Kitabı oku: «Chronique de 1831 à 1862. T. 1», sayfa 3
1834
Londres, 27 janvier 1834.– Sir Henry Halford vient de me raconter que le feu roi George IV, dont il était le premier médecin, lui ayant demandé, sur l'honneur, deux jours avant sa mort, si son état était désespéré, et sir Henry, avec une figure très significative, lui ayant répondu qu'il était dans un état très grave, le Roi le remercia par un signe de tête, demanda à communier, et le fit très religieusement; il engagea même sir Henry à prendre part au sacrement. Lady Coningham était dans la chambre à côté. Ainsi, aucun des intérêts humains ne fut banni de la chambre de ce Roi moribond, charlatan, et communiant.
Londres, 7 février 1834.– J'étais hier soir chez lady Holland, qui, en finissant je ne sais quelle histoire qu'elle me contait, m'a dit: «Ce n'est pas lady Keith (Mme de Flahaut) qui me mande cela, car il y a plus de deux mois qu'elle ne m'a écrit.» Puis, elle ajouta: «Saviez-vous qu'elle détestait le ministère français actuel? – Mais, Madame,» ai-je répondu, «c'est vous qui avez appris il y a dix-huit mois à M. de Talleyrand, tout le mal qu'elle disait ici du Cabinet français, au moment de son origine. – C'est vrai, je m'en souviens; mais il faut néanmoins que ce Cabinet dure. Lord Granville écrit à lord Holland que nous ne devons pas croire tout ce que lady Keith nous mandera de la mauvaise position de M. de Broglie, puisqu'elle est très hostile pour celui-ci et désireuse de sa chute.» Je n'ai rien répliqué et cela en est resté là. Et puis, parlez-moi des amitiés du monde!
Au reste, voici un assez drôle de mot qu'on écrit, de Paris, sur M. et Mme de Flahaut: on prétend que leur faveur n'est plus aussi grande aux Tuileries, où on dit que «lui, est une vieille coquette et, elle, un vieux intrigant.»
Warwick Castle 15 , 10 février 1834.– J'ai quitté Londres avant-hier, et suis venue ce jour-là jusqu'à Stony-Stratfort, où je n'engage personne à jamais coucher: les lits y sont mauvais, même pour l'Angleterre; j'ai réellement cru m'étendre sur une couchette de trappiste. J'en suis repartie hier matin, par un brouillard bien froid, bien épais. Il n'y avait pas moyen de juger le pays, qui à travers quelques éclaircies, cependant, m'a semblé plutôt agréable; surtout à Iston Hall, beau lieu qui appartient à lord Porchester. On passe devant une superbe grille d'où on plonge dans un parc immense, par delà lequel on découvre un vallon qui m'a semblé joli. Leamington16, à deux lieues d'ici, est bien bâti et gai.
Quant à Warwick même, où je suis arrivée hier dans la matinée, on y pénètre par une entrée de château-fort: il offre l'aspect le plus austère, la cour la plus sombre, le Hall le plus vaste, les meubles les plus gothiques, la tenue la plus soignée qu'on puisse imaginer, tout cela dans le genre féodal. Une rivière impétueuse et considérable baigne le pied de vieilles tours crénelées, noires, hautes et imposantes; elle fait un bruit monotone auquel répond celui d'arbres entiers, qui éclatent en brûlant dans des cheminées de géants. Des souches énormes sont empilées sur des tréteaux dans le Hall; il faut deux hommes pour les prendre et les jeter dans l'âtre; ces tréteaux sont établis sur des dalles de marbre poli.
Je n'ai encore jeté qu'un rapide coup d'œil sur les vitraux de couleur des grandes et larges croisées qui répondent aux cheminées, sur les armures, les bois de cerf et les autres curiosités du Hall, sur les beaux portraits de famille des trois grands salons. Je ne connais bien encore que ma chambre, toute meublée de Boule, de noyer ciselé et pleine de conforts modernes à travers toutes ces vieilles grandeurs!
Le boudoir de lady Warwick est aussi rempli de curiosités. Elle est venue me prendre, hier, dans ma chambre, et après m'avoir montré ce boudoir, elle m'a menée dans le petit salon où j'ai trouvé le fils de son premier mariage, lord Monson, petite figure d'homme ou plutôt d'enfant, timide et silencieux, par embarras de sa petite taille et de sa faiblesse de corps; puis lady Monson, contraste frappant de son mari, grande et blonde Anglaise, raide, osseuse, avec de longs traits, de larges mains, une large poitrine plate, un air de vieille fille, des mouvements anguleux, tout d'une pièce, mais polie et attentive; ensuite lady Eastnor, sœur de lady Stuart de Rothesay, laide comme on l'est dans sa famille, et bien élevée, comme le sont aussi toutes les filles de lady Hardwick; lord Eastnor, grand chasseur, grand mangeur, grand buveur; son frère, un révérend, qui, je crois, ne s'était pas rasé depuis Noël et qui n'a ouvert la bouche que pour manger; lord Brooke, fils de la maison, du second mariage, âgé de quinze ans, d'une très jolie figure; son précepteur, silencieux et humble comme de raison; et, enfin the striking figure de lady Caroline Neeld, sœur des Ashley et fille de lord Shaftesbury. Elle est célèbre par un procès contre son mari, dont les journaux retentissaient l'année dernière; elle est l'amie de lady Warwick, protégée, recueillie, défendue par elle. C'est une personne bruyante, hardie, mal disante, avec des façons familières et un ton risqué; elle a une jolie taille, de la blancheur, de beaux cheveux blonds, ni cils ni sourcils, une figure longue et étroite, rien dans les yeux, un nez et une bouche qui font penser à ce que Mme de Sévigné disait de Mme de Sforze, qui était un perroquet mangeant une cerise.
Lord Warwick, retenu dans sa chambre par un rhumatisme goutteux, ne semblait faire faute à personne.
La maîtresse de la maison est la moins convenable possible pour le lieu qu'elle habite. Elle a été jolie, sans être belle; elle est naturellement spirituelle, sans rien d'acquis. Elle ne sait pas même un mot de la tradition de son château; elle a un tour d'esprit drôle et nullement posé, ses habitudes de corps sont nonchalantes, et cette petite femme, grasse, paresseuse, oisive, ne paraît nullement appelée à gouverner et à remplir cette vaste, sérieuse et presque formidable demeure. D'ailleurs, tout le monde me semble pygmée dans ce lieu-ci et il faudrait des gens plus grands que nature, tels qu'étaient les faiseurs de Rois17 pour la remplir: notre génération est trop mesquine dans ses proportions pour de tels lieux.
La salle à manger est belle, mais moins grandiose que le reste. En sortant de table, très longtemps avant les hommes, on nous a conduites dans le grand salon, qui est placé entre un petit et un moyen. Dans ce grand salon sont des Van Dyck superbes; une boiserie tout entière en bois de cèdre dans sa couleur naturelle, l'odeur en est assez forte et agréable; le meuble est en damas velouté où le gros rouge domine; force meubles de Boule vraiment magnifiques, quelques marbres rapportés d'Italie; deux énormes croisées faisant renfoncement et cabinets, sans rideaux et seulement entourées de grands cadres cerclés en cèdre. Pour tout cela, il y avait une vingtaine de bougies, qui me faisaient l'effet de feux-follets, trompant l'œil plutôt qu'elles n'éclairaient la chambre. Je n'ai, de ma vie, rien vu de si triste et de si chilling que ce salon; une conversation de femmes, très languissante… il me semblait toujours que le portrait de Charles Ier et le buste du Prince Noir allaient venir se mêler à nous, et prendre leur café devant la cheminée. Les hommes sont enfin arrivés, le thé ensuite; à dix heures une espèce de souper; à onze heures retraite générale, qui m'a semblé être un soulagement pour tous.
J'ai, dans cette longue soirée, vingt fois pensé à la description que Corinne fait du château de sa belle-mère.
A dîner, on n'a parlé que des county-balls, des Leamington-spas et des commérages du Comté: c'était, trait pour trait, la description de Mme de Staël.
Ce matin, j'ai parcouru avec lady Warwick le château, que je connaîtrais mieux si j'avais été livrée à moi-même, ou seulement aux prises avec une des deux housekeepers dont la plus ancienne a quatre-vingt-treize ans. A la voir, on croirait qu'elle va vous parler de tous les York et Lancastre. La maîtresse de la maison ne se soucie pas le moins du monde de toutes les curieuses antiquités dont ce lieu-ci abonde et qu'il m'a fallu voir en courant.
Je me suis cependant arrêtée devant la selle et le caparaçon du cheval de la Reine Élisabeth, par lequel elle est venue de Kenilworth ici, puis je me suis emparée du luth offert par lord Leicester à la Reine Élisabeth, merveilleusement sculpté, en bois, avec l'écusson de la Reine en cuivre doré, par-dessus et tout à côté de celui du favori, ce qui m'a paru assez familier. J'ai remarqué un curieux portrait de la Reine Élisabeth dans ses habits de couronnement et dans lequel elle ressemblait terriblement à son terrible père. Lord Monson, à l'occasion de ce portrait, m'a conté un détail que j'ignorais: c'est que la Reine Élisabeth, qui voulait toujours paraître jeune, n'a jamais permis qu'on fît son portrait autrement qu'en face, et éclairé de façon à empêcher que les ombres ne portassent sur ses traits, craignant que les ombres, en marquant les traits, ne marquassent aussi les années. On dit que cette idée lui était si constamment présente, qu'elle se mettait aussi toujours en face du jour, quand elle donnait ses audiences.
La bibliothèque ici n'est pas très remarquable et ne me paraît pas très fréquentée. La chambre à coucher de la Reine Anne avec le lit de l'époque est une belle pièce.
A dix heures, nous sommes montées en calèche, lady Warwick et moi, escortées par lady Monson et lord Brooke à cheval, et nous avons été, par un pays assez médiocre, aux fameuses ruines de Kenilworth. Là, j'ai éprouvé un mécompte réel; non pas que ces ruines ne donnent l'idée d'une noble et vaste demeure, mais le pays est si plat, l'absence d'arbres est si complète, que le pittoresque disparaît; à la vérité, le lierre y est partout superbe, ce qui fait bien, mais ce qui n'est pas suffisant.
Lady Monson, moins ignorante de la localité que sa belle-mère, m'a fait remarquer la salle des banquets; la chambre de la Reine Élisabeth; les bâtiments construits par Leicester, et qui sont plus détériorés que ceux des Lancaster, quoique plus modernes; le pavillon d'entrée sous lequel a passé le cortège de la Reine et qui avait été bâti exprès: il est encore en bon état, un fermier de lord Clarendon, auquel appartiennent les ruines, l'habite. Il y a, dans l'intérieur de ce pavillon, un chambranle de cheminée avec les chiffres et devise de Leicester. Le pavillon où Walter Scott fait arriver Amy Robsard, est rendu célèbre par le romancier, mais ne l'est pas dans l'histoire.
On ne m'a pas permis de monter sur les tours; depuis l'accident arrivé l'année dernière à la nièce de lady Sefton, les ruines sont en mauvais renom comme solidité; d'ailleurs, on m'a assuré que la vue n'en était point remarquable.
Nous avons pris le chemin le plus long pour revenir et nous avons traversé Leamington dans toute sa longueur. L'établissement des bains m'a semblé joli, ainsi que toute la ville, animée maintenant par beaucoup de gentlemen chasseurs, qui y vivent un peu comme à Melton Mowbray.
Il ne faisait pas encore sombre quand nous sommes revenues, et lady Warwick m'a menée voir, au bout du parc de Warwick, qui est très bien planté, une jolie vue de la rivière Avon, des serres qui ne sont ni très soignées, ni très fleuries, mais dans lequelles se trouve le Warwick vase: c'est un vase dans des proportions colossales, en marbre blanc, d'une superbe forme, avec de beaux détails; il a été rapporté d'Italie et du jardin de Trajan par le père du lord Warwick actuel.
Je retourne demain à Londres.
Londres, 12 février 1834.– M. de Talleyrand m'a raconté qu'hier soir, jouant au whist avec Mme de Lieven qui était partner de lord Sefton, la Princesse, dans ses distractions habituelles, avait renoncé deux fois; sur quoi lord Sefton a fait doucement remarquer qu'il était tout simple que ces diables de Dardanelles fissent souvent renoncer Mme de Lieven: cela a fait rire tous les assistants.
J'ai reçu de M. Royer-Collard une lettre dans laquelle je trouve la phrase suivante: «Monsieur de Bacourt m'a extrêmement plu; sa conversation nette, simple, judicieuse, m'a charmé; je n'en rencontre guère ici d'aussi bonne. Nous nous entendons de tous points.»
Londres, 15 février 1834.– La duchesse comtesse de Sutherland est venue me prendre hier, et nous a menées Pauline et moi au Panorama of the North Pole où le capitaine Ross joue un grand rôle. Comme peinture et perspective, c'est au-dessous de tout ce que j'ai vu dans ce genre; mais tout ce qui se rapporte à d'aussi rudes épreuves et à des souffrances aussi prolongées, est d'un véritable intérêt.
Un des matelots, qui avaient été d'abord avec le capitaine Parry sur la Furia, puis ensuite avec le capitaine Ross, se trouvait, par hasard, à ce Panorama. Il a donné à Pauline un petit morceau de la fourrure dont il s'était couvert chez les Esquimaux, et à moi, un petit morceau de granit, pris au point le plus nord de l'expédition. Nous l'avons beaucoup questionné; il est revenu bien souvent sur le moment où ils ont aperçu l'Isabella, qui les a rendus à leur patrie: c'était le 26 août. Il a ajouté que, tant qu'il vivrait, il boirait chaque année, ce jour-là, au souvenir de cette heureuse apparition.
Nous avons eu, hier soir, un raout chez nous. Il n'avait rien de remarquable comme toilettes, comme beautés, ni comme ridicules. Le marquis de Douglas était beau à ravir: miss Emily Hardy m'en a paru frappée.
Le ministère était représenté par lord Grey, lord Lansdowne, lord Melbourne. Ce ministère est fort embarrassé, car il se passe chaque jour, aux Communes, des incidents qui font éclater le schisme trop réel parmi eux; la figure de lord Grey en portait hier une visible empreinte.
Londres, 20 février 1834.– Il y a une nouvelle histoire, fort vilaine, qui circule sur M. le comte Alfred d'Orsay. La voici: sir Willoughby Cotton écrit, le même jour, de Brighton, à M. le comte d'Orsay et à lady Fitzroy-Somerset; il se trompe d'adresse et voilà M. d'Orsay qui, en ouvrant celle qui lui arrive, au lieu de reconnaître sa méprise à la première ligne, qui commence par «Dear Lady Fitzroy», lit jusqu'au bout, y trouve tous les commérages de Brighton, entre autres des plaisanteries sur lady Tullemore et un de ses amoureux, et, je ne sais encore à quel propos, un mot piquant sur M. d'Orsay lui-même. Que fait celui-ci? Il va au club, et, devant tout le monde, lit cette lettre, la met ensuite sous l'adresse de lord Tullemore auquel il l'envoie. Il a failli en résulter plusieurs duels. Lady Tullemore est très malade, le coupable parti subitement pour Paris. On est intervenu, on a assoupi beaucoup de choses, pour l'honneur des dames, mais tout l'odieux est resté sur M. d'Orsay.
Londres, 27 février 1834.– On s'amuse à répandre le bruit du mariage de lord Palmerston avec miss Jermingham: elle était hier à l'ambassade de Russie, chamarrée et bigarrée, à son ordinaire: elle y a été l'objet des moqueries de Mme de Lieven, qui, cependant, n'a pas cru pouvoir se dispenser de l'inviter. Pour se venger, peut-être, de cette nécessité, elle disait, assez haut, que miss Jermingham lui rappelait l'avertissement du journal le Times que voici: A house-maid wants a situation in a family where a footman is kept18. C'est assez joli, assez vrai, mais peu charitable… Elle ajoutait avec complaisance, à cette occasion, que les journaux satiriques avaient donné à lord Palmerston le surnom de venerable cupid…
Londres, 1er mai 1834.– M. Salomon Dedel est arrivé ce matin de la Haye, il m'a apporté une lettre du général Fagel. J'y trouve ce qui suit: «Quelqu'un a su que lord Grey avait manifesté l'espoir que Dedel reparaîtrait à Londres, muni d'instructions pour en finir. Dedel en parle au Roi et celui-ci lui répond: «Votre absence a eu pour motif de venir voir vos parents et vos amis, et vous pourrez en donner des nouvelles si on vous en demande.»
Plus loin je trouve dans la même lettre: «Nous voulons être forcés par les cinq puissances; nous ne tiendrons aucun compte d'une contrainte partielle comme celle de 1832; sans cette unanimité, nous nous refuserons toujours à un arrangement définitif. On prendrait, de guerre lasse, plutôt la route de Silésie, que de reconnaître Léopold.»
Mme de Jaucourt, en parlant de l'esprit de parti furibond qui règne en France en ce moment, mande à M. de Talleyrand que M. de Thiard, son frère, a dit, l'autre jour, chez elle: «Je donnerais mon bras droit pour que Charles X fût encore à la place d'où nous l'avons chassé.»
N'est-il pas singulier que le jeune Baillot, qui vient de périr assassiné dans les derniers troubles de Paris, se soit souvent vanté d'avoir, lors des journées de juillet 1830, tué plusieurs individus, exactement de la même manière que celle dont lui-même a péri?
On m'a raconté un mot amusant de la vieille marquise de Salisbury. Elle a été, dimanche dernier, à l'église, ce qui lui arrive rarement; le prédicateur, parlant du péché originel, a dit qu'Adam, en s'excusant, s'était écrié: «Seigneur, c'est la femme qui m'a tenté.» A cette citation, lady Salisbury, qui paraissait entendre tout cela pour la première fois, a sauté sur son banc, en disant: «Shabby fellow, indeed!»
Je viens d'une visite du matin chez la Reine, je l'ai trouvée agitée, inquiète et cependant heureuse de son prochain voyage en Allemagne. Le Roi l'a arrangé, à son insu; il est entré dans les plus petits détails; c'est lui qui a nommé la suite d'honneur, les domestiques, choisi les voitures. Tout cela est arrivé si subitement que la Reine n'en est point encore remise; elle ne sait si elle doit se réjouir de revoir sa mère qui est âgée et infirme ou se tourmenter de laisser le Roi seul, pendant six semaines. Elle m'a dit que le Roi avait voulu inviter M. de Talleyrand et moi à Windsor, pendant notre séjour à Salthill, mais qu'elle-même l'en avait détourné, comme tirant à conséquence, et obligeant à d'autres invitations, entre autres celle de la princesse de Lieven, dont le Roi ne se souciait pas.
La Reine tousse et se croit assez malade; elle compte sur l'air natal pour se rétablir.
Il est impossible, chaque fois qu'on a l'honneur de voir cette Princesse, de ne pas être frappé de la parfaite simplicité, vérité et droiture de son âme. J'ai rarement vu une personne sur laquelle le sentiment du devoir eût plus de puissance, qui, dans tout ce qu'elle dit et fait, parût plus d'accord avec elle-même. Elle a de la gaieté, de la bienveillance et quoiqu'elle manque de beauté, sa grâce est parfaite, le ton de sa voix malheureusement nasillard, mais il y a tant de bon sens et de vraie bonté dans ce qu'elle dit, qu'on l'écoute avec plaisir. La satisfaction qu'elle éprouve à parler allemand est bien naturelle, elle me touche, chaque fois, sensiblement; cependant, je voudrais que devant les Anglais elle s'y livrât moins: je voudrais, dans l'intérêt de sa situation, peut-être un peu plus d'anglais en elle; on ne saurait être restée plus Allemande qu'elle l'est; je crains qu'on ne le lui reproche parfois. Que ne reproche-t-on pas aux souverains maintenant? Responsables de toutes choses, ils sont sans cesse menacés d'expiations, bien ou mal fondées. La pauvre Reine a déjà éprouvé toute l'amertume de l'impopularité, de la calomnie. Elle y a opposé beaucoup de valeur, de dignité, et je suis convaincue qu'elle est en fonds de courage pour les dangers.
C'était aujourd'hui la Saint-Philippe; nous avions à dîner les Lieven et lady Cowper; le prince Esterhazy est venu nous voir après le dîner. Je remarque, depuis quelque temps, une certaine aigreur dans sa façon d'être avec les Lieven, qui ne lui est pas habituelle; sa plaisanterie, en s'adressant à la Princesse, tourne promptement à l'ironie. Je crois que, de son côté, elle regrettera peu son départ; elle n'a jamais pu le subjuguer; il coule et s'échappe de ses mains; les arlequinades, toujours fines, quelquefois malicieuses, d'Esterhazy la gênent et la déroutent; ils ont toujours l'air d'être sur le qui-vive l'un avec l'autre, et ils se dédommagent de cette contrainte par des coups de patte assez fréquents.
La Reine m'a dit qu'à Windsor, dernièrement, Esterhazy lui avait parlé de M. de Talleyrand avec un attachement particulier, lui disant que son plus grand plaisir était de venir l'écouter. Il a ajouté, qu'en rentrant chez lui, il écrivait souvent ce qu'il avait entendu de M. de Talleyrand. Il paraît qu'Esterhazy tient un journal fort exact; il l'a dit à la Reine, lui racontant que cette habitude est si ancienne qu'il a déjà rempli de gros volumes, qu'il se plaît à relire. La Reine s'étonnait, avec raison, de cette habitude suivie et sédentaire chez quelqu'un dont les allures sont si peu posées et l'esprit souvent distrait.
Lord Palmerston, qui, depuis notre dernier retour de France, n'a pas une seule fois accepté de dîner chez nous, qui n'est pas venu à une seule de nos soirées, était encore invité aujourd'hui, et la présence de lady Cowper nous faisait croire à la sienne, mais il s'est fait excuser au dernier moment.
Londres, vendredi 2 mai 1834.– Alava m'écrit qu'il reçoit des lettres du ministre d'Espagne à Londres, le marquis de Miraflorès, qui est son neveu, dans lesquelles il lui parle des éloges que lord Palmerston ne cesse de lui prodiguer sur son début diplomatique ici, qu'il dit être extrêmement brillant. Le Marquis, qui est un sot, ne voit pas la cause de ces éloges, qui proviennent de ce traité de la Quadruple Alliance, proposé par Miraflorès à l'instigation de lord Palmerston lui-même, et dont les résultats, bien obscurs encore, pourront devenir plus embarrassants qu'utiles à son inventeur et aussi à la France.
M. de Montrond a écrit à M. de Talleyrand pour lui dire qu'ayant fait exprimer à M. de Rigny son désir de venir à Londres, celui-ci avait trouvé, qu'avant de lui en faciliter les moyens, il fallait d'abord savoir si M. de Talleyrand serait satisfait de ce voyage. Ce doute choque beaucoup M. de Montrond, et moi je sais bon gré à M. de Rigny de l'avoir admis. Au fait, l'année dernière, M. de Montrond, se disant ici chargé d'une correspondance secrète et diplomatique, était un personnage gênant. L'humeur qu'il avait, et qu'il montrait, de n'être mis dans aucun des secrets de l'ambassade, lui faisait manquer, le plus souvent, aux convenances, blessait M. de Talleyrand dans les siennes, et importunait les spectateurs. Depuis dix-huit mois, M. de Montrond touche mille louis par an sur les fonds secrets du ministère des affaires étrangères: je doute qu'il leur rende jamais la monnaie de leur pièce!
Tous les ouvriers, à Londres, sont en révolte: les tailleurs ne peuvent plus travailler, faute d'ouvriers; on prétend que, sur les cartes d'invitation du bal de lady Lansdowne, il y avait: The gentlemen to appear in their old coats. Les blanchisseuses s'en mêlent, et, bientôt, il nous faudra laver notre linge comme les Princesses de l'Odyssée!
Londres, 3 mai 1834.– M. de Talleyrand dit que lord Holland a une bienveillance perturbatrice. C'est d'autant mieux dit que rien n'est plus vrai. Avec la plus parfaite douceur de manières, l'humeur la plus égale, l'esprit le plus gai, l'abord le plus obligeant, il est toujours prêt à mettre partout le feu à la mèche révolutionnaire; il y fait, en conscience, ce qu'il peut, et quand il n'y réussit pas, il en a du chagrin, autant qu'il en peut avoir.
J'ai dîné hier chez sir Stratford Canning. Sa maison est singulière, jolie, bien arrangée, remplie de souvenirs rapportés de Constantinople et d'Espagne. Lui-même a de la politesse, de l'instruction, de l'esprit dans sa conversation, et sans une certaine contraction des lèvres qui nuit à une assez belle figure, sans l'air opprimé de sa femme, on aurait peine à comprendre la réputation de mauvais caractère qui lui est assez généralement acquise. C'est sous ce prétexte-là, du moins, que l'Empereur de Russie a refusé, l'année dernière, de le recevoir à Pétersbourg, comme ambassadeur.
Londres, 4 mai 1834.– Il y a une vanterie habituelle et une curiosité indiscrète dans Koreff, qui m'a quelquefois frappée sur le Continent, et qui, ici, m'inspire une défiance extrême. Son esprit, son instruction disparaissent à travers les inconvénients de son caractère, et le rendent souvent très importun. Il vit de commérages de toutes sortes, publics ou privés; la médecine n'arrive qu'en désespoir de cause; et quand il consent à être médecin, il parle de lui comme d'une divinité. Alors, il a sauvé un malade abandonné de tous, fait une découverte miraculeuse: magnétisme, homéopathie, le vrai, le faux, le naturel, le surnaturel, le possible, l'impossible, tout lui est bon pour augmenter son importance, faire disparaître le pauvre diable, et s'entourer de merveilleux à défaut de considération.
Il a dîné chez nous avec sir Henry Halford; il me semble qu'ils ne se sont pas pris de goût l'un pour l'autre; et, en effet, quels peuvent être leurs atomes crochus? La science? Oui, sans doute, si elle se formulait de même pour l'un que pour l'autre. Sir Henry Halford, homme doux, poli, mesuré, discret, fin, souple, respectueux, parfait courtisan, riche, considéré, et grand praticien, n'a jamais cherché à être autre chose que le médecin des grands, et s'est ainsi trouvé, sans le chercher, dans les secrets des affaires et des familles. Koreff, au contraire, a voulu être littérateur, homme d'État, et a dégoûté les gens dans les grandes affaires de le conserver pour médecin. C'est ainsi qu'il s'est perdu à Berlin, il se relèvera difficilement à Paris, et ne réussira pas à Londres, à ce que je crois.
A propos de bavardages et d'indiscrètes curiosités, je ne veux pas oublier une réflexion très vraie que le duc de Wellington vient de me faire sur Alava: «Quiconque», a-t-il dit, «veut être dans la confidence de tous, est obligé de donner la sienne à plusieurs, et cela se passe habituellement aux dépens des tiers.» Il y a un admirable bon sens et droiture de jugement dans le Duc. Nous avons beaucoup causé aujourd'hui ensemble à dîner; je voudrais me souvenir de tout ce qu'il m'a dit: le vrai, le simple, deviennent si rares, qu'on voudrait en ramasser les miettes.
Le duc de Wellington a une mémoire très sûre: il ne cite jamais inexactement; il n'oublie rien, n'exagère rien; et s'il y a quelque chose d'un peu haché, de sec et de militaire dans sa conversation, elle est néanmoins attachante par son naturel, sa justesse, et par une parfaite convenance. Il a un ton excellent, et une femme n'a jamais à se tenir en garde de la tournure que peut prendre la conversation. Il est bien plus réservé, à cet égard, que ne l'est lord Grey, quoique celui-ci ait une éducation, sous plusieurs rapports, bien plus soignée et l'esprit plus cultivé.
Le duc de Wellington m'a dit une chose assez remarquable sur le caractère anglais: c'est que, nulle part, le peuple n'était plus ennemi du sang qu'en Angleterre; un meurtre y est découvert avec une extrême promptitude, chacun se met à la recherche de l'assassin, le suit à la piste, le dénonce et veut que justice soit faite. Il m'a assuré que le soldat anglais était le moins cruel de tous, et que la bataille finie, il ne commettait presque jamais de violence: pillard à l'excès; sanguinaire, non.
L'extrême et naïve vanité de lady Jersey, dont le Duc s'est amusé, nous a conduits à parler de Mme de Staël que le Duc a beaucoup connue et dont les ridicules et les prétentions l'ont plus frappé encore que sa verve et son éloquence ne l'ont ébloui. Mme de Staël, qui voulait apparaître au Duc sous toutes les formes, même sous la plus féminine, lui dit, un jour, que ce qu'il y avait pour elle de plus doux à entendre, c'était une déclaration d'amour; elle était si peu jeune, et si laide, que le Duc ne put s'empêcher de lui dire: «Oui, quand on peut la croire vraie.»
Lady Londonderry, fort connue pour ses bizarreries, étant près d'accoucher et se persuadant qu'elle aurait un garçon, commande un petit costume de hussard, uniforme du régiment de son mari. En le commandant, elle dit au tailleur: «Pour un enfant de six jours. – De six ans, veut dire milady?» reprend le tailleur. – «Non, vraiment; de six jours. Ce sera le costume de baptême!»
Le duc de Cumberland était assez en faveur près de George IV, dans les dernières années de celui-ci, et c'est cependant à cette époque que le duc de Wellington, demandant au Roi pourquoi le duc de Cumberland était si universellement impopulaire, George IV répondit: «C'est qu'il n'y a ni amant et maîtresse, ni frère et sœur, ni père et enfants, ni amis que le duc de Cumberland ne parvienne à brouiller s'il s'approche d'eux.» On prétend, cependant, que le duc de Cumberland a de l'esprit, mais il est si de travers qu'il n'est bon à rien et est nuisible à tout.
Le prochain départ de la Reine d'Angleterre pour l'Allemagne inquiète les vrais amis du Roi; il paraît que ce Prince, qui a le meilleur cœur du monde, a quelquefois des accès d'emportement singuliers, qu'il se met des idées étranges dans l'esprit, et qu'il se trouve parfois dans un si bizarre état d'excitation que l'équilibre menace de se perdre tout à fait. La Reine, avec son attentive douceur et son grand bon sens, veille sur lui dans ces moments de crise, en abrège la durée, le modère, le calme, et lui fait reprendre une assiette convenable.
Le Roi, en ce moment, a beaucoup d'humeur contre dom Pedro, à cause du dernier règlement commercial qui a été publié en Portugal, la veille même du jour de la signature du traité de la Quadruple Alliance à Londres. Cette humeur n'ira probablement pas jusqu'à refuser de ratifier le traité, car ce pauvre Roi est la meilleure créature possible, mais non pas très consistent, comme on dit ici.
On m'a assuré que la vanité de lord Durham avait été tellement exaltée par l'accueil qui lui avait été préparé, il y a deux ans, à Pétersbourg, par les soins de Mme de Lieven, et par celui que les lettres de M. de Talleyrand lui avaient valu dernièrement à Paris, qu'il ne croit pas qu'il puisse se permettre de rester dans une situation privée. Son projet, assez avoué, est de culbuter lord Grey, son beau-père, et de se mettre à sa place, ou, du moins, d'entrer avec un portefeuille au Conseil, ce qui ferait déserter tous les autres membres. Il consentirait, peut-être, à n'être que vice-Roi d'Irlande, ou, comme pis-aller, à accepter l'ambassade de Paris; mais, si toutes ces chances venaient à lui manquer, il déclare qu'alors, il veut se faire le chef avoué de tous les radicaux et faire guerre à mort à tout ce qui existe.