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Kitabı oku: «Voyage en Égypte et en Syrie - Tome 1», sayfa 7

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§ VII.
Mœurs des Mamlouks

Les mœurs des Mamlouks sont telles, qu'il est à craindre, en conservant les simples traits de la vérité, d'encourir le soupçon d'une exagération passionnée. Nés la plupart dans le rit grec, et circoncis au moment qu'on les achète, ils ne sont aux yeux des Turks mêmes que des renégats, sans foi ni religion. Étrangers entre eux, ils ne sont point liés par ces sentiments naturels qui unissent les autres hommes. Sans parents, sans enfants, le passé n'a rien fait pour eux; ils ne font rien pour l'avenir. Ignorants et superstitieux par éducation, ils deviennent farouches par les meurtres, séditieux par les tumultes, perfides par les cabales, lâches par la dissimulation, et corrompus par toute espèce de débauche. Ils sont surtout adonnés à ce genre honteux qui fut de tout temps le vice des Grecs et des Tartares; c'est la première leçon qu'ils reçoivent de leur maître d'armes. On ne sait comment expliquer ce goût, quand on considère qu'ils ont tous des femmes, à moins de supposer qu'ils recherchent dans un sexe le piquant des refus dont ils ont dépouillé l'autre; mais il n'en est pas moins vrai qu'il n'y a pas un seul Mamlouk sans tache; et leur contagion a dépravé les habitants du Kaire, même les chrétiens de Syrie qui y demeurent.

§ VIII.
Gouvernement des Mamlouks

Telle est l'espèce d'hommes qui fait en ce moment le sort de l'Égypte; ce sont des esprits, de cette trempe qui sont à la tête du gouvernement: quelques coups de sabre heureux, plus d'astuce ou d'audace mènent à cette prééminence; mais on conçoit qu'en changeant de fortune, les parvenus ne changent point de caractère, et qu'ils portent l'ame des esclaves dans la condition des rois. La souveraineté n'est pas pour eux l'art difficile de diriger vers un but commun les passions diverses d'une société nombreuse, mais seulement un moyen d'avoir plus de femmes, de bijoux, de chevaux, d'esclaves, et de satisfaire leurs fantaisies. L'administration, à l'intérieur et à l'extérieur, est conduite dans cet esprit. D'un côté, elle se réduit à manœuvrer vis-à-vis de la cour de Constantinople, pour éluder le tribut ou les menaces du sultan; de l'autre, à acheter beaucoup d'esclaves, à multiplier les amis, à prévenir les complots, à détruire les ennemis secrets par le fer ou le poison; toujours dans les alarmes, les chefs vivent comme les anciens tyrans de Syracuse. Mourâd et Ybrahim ne dorment qu'au milieu des carabines et des sabres. Du reste, nulle idée de police ni d'ordre public96. L'unique affaire est de se procurer de l'argent; et le moyen employé comme le plus simple est de le saisir partout où il se montre, de l'arracher par violence à quiconque en possède, d'imposer à chaque instant des contributions arbitraires sur les villages et sur la douane, qui les reverse sur le commerce.

CHAPITRE VII

§ I.
État du peuple en Égypte

ON jugera aisément que, dans un tel pays, tout est analogue à un tel régime. Là où le cultivateur ne jouit pas du fruit de ses peines, il ne travaille que par contrainte, et l'agriculture est languissante: là où il n'y a point de sûreté dans les jouissances, il n'y a point de cette industrie qui les crée, et les arts sont dans l'enfance: là où les connaissances ne mènent à rien, l'on ne fait rien pour les acquérir, et les esprits sont dans la barbarie. Tel est l'état de l'Égypte. La majeure partie des terres est aux mains des beks, des Mamlouks, des gens de loi; le nombre des autres propriétaires est infiniment borné, et leur propriété est sujette à mille charges. A chaque instant c'est une contribution à payer, un dommage à réparer; nul droit de succession ni d'héritage pour les immeubles; tout rentre au gouvernement, dont il faut tout racheter. Les paysans y sont des manœuvres à gages, à qui l'on ne laisse pour vivre que ce qu'il faut pour ne pas mourir. Le riz et le blé qu'ils cueillent passent à la table des maîtres, pendant qu'eux ne se réservent que le doura, dont ils font un pain sans levain et sans saveur quand il est froid. Ce pain, cuit à un feu formé de la fiente séchée des buffles et des vaches97, est, avec l'eau et les ognons crus, leur nourriture de toute l'année: ils sont heureux s'ils y peuvent ajouter de temps en temps du miel, du fromage, du lait aigre et des dattes. La viande et la graisse, qu'ils aiment avec passion, ne paraissent qu'aux plus grands jours de fête, et chez les plus aisés. Tout leur vêtement consiste en une chemise de grosse toile bleue, et en un manteau noir d'un tissu clair et grossier. Leur coiffure est une toque d'une espèce de drap, sur laquelle ils roulent un long mouchoir de laine rouge. Les bras, les jambes, la poitrine sont nus, et la plupart ne portent pas de caleçon. Leurs habitations sont des huttes de terre, où l'on étouffe de chaleur et de fumée, et où les maladies causées par la malpropreté, l'humidité et les mauvais aliments, viennent souvent les assiéger: enfin, pour combler la mesure, viennent se joindre à ces maux physiques des alarmes habituelles, la crainte des pillages des Arabes, des visites des Mamlouks, des vengeances des familles, et tous les soucis d'une guerre civile continue. Ce tableau, commun à tous les villages, n'est guère plus riant dans les villes. Au Kaire même, l'étranger qui arrive est frappé d'un aspect général de ruine et de misère; la foule qui se presse dans les rues n'offre à ses regards que des haillons hideux et des nudités dégoûtantes. Il est vrai qu'on y rencontre souvent des cavaliers richement vêtus; mais ce contraste de luxe ne rend que plus choquant le spectacle de l'indigence. Tout ce que l'on voit ou que l'on entend annonce que l'on est dans le pays de l'esclavage et de la tyrannie. On ne parle que de troubles civils, que de misère publique, que d'extorsions d'argent, que de bastonnades et de meurtres. Nulle sûreté pour la vie ou la propriété. On verse le sang d'un homme comme celui d'un bœuf. La justice même le verse sans formalité. L'officier de nuit dans ses rondes, l'officier de jour dans ses tournées, jugent, condamnent et font exécuter en un clin d'œil et sans appel. Des bourreaux les accompagnent, et au premier ordre la tête d'un malheureux tombe dans le sac de cuir, où on la reçoit de peur de souiller la place. Encore si l'apparence seule du délit exposait au danger de la peine! mais souvent, sans autre motif que l'avidité d'un homme puissant et la délation d'un ennemi, on cite devant un bek un homme soupçonné d'avoir de l'argent; on exige de lui une somme; et s'il la dénie, on le renverse sur le dos, on lui donne 2 et 300 coups de bâton sur la plante des pieds, et quelquefois on l'assomme. Malheur à qui est soupçonné d'avoir de l'aisance! Cent espions sont toujours prêts à le dénoncer. Ce n'est que par les dehors de la pauvreté qu'il peut échapper aux rapines de la puissance.

§ II.
Misère et famine des dernières années

C'est surtout dans les trois dernières années que cette capitale et l'Égypte entière ont offert le spectacle de la misère la plus déplorable. Aux maux habituels d'une tyrannie effrénée, à ceux qui résultaient des troubles des années précédentes, se sont joints des fléaux naturels encore plus destructeurs. La peste, apportée de Constantinople au mois de novembre 1783, exerça pendant l'hiver ses ravages accoutumés; on compta jusqu'à 1,500 morts sortis dans un jour par les portes du Kaire98. Par un effet ordinaire dans ce pays, l'été vint la calmer. Mais à ce premier fléau en succéda bientôt un autre aussi terrible. L'inondation de 1783 n'avait pas été complète; une grande partie des terres n'avait pu être ensemencée faute d'arrosement; une autre ne l'avait pas été faute de semences: le Nil n'ayant pas encore atteint, en 1784, les termes favorables, la disette se déclara sur-le-champ. Dès la fin de novembre, la famine enlevait au Kaire presque autant de monde que la peste; les rues, qui d'abord étaient pleines de mendiants, n'en offrirent bientôt pas un seul: tout périt ou déserta. Les villages ne furent pas moins ravagés; un nombre infini de malheureux, qui voulurent échapper à la mort, se répandirent dans les pays voisins. J'en ai vu la Syrie inondée; en janvier 1785, les rues de Saïde, d'Acre, et la Palestine étaient pleines d'Égyptiens, reconnaissables partout à leur peau noirâtre; et il en a pénétré jusqu'à Alep et à Diarbekr. L'on ne peut évaluer précisément la dépopulation de ces 2 années, parce que les Turks ne tiennent pas des registres de morts, de naissances, ni de dénombrement99; mais l'opinion commune était que le pays avait perdu le sixième de ses habitants.

Dans ces circonstances, on a vu se renouveler tous ces tableaux dont le récit fait frémir, et dont la vue imprime un sentiment d'horreur et de tristesse qui s'efface difficilement. Ainsi que dans la famine arrivée au Bengale, il y a quelques années, les rues et les places publiques étaient jonchées de squelettes exténués et mourants; leurs voix défaillantes imploraient en vain la pitié des passants; la crainte d'un danger commun endurcissait les cœurs; ces malheureux expiraient adossés aux maisons des beks, qu'ils savaient être approvisionnés de riz et de blé, et souvent les Mamlouks, importunés par leurs cris, les chassaient à coups de bâton. Aucun des moyens révoltants d'assouvir la rage de la faim n'a été oublié; ce qu'il y a de plus immonde était dévoré; et je n'oublierai jamais que, revenant de Syrie en France, au mois de mars 1785, j'ai vu sous les murs de l'ancienne Alexandrie, deux malheureux assis sur le cadavre d'un chameau, et disputant aux chiens ses lambeaux putrides.

Il se trouve parmi nous des ames énergiques qui, après avoir payé le tribut de compassion dû à de si grands malheurs, passent, par un retour d'indignation, à en faire un crime aux hommes qui les endurent. Ils jugent dignes de la mort ces peuples qui n'ont pas le courage de la repousser, ou qui la reçoivent sans se donner la consolation de la vengeance. On va même jusqu'à prendre ces faits en preuve d'un paradoxe moral témérairement avancé; et l'on veut en appuyer ce prétendu axiome, que les habitants des pays chauds, avilis par tempérament et par caractère, sont destinés par la nature à n'être jamais que les esclaves du despotisme.

Mais a-t-on bien examiné si des faits semblables ne sont jamais arrivés dans les climats qu'on veut honorer du privilége exclusif de la liberté? A-t-on bien observé si les faits généraux dont on s'autorise, ne sont point accompagnés de circonstances et d'accessoires qui en dénaturent les résultats? Il en est de la politique comme de la médecine, où des phénomènes isolés jettent dans l'erreur sur les vraies causes du mal. On se presse trop d'établir en règles générales des cas particuliers: ces principes universels qui plaisent tant à l'esprit ont presque toujours le défaut d'être vagues. Il est si rare que les faits sur lesquels on raisonne soient exacts, et l'observation en est si délicate, que l'on doit souvent craindre d'élever des systèmes sur des bases imaginaires.

Dans le cas dont il s'agit, si l'on approfondit les causes de l'accablement des Égyptiens, on trouvera que ce peuple, maîtrisé par des circonstances cruelles, est bien plus digne de pitié que de mépris. En effet, il n'en est pas de l'état politique de ce pays comme de celui de notre Europe. Parmi nous, les traces des anciennes révolutions s'affaiblissant chaque jour, les étrangers vainqueurs se sont rapprochés des indigènes vaincus; et ce mélange a formé des corps de nations identiques, qui n'ont plus eu que les mêmes intérêts. Dans l'Égypte, au contraire, et dans presque toute l'Asie, les peuples indigènes, asservis par des révolutions encore récentes à des conquérants étrangers, ont formé des corps mixtes dont les intérêts sont tous opposés. L'état est proprement divisé en deux factions: l'une, celle du peuple vainqueur, dont les individus occupent tous les emplois de la puissance civile et militaire; l'autre, celle du peuple vaincu, qui remplit toutes les classes subalternes de la société. La faction gouvernante, s'attribuant à titre de conquête le droit exclusif de toute propriété, ne traite la faction gouvernée que comme un instrument passif de ses jouissances; et celle-ci à son tour, dépouillée de tout intérêt personnel, ne rend à l'autre que le moins qu'il lui est possible: c'est un esclave à qui l'opulence de son maître est à charge, et qui s'affranchirait volontiers de sa servitude, s'il en avait les moyens. Cette impuissance est un autre caractère qui distingue cette constitution des nôtres. Dans les états de l'Europe, les gouvernements, tirant du sein même des nations les moyens de les gouverner, il ne leur est ni facile ni avantageux d'abuser de leur puissance; mais si, par un cas supposé, ils se formaient des intérêts personnels et distincts, ils n'en pourraient porter l'usage qu'à la tyrannie. La raison en est qu'outre cette multitude qu'on appelle peuple, qui, quoique forte par sa masse, est toujours faible par sa désunion, il existe un ordre mitoyen, qui, participant des qualités du peuple et du gouvernement, fait en quelque sorte équilibre entre l'un et l'autre. Cet ordre est la classe de tous ces citoyens opulents et aisés, qui, répandus dans les emplois de la société, ont un intérêt commun qu'on respecte les droits de sûreté et de propriété dont ils jouissent. Dans l'Égypte, au contraire, point d'état mitoyen, point de ces classes nombreuses de nobles, de gens de robe ou d'église, de négociants, de propriétaires, etc., qui sont en quelque sorte un corps intermédiaire entre le peuple et le gouvernement. Là, tout est militaire ou homme de loi, c'est-à-dire homme du gouvernement; ou tout est laboureur, artisan, marchand, c'est-à-dire peuple; et le peuple manque surtout du premier moyen de combattre l'oppression, l'art d'unir et de diriger ses forces. Pour détruire ou réformer les Mamlouks, il faudrait une ligue générale des paysans, et elle est impossible à former: le système d'oppression est méthodique; on dirait que partout les tyrans en ont la science infuse. Chaque province, chaque district a son gouverneur, chaque village a son lieutenant100 qui veille aux mouvements de la multitude. Seul contre tous, s'il paraît faible, la puissance qu'il représente le rend fort. D'ailleurs, l'expérience prouve que partout où un homme a le courage de se faire maître, il en trouve qui ont la bassesse de le seconder. Ce lieutenant communique de son autorité à quelques membres de la société qu'il opprime, et ces individus deviennent ses appuis: jaloux les uns des autres, ils se disputent sa faveur, et il se sert de chacun tour à tour pour les détruire tous également. Les mêmes jalousies, et des haines invétérées divisent aussi les villages; mais en supposant une réunion déja si difficile, que pourrait, avec des bâtons ou même des fusils, une troupe de paysans à pied et presque nus, contre des cavaliers exercés et armés de pied en cap? Je désespère surtout du salut de l'Égypte, quand je considère la nature du terrain trop propre à la cavalerie. Parmi nous, si l'infanterie la mieux constituée redoute encore la cavalerie en plaine, que sera-ce chez un peuple qui n'a pas les premières idées de la tactique, qui ne peut même les acquérir, parce qu'elles sont le fruit de la pratique, et que la pratique est impossible? Ce n'est que dans les pays de montagnes que la liberté a de grandes ressources; c'est là qu'à la faveur du terrain, une petite troupe supplée au nombre par l'habileté. Unanime, parce qu'elle est d'abord peu nombreuse, elle acquiert chaque jour de nouvelles forces par l'habitude de les employer. L'oppresseur moins actif, parce qu'il est déja puissant, temporise; et il arrive enfin que ces troupes de paysans ou de voleurs qu'il méprisait deviennent des soldats aguerris qui lui disputent dans les plaines l'art des combats et le prix de la victoire. Dans les pays plats, au contraire, le moindre attroupement est dissipé, et le paysan novice, qui ne sait pas même faire un retranchement, n'a de ressource que dans la pitié de son maître et la continuation de son servage. Aussi, s'il était un principe général à établir, nul ne serait plus vrai que celui-ci: que les pays de plaine sont le siége de l'indolence et de l'esclavage; et les montagnes, la patrie de l'énergie et de la liberté101. Dans la situation présente des Égyptiens, il pourrait encore se faire qu'ils ne montrassent point de courage, sans qu'on pût dire que le germe leur en manque, et que le climat le leur a refusé. En effet, cet effort continu de l'ame, qu'on appelle courage, est une qualité qui tient bien plus au moral qu'au physique. Ce n'est point le plus ou le moins de chaleur du climat, mais plutôt l'énergie des passions et la confiance en ses forces qui donnent l'audace d'affronter les dangers. Si ces deux conditions n'existent pas, le courage peut rester inerte; mais ce sont les circonstances qui manquent, et non la faculté. D'ailleurs, s'il est des hommes capables d'énergie, ce doit être ceux dont l'ame et le corps trempés, si j'ose dire, par l'habitude de souffrir, ont pris une roideur qui émousse les traits de la douleur; et tels sont les Égyptiens. On se fait illusion quand on se les peint comme énervés par la chaleur, ou amollis par le libertinage. Les habitants des villes et les gens aisés peuvent avoir cette mollesse, qui dans tout climat est leur apanage; mais les paysans si méprisés, sous le nom fellâhs, supportent des fatigues étonnantes. On les voit passer des jours entiers à tirer de l'eau du Nil, exposés nus à un soleil qui nous tuerait. Ceux d'entre eux qui servent de valets aux Mamlouks font tous les mouvements du cavalier. A la ville, à la campagne, à la guerre, partout ils le suivent, et toujours à pied; ils passent des journées entières à courir devant ou derrière les chevaux; et quand ils sont las, ils s'attachent à leur queue, plutôt que de rester en arrière. Des traits moraux fournissent des inductions analogues à ces traits physiques. L'opiniâtreté que ces paysans montrent dans leurs haines et leurs vengeances102, leur acharnement dans les combats qu'ils se livrent quelquefois de village à village, le point d'honneur qu'ils mettent à souffrir la bastonnade sans déceler leur secret103, leur barbarie même à punir dans leurs femmes et leurs filles le moindre échec à la pudeur104, tout prouve que si le préjugé a su leur trouver de l'énergie sur certains points, cette énergie n'a besoin que d'être dirigée, pour devenir un courage redoutable. Les émeutes et les séditions que leur patience lassée excite quelquefois, surtout dans la province de Charqié, indiquent un feu couvert qui n'attend, pour faire explosion, que des mains qui sachent l'agiter.

§ III.
États des arts et des esprits

Mais un obstacle puissant à toute heureuse révolution en Égypte c'est l'ignorance profonde de la nation; c'est cette ignorance qui, aveuglant les esprits sur les causes des maux et sur leurs remèdes, les aveugle aussi sur les moyens d'y remédier.

Me proposant de revenir à cet article qui, comme plusieurs des précédents, est commun à toute la Turkie, je n'insiste pas sur les détails. Il suffit d'observer que cette ignorance répandue sur toutes les classes étend ses effets sur tous les genres de connaissances morales et physiques, sur les sciences, sur les beaux-arts, même sur les arts mécaniques. Les plus simples y sont encore dans une sorte d'enfance. Les ouvrages de menuiserie, de serrurerie, d'arquebuserie, y sont grossiers. Les merceries, les quincailleries, les canons de fusil et de pistolet viennent tous de l'étranger. A peine trouve-t-on au Kaire un horloger qui sache raccommoder une montre, et il est européen. Les joailliers y sont plus communs qu'à Smyrne et Alep; mais ils ne savent pas monter proprement la plus simple rose. On y fait de la poudre à canon, mais elle est brute. Il y a des raffineries, mais le sucre est plein de mélasse, et celui qui est blanc devient trop coûteux. Les seuls objets qui aient quelque perfection sont les étoffes de soie; encore le travail en est bien moins fini, et le prix beaucoup plus fort qu'en Europe.

96
   Lorsque j'étais au Kaire, des Mamlouks enlevèrent la femme d'un Juif qui passait le Nil avec elle. Ce Juif ayant fait porter des plaintes à Mourâd, ce bek répondit de sa voix de charretier: Eh, laissez ces jeunes gens s'ébattre! Le soir, les Mamlouks firent dire au Juif qu'ils lui rendraient sa femme s'il comptait 100 piastres pour leurs peines, et il fallut en passer par-là. Il est remarquable que dans les mœurs du pays, l'article des femmes est une chose plus sacrée que la vie même.


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97
   On se rappelle que l'Égypte est un pays nu et sans bois.


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98
   En Turkie, les tombeaux, selon l'usage des anciens, sont toujours hors des villes; et comme chaque tombeau a ordinairement une grande pierre et une petite maçonnerie, il en résulte presque une seconde ville, que l'on pourrait appeler, comme jadis à Alexandrie, Nécropolis, la ville des morts.


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99
   Ils ont contre cet usage des préjugés superstitieux.


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100
   En arabe qâiem maqâm, mot à mot tenant lieu, dont on a fait caïmacan.


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101
   En effet, la plupart des peuples anciens et modernes qui ont déployé une grande activité se trouvent être des montagnards. Les Assyriens, qui conquirent depuis l'Indus jusqu'à la Méditerranée, vinrent des montagnes d'Atourie. Les Kaldéens étaient originaires des mêmes contrées; les Perses de Cyrus sortirent des montagnes de l'Élymaïde, les Macédoniens, des monts Rhodope. Dans les temps modernes, les Suisses, les Écossais, les Savoyards, les Miquelets, les Asturiens, les habitants des Cévennes, toujours libres, ou difficiles à soumettre, prouveraient la généralité de cette règle, si l'exception des Arabes et des Tartares n'indiquait qu'il est une autre cause morale qui appartient aux plaines comme aux montagnes.


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102
   Quand un homme est tué par un autre, la famille du mort exige de celle de l'assassin un talion, dont la poursuite se transmet de race en race, sans jamais l'oublier.


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103
   Quand un homme a subi cette torture sans déceler son argent, on dit de lui: C'est un homme, et ce mot l'indemnise.


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104
   Souvent, sur un soupçon, ils les égorgent; et ce préjugé a lieu également dans la Syrie. Lorsque j'étais à Ramlé, un paysan se promena plusieurs jours dans le marché, ayant son manteau taché du sang de sa fille qu'il avait ainsi égorgée; le grand nombre l'approuvait: la justice turke ne se mêle pas de ces choses.


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Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
30 haziran 2018
Hacim:
400 s. 34 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain