'Hérodote. Son autre nom d'Aspadas prouve que, selon un usage subsistant en Orient, les rois de ces anciennes listes eurent tous plusieurs noms, et cela par deux raisons:
1° Parce qu'en certaines circonstances ils en changèrent, comme a fait de nos jours Kouli-Khan, qui, ayant conquis Dehli, s'intitula Shah-Nadir, roi du second hémisphère (par opposition à zénith).
2° Parce que, selon les divers dialectes ou langages du vaste empire des Perses, les peuples désignèrent le prince par des noms différents. Ktésias désigne Smerdis par celui de Sphendadatès; Esdras le désigne par celui d'Artahshata, et il nomma Cambyse Ashouroush283. Aspadas paraît composé du mot pâd, maître, seigneur, et de asp, chevaux, maître de la cavalerie (puissante), très-probablement des dix milles cavaliers immortels.
Avant Astuag régna Astibar, 40 ans; c'est évidemment le Ki-asar d'Hérodote. Mosès le dit expressément. Ki, prononcé kè en persan, signifie grand et géant. En arménien, skai a le même sens. Kê-asar, le grand vainqueur. En effet, Kyaxar renversa une seconde fois Ninive et les Assyriens. Le mot persan Astebar est synonyme, puisqu'il signifie grand et puissant284. L'identité est d'ailleurs formelle, dans ce passage d'Eusèbe285:
«Alexandre Polyhistor rapporte que Nabukodonosor, informé de la prophétie de Jérémie (au roi Ioakim), sollicita le roi des Mèdes, Astibaras, de se joindre à lui, et il marcha en Judée avec une armée de Babyloniens et de Mèdes.»
C'était l'an 606; le temps convient très-bien. Les Scythes dominaient encore. Kyaxarès, gêné par eux, dut condescendre à la demande indiquée, pour ne pas se faire un puissant ennemi de plus.
Avant Astibar, règne Artoûnés 22 ans. C'est la durée de Phraortes: c'est même son nom; car celui-ci est composé du persan Pher, grand roi, héros, et d'arta ou orta, que l'Arménien Mosès, page 58, dit signifier en langue mède, juste (et magnanime).
Au-dessus d'Artoun-es devrait venir Deïokès. Mosès le dit bien. Mais les 40 ans d'Artaïos indiquent Kyaxar. Cette identité tire de nouvelles preuves de l'anecdote de Parsondas, racontée par Diodore, dans le fragment de Ktésias, page 409.
«Sous le règne d'Artaïos, s'alluma une violente guerre, etc.»
L'historien Nicolas de Damas nous apprend le motif de ce mécontentement de Parsondas, dans un récit curieux que sûrement il a copié de Ktésias286.
«Sous le règne d'Artaïos, roi des Mèdes et successeur d'Arbêk, dit-il, vivait Parsondas, homme extraordinaire par ses facultés physiques et morales; le roi, ainsi que les Perses, dont il était issu, l'admiraient pour sa beauté corporelle et pour la prudence de son esprit. Il excellait d'ailleurs dans l'art de combattre, soit à pied, soit à cheval, soit sur un char, et personne ne l'égalait à la chasse pour surprendre et tuer des bêtes féroces. Ce Parsondas sollicita Artaïos de destituer Nanybrus, roi de Babylone, qu'il méprisait et haïssait pour ses mœurs sardanapaliques287, et de lui donner cette satrapie. Le roi ne put consentir à faire cette injustice à Nanybrus, contre la teneur des lois établies par Arbâk… Le Babylonien fut instruit dû fait… Quelque temps après, dans la saison des chasses, Parsondas alla prendre ce divertissement en Babylonie, près d'un lieu où, par hasard, étaient campés les vivandiers de Nanybrus: celui-ci, informé des courses de son ennemi, avait ordonné à ses gens de l'épier, de tâcher de l'enlever, et de le lui amener; la chose réussit à son gré. Devenu maître de Parsondas, le Babylonien l'enferme dans son harem avec ses femmes, le fait raser, baigner, vêtir en femme, et le force de jouir de toutes les voluptés que le guerrier lui avait reprochées.—Il le força même d'apprendre la musique et la danse… Sept ans se passent ainsi, sans qu'on sache ce qu'est devenu Parsondas, malgré toutes les perquisitions ordonnées par le roi. Enfin un eunuque, que Nanybrus avait fait bâtonner pour quelque faute, s'échappe et va découvrir le délit à Artaïos, qui de suite dépêche un aggar288 ou secrétaire pour réclamer Parsondas… Nanybrus nie la détention. Un second aggar vient, avec ordre de conduire au roi Nanybrus garrotté, s'il persiste à nier. Celui-ci rend son prisonnier, et Parsondas s'en retourne sur un char avec le secrétaire. Il arrive à Suse: Artaïos l'accueille, écoute son histoire avec étonnement… Quelques mois après, il se rend à Babylone. Parsondas l'obsède pour qu'il le venge de Nanybrus; celui-ci gagne un eunuque à force d'argent et de présents, et moyennant cent talents d'or et cent coupes d'or, mille talents d'argent et trois cents coupes du même métal, il obtient son pardon du roi.»
Dans ces récits, nous avons un indigène Perse, sujet et courtisan d'un roi mède, l'un des successeurs d'Arbâk. Ce roi ne peut être Deïokès qui, selon la phrase d'Hérodote, ne régna que sur les Mèdes. Est-ce Phraortes, son fils, qui y joignit les Perses, et qui avec ces deux nations puissantes subjugua les autres? Mais les 40 ans d'Artaïos ne conviennent point à Phraortes, qui n'en régna que 22; et ils conviennent parfaitement à Kyaxar. Supposons que Parsondas ait demandé à Kyaxar la satrapie de Babylone au commencement de son règne, la circonstance convient très-bien; ce sera dans les années 635 ou 634: supposons que les 7 ans de détention de Parsondas aient commencé en 633 et fini en 627; l'irruption des Scythes, en 625, ayant jeté Kyaxarès dans un état d'oppression et de faiblesse, le Persan en aura profité pour effectuer une révolte qui, sans cela, eût peut-être été impossible. Relativement au prince babylonien, ces dates conviennent très-bien à Chinil-adan, qui régna depuis 647 jusqu'en 626. La différence de nom n'y fait rien, puisque tous ces princes asiatiques en eurent plusieurs.
Quant au nombre des combattants, dont parle Ktésias (page 403), il est visiblement absurde, selon l'usage des livres orientaux; et cette absurdité se démontre par la topographie des Caddusiens, dont le pays montueux ne contient pas plus de 160 à 180 lieues carrées; et encore par les quatre mille hommes des premières troupes de Parsondas. Il faut ôter un zéro; et en lisant 20 mille, au lieu de 200, et 8 mille au lieu de 80 mille, l'on sera dans les vraisemblances.
Cette anecdote a d'ailleurs le mérite de nous apprendre que le même roi mède qui régnait à Ekbatane, régnait aussi à Suse; ce qui réfute l'hypothèse de ceux qui ont voulu concilier Hérodote avec Ktésias, en faisant de leurs rois deux dynasties qui auraient simultanément régné dans ces deux villes. Il dut en être des rois mèdes, comme il en fut des rois perses, qui passaient leurs hivers à Suse et leurs étés à Ekbatane. Quant à la vassalité de Babylone, nous en verrons les preuves complètes ailleurs.
Maintenant, si l'Artaïos de Ktésias est Kyaxar (et fût-il Phraortes), il est clair que cet historien a doublé les temps et les noms. Ce doublement est encore indiqué dans Arbianes, qui, par son règne de 22 ans et par sa position avant Artaïos Kyaxar, se décèle pour être Phraortes.
Au-dessus de lui est Artoukas, avec un règne de 50 ans. Ce doit être Deïokès; l'analogie des 50 ans de l'un et des 53 ans de l'autre, fortifie ce soupçon. En suivant cette indication, le Sosarmos qui le précède, a dû être Arbâk. Au-dessus de Sosarmos, se trouve Man-daukès, encore 50 ans, comme Artoukas. Nous venons de voir Ktésias répéter deux fois les 40 ans de Kyaxar, dans Artaios et Astybaras; ne répète-t-il pas également ici le règne de Deïokès dans les 50 ans d'Artoukas et de Mandaukès? Le nom de ce second est évidemment le même; car en séparant l'initiale Man, l'on a Daouk-ès, manifestement identique à Déïok-ès.
Enfin, avant ce chef de la dynastie mède, se montre Arbâk, qui règne 28 années bien ressemblantes aux 30 de Sosarmos, en sorte que de même que Phraortes a été répété deux fois avant Kyaxar, Arbâk se trouve répété aussi deux fois avant Deïokès, et toute la liste de Ktésias est démontrée n'être qu'un doublement de celle d'Hérodote, comme on le voit dans le tableau suivant.
Les seuls 28 ans d'Arbâk forment une difficulté: non-seulement Hérodote (ou plutôt ses auteurs perses) les nie, mais il semble nier sa royauté; et après l'affranchissement des Mèdes, opéré par lui, ils ne laissent apercevoir aucune trace de ce libérateur, comme si, satisfait d'avoir rendu la liberté à tous les vassaux de Ninive, il se fût démis du pouvoir suprême, après avoir établi une sorte de pacte fédéral, indiqué dans l'anecdote de Parsondas. Comme nous devons retrouver cet Arbâk dans un des rois perses des traditions orientales, nous reviendrons à ce sujet.
Mais quel a pu être le motif de Ktésias de nous forger ces faux calculs? Après avoir beaucoup cherché, il nous a semblé en découvrir la raison dans son fragment déja cité. Il y dit que, selon les calculs des Assyriens, la guerre de Troie avait eu lieu sous le roi Teutam, 306 ans avant la mort de Sardanapale. Si Ktésias eût admis le système d'Hérodote, cette date eût placé la prise d'Ilium vers l'an 1023 de nôtre ère, et cela eût trop choqué les opinions reçues dans la Grèce: l'une de ces opinions, suivie depuis par Ératosthènes, Apollodore et Denys d'Halicarnasse, était que la prise de Troie avait eu lieu en une année correspondante à notre année 1183 ou 1184 avant J.-C. Ktésias, habitué à flatter les satrapes, ne voulut pas heurter les savants; il s'arrangea de manière à obtenir précisément ce résultat. Car les 306 des Assyriens, joints aux 317 des Mèdes, font 623, lesquels, ajoutés aux 560, époque de Kyrus, font juste 1183, comme Ératosthènes l'écrivit 150 ans après Ktésias: cette coïncidence parfaite n'est-elle pas frappante et décisive?
Puisque nous sommes amenés à cette question, voyons si nous ne pourrions pas acquérir ici une idée juste de cette époque si célèbre.
§ IX.
Époque de la guerre de Troie, selon les Assyriens et les Phéniciens
Ktésias, ayant en main les livres des Assyriens, ou leurs extraits, nous affirme que, selon leurs calculs, la guerre de Troie eut lieu sous l'un des rois ninivites, appelé Teutam, 306 ans avant la mort de Sardanapale. Cet auteur, en sa qualité de Grec, dut porter de la curiosité à connaître cette époque, et les Assyriens eurent des raisons d'état de la noter dans leurs archives, puisque le roi de Troie réclama des secours comme vassal, et que le descendant de Ninus envoya le satrape de Suse Memno, dont Homère fait une mention expresse. La date que nous fournissent les Assyriens, a donc une autorité égale et même supérieure à celles que fournissent les Grecs, puisqu'aucune chronologie de ces derniers ne remonte d'un fil continu et certain, même au temps d'Homère, et que tous leurs chronologistes offrent dans leurs estimations une discordance qui, comme nous l'allons voir, démontre l'incertitude et même la fausseté de leurs bases.
Selon Ératosthènes, Apollodore et Denys d'Halicarnasse, la prise de Troie eut lieu 407 ou 408 ans avant la première olympiade, qui date de 776 (par conséquent en l'an 1183 ou 1184).—Selon le chronologiste Sosibius, contemporain de Ptolomée-Philadelphe, elle eut lieu 395 ans avant la première olympiade; donc en l'an 1171.—Selon Arètes, en l'an 1190.—Selon Velleïus Paterculus, en l'an 1191.—Selon Timée, en 1193.—Selon la chronique de Paros, en 1208; selon Dikéarque, en l'an 1212; enfin, selon Hérodote, en l'an 1270, etc.
Le point de départ de tous ces calculs était l'ouverture des olympiades, l'an 776 avant notre ère: ce point est certain; pour s'élever au-delà, tous ces auteurs ont tâché de mesurer le temps jusqu'à de grands événements connus, tels que l'invasion des Héraclides, la fondation de la colonie ionienne, une guerre faite par quelque roi de Sparte, etc. Et c'est parce que les dates de ces événements n'étaient pas certaines, qu'ils ont obtenu des résultats si divers. Hérodote seul employa un autre moyen que nous examinerons séparément: si l'on en voulait croire son traducteur289, tous les anciens peuples grecs auraient eu des archives et des généalogies qui auraient fourni des bases certaines aux écrivains; mais si de tels monuments existèrent en certains lieux et en certains temps, il faut que les guerres perpétuelles dont fut tourmentée cette contrée, les aient détruits ou mutilés de très-bonne heure, puisque à dater seulement du 7e siècle avant notre ère, tout est discors et confus dans les chronologies grecques; qu'à Sparte, par exemple, l'un des états les plus fixes, l'ordre et la série des rois ne sont pas certains; que leurs règnes, omis après les olympiades, offrent des invraisemblances choquantes dans les temps antérieurs290, et que l'époque du célèbre législateur Lycurgue subit une contestation de 108 ans, qui, comme nous l'allons voir, n'est pas éclaircie, à beaucoup près, dans le sens que l'on pense. L'époque d'Homère, ce poëte si remarqué, dont tant d'auteurs recherchèrent à l'envi la patrie, l'âge, la vie; cette époque est aussi obscure que celle de Lycurgue et de Troie, ainsi que le prouvent deux curieux passages de Tatien et de Clément d'Alexandrie, qui méritent que nous les citions.
«Selon Cratès (ou Cratètes), Homère ne fut postérieur à la prise de Troie que de 80 ans, et (vécut) vers le temps de l'invasion des Héraclides; selon Ératosthènes, il fut postérieur de 100 ans; de 140 selon Aristarque, qui, dans ses Commentaires sur Archiloque, dit qu'Homère fut contemporain de la colonie ionienne fondée à cette époque.
«Philochorus le place 40 ans plus tard (180 ans après Troie).
«Apollodore veut que ce soit 100 ans (c'est-à-dire 240 ans après Troie), sous le règne d'Agésilas, fils de Dorisée, roi de Sparte; ce qui rapproche Homère du législateur Lycurgue, encore très-jeune.
«Euthymène, dans ses Annales, dit qu'il naquit dans l'île de Chio, 200 ans après la prise de Troie; Archemacus, dans son troisième livre des Euboïques, est du même avis.
«Euphorion, dans son ouvrage des Aliades, dit qu'il vécut au temps de Gygès, qui commença de régner en la 18e olympiade (l'an 708).
«Sosibius de Lacédémone, en sa Description des temps, place Homère à l'an 8 du roi Charilas, fils de Polydecte… Charilas régna 64 ans, son fils Nicander en régna 39: l'an 34 de ce prince, dit-il, fut établie la première olympiade; en sorte qu'Homère se trouve placé 90 ans avant cette première olympiade.
«Dieuchidas, dans son 4e livre des Mégariques, dit que Lycurgue fleurit environ 290 après la prise de Troie.»
[294] Clemens Alexandr. Strom., lib. I, pag. 402.
«Enfin Hérodote estime (dit Tatien) qu'Homère vécut 400 ans avant lui, et il lui associe Hésiode.»
Toutes ces variantes nous ramènent à nos premières conclusions, savoir:
1° Que les chronologistes grecs n'ont point eu en main de chroniques suivies et connues sur lesquelles se pussent asseoir leurs calculs.
2° Que les Assyriens ayant eu cet avantage, pourraient bien, dans le passage fourni par Ktésias, nous avoir révélé la véritable époque de la prise de Troie.
Mais, en comparant l'extrême différence de l'époque donnée par eux, à la plus rapprochée de toutes celles données par les Grecs, comment, dans une telle question, accorder une préférence décidée à un seul et unique témoignage, surtout quand ce témoignage nous vient par la voie d'un Ktesias?
Tel était notre scrupule, lorsque, parcourant les mêmes pages de Clément d'Alexandrie et de Tatien, deux autres citations ont frappe notre attention.
«Eiram, roi de Tyr, dit Clément, donne sa fille en mariage à Salomon, dans le temps où Ménélas arrive en Phénicie, après le sac de Troie, ainsi que le rapporte Menander de Pergame, et Lœtus, dans leurs Annales phéniciennes.
«Chez les Phéniciens, dit Tatien, nous connaissons trois historiens; savoir, Théodotus291, Hypsicrates et Mochus, dont les ouvrages ont été traduits en grec par Lœtus, qui a recueilli avec soin la vie d'un grand nombre de philosophes: or, dans les histoires dont nous parlons, il est dit que sous un même roi (de Tyr) ont eu lieu l'enlèvement d'Europe, l'arrivée de Ménélas en Égypte, et les actions de Cheiram, qui donna sa fille en mariage au roi des Juifs, Salomon.» Menander de Pergame rapporte les mêmes faits; et le temps de Cheiram est voisin de celui de Troie292.
Ici le témoignage de Menander est d'autant plus digne d'attention, que Flavius Josèphe nous apprend qu'en effet cet écrivain avait traduit les Annales phéniciennes dont il reconnaît l'exactitude et la conformité avec celles des juifs. Selon celles-ci, le règne de Salomon commença l'an 1018 avant J.-C.; selon les Assyriens, Teutam envoya du secours à Troie, vers l'an 1023. Supposons la prise en 1022. Selon les Phéniciens, Ménélas dut venir, un ou deux ans après, vers 1021 ou 1020: Hiram aurait donc donné sa fille vers l'an 1018 ou 1017. Un tel accord entre trois témoins différents n'est-il pas infiniment remarquable? disons mieux, n'est-il pas probatif et concluant? Prenons cette date pour la véritable, et supposons la prise de Troie à l'an 1022, nous avons pour terme certain la 1re olympiade en l'an 776, différence 246. Maintenant, voyons comment cadreront toutes nos citations ci-dessus, comparées à ces deux termes: examinons d'abord Hérodote. Les propres paroles de cet écrivain, antérieur aux seize autres cités par Clément et par Tatien, sont telles qu'il suit:
«J'estime293 que les poètes Homère et Hésiode n'ont pas vécu plus de 400 ans avant moi.»
Quelques critiques ont déjà remarqué que ces expressions sont très vagues. J'estime signifie un calcul par aperçu, par supposition; a vécu n'indique aucune année précise, et peut se prendre pour la naissance, pour la mort, pour le temps de la célébrité; et ce nombre rond de quatre cents ans sans aucune fraction! N'est-il pas clair qu'ici Hérodote n'a point prétendu donner un calcul précis et méthodique, mais qu'il a fait simplement une évaluation approximative? Lorsque l'on connaît sa méthode, on devine son opération. Ayant lu beaucoup d'historiens, entr'autres Xanthus de Lydie, Cadmus de Milet, Hellanicus, etc., il aura saisi quelque anecdote qui établissait un rapport entre Homère et quelque prince connu, comme lui-même cite un rapport entre Archiloque et Gygès, entre Thalès, Solon et Krœsus. De ce rapport connu, il aura déduit un nombre de générations qui, évalué, estimé, selon son système, à trois générations par siècle, lui a donné le nombre rond de 400 ans; c'est-à-dire que de lui à Homère, il a estimé douze générations. Cette évaluation de trente-trois ans étant beaucoup trop forte, substituons-y vingt-cinq ans, tels que nous les donnent les générations des rois de Lydie, des rois hébreux et des grands-prêtres juifs; nous aurons quatre générations au siècle, par conséquent 300 ans pour douze générations entre Hérodote et Homère. Hérodote naquit l'an 484 avant notre ère; donc les 300 ans nous remontent à l'an 784. Maintenant, puisque le mot a vécu se prend ordinairement pour cesser de vivre, nous dirons que cette année doit être celle de la mort d'Homère, selon Hérodote. Le poëte mourut âgé: supposons que ce fut à 70 ou 80 ans; il dut naître entre les années 854 et 864. Actuellement comparons à ces années les calculs des auteurs.
Selon Apollodore, Homère vécut 240 ans après Troie, ou 100 ans après la colonie ionienne: de 1022 ôtez 240, reste 782; donc Apollodore donne précisément notre calcul de décès à deux ans près.
Selon Euthymènes, il naquit à Chio, 200 ans après Troie; donc en 822. C'est trop tard; il dut déjà fleurir.
Selon Sosibius, Homère se place 90 ans avant la 1re olympiade; elle date de 776, plus 90: c'est 866. Ne serait-ce pas là sa naissance rapportée avec précision à l'an 8 de Charilas?
Selon Apollodore, Homère (mort en 784) se trouve très-rapproché de Lycurgue, encore jeune: or, selon Strabon, plusieurs auteurs pensaient que Lycurgue avait reçu de la main même d'Homère, vieux, ses poésies qu'il apporta à Lacédémone. Plutarque, indécis, croit que Lycurgue, voyageant dans l'Asie mineure, les reçut seulement de la main des enfants de Cléophile, leur dépositaire. Mais il avoue, de bonne foi:
«Que l'origine, les voyages, la mort, l'époque même des lois de Lycurgue, étaient un sujet inépuisable de controverse entre les écrivains; il déclare que selon plusieurs, il avait concouru avec Iphitus à l'établissement des jeux olympiques: c'est, dit-il, l'avis d'Aristote, qui cite en preuve de ce fait l'inscription du palet olympique, où le nom de Lycurgue est gravé.»294
Un tel monument, cité par un homme du poids et de l'instruction d'Aristote, est déjà une preuve sans réplique; mais Cicéron vient encore y joindre son opinion, lorsque, dans son discours pour Flaccus, ce savant Romain dit:
«Les Lacédémoniens vivent sous les mêmes lois depuis plus de 700 ans.»
Ce discours fut prononcé l'an deux de la 180e olympiade, c'est-à-dire l'an 59 avant notre ère; par conséquent Cicéron indique une date un peu antérieure à l'an 759; ce qui correspond d'autant mieux aux dates ci-dessus, que Lycurgue ne donna ses lois qu'après l'établissement des jeux olympiques par Iphitus. Ainsi, ce n'était pas un ouï-dire vague, une opinion populaire, qui plaçait Lycurgue à cette époque du 8e siècle, et le faisait contemporain de la vieillesse d'Homère: c'était le témoignage des monuments publics de ce temps-là, et l'assentiment des écrivains les plus anciens et les plus savants. Mais, objectera-t-on, comment, moins de cent ans après Aristote, Ératosthènes a-t-il calculé que Lycurgue précéda de 108 ans la fondation des jeux olympiques? Nous ne pouvons rien dire à cet égard, parce que l'ouvrage de cet astronome nous manque. Mais si nous devions le juger par ses copistes, Trallien, Eusèbe, le Syncelle et même Tatien, nous ne pourrions avoir une haute idée de sa critique: par exemple, comment Ératosthènes a-t-il pu dire qu'Homère vécut 100 ans seulement après la guerre de Troie? Cela doit être une erreur de Tatien ou de ses copistes. Ératosthènes, qui partage l'opinion d'Apollodore sur la guerre de Troie, a dû penser comme lui sur l'époque d'Homère; il a dû le placer 100 ans après la colonie ionienne, et non pas après la prise de Troie: c'est une méprise palpable. Ces deux écrivains ont certainement connu les rapports établis par les monuments et par les historiens, entre Homère et Lycurgue; ils doivent avoir fait ce raisonnement:
«Hérodote, né en telle année (484 avant J.-C.), dit qu'Homère a vécu ou cessé de vivre 400 ans avant lui; donc en 884. Or il est certain que Lycurgue a vu Homère: donc Lycurgue avait un certain âge en 884.»
A notre tour, nous disons: de 884 ôtez 108 ans, reste 776, époque précise de la première olympiade; donc Ératosthènes a opéré comme nous le disons; donc il a été induit en erreur par les 400 ans d'Hérodote, qu'il a pris au sens matériel; donc notre interprétation des 400 ans d'Hérodote en 12 générations, est le sens véritable du passage; donc la durée de 25 ans, que nous donnons à chaque génération, est la plus raisonnable, la plus conforme aux faits: donc l'accord parfait de nos combinaisons avec les calculs des Assyriens et des Phéniciens, donne l'époque de la guerre de Troie et de l'âge d'Homère, plus exacte, plus vraie qu'aucun calcul grec; donc enfin, tout ce que l'on a dit jusqu'à ce jour sur cette double question, est à refaire à neuf, en commençant par les deux chapitres de la Chronologie de M. Larcher, sur la prise de Troie et sur les rois de Lacédémone, où de suppositions en suppositions, passant du probable au certain et à l'incontestable, en démentant tous les anciens dont il prétend s'appuyer, ce correcteur a rejeté la guerre de Troie plus loin qu'Hérodote lui-même, c'est-à-dire au delà de 1270; et cependant il est clair que c'est pour avoir reconnu l'exagération de cette hypothèse, que les Grecs, dès le temps de Ktésias, commencèrent à la quitter. L'erreur d'Hérodote est saillante à cet égard, si l'on prend tout son calcul au sens littéral; mais si on l'interprète comme nous le faisons, et que les 800 ans, en nombre rond, qu'il estime s'être écoulés entre la prise de Troie et lui, ne soient qu'un calcul de générations converti en années, l'on a pour résultat l'an 1084 avant J.-C., c'est-à-dire environ 62 ans de plus que les calculs assyriens et phéniciens; et alors il est de tous les Grecs le plus près de la vérité. Il y a cette remarque à faire sur cet historien, que lorsqu'il suit les Asiatiques, il donne des résultats précis, parce qu'il a des bases fixes; mais lorsqu'il a opéré avec les Grecs, n'ayant point de dates exactes, il est contraint d'user de moyens généraux, qui le mettent en contradiction avec lui-même, comme dans le cas présent où nous pouvons le juger.
On vient de voir que le système des générations, employé selon notre méthode, nous a procuré les plus heureuses coïncidences: le sujet que nous traitons nous en fournit d'autres exemples non moins favorables. Hérodote nous apprend que de son temps les rois de Macédoine s'étant présentés aux jeux olympiques, ils y furent d'abord refusés comme n'étant pas de race grecque, puis admis, pour avoir juridiquement prouvé qu'ils étaient du même sang héraclide que les rois mêmes de Sparte: dans la généalogie de ces rois, Alexandre premier, fils d'Amyntas, qui régnait au temps de Xercès, avait eu pour neuvième aïeul Karanus, dont le frère Phido, tyran d'Argos, troubla les jeux à la huitième olympiade, c'est-à-dire l'an 748 avant J.-C.
Si l'on compare à la liste macédonienne celle des rois de Sparte, Karanus se trouve parallèle à Lycurgue qui, 29 ans auparavant, parut à ces jeux; et de Karanus à Hercule, il y a onze générations précisément, comme d'Hercule à Lycurgue295.
D'autre part, nous avons de Karanus à Alexandre-le-Grand, 17 générations qui, à 25 ans, font 425 ans. Ces 425 ans ajoutés à 330, époque d'Alexandre, font 755, plus les 29 de Lycurgue; total; 784. Ne voilà-t-il pas nos mêmes nombres revenus?
Si l'on remonte de Lycurgue au roi héraclide Aristodémus, l'on a sept générations, ou 175 ans: partons de la première olympiade 776, plus 175; c'est 951: c'est-à-dire que l'établissement des Héraclides tomberait 71 ans après la prise de Troie, selon les Orientaux; et tous les Grecs placent l'invasion de ces Héraclides 80 ans après Troie. Si nous sommes dans une route d'erreur, comment nous conduit-elle à tant d'heureux résultats? Dira-t-on que les règnes des rois de Sparte les contrarient? Mais Larcher lui-même296 convient qu'on ne peut compter sur les listes d'Eusèbe et du Syncelle, qu'elles sont arbitraires selon l'usage de ces mutilateurs; que le règne d'Agis est inadmissible à un an de durée, tel qu'ils l'établissent; que les autres règnes, quand on les compare dans les deux branches, sont pleins de contradictions, etc., etc. Nous n'entreprendrons pas de redresser ces discordances qui nous écarteraient beaucoup trop de notre sujet. Nous avons assez fait, si nous avons posé les principaux jalons d'alignement de l'ancienne chronologie grecque: quelque bon esprit saura s'en servir pour en reconstruire l'édifice, autant qu'il est possible, avec le peu de données qui nous restent. Revenons à Ktésias, et à ses calculs factices, mêlés d'erreurs et de vérités297.