Kitabı oku: «Architecture De La Prière», sayfa 3
Les épaules du père Misael reçoivent un poids colossal. Épuisé, il se prosterne sur le lit et ferme les yeux. Le cauchemar du couteau et des oreilles ressurgira d’un recoin sinistre de la culpabilité.
VENDREDI
Aigre-doux
Panem nostrum quotidianum da nobis hodie…
PREMIÈRE STATION
La bouche s’ouvre pour laisser échapper un bâillement qui éclate en un hurlement inécoutable. Sa langue épaisse et chargée le force à déglutir à sec avec l’amertume naturelle du matin. Rappelez-vous la chute de la nuit précédente. Ce n’est pas la première fois qu’il imite l’ancienne pratique d’Onan. Mais on peut dire qu’il s’est détourné du péché et qu’il s’est racheté en empruntant un vaste chemin d’expiation et des jours de pénitence fatigants. Les désirs les plus élémentaires ont pris la forme d’un cœur agité qui, dans son corps, exige des satisfactions auxquelles son âme ne veut pas consentir. Maintenant, il dicte la sentence. Il sent son corps sale, il enregistre son âme maculée, il déteste son entrejambe. Ses mains sont restées tachées par la sécrétion et il contemple la couche durcie dans un léger sillage qui le trahit. Il sort du lit et se lave les mains avec beaucoup de savon. Il prononce une prière.
*
DEUXIÈME STATION
Pardonne-moi, Père bien-aimé. Malgré l’envergure de mes fautes, ta bonté la surpasse par sa générosité. Accueille ma prière. Ne m’éloigne pas de toi. J’essaie vraiment de supporter, Père, ce fardeau qui pèse sur mes épaules et qui m’oppresse. Aide-moi à continuer à tenir debout. Ne laisse pas ma voie s’évanouir. Ne permets pas à mon âme d’échouer dans le péché. Sois mon protecteur. Sois mon guide. Aide-moi, Seigneur, à rester ferme dans ta parole.
*
TROISIÈME STATION
Il est bon, en effet, de ressentir le respect porté à l’autorité d’un représentant de Dieu sur terre. Ces dames ont réussi à s’accommoder de mon absence pour les préparatifs. Je témoigne ici d’une représentation complète du Chemin de Croix figurée par les mouvements maladroits des garçons. Comme ils sont sveltes. Surtout le mien, transmuté en l’homme demi-nu, rudoyé et accroché au madrier. Une impulsion m’invite à regarder l’extension confortable de ses jambes pâles. Ses pieds s’étirent de manière provocante, le renflement de son collant impulse dans mon esprit une image très indécente que j’ébranle avec une prière renouvelée. Je sens l’éveil d’une partie de moi. J’acclame le ciel pour expier cette trahison de mon corps.
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QUATRIÈME STATION
Comment se soustraire, Père bien-aimé, aux incitations du diable ? Comment ? Donne-moi des forces. J’ai recours à ta parole, ta parole sacrée me réconforte.
Après de courtes invocations, je suis surpris de trouver dans le livre sacré une lithographie de la Vierge. J’observe les lignes qui dessinent son profil, la profondeur de son regard adressé au ciel et la magnificence avec laquelle le petit repose sur son épaule, inconscient du sort qui lui est réservé. Le garçon m’appelle. Je laisse la Bible presque sur le bord du bureau. Je mets l’estampe dans la poche de ma chemise et je sors. La nourriture souffre un excès de sel, je ne reproche rien au garçon. Le fromage, en revanche, s’écrase sur mon palais et atténue la sensation saumâtre. La douce amertume du vin compense le choc de ces extrêmes.
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CINQUIÈME STATION
Je fais attention à l’attitude du garçon dont la lèvre développe un mimétisme en parlant qui me permet de deviner son propos.
Père, j’ai pensé à ce dont nous avons parlé hier. Je ne veux pas vivre en enfer. Je veux me conformer aux mesures imposées par Dieu.
Je le regarde avec surprise. Ses paroles m’apportent un grand soutien. Elles m’accompagnent pour porter le fardeau qui me tourmente, pour condamner à la fois le lourd volet du désir qui m’apparaît comme un subterfuge facile, fatidique, séduisant et nuisible et enfin achever mes intentions.
Tu t’y conformeras. Mes mots résonnent dans la salle à manger, tandis qu’un mal de tête commence à m’envahir. La sonnerie, exaspérante, éclate dans ses appels.
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SIXIÈME STATION
Le garçon a dirigé ses pas vers la porte. Pour ma part, je me suis allongé sur le canapé avec la sensation désagréable de milliers d’aiguilles qui me transpercent le crâne. J’observe la silhouette de Mme Salomé entourée par les salutations agaçantes de Tomás, elle vient soigner mon malaise. À en juger par ses gestes, je devine que je transpire. Elle m’évente avec un mouchoir. Elle explique quelque chose au garçon qui se dirige vers la cuisine. Ma tête me donne l’impression d’exploser. Ensuite, je savoure le roulement frais de l’eau sucrée. Il y a eu un déséquilibre dans ma tension artérielle. Ils insistent tous les deux pour appeler le médecin, mais je refuse catégoriquement. Mme Salomé s’approche de moi une fois de plus et avec son mouchoir elle essuie la sueur de mon visage distillée dans ma transe.
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SEPTIÈME STATION
Ma tête tourne. La douleur lancinante a disparu, mais une sensation de lassitude persiste. La présence de la dame ne m’intéresse pas. Alors qu’elle dessert la table, je pense au garçon. Mon désir de sentir sa peau s’intensifie dans l’émulsion de sang accumulé dans ma région pelvienne. Je remarque la marche inconfortable de Mme Salomé à côté de moi. J’entre dans la salle de bain. Avec mon pantalon touchant le sol, je caresse mon membre. Je me stimule, quelques secondes, puis me rebelle contre le plaisir. Je m’efforce pour que mon âme l’emporte sur mes sens. J’y parviens et l’érection diminue petit à petit.
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HUITIÈME STATION
Je réponds à la demande de la dame. Elle m’explique la maladie de son père, son agonie évidente et sa mort imminente. Ils ont prédit dans quelques jours seulement. Elle veut que je lui apporte le sacrement de l’extrême-onction. J’accepte d’y aller le matin suivant. Elle s’appuie sur mon épaule et verse des larmes de façon incontrôlable. Je ne pourrais pas estimer le temps qu’elle passe à sangloter. J’essaie d’apaiser ses lamentations, ses longs larmoiements qui ont taché ma chemise de l’amertume de ses chagrins. Je m’efforce d’y inculquer de la force.
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NEUVIÈME STATION
La dame est partie satisfaite d’apporter de bonnes nouvelles pour le salut spirituel de son père. Ici, dans ma couche, j’ai l’intention de pratiquer pour la troisième fois le vice ignominieux de l’onanisme. Mais pour la troisième fois, j’apaise mon désir. J’entonne une longue et profonde prière. Ô, Seigneur, quelle lourde croix je porte sur le dos !
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DIXIÈME STATION
Je goûte la salade que le garçon m’apporte. Je savoure la texture douce et sucrée de la tomate, la laitue qui craque sous la dent. Le muscle de ma bouche tressaille dans un bref tremblement provoqué par la saturation excessive du vinaigre. J’écarte la nourriture et je rejoins mon alcôve. Le garçon me suit, poussé par une révélation. Soudain, il me montre un élément de la peinture devenu imperceptible pour moi pendant toutes ces années. Non, Dieu ne devrait pas sourire. Je manifeste une légère agitation devant la découverte. Mais regarde ses lèvres, Père, c’est très clair. Il ne devrait pas sourire. J’insiste, presque tremblotant. Pourquoi ? Dieu ne sourit-il pas peut-être ? questionne-t-il, curieux et audacieux. J’essaie de lui expliquer quelque chose que je ne comprends pas moi-même complètement. Alors je pense. Tout simplement, je pense. Le monde est une porcherie et Dieu ne devrait pas rire. Mais il rit. Mais il rit, Père. Il doit y avoir une raison, me lance le garçon. Le peintre a transmuté cette peinture et il s’est trompé. C’était un interprète, non ? Et comme vous m’avez dit, les interprètes donnent une nouvelle vision des choses antérieures. Oui, mais cet interprète s’est octroyé une vue qui ne lui correspondait pas. Qui reçoit l’affectation d’interpréter le rire de Dieu ? exprime-t-il avec un élan soudain. Je l’admoneste d’un regard. Pas toi, lui dis-je, visiblement bouleversé. Il baisse son regard en humble repentir. Je lui dis qu’il est l’heure. Lentement, pour essayer de prolonger l’instant le plus longtemps possible, je fais en sorte que Manuel me déshabille et ne me laisse que mes sous-vêtements. J’entre dans la salle de bain.
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ONZIÈME STATION
Tomás s’approche de moi. Il vient de loin à l’arrière du jardin et imprime ses empreintes de boue sur le carrelage. Je me penche pour caresser le pelage hirsute de sa tête et m’offre le mouvement de sa queue en signe de complaisance. J’écoute le ruissellement de l’eau qui lave le corps du Père Misael. Dans ma courte négligence, la langue de Tomás impacte une de mes joues, me frotte et me laisse avec une douce pellicule de salive. L’odorat de Tomás pressent plus qu’il détecte une présence qui l’inquiète. Il entreprend une tentative d’aboiement et il s’échappe pour aller chasser dans un demi-tour rapide. Je regarde l’entrée du père qui avance sans vêtements. Je détourne mon visage brûlé par la rougeur. Je le sens aller de l’avant, passer près de moi et continuer, de dos, vers le placard. J’ouvre les yeux et je contemple la splendeur de son humanité nue, son corps pâle et ferme dans sa minceur mouchetée par une myriade de poils qui camouflent le volume de ses fesses. Il se retourne, après avoir vaporisé de l’eau parfumée sur sa poitrine, il m’explique qu’il n’y a rien à craindre. Je suis sur le point d’aller encore plus loin pour la glorification de mon corps. Je vais entrer en contact avec l’anatomie bénie d’un enfant de Dieu. Avec le soutien de sa main sur mon épaule, il me persuade de me pencher sur son nombril. Puis sa houlette bascule devant mes yeux et caresse mon nez. Elle m’imprègne d’une odeur de musc à la fois douce et amère. Les veines saillent dans cette hysope de viande et luttent pour donner plus d’épaisseur à son appendice. Maintenant. La voix résonne d’une hauteur que je perçois comme un reproche, comme si c’était la voix de Dieu lui-même avec un mot qui perturbe mes oreilles.
Il boit.
Et mes papilles caressent l’aridité rembourrée de l’instrument qui entre dans ma bouche. L’odeur exsude vers mon nez dans un étourdissement insistant, long et vertigineux. Je sens le va-et-vient de sa ceinture qui me domine, qui plie mon corps et avec lui le peu de volonté que conserve mon esprit. Et pendant une fraction de seconde, je déguste une sensation agréable dans l’invasion continue de cet étrange fragment. Un umami chaud me réjouit parfois puis laisse instantanément place aux nausées. Le morceau de viande ne diminue pas dans sa pénétration constante. J’aimerais juste que ce soit bientôt fini. Et pour le moment, ébahi, j’accueille le pompage de son membre, le hurlement dur venu du ciel comme une lamentation qui se profile sur le Golgotha. L’effusion de nectar glisse sur ma langue. Je sens le goût visqueux et chaud qui me traverse. J’ingère une partie, le reste exsude de mes lèvres à la manière d’une source dégoulinante d’ambroisie.
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DOUZIÈME STATION
Le garçon consterné s’est enfui dans sa chambre. Le sentiment angoissant et répété de néant me submerge. La soif me brûle. Dans son alcôve, le garçon prie. Il ne remarque pas mon entrée. Je m’approche et lui donne un verre d’eau qu’il avale avec désespoir. Il me contemple pâle et en pleurs. Agenouillé devant moi, il me demande de le bénir. Je balance ma main pour esquisser le signe sacré. Je supplie le Seigneur de nous pardonner.
*
C’est le sacrifice de l’agneau docile de Dieu.
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TREIZIÈME STATION
L’après-midi décline dans un crépuscule épais. Le sol clair et balayé par une douce clarté rougeâtre n’agresse pas les yeux. J’arrête de regarder par la fenêtre et je ramasse l’estampe de la vierge tombée de ma chemise. Je la prie. J’implore le calme pour mon esprit. Je lui offre des sacrifices que j’accomplirai sûrement. Des larmes de repentir sillonnent mon visage. Je secoue ma ceinture de cuir et je lacère mon dos avec des flagellations répétées. Je pleure de douleur, pas la douleur de mon corps. Mon âme tout entière s’agite dans la souffrance. Je ne te présente pas mon dos brisé en offrande, vierge, mère bien-aimée. C’est mon âme grabataire que je te donne.
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QUATORZIÈME STATION
Le ministre caresse les cheveux du jeune homme endormi et agité de tremblements. Il l’abrite, tel un père, avec la couverture qui encombrait le canapé. Il retourne dans sa chambre et se prépare à sortir. Dehors, la nuit le reçoit avec de multiples salutations des personnes qui se rendent à l’église. Mlle Raquel vêtue d’une longue jupe carmin les dirige. Tout est accordé pour la procession. Il marche à côté de la populace qui chante les cantiques. Son âme, saturée par la jouissance suffocante de l’éphébophilie, éclate dans un vide irrépressible. Il s’adresse à son Dieu dans une maigre lamentation. Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? À l’intérieur, l’opinion se révèle. Elle le punit comme une épiphanie infernale. Il reconnaît enfin ce qu’il a refusé d’accepter. Il devra choisir entre la douceur de vivre et la lassitude de survivre, entre l’amertume de résister et la douceur d’exister. L’une des deux faces de la même pièce demeurera cachée. À la maison, le jeune homme dort, vautré dans ses cauchemars. Cette fois, ce n’est pas le visage de la bête qui veille sur lui dans ses rêveries. C’est un grand rire qui ne diminue pas, un rire incompréhensible qui incite à la peur plus qu’à toute autre émotion. Tout théologien qui en rêvait pourrait déchiffrer, sans y penser à deux fois, que ce geste des lèvres procure un échantillon palpable des supplices de l’enfer. Le jeune Manuel sait que cet enjouement n’appartient à aucun sinistre démon. Ce rictus qui le laisse sans répit n’est issu d’aucune minuscule créature des enfers. Ce sourire sardonique, il le sait très bien, puisqu’il le connaît, incombe au Dieu omniprésent. À personne d’autre.
SAMEDI
Corps et âme
Et dimitte nobis debita nostra sicut et nos dimittimus debitoribus nostris.
Je me réveille et le monde est toujours là. J’écoute le bruit de l’air qui pénètre ma chambre et siffle par-dessus mes oreilles. Je perçois ma bouche aigre. Je déglutis ma salive épaisse. Ma sueur empeste, je la perçois non sans une certaine satisfaction à me sentir puant. Je la perçois et cela provoque une certaine réjouissance en remarquant l’immondice qui pèse sur moi, pareille à une punition. La brise racle mon visage. Mon dos me brûle. Ma peau déchirée a adhéré au coton de la chemise qui me tire de temps en temps et me stigmatise comme des couteaux chauds. Mes oreilles saisissent des murmures sans fin dans la rue. Au loin, je pense entendre dans le jardin, les aboiements fatigués de Tomás. Puis j’éteins mes yeux, mes oreilles, mon nez. J’ignore ma chair lacérée et je m’intériorise un instant. En moi-même, je découvre plus de tribulations et de stridences que dans toute l’étendue du cosmos.
*
J’ai ouvert les portes de l’Église pour que les fidèles se préparent à la veillée. J’adresse des prières.
*
Le garçon me regarde pendant qu’il sert le jus de fruits. Un doute s’affiche dans ses yeux brillants. Je lui adresse un clin d’œil de confiance. Je ressens le désir de le réprimander en lui imposant l’exil, de lui crier que je ne veux pas rester à ses côtés, que sa présence me brûle comme un enfer. Je voudrais hurler qu’il laisse mon âme tranquille. Mais comme toujours, je finis par me plonger dans les profondeurs de ce Tartare. Des sanctions plus lourdes existent, je lui explique. La luxure appartient au profane et Dieu l’interdit. Il me demande si Dieu voit avec bienveillance ce qui s’est passé hier. Dieu approuve notre relation, lui dis-je, car c’est la manifestation de l’amour entre un père et un fils, parce que tu es mon fils et aussi le fils des cieux. Un certain mystère renaît dans son regard ou peut-être simplement un doute persistant. J’ai peur qu’il expulse une réaction violente et j’essaie de le séduire. Assieds-toi, comme si tu étais mon fils. C’est ce que tu incarnes désormais. Tu es mon soutien spirituel, souviens-toi. Tu es celui qui accorde la tranquillité à mon âme. Je le dirige vers ma chambre et lui dévoile la première partie de la peinture. Adam et Eve affichent leurs attributs charnels. Entre les deux resplendit un Dieu qui ne sourit pas, un Dieu sérieux avec une nuance protectrice, un Dieu épuisé par le dur labeur de la création. Tu vois leur nudité, et bien c’est une nudité pure, une nudité sainte, parce qu’ils sont enfants oints de Dieu. Sois assuré que toi aussi tu deviendras l’un d’eux. Je referme le triptyque sans lui montrer la nature habile du démon. Derrière une grosse pierre, le diable se prépare à émerger sous forme de serpent. Le rocher n’est pas seul responsable du camouflage, je me rends également complice de sa supercherie. Je me persuade qu’il a cru en mon homélie.
*
Je me dirige tranquillement vers la maison de Mme Salomé. Je porte le ciboire avec une hostie et d’autres objets liturgiques. Je suis prêt à offrir le sacrement sacré de l’onction des malades à son père mourant. Malgré cela j’entretiens la fixation ancrée dans des pensées impures, la silhouette du garçon virevolte dans ma tête. Mon âme est abandonnée. Je n’essaie même pas de prier. Un homme avec des tatouages passe à côté de moi. Il m’effleure légèrement, mais avec suffisamment de force pour me déséquilibrer. Son regard ébauche un acquiescement à moitié élaboré. Il a l’intention de m’accorder un semblant d’excuses que je salue avec un visage sérieux. Je pense que dans l’histoire des rencontres décisives, celle-ci ressemble à tout sauf à une rencontre décisive. Je traverse à nouveau la ville en évitant les rues encombrées, en compagnie de mes pensées qui ne m’abandonnent pas. Je traverse le parc central, je tourne à droite et j’arrive enfin à la maison indiquée. Je bénis la maison et accomplis le rite. Je déclame la requête coutumière. J’oins d’huile les yeux sombres, les oreilles tombantes, le nez encombré, les lèvres sèches qui déforment son visage, et enfin les mains fragiles. La force écrasante de sa maladie a dévasté sa capacité à bouger. Je l’oins d’huile et je récite les paroles prescrites dans les livres de la liturgie : par cette sainte onction et par sa bienveillante miséricorde, que le Seigneur vous aide avec la grâce de l’esprit, afin que, libéré de vos péchés, il vous accorde le salut et vous conforte dans votre maladie.
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Je suis enfin rentré. Tomás contemple les insectes qui glissent le long des murs et, comme s’il anticipait leurs ombres, il reste en état d’alerte, parfois dans un coin éloigné, d’autres fois plus près de mon regard. Le garçon explore les Écritures dans sa chambre. Je n’ai pas le courage de soutenir mon corps et je m’évanouis sur le matelas.
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Elles pénètrent en séparant la viande de l’organe, en dilatant la constitution de ses tissus, en éclaboussant mon rêve alarmé d’une humeur magenta. Les atroces bêtes élèvent ma chair en offrande à ce dieu unique fait de mucus et de cérumen, de larmes et d’yeux crottés, de sueur et d’excréments, de sperme et de sang. Elles me conduisent avec enthousiasme vers leur tanière d’où nous sortons assombris par le ruissellement qui se rajoute et leur insuffle la force de persévérer dans leurs instincts. Les éclaboussures d’immondices me baptisent comme un infâme converti.
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Je me réveille en sueur. Je sens quelque chose brûler en moi. Je commence à hurler. Tout agité, j’invoque le nom du garçon. Il arrive. Je sens une flamme palpiter dans mes yeux. Pour guider quelqu’un, il faut connaître la personne dans son intégralité. Je lance la phrase comme si c’était une révélation. Dans ses yeux, un froid glacial se fige, il me paralyse. Mon corps est envahi par le désir. Je ne peux plus reculer. Je le serre dans ses bras. Je bois de sa bouche comme un fou, comme un pèlerin éloigné de son chemin qui trouve enfin un guide pour remédier à sa solitude et à sa confusion. Je m’abreuve à la source de sa bouche comme dans une oasis libératrice de tant de sécheresse. Je desserre mes bras et je m’écarte dans une expiration de délectation. Il baisse la tête et ne lance aucune expression, aucun geste, aucune voix. Je comprends que, comme mon âme, il a également abandonné. Je vais au bureau bondé de papiers et de livres sacrés. Je regarde l’estampille de la vierge. Elle fixe ses yeux sur moi. Je la détourne pour échapper à son regard. La Bible se trouve toujours au même endroit qu’hier. Elle se balance dans ce petit coin comme si un vertige l’emportait, comme s’il l’incitait à tomber irrémédiablement. Je ne cherche même pas à l’accommoder. Ma volonté s’attarde sur d’autres fixations. Mon index se dirige directement vers l’appareil musical, vers le bouton qui force le disque à tourner. La mélodie me transporte.
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ALLEGRO
Je déshabille son corps avec le calme et le plaisir du prédateur qui savoure la proie qu’il sait déjà conquise. Je m’en délecte. J’observe ses mamelons pointus, sa peau hérissée dans une peur glaciale. Ses joues s’allument comme deux bougies illuminant l’autel. Je palpe enfin ses doux testicules. Je stimule son pénis sur son intérieur dans un va-et-vient de la main, dans une étreinte fusionnelle capable d’obnubiler toutes les pulsations du monde. La musique sonne vigoureusement. Elle s’élève avec les violons puissants aux notes élevées. La vitesse marque le rythme de mes mains. Elle m’incite à continuer le mouvement dans les stridences des basses. Tout représente la joie dans ce paradis des corps. Je suis nu. Je me sens comme au premier jour de la création, comme Adam et Eve dans leur espace céleste.
Dehors, Tomás a trouvé une proie. Il aboie. Il n’arrête pas d’aboyer.
Je sens sa peau et je deviens le créancier du doux arôme de son cou. J’explore le derme tant désiré de son dos que je sirote avec ma langue. Je déguste sa fente sacrée, il frissonne. Mon appendice oral ne diminue pas dans sa fonction. Il entre et sort avec une vitesse irrationnelle. Les spasmes du garçon s’intensifient avec les cliquetis du violon et avec ses gémissements. Le garçon crie. Il grogne. Il implore. Mais l’apostasie de ma langue ne connaît pas de répit. Je retourne à sa poitrine robuste. Ses bouts-de-sein brillants invitent mes dents. Ma dentition lacère à peine ses mamelons, elle les presse et se desserre encore et encore. Je lèche sa poitrine d’éphèbe et la texture douce de son ventre plat. Et nous voilà, moi déjà accroupi et lui debout. Ma langue balaie ses testicules couverts de poils à peine naissants. Je stimule son pénis pendant que je palpe la douceur de ses fesses charnues. Je porte mon majeur à ses lèvres et le force à l’avaler. Ensuite, le plaisir et la musique se conjuguent. Mon membre érigé et trempé traverse la route immaculée.
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LONG ET CANTABILE
Permets-moi de rester fort, Seigneur, dans cette vallée de larmes. Écoute mon plaidoyer, Dieu, je t’en implore, alors que mon corps est loué par des caresses, alors que la fraîcheur de la salive impacte mon visage, ma poitrine, mes fesses, mon tout. Donne-moi la force de supporter l’aridité de ses mains sur moi. Pour ne pas pleurer et geindre. Mais je ne peux pas. Mon Dieu, toi qui vois tout qui entend tout et qui sent tout. Une douleur infernale me traverse. Je sens mon corps qui s’ouvre, se déploie dans le gémissement plaintif émis par ma gorge et dont les échos ne résonnent qu’en moi. Dieu, apaise ce supplice. Ne m’abandonne pas. Rends-moi fort. Accueille mes prières. Est-ce, Seigneur, une minute de purification ? Ou me retrouverai-je peut-être dans les flaques troubles du diable ? Regarde-moi, Seigneur, contemple le fils que tu oins, ici, après avoir été crucifié et maintenant descendu en enfer. Accomplis le rituel de tes commandements divins. Ces aboiements désespérés de Tomás. Cette musique, Mon Dieu. Ô, mon Dieu, cette musique terrible est infinie.
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C’est la descente du martyr à tous les enfers créés.
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ALLEGRO
Il fait vibrer son corps sur celui du jeune homme. Leurs deux corps sont bouleversés par leurs contraires. Le prêtre est secoué par le plaisir ; le jeune homme paralysé par le supplice. Il le soumet comme on apprivoise un poulain. Il le chevauche sur le thalamus. Il insère encore et encore son sceptre de sang et de luxure. Il pétrit sa peau avec sa langue gluante. Il la dirige de son cou jusqu’à l’émergence de ses fesses. Il le pénètre à nouveau sous les râles du jeune homme agité par la douleur. Il se délite dans un bain du liquide écarlate qui jaillit de ses organes perforés. Derrière son oreille, il entend les claquements des baisers qui naissent dans la débauche.
Dans la cour, les aboiements de Tomás se transforment en hurlements imparables.
Et le beuglement aigu, nettement audible rugit et éclate en un écho invincible, comme des milliers de loups affamés qui accablent l’agneau. Il émigre cette fois vers la demeure latérale des dieux en l’intérieur de personne, mais en dehors de tous, en dehors de la création même. Le prêtre éjacule. Il sent le petit tremblement de terre qui provoque une crampe dans sa colonne vertébrale et le fait tressaillir. Le livre sur le bureau tombe sur le carrelage sur un bruit de tonnerre. La musique s’arrête. Le silence envahit le monde.
*
L’église se trouve dans l’obscurité totale. La flamme resplendit à la porte comme si elle voulait faire fondre l’atmosphère. Je m’approche du cierge et je l’allume. Les paroissiens, en file indienne, prennent de mon feu. La veillée pascale commence. Je recherche la récrimination sur chaque visage. Que pourraient-ils dire s’ils savaient ? Ils entreprendraient sûrement de me juger comme s’ils n’étaient pas eux-mêmes envahis de désirs. Alors je ne les vois plus. Ils ne m’intéressent plus. Il n’y a rien en moi. Rien du tout.
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