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Kitabı oku: «Lettres à Mademoiselle de Volland», sayfa 19

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Je vous fais grâce de toutes les réflexions qui furent amenées par ces traits historiques, vous les referez toutes et beaucoup d'autres.

Le Baron, qui est malade, en dépit de la médecine qui s'est emparée de lui, trouva fort mauvais que l'Y-Wang-Ti eût épargné les livres de médecine. Il disait qu'on ne connaissait pas le corps humain, qu'on ne connaissait pas les fonctions des parties, qu'on ne connaissait point la nature des substances qu'on donne en remèdes, qu'on ne connaissait rien, et qu'il ne comprenait pas comment on pouvait faire une science de tant de choses ignorées et inconnues.

Je lui répondis à la façon de l'abbé Galiani… Des Espagnols abordèrent un jour dans une contrée du Nouveau-Monde où les habitants grossiers ignoraient encore l'usage du feu. C'était en hiver. Ils dirent aux habitants qu'avec du bois et une autre chose ils imiteraient le soleil et allumeraient sur terre du feu comme celui qui luisait au soleil «Vous connaissez donc ce que c'est que le bois, dirent les habitants de la contrée aux Espagnols? – Non. – Vous connaissez donc le feu qui luit au soleil? – Non. – Vous connaissez donc au moins comment le feu prend au bois? – Non. – Et quand vous avez allumé le feu, sans doute que vous savez l'éteindre? – Oui. – Et avec quoi? – Avec l'eau. – Et vous savez donc ce que c'est que l'eau? – Non. – Et vous savez donc comment le feu est éteint par l'eau? – Non.» Les habitants de la contrée se mirent à rire, et tournèrent le dos aux Espagnols, qui allumèrent du feu qu'ils ne connaissaient pas, avec du bois qu'ils ne connaissaient pas, sans savoir comment le feu consumait le bois, et ensuite, avec de l'eau qu'ils ne connaissaient pas, ils éteignirent le feu qu'ils ne connaissaient pas sans savoir comment l'eau éteignait le feu.

Sur la fin de notre conversation, lorsque nous étions sur le point de nous retirer, je demandai au Baron s'il ne comptait pas dans la semaine faire un tour à Paris. Il me répondit que non. «En ce cas, lui dis-je, je profiterai du carrosse de Mme d'Aine, qui ramène demain ces messieurs.» Il y consentit, et me voilà de retour, sur le quai des Miramionnes, pour empêcher vos lettres d'aller au Grandval, où elles étaient déjà!

Nous avons eu le soir, Damilaville et moi, le plaisir de nous embrasser, et il a été doux. C'était le lundi. Le mardi matin, nous avons eu, Grimm et moi, le plaisir de nous embrasser, et il a été très-doux. Nous avons dîné ensemble. Je lui ai demandé des nouvelles de la santé de Mme d'Épinay.

À propos de Pouf, de Thisbé et de Taupin, nouveau personnage important dont vous n'avez point encore entendu parler, je vous ferais de bons contes, si j'en avais le loisir. Taupin est le chien du meunier; ah! ma bonne amie, respectez Taupin, s'il vous plaît. Je croyais savoir aimer, Taupin m'a appris que je n'y entendais rien, et j'en suis bien humilié. Vous vous croyez peut-être aimée; Taupin, si vous l'aviez vu, vous aurait donné quelque souci sur ce point. Il a pris un goût de préférence pour Thisbé. Or, imaginez que, par le temps qu'il faisait, tous les jours il venait à la porte s'étendre dans le sable mouillé, le nez penché sur ses deux pattes, les yeux attachés vers nos fenêtres, tenant ferme dans son poste incommode, malgré la pluie qui tombait à seaux, le vent qui agitait ses oreilles, oubliant le boire, le manger, la maison, son maître, sa maîtresse, et gémissant, soupirant pour Thisbé, depuis le matin jusqu'au soir. Je soupçonne, il est vrai, qu'il y a un peu de luxure dans le lait de Taupin; mais Mme d'Aine prétend qu'il est impossible d'analyser les sentiments les plus délicats, sans y découvrir un peu de saloperie. Ah! chère amie, les noms étranges qu'on donne à la tendresse! Je n'oserais vous les redire. Si la nature les entendait, elle leur donnerait à tous des croquignoles.

Mme d'Holbach prétend que Saurin et la dame de la Chevrette nous jouent, qu'ils nous mentent, en nous disant la vérité.

Me voilà donc installé rue Taranne pour jusqu'à l'automne prochain. Jeanneton est hors d'affaire. Sa maîtresse continuera encore quelques jours le vin de quinquina. Angélique a le cou libre, de l'appétit, de la gaieté, mais, sur le soir, un peu de fièvre. Elles se purgeront toutes, les unes après les autres, à commencer de demain; c'est l'enfant qui débutera.

Je crois bien que Racine vous fait grand plaisir: c'est peut-être le plus grand poëte qui ait jamais existé, chère amie. Gardez-vous bien d'attaquer le caractère d'Iphigénie. Sa résignation est un enthousiasme de quelques heures. Le caractère est poétique, et partout un peu plus grand que nature: si le poëte l'eût introduite dans un poème épique, où cet épisode eût été de plusieurs jours, vous l'auriez vue agitée de tous les mouvements que vous exigez; elle en éprouve bien quelques-uns, mais toujours tempérés par la douceur, le respect, la soumission, l'obéissance; toutes vos objections se réduisent à ceci: Iphigénie et moi sont deux. Le caractère d'Iphigénie était facile à peindre, celui d'Achille et celui d'Ulysse faciles, celui de Clytemnestre plus facile encore; mais celui d'Agamemnon, dont vous ne me dites rien, comment n'y avez-vous pas pensé? Un père immole sa fille par ambition, et il ne faut pas qu'il soit odieux. Quel problème à résoudre! Voyez tout ce que le poëte a fait pour cela. Agamemnon a appelé sa fille en Aulide; voilà la seule faute qu'il ait commise, et c'est avant que la pièce commence. Il est agité de remords, il se lève pendant la nuit; il veut l'empêcher d'arriver en Aulide; il n'y réussit pas, il se désespère de son arrivée, ce sont les dieux qui le trompent. Par qui fait-on plaider auprès de lui la cause de sa fille? Par un amant furieux qui la gâte par ses menaces, par une mère furieuse qui veut subjuguer son époux; on abandonne, au milieu de cela, ce père irrité au plus adroit fripon de la Grèce. Cependant il est sur le point de ravir sa fille au couteau, lorsque Ériphile dénonce sa faute aux Grecs et à Calchas qui la demandent à grands cris, et puis il y a dix ans que les Grecs sont devant Troie. Il n'y a pas un chef dans l'armée qui n'ait perdu un père, un fils, un frère, un ami pour l'injure Élite aux Atrides. Le sang des Atrides est-il le seul sang précieux de la Grèce? Tout sentiment d'ambition à part, Agamemnon ne doit-il rien aux dieux, ne doit-il rien aux Grecs? Que de circonstances accumulées pour pallier l'erreur d'un moment! Le secret de cette boîte-là vous a échappé.

Un peu de repos aura rendu la santé à vos dames. Si j'osais, je leur donnerais le conseil que Circé donne à Ascitte: Si seorsim à fratre unâ nocte dormieris.

Je sais bon gré à l'abbé Marin de vous amuser. Et l'abbé Blanc ne s'en mêle-t-il point? Je ne m'attendais guère à faire le rôle d'un père de l'Église et à être cité en chaire.

Que cette mère est à plaindre! oui, d'avoir la tête aussi mal faite. (Vous devinez bien l'à-propos de cela.) Qu'elle soit juste dans la dispensation de ses sentiments, et elle sera heureuse, et nous serions heureux aussi. Mais votre abbé Marin traite la grande affaire assez lestement, ce me semble; il y a bien plus de force et de mérite à lui qu'à un autre. Quelle raison pour croire tout cela vrai que de l'avoir prêché toute sa vie! Quoi donc? vous voudriez qu'ils se fussent égosillés pour une sottise, et qu'ils en convinssent! Cela ne se peut. C'est comme les voyageurs qui ont fait deux mille lieues; et ce sera pour des choses communes? Va-t'en voir s'ils viennent…

Cela n 'est guère poli. Pardon, mon amie. Vous voilà donc encore absente pour un mois; je ne vous avais accordé que jusqu'à la Saint-Martin, et je n'aime pas que vous dérangiez mou calcul. Il faut que je prenne patience sur nouveaux frais.

En vérité, on est bien mal avec ceux qui ressemblent à Morphyse; ce sont perpétuellement des ruses, des réticences, des mystères, des secrets, des méfiances, et puis l'habitude de la duplicité et de la dissimulation se prend, la franchise s'évanouit. Il est étonnant que cela n'ait pas pris davantage sur vos jeunes âmes, et qu'on n'ait pas fait de vous deux bohémiennes.

Vous n'avez point vu le nain de la dame D… parmi les autres? C'est qu'elle n'y était pas; est-ce que vous avez oublié qu'elle est à couteau tiré avec la vieille fée, sa voisine; elle n'était pas à la Chevrette. L'indisposition de sa mère la retenait à Paris, tandis que l'ami était au Grandval; Pouf n'est pour rien là dedans. On m'a bien recommandé de me taire sur Pouf, j'ai promis et tenu parole.

Ne vous attendrissez pas trop sur la dame aux bras velus; il lui est arrivé ce qui arrivera à celles qui, sans dignité dans le caractère, sans respect pour elles-mêmes, ne tiendront pas loin ces animaux insolents qu'on appelle jeunes gens. Auparavant mon fils105 la prenait à bras-le-corps, la tirait sur ses genoux, lui maniait les bras, mesurait sa taille fine entre ses mains, et elle disait en minaudant: Allons donc, finissez donc! que vous êtes enfant! Et mon fils a fini par lui éplucher les bras à table, en présence de vingt personnes.

Vous ne m'avez rien dit des propos de M. Le Roy; ils étaient pourtant bien gais et bien originaux.

Eh bien! vous êtes donc sûre que M. de Prisye ne s'y trompe pas? Mais, puisque vous avez pensé que cette phrase pourrait me paraître singulière, pourquoi n'avez-vous pas pensé qu'elle pourrait lui paraître aussi singulière qu'à moi? Pourquoi l'avoir laissée? Si vous me trompiez, s'il trompait Mlle Boileau, si vous étiez deux scélérats, ma foi, comme M. Orgon, je ne croirais plus aux gens de bien. Il faut que je consulte Mlle Boileau là-dessus. Nous verrons ce qu'elle en dira; sauf à vous faire, à vous et à lui, un petit secret de sa décision. Si nous nous en mêlons une fois, soyez sûre que nous saurons bien aussi vous faire des phrases singulières, et que nous serons bien assez traîtres pour vous en demander votre avis.

Je vous prie, mon amie, plus de comparaison entre Grimm et moi. Je me console de sa supériorité en la reconnaissant. Je suis vain de la victoire que je remporte sur mon amour-propre, et il ne faut pas m'ôter ce pauvre petit avantage-là.

Pourquoi la louange embarrasse-t-elle? C'est qu'il est contre la justice qu'on se doit de la refuser, puisqu'on la mérite, et contre la modestie qu'on exige de l'accepter, puisqu'alors ce serait se réunir aux autres pour se préconiser. On est décontenancé, comme il faut toujours qu'on le soit, lorsqu'il faut répondre, et qu'on ne saurait dire ni oui ni non. Je souhaite pour moi que ce soit là votre solution.

Vous voilà donc rappelée à Paris par M. de Fourmont. Ce cérémonial-là, de se rendre le maître chez vous, à neuf heures, pour vous entretenir de ce que votre sœur savait déjà, est encore d'un ridicule que je ne saurais trop louer, tant il est parfait. Que ne vous parlait-elle d'amitié en présence de Mme Le Gendre? Où était l'inconvénient de cette intimité? Jusqu'à quand serez-vous étrangère dans votre famille? Et le rôle d'Iphigénie vous étonne; et vous ne voyez pas que le vôtre est plus dur! Agamemnon n'immola sa fille qu'une fois, et Morphyse immole la sienne dix fois par jour. Il est plus facile de souffrir une grande peine que de souffrir toute sa vie de petites mortifications qui se succèdent sans fin.

Revenez donc; revenez voir en personne la tendresse que vous n'avez fait que lire; elle vous attend.

Non, Damilaville ne décachette point. Aussi celle adressée à M. Duval a-t-elle fait le voyage du Grandval avec les vôtres. On la lui a portée ce matin; il a répondu sur-le-champ, et cette réponse est partie contre-signée.

Arrivez donc, gros Fourmont. Tâchez donc d'accélérer votre lourde allure, et ramenez-moi ma Sophie.

Jusqu'à présent, j'ai écrit comme si Uranie devait me lire. Peut-être y avez-vous un peu perdu; mais j'ai voulu épargner à votre délicatesse le petit déplaisir de sauter des lignes, et de celer quelque chose à celle qu'on porte au fond de son cœur. Il me semble que cela me coûterait, à moi, et je vous mets souvent à ma place.

Quand vous vous séparerez de votre chère sœur, dites-lui de ma part, et du ton le plus touché que vous pourrez: «Chère sœur, nous nous reverrons tous les trois, nous nous reverrons».

Vous aurez lundi des nouvelles de M. de Saint-Gény. Damilaville a dû en demander aujourd'hui.

À propos, quatre-vingts livres de café, soixante pour vous et vingt pour moi, à trente-sept sous la livre. La modicité du prix m'a rendu la qualité suspecte. Voilà une phrase cadencée qui pue l'Académie. Si vous voulez en sentir tout le ridicule, dites-la du ton gascon dont M. Mairan disait à Rendu, son valet de chambre, de le tirer d'une mare d'eau: Rendu, sauvez-moi de ce déluge, d'une façon quelconque. Je suis un furieux bavard, n'est-ce pas, mon amie? Mais nous l'avons essayé, Grimm et moi, et nous l'avons trouvé bon. Demandez à madame votre mère si elle en veut toujours. Ce traître Damilaville en a quatre-vingts livres, de Marseille, dont il ne céderait pas un grain. Ferai-je mieux que lui? Oh! ma foi, je n'en sais rien.

Vous me direz apparemment ce que M. Duval aura chanté. À M. Duval, rue des Vieux-Augustins, etc. Quelle diable d'adresse est-ce là? Cela m'a un peu brouillé.

Mais est-ce qu'Uranie ne daignera pas prendre la plume un jour, et mettre un petit mot de sa main à la fin d'une de vos lettres? Un petit mot doux pour celui qui fait tout pour lui marquer son respect, lui inspirer une haute idée d'elle-même, celle qu'il en a, et mériter un peu son estime.

Je ne sais pas ce qu'il y avait dans ma dernière lettre, sur le vice et sur la vertu d'assez passable, pour que vous ayez osé en faire part à madame votre mère. De quoi s'agissait-il? Je mets si peu de prétention à ce que je vous écris que, d'un courrier à l'autre, la seule chose qui m'en reste, c'est que j'ai voulu vous rendre compte de tous les instants d'une vie qui vous appartient, et vous faire lire au fond d'un cœur où vous régnez.

Adieu, ma tendre amie. Voilà encore un petit volume. Si j'en avais eu le temps, j'y aurais mis une épître dédicatoire.

Il arriva avant-hier, chez Damilaville, une petite aventure qui prouve que rien ne gagne comme l'exemple de la bonté.

Un habile garçon, qui s'appelle Desmarets, devait être envoyé en Sibérie pour y faire des observations; il n'ira pas. On lui préfère un sot appelé l'abbé Chappe106 Desmarets, Tillet, et un jeune conseiller au Parlement, qui avaient dîné chez Gaudet, montèrent, le soir, chez Damilaville, où j'étais. Je connaissais Desmarets et Tillet; on se salue, on s'embrasse, et je dis à Desmarets: «Que faites-vous ici? je vous croyais à grelotter au Kamtchatka, dans un trou de quelque Jakut.» Vous entendez sa réponse: «Je suis fâché, pour le progrès des sciences, qu'un autre fasse le voyage.» Il ajouta qu'il avait préparé un grand nombre d'expériences qu'assurément l'abbé Chappe ne fera pas. «Avez-vous un mémoire bien détaillé de toutes ces expériences? – Tout prêt. – Savez-vous ce qu'il faut en faire? Le porter à l'abbé Chappe. Parce que vous ne pouvez pas faire le bien par vous-même, ne devez-vous pas contribuer de toutes vos forces pour qu'il soit fait par un autre? » Tout le monde fut de mon avis.

Je ne pourrais soutenir cette pensée qu'un homme a eu cet avantage sur moi… Cet homme est un homme de bien, du moins je dois le supposer. Il vous est dévoué, âme et corps, il ne vit que pour vous, il étudie toutes vos volontés. C'est vous qui faites son bonheur, sa peine, son repos, ses alarmes; son sort est attaché au vôtre. Il ferait le tour du monde pour vous aller chercher un fêtu qui vous plairait; et, lorsque vous lui accordez la seule récompense qu'il se promette, et qu'il s'efforce de mériter, vous appelez cela accorder de l'avantage sur soi. Est-ce là l'expression? Je m'en rapporte à vous-même, qui avez l'esprit juste. En toute autre circonstance, il me semble qu'on dirait: c'est retour, c'est équité. Les coquettes laissent prendre de l'avantage sur elles; les femmes galantes et à tempérament aussi; les folles, les étourdies, et, en un mot, toutes celles qui ne mettent aucun prix honnête à leurs faveurs, et qu'on possède sans les avoir méritées. Mais il n'en est pas ainsi des autres.

Vous souvenez-vous d'un trait que je vous ai raconté d'un de mes amis107? Il aimait depuis longtemps; il croyait avoir mérité quelque récompense, et la sollicitait, comme elle doit l'être, vivement. On le refusait sans en apporter de raisons il s'avisa de dire: «C'est que vous ne m'aimez pas…» Cette femme aimait éperdument. «C'est que je ne vous aime pas! répondit-elle en fondant en larmes. Levez-vous (il était à ses genoux), donnez-moi la main»; il se lève, il lui donne la main, elle le conduit vers un canapé, elle s'assied, se couvre les yeux de ses mains sous lesquelles les larmes coulaient toujours, et lui dit: «Eh bien! monsieur, soyez heureux.» Vous vous doutez bien qu'il ne le fut pas. Non ce jour-là; mais un autre qu'il était à côté d'elle, qu'il la regardait avec des yeux remplis d'amour et de tendresse, et qu'il ne lui demandait rien, elle jeta ses deux bras autour de son cou, sa bouche alla doucement se coller sur la sienne, et il fut heureux.

Il y a une lettre de vous chez Damilaville. Je cours bien vite la chercher. Adieu, adieu.

De Saint-Gény se porte à merveille. C'est un garçon de bien, très-aimé, très-considéré. On rend justice à ses talents; mais il n'a ni zèle ni activité. On lui reproche de l'indolence et de la paresse. Il faudrait que madame votre mère et la sienne le secouassent de temps en temps. Je vous réponds toujours de la protection de M. Damilaville pour lui, parce que M. Damilaville a de l'amitié pour moi, et qu'il sait l'intérêt que je prends à M. de Saint-Gény, et à tout ce qui vous tient par le fil le plus léger.

Mes très-humbles respects à madame votre mère.

LII

À Paris, le 10 novembre 1760.

Voyez l'attention de M. Damilaville. C'est aujourd'hui dimanche. Il a été forcé de sortir de son bureau. Il ne doutait pas que je ne vinsse ce soir; car je ne manque jamais quand j'espère une lettre de vous. Il a laissé la clef avec deux bougies sur une table, et entre les deux bougies, la petite lettre de vous avec un billet de lui bien honnête. Je vous ai lue et relue; je suis seul et je vais vous répondre.

Je suis bien fâché que madame votre mère soit indisposée. Il n'y a qu'un jour à son compte, quoiqu'il y ait bien du temps au nôtre, qu'elle est à la campagne. Ce sont d'abord les mauvais temps qui l'ont empêchée d'en jouir; et, quand les mauvais temps vont cesser, car enfin ils vont cesser, s'ils ne doivent pas durer toujours, voilà un rhumatisme qui la tient courbée sur les tisons. Comment se fait-il qu'elle ait de la gaieté, et avec vous? Hier, je disais, avec Damilaville, que quand j'étais las de voir aller les choses contre mon gré, il me prenait des bouffées de résignation. Alors la douleur des hypocondres se détend, la bile accumulée coule doucement: le sort ne me laisserait pas une chemise au dos, que peut-être j'en plaisanterais. Je conçois qu'il y a des hommes assez heureusement nés pour être, par tempérament et constamment, ce que je suis seulement par intervalle, de réflexion, et par secousses; témoin l'auteur de Zaïde, ce petit abbé de La Marre qui n'avait pas un sou, qui se portait mal, qui n'avait ni habit, ni pain, ni souliers;

Sa culotte, attachée avec une ficelle.

Laissait voir, par cent trous, un cul plus noir qu'icelle.

Eh bien! le soir, sur les onze heures, lorsque tout le inonde dormait, il contrefaisait, avec une pipe à fumer, les cris d'un enfant exposé; et le matin, sur le point du jour, il mettait en train de chanter tous les coqs du voisinage. Au sein de l'indigence, il était plus heureux que nous108. Votre mère a pris son parti. Elle aura de la bonne humeur jusqu'à demain. Cette espèce de philosophie éphémère ne dure pas davantage.

On parle donc de retour! On remue donc les malles! Le courrier prochain m'apprendra peut-être votre départ. Ne vous attendre que pour les derniers jours du mois, je ne saurais. Vous m'avez mis en train d'espérer. S'il nous est permis d'aller au-devant de vous, vous nous le direz apparemment. Au reste, ne faites rien là-dessus de votre mouvement. Si l'on nous rencontre sur la route, qu'on s'y attende, et qu'on l'ait à gré. Oui, ce fut un terrible jour que celui que vous rappelez. Mais vous aviez de la santé, on pouvait se flatter que vous supportiez la fatigue du voyage; on ne craignait pas que vous restassiez mourante dans une auberge ou sur un grand chemin. Il vint un jour, et ce jour était la veille même de votre départ, où j'avais toutes ces alarmes. On vous croyait assez de force pour faire soixante lieues en poste, dans une voiture très-dure, dans la saison la plus fatigante, et vous étiez dans votre lit, et vous ne pouviez vous tenir debout, et vous n'auriez pas fait pour toute chose au monde le tour de votre chambre, et vous ne pouviez parler. Mais laissons cela; ma bile se remuerait trop violemment; je ne m'en porterais pas mieux, je n'en serais pas plus content, et de celle qui vous entraînait, et de celle qui se portait à sa fantaisie, et qui fermait les yeux sur votre état.

Mais qui est-ce qui vous a envoyé la Confession de Voltaire109? Vous ne me le dites pas. À propos de Voltaire, il se plaint à Grimm très-amèrement de mon silence. Il dit qu'il est au moins de la politesse de remercier son avocat110. Et qui diable l'a prié de plaider ma cause? Il a, dit-il, ressenti la plus vive douleur, chère amie; on ne saurait arracher un cheveu à cet homme, sans lui faire jeter les hauts cris. À soixante ans passés, il est auteur, et auteur célèbre, et il n'est pas encore fait à la peine. Il ne s'y fera jamais. L'avenir ne le corrigera point. Il espérera le bonheur jusqu'au moment où la vie lui échappera.

Non, je ne sais pas qui est l'auteur de la Confession. Oui, je suis dans la grande ville, et si je n'avais pas eu cent fois plus de force qu'Adam le jour que la pomme fatale lui fut présentée, je serais parti pour la Chevrette; j'y étais appelé par un billet doux, et par un billet très-doux; car il y en avait deux.

L'enfant, à qui la mauvaise santé ne peut ôter ni la sérénité ni la sensibilité, me jeta ses petits bras autour du cou, et m'embrassa, en disant: «C'est mon papa, c'est mon petit papa.» Je passai dans mon cabinet où je trouvai une pile de lettres. Je les lus. On servit, et nous nous mîmes à table.

Mes collègues n'ont presque rien fait. Je ne sais plus quand je sortirai de cette galère. Si j'en crois le chevalier de Jaucourt, son projet est de m'y tenir encore un an. Cet homme est depuis six à sept ans au centre de six à sept secrétaires, lisant, dictant, travaillant treize à quatorze heures par jour, et cette position-là ne l'a pas encore ennuyé.

Je n'ai rien outré à la peinture de la maladie du père Hoop. Il a été sur le point de secouer le fardeau. Quand je lui demandai ce qu'il estimait le plus de la vie, il me répondit: «Premièrement de n'y être pas, secondement de se bien porter; vous voyez combien je suis chanceux; j'y suis et je me porte mal.» À vous parler vrai, je ne compte pas qu'il finisse naturellement.

Vous auriez fait une belle chose sans les contre-seings. Les endroits de mes lettres où je vous dis que je vous aime sont ceux qui vous plaisent le plus; c'est, dites-vous, la seule chose qu'il y ait dans les vôtres, c'est-à-dire qu'elles sont pour moi partout comme les miennes dans les ligues qui vous en paraissent excellentes. Ne suis-je pas bien à plaindre? Mes lettres sont variées, et les vôtres le seront, et plus agréablement encore que les miennes, quand vous pourrez vous résoudre, comme moi, à m'envoyer vos conversations d'Isle. Vous verrez que ce que vous, Mme Le Gendre et madame votre mère direz sur un sujet ou de goût, ou de caractère, ou d'affaire, ou d'histoire, ou de morale, ne vaudra pas mieux que les boutades de l'Écossais, que les folies de Mme d'Aine, que l'originalité du Baron, et que mon marivaudage, car je marivaude, Marivaux sans le savoir, et moi le sachant.

Je n'ai point encore fait de feu. Tant que celui de nature me suffira, je me passerai de l'autre.

Cette sobriété d'un jour n'a pas duré davantage. Damilaville ne l'a pas voulu. Nous dînâmes hier ensemble depuis deux heures et demie jusqu'à neuf heures du soir. À neuf heures sonnantes nous prenions le plus délicieux café du monde. Oh! la bonne chose pour la santé qu'une débauche de bon vin!

Mon ami est l'homme le plus inabordable. Il a un froid, un sec, un renfermé qui déconcerte la première fois; à la centième comme à la première, quand cela lui convient.

Le nom de Pouf vous fait rire, vous paraît bien imaginé. Le petit animal tout rond, gros comme le poing, ressemble parfaitement à son nom.

Je n'entends rien non plus à la ligne où il s'agit de fête et de messe, sinon que quelquefois je vous commence la veille une lettre que je continue le lendemain, comme si c'était le même jour. Voilà la clef d'une infinité d'autres endroits.

Oui, il ne tiendra qu'à Uranie d'aimer sa fille à la folie. Je crois en avoir le secret, mais ce sera pour une autre fois.

Bonsoir, mes bonnes amies; si vous aimiez autant que moi, et que vous le sentissiez comme je fais dans ce moment, vous seriez trop heureuses. Je prends votre main, je la mets dans la sienne, et je les serre toutes deux.

105.Voir t. XVIII, page 516.
106.Diderot partageait les préjuges de ses contemporains contre ce savant, à qui l'on peut reprocher des observations légèrement faites ou inutiles, mais qui n'en mourut pas moins victime de son amour pour la science, dans un voyage en Californie, le 1er août 1769. Grimm s'est égayé (Corr. litt., mars 1769) sur le compte de l'abbé et des estampes de Moreau le Jeune qui ornent la première édition de son Voyage en Sibérie fait en 1761. (Debure, 1768, 3 vol. gr. in-4 et atlas.) L'Antidote contre un mauvais livre, etc., etc., dont il a été question dans une note des Lettres à Falconet, a été écrit sous l'inspiration de Catherine et peut-être revu par le sculpteur. M. Taschereau renvoie aussi à une brochure: Lettre d'un style franc et loyal l'auteur du Journal encyclopédique. 1771, in-12, que nous n'avons pu rencontrer.
107.C'est l'aventure de Margency et de Mme de Verdelin, racontée par Mme d'Épinay. Mémoires, 2e partie, chap. VI.
108.Dans les notes si curieuses du libraire Prault sur quelques littérateurs de son temps, notes publiées par M. Rathery (Bulletin du bibliophile, 1850, p. 866), on trouve celle-ci sur l'abbé de La Marre, que Mme Quinault avait surnommé Croque-Chenille: « Il avait de l'esprit, du feu et de la vivacité; d'ailleurs crapuleux; sans reproche, je l'ai une fois habillé de pied en cape et lui ai donné soixante-douze livres pour se faire guérir de la v.. On n'a de lui qu'un petit recueil de poésies. Il a fait aussi l'opéra de Zaïde, mis en musique par Royer.» – L'abbé de La Marre, nommé commissaire aux fourrages pendant la campagne de 1741, se jeta par la fenêtre, à Egra, dans un accès de fièvre chaude.
109.Diderot veut parler ici de la Relation de la maladie, de la confession et de la fin de M. de Voltaire et de ce qui s'ensuivit, par moi Joseph Dubois (Sélis). Genève, 1761 (1760), in-12; sorte de contre-partie du pamphlet de Voltaire ayant pour titre: Relation de la maladie, de la confession, de la mort et de l'apparition du jésuite Bertier, suivie de la Relation du Voyage de frère Garassise, neveu du père Garasse, successeur du frère Bertier, et de ce qui s'ensuit en attendant ce qui s'ensuivra. Genève, 1760, in-12.
110.Cette lettre de Voltaire ne se trouve pas dans sa Correspondance.
Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
11 ağustos 2017
Hacim:
760 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
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