Kitabı oku: «Lettres à Mademoiselle de Volland», sayfa 42
CXV
Paris, le 20 octobre 1768.
Votre dernière lettre, n° 8, mademoiselle, est du 29 septembre; et c'est aujourd'hui jeudi 20 octobre224. Faites-moi la grâce de m'apprendre si j'ai commis quelque faute qui m'ait fait perdre l'amitié de madame votre mère, l'estime de Mme de Blacy ou la vôtre. Un silence de vingt jours est bien propre à me donner les plus vives inquiétudes sur mon compte ou sur le vôtre. Je n'ai pas manqué un seul jour d'aller chez Damilaville y chercher une ligne de votre main. Comme il pourrait lui paraître, et que, depuis quelques jours, il me semble à moi-même, que ce n'est pas l'intérêt de sa santé qui me conduit chez lui, je n'ose plus lui demander s'il n'a rien à me remettre. J'aime mieux attendre jusqu'à neuf heures, dix heures du soir, qu'il songe de lui-même à m'offrir quelqu'une de vos lettres; et je ne devrais pas vous dire tout le chagrin que je ressens lorsque je vois arriver le moment de le quitter sans en avoir reçu.
S'il est arrivé quelque accident à l'une de vous, ne me le laissez pas ignorer plus longtemps. Vous ne savez pas les idées qui me passent par la tête: c'est à me la faire tourner.
J'aurais à vous amuser d'une infinité de choses extraordinaires, parmi lesquelles une aussi extraordinaire qu'il m'en soit jamais arrivé dans ma vie, et que j'avais devinée, annoncée d'avance; mais je n'ai pas la liberté d'esprit nécessaire pour un récit de cette nature. Ayez donc la bonté de me rendre le sens commun: j'en ai encore besoin quelquefois. Mademoiselle, si vous n'êtes pas dangereusement malade, ou Mme de Blacy ou maman, vous êtes bien cruelle. Vingt-un jours de suite sans dire un mot, sans donner le moindre signe de vie; je n'y conçois rien, mais rien du tout, et j'aime mieux n'y rien concevoir que de me livrer à mes conjectures. Intercepte-t-on mes lettres? Vos réponses se perdent-elles? Je vous ai écrit avec la plus grande exactitude. Je ne vis Damilaville avant-hier qu'un moment, fort tard. C'était un jour de bataille. Je ne le vis point hier. La mauvaise santé de la mère et de sa fille avait fait renvoyer mon bouquet au 13. O mon Dieu, que je suis étourdi! Tenez, sans cette circonstance, je ne me serais pas aperçu que ce n'est qu'aujourd'hui le 13.
Vous êtes moins coupable d'une semaine; c'est quelque chose; cela me rassure un peu. J'irai cette après-midi chez Damilaville, et j'espère en revenir plus content de vous. Il faut que le temps m'ait cruellement duré. N'allez pas prendre cet ennui pour la mesure de mon attachement. Ce serait pis que le premier jour; je veux bien que cela soit, mais je ne veux pas que vous le sachiez. Ah! si je puis une fois cesser de vous aimer toutes, je n'aimerai plus personne: cela fait trop de mal. Mais je crains bien d'en avoir pour toute ma vie.
Bonjour, maman. Je vous prie en grâce de gronder un peu mademoiselle. Je me suis amendé, moi; mais voyez comme cela me réussit. Je vous présente mon respect. J'embrasse de tout mon cœur Mme de Blacy, si elle le permet; mais pour ce méchant enfant qui s'obstine à se taire, rien, rien, rien du tout. Oh! je suis bien piqué! Ce qui me fait enrager, c'est que cela ne durera pas, et que ce soir je serai peut-être plus doux qu'un agneau.
CXVI
Paris, le 20 octobre 1768.
J'entends: mademoiselle est au régime. Tous les huit jours une fois; elle ne peut pas écrire davantage. Qu'en arrive-t-il? c'est que pour peu que M.*** soit ivre le soir, il remet au lendemain l'ouverture de son paquet; pour peu que le commissionnaire de l'hôtel de Clermont soit paresseux, il diffère sa course rue Saint-Honoré; pour peu que je mette d'intervalle entre les visites que je rends au malade, je suis la quinzaine sans entendre parler de mes amies. Et puis la colère me prend, et j'écris un billet doux tel que celui que vous lisez dans ce moment.
Votre parent est un bourru; il a perdu sa femme, et la perte n'en est peut-être pas grande; il s'est tout fait donner par elle; je ne l'en blâme pas. Les héritiers en sont enragés, et c'est bien fait à eux. Ils ont réclamé une certaine chaise à porteurs dont il a tant été question par le passé. Ils se sont adressés à Mme Geoffrin, qui leur a répondu qu'elle avait été délivrée à M. de ***; mais qu'en tout cas, il n'y avait qu'à y mettre un prix, et qu'elle le payerait sans qu'il fiât besoin d'élever de nouvelles tracasseries pour cette guenille. M. de ***, qui est processif autant que la dame de la rue Saint-Honoré l'est peu, s'est jeté à la traverse, a soutenu la validité de la délivrance de la chaise à porteurs, et offert à Mme Geoffrin des armes contre les héritiers.
Mme Geoffrin lui a répondu qu'on n'avait que faire d'armes quand on n'avait point envie de se battre. Réplique de l'homme de Gisors; réplique à la réplique, tant et si bien que la vivacité, les mots, l'aigreur s'en sont mêlés, et qu'il est arrivé de Gisors une dernière lettre pleine d'injures grossières accompagnées de la menace d'un libelle. Là-dessus, voilà la dame de la rue Saint-Honoré qui grimpe à mon grenier, qui se précipite sur une chaise et qui m'étale tous ses papiers. Je me suis fâché; j'ai écrit à M. de *** une lettre honnête, mais ferme; je lui laisse voir mon goût pour la paix; mais je ne lui dissimule pas que si la guerre a lieu, je la ferai à feu et à sang. Je le préviens en même temps qu'ayant à batailler avec un de vos parents, je croirais manquer à tout bon procédé, si je ne vous en demandais la permission. Ne pourrez-vous pas partir de là pour tacher de passer la main sur le dos de ce sanglier hérissé? Je vous jure qu'il joue un mauvais jeu.
Si Mme Geoffrin se plaint à ses amis, elle sera vengée. Ne conviendrez-vous pas qu'une femme à qui il en coûte dix mille flancs et par-delà pour un acte de bienfaisance mal entendu a le droit d'avoir de l'humeur et la prétention bien achetée de demeurer en repos! Je vous prie, mon amie, d'écrire un mot de pacification à ce hargneux; assurez-le bien que s'il me met en besogne, j'inventerai pendant un mois de suit les contes les plus ridicules sur l'homme de Gisors, et que de deux jours l'un on le vendra dans les rues à deux liards la pièce, et que je saurai bien le faire mourir de rage sans me compromettre.
On dit que M. de Laverdy a été chassé sans pension. On dit que le premier projet de M. d'invaux est de chasser tous les robins de la finance; ce sont gens qu'il faut acheter les uns après les autres, et trop cher.
M. d'Invaux est très-bien lié: c'est l'ami de MM. de Montigny, Turgot, Morellet. Ce dernier va devenir bien rauque. Il est fait secrétaire du bureau du commerce, place de quatre mille livres de rente. La confiance du mérite se joignant à celle de la richesse, qui est-ce qui le supportera?
Il est tout jeune, ce M. de Villeneuve! Ce qui achèvera de vous confondre, c'est qu'il est la bonté, la douceur, la politesse, l'affabilité mêmes; et que madame est une bonne grosse femme, bien grasse, bien dodue, belle peau, grands yeux couverts, de grands sourcils noirs, et point du tout à dédaigner. Il y a quelque diablerie là-dessous que je n'ose déchiffrer; cet homme si doux, si bon, si affable, a le ton singulier.
À votre avis, son procédé est donc bien inhumain? Votre bonté m'enchante, et ma conscience commence à se tranquilliser. Vous avez raison: j'aurais été un homme abominable.
Le rendez-vous mystérieux vous intrigue donc beaucoup? Au reste, j'en suis de retour, et voici la copie des quatre lettres qui l'ont précédé.
PREMIÈRE LETTRE
Si dix-neuf ans d'absence ne m'ont pas, monsieur, absolument effacée de votre souvenir, je vous demande un jour où je puisse vous communiquer des choses fort importantes pour moi et peut-être pour vous. J'ai trois endroits où je puis vous voir avec tout le secret que vous exigerez: ici, à Paris, ou hors des barrières Saint-Michel où l'on m'a prêté une maison où je vais dissiper un noir chagrin qui me consume. La cause en est si connue que vous la savez sans doute. Ou vous êtes bien changé de ce que vous étiez, ou j'ai lieu d'attendre de vous la complaisance que je vous demande. Adressez votre réponse ici: on n'ouvre point mes lettres.
Réponse.
MADAME,
Je suis à vos ordres. Des trois endroits que vous me proposez, choisissez celui qui vous sera le plus commode; et j'y serai au jour, à l'heure que vous m'indiquerez. S'il est des sentiments que le temps efface, il en est d'autres qu'un galant homme retrouve toujours en soi.
DEUXIÈME LETTRE
Je vous reconnais, monsieur, aux derniers mots de votre lettre, et notre rendez-vous serait déjà arrangé, si je n'avais voulu en assurer la tranquillité. Elle est tout à fait nécessaire aux choses que nous avons à nous dire; je tâcherai que ce soit ici Je vous renouvelle les assurances de toute mon estime.
TROISIÈME LETTRE
J'ai enfin arrangé notre entrevue à mardi, 11 du mois. Vous viendrez à… vous y serez rendu à cinq heures au plus tôt et au plus tard. Mon appartement est aux entresols, n°… Vous laisserez votre voiture dans un des coins… et vous monterez par l'escalier qui est au bout du corridor du côté… Cette attente a le pouvoir de suspendre mon profond chagrin. Ou je me trompe fort, ou vous aurez le secret de l'adoucir, ce qui est impossible à tout autre. J'ai eu quelques aventures singulières en ma vie, mais aucune autant que celle-ci. Elle m'a fait beaucoup rêver. Damilaville, que je consultai, et qui me conseilla d'aller, me rendra justice que j'avais deviné l'énigme. À vous, mesdames; je vous jure que si vous rencontrez, je vous avouerai tout. Je vous assure, mademoiselle, que la position de M. de la Villemenne n'y fait œuvre, et que j'ai bien moins besoin d'indulgence que lui. Après cet aveu, n'allez pas revenir sur vos pas: il faut avoir des principes ou non. Un peu de baume, madame de Blacy, une goutte seulement et point de prières. Mais grand merci de l'un et de l'autre: je n'en ai que faire.
La maladie de la mère avait différé le bouquet de l'enfant au mercredi suivant: c'était Bron, Naigeon, un certain provincial que vous ne connaissez pas, et si vous le connaissez, c'est M. Touche, mon commissaire, qui est trop délicieux pour s'en passer, un M. Fèvre qui est fou de ma fille; et moi Je ne compte pas les femmes, les musiciens. Nous avons soupé jusqu'à dix heures du matin. Je n'ai pas bu une goutte d'eau; ils chancelaient tous, j'étais ferme sur mes pieds. Dix bouteilles de Champagne rouge, trois de Champagne mousseux blanc, une bouteille de Canarie, des liqueurs de deux ou trois sortes, et du café; sans la moindre insomnie, ni le plus léger mal de tête. Je ne vous disais pas que, le reste de la compagnie partie, nous avons joué, le commissaire Touche et moi, au trictrac jusqu'à cinq heures du matin; et puis me voilà à mon lait le matin et à ma limonade le soir; et frais comme une rose… un peu passée.
Le prince a pensé me faire devenir fou; mais comme il est honnête et bon, tout s'est arrangé. Il est venu à l'heure du souper, et voulait à toute force être du nombre des convives. Je l'ai déterminé à nous laisser; mais ce n'a pas été sans peine.
Eh bien, vous aurez donc encore votre abbé Marin? Mademoiselle, si vous vous en trouvez mal, cherchez quelque autre que moi qui vous plaigne.
Les portraits! les portraits! Le hourvari de la petite maison que nous avons évacuée, notre installation dans un hôtel garni, ont un peu dérangé les suites de notre mystification. Ce volume, c'est moi qui l'ai écrit; c'est la chose comme elle s'est passée. Hélas, oui! Nous revoilà dans l'hôtel garni.
Je comptais avoir de la place pour quelques douceurs. Je comptais aussi répondre à Mme de Blacy; mais voilà mes quatre pages remplies: c'est ma tâche. Bonsoir, mesdames.
CXVII
Paris, le 4 novembre 1768.
MESDAMES ET BONNES AMIES,
Avez-vous reçu un gros paquet que j'avais envoyé au bureau du Vingtième pour y être contre-signé? Maman se prête-t-elle un peu à mes vues? Se fera-t-elle apôtre de l'inoculation dans les campagnes? Le bien trouve mille obstacles dans les grandes villes, où il y a toujours une multitude d'hommes intéressés à ce que le mal se perpétue; où de petits intérêts particuliers, des considérations personnelles de nulle valeur s'opposent à l'utilité générale; où l'on ne rejette une chose que parce qu'elle a été proposée par un étranger, un concurrent, quelqu'un que l'on jalouse. C'est des campagnes que l'inoculation serait entrée sans contradiction dans les villes; et c'est des villes qu'elle aura toutes les peines du monde à gagner les campagnes. On veut commencer par l'aire des expériences sur ceux qui mettent une importance infime à leur vie. Cela n'a pas le sens commun Si ces expériences s'étaient faites sur des âmes qu'ils appellent viles, tout le monde aurait applaudi.
Si mon début est grave et sévère, c'est que je suis juste; si mon ton se radoucit sur la fin, c'est qu'il y a des gens contre lesquels la colère ne saurait durer, qui le savent bien, et qui en abusent.
M. de Laverdy se porte à merveille. Il a ses vingt mille francs de retraite. Il a chassé son cuisinier. Il a pris une cuisinière. Il joue la parade de l'homme pauvre, et il laisse chanter à nos polissons dans les rues, sur l'air de la Bourbonnaise:
Le roi, dimanche,
Dit à Laverdy,
Dit à Laverdy:
Le roi, dimanche,
Dit à Laverdy:
«Va-t'en lundi»
Les deux rois se sont vus225 Us se sont dit tout plein de choses douces: «Vous êtes monté bien jeune sur le trône! – Sire, vos sujets ont encore été plus heureux que les miens. – Je n'ai point encore eu l'honneur de voir votre famille. – Cela ne se peut pas: vous ne nous restez pas assez de temps; ma famille est si nombreuse; ce sont mes sujets.» Et puis tous les crocodiles qui étaient là présents se sont mis à pleurer.
Ce despote du Nord est de la plus grande affabilité. Il est honnête, il est généreux. Il a été aux Gobelins. On lui a montré les tapisseries; et le duc de Duras, qui l'accompagnait, lui ayant demandé quelle était celle qu'il avait trouvée la plus belle, il l'a désignée; et aussitôt le duc lui dit qu'il avait ordre du roi son maître de la lui offrir. Il y avait là Soufflot, Cochin, Van Loo et d'autres. Il a commandé son portrait à Van Loo.
Une bouquetière voulait lui présenter un bouquet. M. de Duras l'écartait, et la bouquetière lui dit: «Monsieur, laissez-moi approcher. Il n'est pas si ordinaire de voir un roi à pied dans les rues.»
Il a été à Warwick226, qui l'a ennuyé; aux Fausses Infidélités, qui l'ont amusé; il en a fait compliment à Barthe, qui lui a répondu que son rang était enclin à l'indulgence.
Ne me parlez pas de votre M. de ***. Mademoiselle, je sens en écrivant son nom que ma tête se trouble et que tout le corps me frissonne.
Je n'ai pas été si loin que le Monomotapa. Le rendez-vous en question était à Vincennes; c'est maman qui a deviné. Ainsi, voilà le lieu de la scène connu. Mais le sujet? c'est là le point. Imaginez, mesdames, et lorsque vous aurez imaginé quelque chose de commun, dites tout de suite: Ce n'est pas cela.
Je n'ai point supprimé de lettres; il y en a quatre: trois de la dame Dolovide, une de moi.
Ne craignez rien pour ma santé. Je ne me suis jamais si bien porté que le lendemain de notre orgie, et cela dure. Un peu de libertinage par intervalle ne nuit pas.
Quand la raison vient aux hommes? Le lendemain des femmes; et ils attendent toujours ce lendemain.
Vous avez très-bien fait de laisser à votre pauvre religieuse le plaisir d'invoquer tous les matins son amie.
Ah! le bon billet qu'a La Châtre!
Rien n'est si commun, quand nos vignes gèlent, que de donner la pépie aux cannibales. Je crois qu'on ne va plus aux spectacles. Je suis toujours étonné quand je vois sortir quelqu'un de l'église. Nous faisons tous plus ou moins le rôle du vieillard dans la rue Froidmanteau. Vous savez le conte. C'étaient des mousquetaires qui faisaient bacchanal dans un lieu de plaisir. La foule s'était assemblée. Dans cette foule, une jeune fille à qui le vieillard s'adressa pour savoir la cause de ce concours le lui dit; le vieillard, tout étonné, lui demanda: Mademoiselle, est-ce que Comment achèverai-je sa question? si je l'allonge, elle sera mauvaise.
M. Digeon est plus fin que Mme de Blacy; mais il ne l'est pas plus que moi.
Si le mari en use avec lui comme vous le prophétisez, ce sera bien là le cas du proverbe: Aussi bien mordu d'un chien que d'une chienne.
Je ne me pique point du tout, mesdames, d'entendre de ce livre-là ce qui n'est pas intelligible pour vous, et je me souviens très-bien d'y avoir rencontré des endroits fort obscurs. L'établir pour l'instruction publique? le maintenir par la force générale d'un peuple qu'on ne résout pas aisément à brûler ses moissons! car lorsque le peuple est instruit, c'est la conséquence évidente pour lui d'un mauvais édit.
Quand vous désirerez que je commence ma lettre par des douceurs, faites en sorte que je ne commence pas par être taché.
J'attends une visite de l'abbé Le Monnier et de M. Trouard. J'ai un peu questionné l'abbé sur le succès de notre affaire. Il ne m'a rien dit, rien voulu dire. Je n'en augure pas plus mal. Si j'avais réussi! Ah! madame de Blacy, je crois que j'en mourrais de joie. Je préférerais ce succès à une nuit d'une femme que j'aimerais… que j'aimerais autant que vous.
Notre malade a fait une observation singulière, c'est que ses glandes augmentent quand ses douleurs diminuent, et réciproquement. Ses glandes sont énormes, aussi ne souffre-t-il plus; il dort, mais il ne saurait marcher. Il mange, mais c'est avec dégoût. Tronchin ne sait où il en est, car il a abandonné son premier traitement: il tâtonne.
Voltaire vient de nous envoyer une table charmante; elle a deux ou trois cents vers: c'est le Marseillais et le Lion. On ne saurait conter avec plus d'esprit, plus de gaieté, plus de facilité, plus de grâce. C'est l'ouvrage de la jeunesse; si elle me tombe sous la main, je vous l'envoie.
Je suis brouillé avec Grimm. Il y a ici un jeune prince de Saxe-Gotha. Il fallait lui faire une visite; il fallait le conduire chez Mlle Biberon; il fallait aller dîner avec lui J'étais excédé de ces sortes de corvées. Je m'en suis expliqué fortement. Je me console du mal que me fait cette brouillerie par la certitude que nous nous raccommoderons, et l'espérance qu'il n'y reviendra plus. Ces ridicules parades-là m'étaient insupportables.
M. Devaisnes227 est marié. Il m'a écrit une lettre charmante pour m'inviter à faire liaison avec sa famille. Je m'y suis refusé nettement.
J'ai reçu de Sainte-Périne une lettre qui déchire l'âme.
Le Baron a fait quelques voyages à Paris. Je vois qu'il ne me pardonne pas la solitude dans laquelle je l'ai laissé. Cela s'entend; il fallait laisser souffrir Damilaville tout seul à Paris, et m'en aller passer gaiement un ou deux mois au Grandval.
Mme Therbouche me fera devenir fou. Vous savez qu'elle est retombée dans l'abîme de l'hôtel garni Un de ces matins, je ferai un signe de croix sur sa tête, et je me retirerai chez moi.
J'ai entrepris de faire payer cinq ou six créanciers de ce qui leur est dû. Madame de Blacy, je me recommande à vos saintes prières.
J'ai bien peur que l'ami Naigeon ne soit un peu coiffe de la belle dame; il est brillant tous les soirs, et ce n'est pas vers le Louvre qu'il porte ses pas. S'il allait en faire sa femme! Il a des moments diablement soucieux.
Dieu soit loué! je touche à la fin de mon Salon. Si vous étiez ici, on vous en lirait des lambeaux qui vous amuseraient, mais on ne saurait jouir de tout à la fois.
Il va y avoir un procès singulier. Une fille veut se marier; elle va lever son extrait baptistaire, et elle se trouve baptisée sous le nom d'un garçon. Mon avis est qu'il faut préalablement vérifier le sexe.
Bonjour, mesdames et bonnes amies. Je vous souhaite du beau temps; cela est assez généreux.
J'ai mille respects de Bruxelles à vous offrir. Vous n'êtes pas oubliées une seule fois. Pas un mot de douceur pour Mlle de ***: cela s'obtient, mais cela ne se commande pas. Eh bien, n'appelez-vous pas cela de la fatuité?
CXVIII
À Paris, le 12 novembre 1768.
MESDAMES ET BONNES AMIES,
Vous ne voulez pas que je me fâche; je ne me fâcherai pas. Je vais vous parler du plus beau sang-froid, puisque vous l'aimez mieux. Je vous ai dépêché sous le contre-seing de M. d'Ormesson un paquet qui contenait une brochure avec une lettre. Je n'ai point entendu parler de ce paquet.
Je vous ai demandé par une lettre suivante si ce paquet vous était parvenu. Pas plus de nouvelles de cette lettre que du paquet qui l'a précédée.
Je vous suppliais par une troisième lettre de prier maman de vouloir bien être un élève de Gatti. Pas un mot de réponse là-dessus.
En sorte qu'il m'est absolument impossible de deviner pourquoi vous êtes à peu près contente de mon exactitude, puisque je ne m'aperçois pas qu'il vous parvienne un mot de moi.
C'est un pieux M. de Saint-Fargeau qui a jugé le colporteur et le garçon épicier228. Ce même homme opinait, il y a peu de temps, à appliquer un fils à la question pour le rendre accusateur de son père; il disait qu'il y avait des casuistes qui autorisaient cette atrocité. Un jeune conseiller lui répondit: «J'ai peu lu vos casuistes; j'ignore ce qu'ils permettent; mais je connais la nature qui les défend.»
Croiriez-vous bien que cette fille qui a été baptisée garçon risque de perdre son état? et cela vraisemblablement par une étourderie de sacristain.
Vous ai-je dit que j'avais appris, découvert par la voie de Pantin et de Mlle Guimard, que ce dîner clandestin avec M. Dubucq devait se faire chez Mme de Coaslin? J'ai beau lire et relire vos lettres, elles ne me rappellent jamais ce que je vous ai ou n'ai pas dit.
J'avais trois amis: j'étais froidement avec l'un; presque brouillé avec l'autre; le troisième était malade à mourir. Cette position m'avait causé un tel dégoût des hommes, que j'ai été sur le point de me claquemurer.
Le Baron est de retour; je dînai hier lundi avec lui Cela s'est un peu rajusté. L'abbé Galiani y était; il prêcha beaucoup contre l'exportation des grains, et cela par une raison qui n'est pas commune: c'est qu'il faut laisser subsister les mauvaises fois partout où il n'y a pas dans le ministère des hommes d'assez de tête pour faire exécuter les bonnes en pourvoyant aux inconvénients des innovations les plus avantageuses.
Il prêcha contre la faveur accordée à l'agriculture par une raison très-bizarre: il disait que l'agriculture était la plus importante des conditions, et qu'il avait fallu plus de quatre mille ans d'efforts pour l'avilir, et que chercher à la tirer de cet avilissement c'était travailler à réduire les ducs et pairs à rien, et à mener le roi dans son Parlement accompagné de douze boulangers. «D'accord, l'abbé, lui répondis-je; mais dans douze mille ans d'ici» Oh! combien de choses on peut faire sans conséquence pour les laboureurs, avant que le cortège du roi en soit composé!
Voltaire a publié deux tables agréables toutes doux, mais la première charmante: le Marseillais et le Lion; les Trois Empereurs en Sorbonne. On risquerait de vous les envoyer, si l'on pouvait seulement se promettre de savoir qu'elles vous sont ou ne vous sont pas parvenues. Je ne me tâche pas, vous voyez bien, on ne saurait être plus modéré.
À propos du singulier abbé, il avait autrefois entrepris l'apologie de Tibère et de Néron. Il entama hier celle de Caligula. Il prétendait que Tacite et Suétone n'étaient que des pauvres gens qui avaient forci leurs ouvrages des impertinents propos de la populace.
J'aime encore mieux ces folies-là qui marquent du génie, des lumières, un penseur, que de plates et fastidieuses rabâcheries sur Jésus-Christ et ses apôtres.
Le Baron fit pourtant une observation qui m'était venue longtemps avant lui: c'est par quel tour bizarre la religion d'un homme qui avait passé sa vie et qui l'avait perdue pour avoir prêché contre les temples et les prêtres était pleine de temples et de prêtres.
Je n'entends pas comment ou ne passe que deux jours à Isle, quand on fait tant que d'y aller. Je ne doute pas que ces deux jours ne se soient passés bien gaiement: les hôtesses du château ne sont pas tristes, ni les survenants non plus.
Je n'aime pas les femmes méchantes; cela est presque contre nature. C'est à nous qui sommes forts qu'il appartient d'être méchants. Si M. Évrard vous a tenu parole, vous devez avoir eu le plaisir du spectacle que vous vous promettiez.
On ennuie ici à plaisir ce roi de Danemark qui est tout à fait aimable. Les pauvres têtes n'ont pu imaginer que la ressource des spectacles, et ils lui font entendre quatorze actes en un jour229. Ils sont embarrassés de remplir les journées d'un voyageur qui séjourne un mois dans un pays où il y a de quoi voir pour dix ans.
Ce prince est souvent très-fin dans ses réponses et dans des occasions difficiles. Le roi lui disait, en lui montrant Mme de Flavacourt: « Sire, vous voyez cette femme-là; elle est belle; croiriez-vous qu'elle a cinquante-huit ans? oui, cinquante-huit ans: elle est d'un an plus jeune que moi – Sire, lui répondit le jeune souverain, je vois qu'on ne vieillit pas dans votre royaume.»
Il en est arrivé de ce prince tout au rebours des autres; le contraire de la feble des Bâtons flottants.
J'attends que l'histoire de votre remboursement et ses suites soient finies, pour en rire à mon aise.
J'ai beau vous dire que je vous haïrai toutes si vous continuez à vous porter mal, il n'y a que Mlle de *** à qui cela fasse peur.
Vous pouvez soupirer après l'abbé Marin tant qu'il vous plaira; je ne veux plus m'en soucier.
Moi, je respire. La pauvre artiste 230 n'est pas encore à la barrière de Charenton, mais elle y sera bientôt; je vous ferai ce conte-là quand il en sera temps.
Agréez et faites agréer mon respect. Je suis toujours le même, mon amie; oui, toujours. Revenez, si vous en doutez.
Frivole Paris, tu m'assommesDe soupers, de bals, d'opéras;Je suis venu pour voir des hommes:Rangez-vous, monsieur de Duras. Ce quatrain, attribué dans le temps à Boufflers et à Chamfort, se trouve dans les œuvres de ces deux auteurs, mais avec de légères variante. (T.)