Kitabı oku: «Chronique de 1831 à 1862, Tome 2 (de 4)», sayfa 10
Valençay, 15 octobre 1837.– Toute la famille Thiers est partie hier. Quoique la mère ait été fort en frais, la jeune femme gracieuse à sa façon, et le mari, comme toujours, animé, spirituel et bon enfant, je ne suis pas fâchée de ce départ.
Valençay, 22 octobre 1837.– Nous allons avoir une seconde représentation dramatique; j'ai répété mon rôle, hier, avec M. de Valençay, pendant que tout le reste de la société était à la promenade.
J'ai reçu une lettre très soignée de Mme Dosne. En voici un passage intéressant: «Depuis notre arrivée, la maison a été prise d'assaut par des amis, des curieux, des gens intéressés à connaître les dispositions de M. Thiers. Il a vu M. Molé et M. de Montalivet, qui se disputent son amitié, puis il a été reçu, avec effusion, par la famille Royale; vous savez mieux que personne, Madame, à qui il le doit. Enfin, son passage à Paris a été très favorable et très politique. Il veut rester le défenseur du Ministère, tant que celui-ci vivra, et l'aider de son mieux, mais on lui doit réciprocité pour les élections. Demain, nous partons pour Lille où nous resterons autant que ma fille le voudra.»
Valençay, 26 octobre 1837.– Mme de Lieven m'écrit que son mari lui a envoyé son fils Alexandre pour l'emmener, morte ou vive, qu'elle s'y est refusée, que son fils est reparti, muni, du reste, de tous les certificats possibles, des médecins et de l'ambassade, pour constater son impossibilité de mouvoir. Elle se loue fort du comte Pahlen et de mon cousin Paul Medem. Il paraît que l'Autocrate a dit à M. de Lieven qu'il broierait la Princesse si elle s'obstinait à rester en France. Je lui crois quelque argent à elle, hors d'atteinte, qui l'aide à la résistance, mais quelle situation! Cela va devenir tout à l'heure un vrai drame.
J'ai reçu une longue lettre de M. le duc d'Orléans, dans laquelle il me dit que sa sœur, la duchesse de Würtemberg, n'a pas été tout droit à Stuttgart, en quittant Paris, qu'elle commence par Cobourg et ne doit aller en Würtemberg que plus tard. M. le duc d'Orléans me parle à merveille de sa femme, et il me paraît qu'il la considère comme une amie parfaite, ce qui est, ce me semble, le meilleur titre pour une femme, auprès de son mari, et celui qui lui assure l'avenir le plus désirable.
Valençay, 2 novembre 1837.– Je partirai tout à l'heure, pour aller dîner et coucher à Beauregard; je traverserai Tours demain, et serai chez moi, à Rochecotte, pour l'heure du dîner.
J'ai reçu une lettre aimable de M. Guizot, qui me dit que la Chambre nouvelle ressemblera à la précédente, et que, s'il y a différence, elle sera au profit de sa couleur, à lui.
M. Thiers me mande, de Lille, que le cri général des élections est: «A bas les doctrinaires!» et qu'on le sollicite, de cinq départements différents, d'accepter la députation, mais qu'il veut rester fidèle à Aix. Enfin, M. Royer-Collard m'écrit, de Paris, que M. Molé a été joué dans les élections; qu'il ne s'ensuit pas, cependant, que les élections appartiendront aux doctrinaires, mais que ce ne sera pas l'appui ministériel qui manquera à ceux-ci. De ces trois versions, quelle est la plus croyable? Je tiens, moi, pour l'exactitude de la dernière.
Rochecotte, 4 novembre 1837.– Me voici, depuis hier, dans mes propres foyers. J'ai trouvé, le matin, en traversant Tours, le pauvre Préfet aux prises avec la fièvre électorale.
Rien n'est comparable à la confusion des instructions, sans cesse modifiées ou contredites par les intrigues de Paris, selon qu'elles y subissent l'influence Guizot ou Thiers. Aussi le résultat sera-t-il loin de répondre, je crois, au but qu'on s'était proposé en dissolvant la Chambre. Heureusement que le pays est fort calme, que la mesure de la dissolution n'a pas été prise en raison des nécessités du pays, mais uniquement dans des calculs d'intérêts personnels, et que là le mécompte est indifférent. Il est fâcheux, cependant, de remuer inutilement les mille et une petites passions locales, qui, sans s'élever aux dangers et à la violence des passions politiques, nuisent à l'esprit public, en fractionnant de plus en plus le pays.
Rochecotte, 5 novembre 1837.– Les comédies jouées à Valençay ont apporté du mouvement dans ce grand château, qui en a prodigieusement manqué pendant les mois de juin, juillet et août. J'avoue, à ma honte, que, pour la première fois de ma vie, dès que j'ai été reposée des fatigues de Fontainebleau et de Versailles, je me suis fort ennuyée! Les maladies qui nous ont tous visités, les uns après les autres, ont fait succéder la tristesse à l'ennui, aussi n'étais-je pas fâchée de quelques petites secousses et diversions.
Rochecotte, 11 novembre 1837.– Il est arrivé, hier, une lettre de Madame Adélaïde, qui se montre assez contente des élections, et qui le serait encore plus sans l'infâme alliance des légitimistes et des républicains, qui, dans plusieurs lieux, a fait triompher ces derniers: je me sers de ses propres termes. Elle dit aussi que la Princesse Marie est ravie de son mari, de son voyage, de l'Allemagne et de l'accueil qu'elle y reçoit jusqu'à présent.
Rochecotte, 24 novembre 1837.– Je plains la grande-duchesse Stéphanie des torts ou des malheurs de sa fille, la princesse Wasa89. Je n'ai jamais eu de goût pour celle-ci, et j'ai été frappée de son mauvais maintien, quand je l'ai vue à Paris, avec sa mère, en 1827; du reste, son mari, que je connais aussi, est fort médiocre, et nullement fait pour diriger une jeune femme.
La duchesse de Massa célèbre, dans ses lettres, les bonnes réceptions et le bel air de la Cour de Cobourg, et le bonheur de la princesse Marie. On me dit aussi que M. le duc d'Orléans parle beaucoup de son bonheur intérieur dans lequel il vit entièrement. Il doit donner une fête, pour le retour de son frère, le duc de Nemours, le vainqueur de Constantine.
Je suis de plus en plus ravie de la Vie de Bossuet, par le cardinal de Bausset. Quelle bonne fortune que d'avoir conservé cette lecture pour un temps ou le goût de lire m'avait passé et où il se ranime par cet excellent ouvrage. Je fais venir la belle gravure de Bossuet: je veux l'avoir. Je trouve ridicule qu'il n'ait pas sa place ici avec mes autres amis du grand siècle, Mme de Sévigné, Mme de Maintenon, le cardinal de Retz et Arnauld d'Andilly. Quoique j'admire tous et chacun de cette grande époque, j'ai mes préférences. Il me faudrait un portrait de la Palatine pour compléter ma collection.
Rochecotte, 30 novembre 1837.– Ma sœur, la duchesse de Sagan, annonce sa très prochaine arrivée ici. Je ne sais si, cette fois, elle réalisera ce projet. Ce n'est pas qu'au fond j'eusse beaucoup de regrets à le voir manquer, car je ne suis pas tout à fait à mon aise avec elle; j'ai été habituée à la craindre dans mon enfance, et il m'en reste encore quelque intimidation. Mais, enfin, les choses annoncées, arrangées, c'est vraiment mieux qu'elle vienne.
Rochecotte, 2 décembre 1837.– J'ai lu, hier, dans le Journal des Débats, le grand factum du gouvernement prussien contre l'Archevêque de Cologne90. Il faudrait, maintenant, connaître la défense de celui-ci, pour se permettre un jugement. Ce qui reste certain, c'est qu'une mesure aussi rigoureuse que celle d'enlever un Archevêque de son siège et de l'enfermer, est bien fâcheuse de la part d'un souverain protestant, vis-à-vis d'un prélat catholique, dans un pays catholique: cela sent trop la persécution, même si, au fond, ce n'est que justice. Je suis très curieuse de connaître la fin de cette affaire, dont la portée me semble devoir être grave.
M. de Montrond mande à M. de Talleyrand que toute la maison Thiers professe, depuis son séjour à Valençay, un tel redoublement d'attachement pour nous, qu'on nous tiendra pour responsables et solidaires des faits et gestes de M. Thiers pendant la prochaine session. J'ai bien fait valoir cet argument auprès de M. de Talleyrand, afin de rester ici le plus longtemps possible; avec quel succès? Je l'ignore!
On trouve matin et soir M. Guizot chez Mme de Lieven, et on s'en amuse!
Les lettres de Madame Adélaïde deviennent pressantes pour notre rentrée en ville, précisément par le motif qui me fait désirer n'y pas rentrer.
Rochecotte, 4 décembre 1837.– M. de Sainte-Aulaire m'a mandé que la grande-duchesse Stéphanie avait rajusté l'intérieur de sa fille Wasa: je crains que ce ne soit que partie remise.
Rochecotte, 6 décembre 1837.– J'ai accompli, hier, une entreprise que je voulais exécuter depuis longtemps. J'ai été, avec mon fils Valençay, voir le comte d'Héliaud et Mme de Champchevrier. Nous sommes partis par une belle gelée, nous avons déjeuné chez M. d'Héliaud, et, en revenant, nous avons passé une heure à Champchevrier, chez les meilleures gens du monde, dans un grand vieux château à larges fossés et à grandes avenues, dans un pays de bois et de chasse. De vieilles tapisseries, des bois de cerfs et des cors de chasse suspendus aux murailles composent le principal ornement de ce noble, mais peu élégant manoir. Il est habité par une famille simple, honorable, estimée, qui y vit avec abondance, mais sans aucune recherche, chassant et défrichant toute l'année. A de certaines époques, quarante ou cinquante familles du pays s'y réunissent et s'y amusent. Tout cet établissement mériterait le pinceau de Walter Scott, surtout une vieille grand'mère de quatre-vingt-deux ans, droite, vive, grande, imposante, polie, et dans un costume suranné qui y fait merveille. Nous y avons été très bien reçus. Au retour, j'étais gelée, mais fort aise d'avoir payé mes dettes et rempli ce devoir de bon voisinage.
Le duc de Noailles m'écrit qu'il a rencontré M. Thiers un matin chez Mme de Lieven et qu'il y a parlé comme un petit saint et comme un grand philosophe.
Rochecotte, 10 décembre 1837.– Ma sœur et mon fils Alexandre sont enfin arrivés, hier, d'un voyage long et pénible. Ma sœur est fort engraissée, son visage a vieilli; elle n'en reste pas moins étonnamment conservée pour cinquante-sept ans. Elle parle beaucoup et haut: la Viennoise domine!
Rochecotte, 11 décembre 1837.– J'ai beaucoup promené ma sœur hier; elle trouve ce lieu-ci joli, et ainsi que d'autres personnes me l'avaient déjà dit, elle assure que rien ne lui rappelle autant la bella Italia. A peine étions-nous rentrées de notre grande course, que je l'ai recommencée pour M. de Salvandy, qui nous est tombé ici, fort à l'improviste. Il y a dîné, et après un bout de soirée il a continué sa route vers Nogent-le-Rotrou, où il se rendait à un banquet électoral. Il nous a appris l'arrivée de M. le duc de Nemours au Havre, mais avec le bras cassé, ce qui lui est arrivé à bord d'un mauvais bateau à vapeur. Il a voulu passer par Gibraltar pour éviter un grand bal que la ville de Marseille lui destinait et pour lequel elle s'était mise en grands frais. Le Roi est très mécontent de cette équipée.
Rochecotte, 19 décembre 1837.– Quand, au printemps dernier, j'ai consulté Lisfranc et Cruveilhier, ils m'ont dit, tous deux, que j'étais menacée d'un état inflammatoire. Tout mon régime, depuis ce temps-là, a été calculé pour l'éviter, et j'y étais parvenue; mais, depuis l'arrivée de ma sœur ici, je me suis senti une grande agitation nerveuse qui a toujours été en augmentant, si bien qu'hier l'inflammation s'est prononcée, avec une fièvre très violente. Je suis très abattue, et je crois bien que me voilà pour plusieurs jours dans mon lit ou sur mon canapé.
Rochecotte, 20 décembre 1837.– Le docteur dit que je suis mieux aujourd'hui. Je ne me souviens pas d'avoir jamais été dans un état aussi pénible qu'avant-hier. Je ne quitte toujours pas ma chambre. Je me sens very poorly91; mais le docteur répète qu'il n'y a plus aucun danger, et qu'avec quelques jours de soins, ce sera une affaire finie.
Rochecotte, 25 décembre 1837.– La douleur au côté droit s'adoucit et ma faiblesse est moindre. Quand je serai plus en force, je dirai ce qui s'est passé en moi durant les jours si graves que je viens de traverser. La vie intérieure s'éclaircit d'autant plus que l'œil extérieur se voile et se trouble92.
Rochecotte, 26 décembre 1837.– Je suis mieux. J'en suis fort reconnaissante envers la Providence, qui m'a tirée d'un très mauvais pas, mais je resterai longtemps sous le coup de ce choc. J'ai été très touchée d'apprendre qu'hier, au prône, on m'avait recommandée aux prières des fidèles; tous mes voisins et tout le pays ont été parfaits pour moi; mes domestiques m'ont veillée et servie avec un zèle infini; les deux médecins, MM. Cogny et Orie, ont été très attentifs.
Rochecotte, 28 décembre 1837.– Le temps est magnifique, et à midi on me roulera un moment sur la terrasse.
On ne me mande rien de nouveau de Paris, et je suis dans une grande ignorance des choses d'ici-bas. Il m'a semblé, pendant les deux jours que j'étais le plus malade, que j'entrevoyais quelque chose de celles d'en haut, et qu'il n'était pas si difficile qu'on le croyait de remonter vers son Créateur; que, même, il y avait une certaine douceur à penser qu'on allait enfin se reposer de toutes les agitations de la vie. La Providence sait adoucir toutes les épreuves qu'elle nous envoie, en nous donnant la force de les supporter, et on ne saurait trop pénétrer son âme pour toutes ses grâces.
Rochecotte, 31 décembre 1837.– Ce dernier jour d'une année qui, à tout prendre, ne m'a pas été bien agréable, fait jeter sur la vie un long regard rétrospectif, qui n'apporte rien de bien doux avec lui. Cependant, il serait mal de me plaindre; si les mauvaises conditions ne manquent pas pour moi, il y en a de bonnes, aussi, qu'il y aurait ingratitude à ne pas reconnaître, et on peut se trouver abattue et sérieuse, sans avoir le droit, pour cela, de se sentir ou de se dire malheureuse. Que Dieu conserve, à ceux que j'aime et à moi-même, l'honneur, la santé, et cette paix de l'âme qui la maintient en équilibre, et je n'aurai que des grâces à rendre!
1838
Rochecotte, 1er janvier 1838.– Malgré ma faiblesse, je suis restée jusqu'à minuit au salon pour embrasser M. de Talleyrand, mes enfants et ma sœur, au passage d'une année sur l'autre.
Je dois sortir en voiture aujourd'hui, puis dîner à table, enfin rentrer peu à peu dans la vie.
Rochecotte, 2 janvier 1838.– Toute la contrée a passé ici hier; j'avais encore du monde le soir; je ne suis pas plus mal ce matin, au contraire, et si ce temps merveilleux veut bien durer encore quelques jours, j'espère redevenir bientôt quite myself93. M. de Talleyrand, malheureusement, parle déjà de retourner à Paris.
Rochecotte, 5 janvier 1838.– Je n'ai pas trop bonne opinion politique de l'année dans laquelle nous sommes entrés. En tout, j'ai l'esprit noirci, l'âme triste, les nerfs malades, le cœur gros, et, pour parler comme les femmes de chambre, je me donnerais bien pour deux sols. Nous sommes plongés dans les brouillards depuis deux jours. J'ai cependant été faire mes adieux dans mon voisinage immédiat.
Rochecotte, 6 janvier 1838.– M. de Talleyrand et Pauline viennent de partir pour Paris. Il ne reste plus dans la maison que ma sœur, mon fils Alexandre et moi. Je vais me livrer à mes comptes et à mes préparatifs de départ: nous partons tous trois après-demain. Malgré les tristes souvenirs de maladie qui ont assombri mes dernières semaines d'ici, je ne me sépare de ce bon petit lieu qu'avec regret.
Paris, 11 janvier 1838.– Je suis arrivée hier ici, à dix heures du soir, après une route que neuf degrés de froid et une neige continuelle ont rendue extrêmement pénible. Cependant, nous n'avons pas éprouvé d'accident, et le changement d'air, quelque rude qu'il ait été, m'a plutôt fortifiée et rendu un peu d'appétit.
J'ai dîné, hier, à Versailles, chez Mme de Balbi, que j'ai trouvée fort vieillie; ma sœur, pendant ce temps-là, mangeait un poulet chez Mme de Trogoff, qu'elle a beaucoup connue jadis.
Nous avons trouvé M. de Talleyrand en bonne santé, mais inquiet de notre route. Il m'a dit que le Ministère était dans le coup de feu de l'Adresse; ainsi, on n'en aperçoit aucun des membres pour le moment.
Paris, 12 janvier 1838.– J'ai été fort occupée, hier matin, des toilettes de ma sœur, des miennes et de celles de Pauline; nous sommes, toutes trois, arrivées déguenillées. Puis j'ai été voir Mme de Laval, qui est fort changée. Le soir, j'ai conduit ma sœur entendre les Puritains, dans cette même loge du Théâtre-Italien que j'avais l'année dernière. Rubini a bien perdu un peu sa voix, et Mme Grisi s'est mise à crier!
Je crois bien qu'on est fort agité dans le monde politique mais je ne fais pas une question, je ne lis pas un journal et je conserve ma chère ignorance, par paresse et par habileté.
Paris, 13 janvier 1838.– Ma sœur voulait aller une fois à la Chambre des députés, spectacle tout nouveau pour elle. L'ambassadeur de Russie nous a donné ses billets, et nous avons passé, hier, notre matinée au Palais-Bourbon. M. Molé a dépassé mon attente, il a ravi ma sœur et m'a charmée. Rien de plus digne, de plus clair, de mieux pensé, de mieux dit que son discours. Aussi son succès a-t-il été complet. J'ai vu Mme de Lieven, à la Chambre. Ma sœur et elle ont évité de se regarder; elles se détestent sans se connaître; cela ne m'est pas commode94. M. Guizot est monté dans notre tribune, je l'ai trouvé fort changé.
Je suis tout ahurie d'une manière de vivre si différente de celle des derniers six mois!
Paris, 14 janvier 1838.– J'ai eu, hier, une très longue et très aimable visite du Prince Royal, que j'ai trouvé fort calme, et dans une disposition d'esprit très sage et très douce.
J'ai été, ensuite, chez la princesse de Lieven, qui m'a initiée à tous les détails de sa situation intérieure, ce qui a eu l'avantage d'exclure toute autre conversation et de me réduire au rôle d'auditeur. Elle se croit sûre de pouvoir rester ici ad vitam æternam, sans y être molestée. Je le désire pour elle.
J'ai été le soir aux Tuileries, faire ma cour à la Reine.
Paris, 15 janvier 1838.– Les grands incendies sont bien à la mode. Celui de la Bourse de Londres vient faire le pendant à celui du Palais d'Hiver à Saint-Pétersbourg, avec cette différence qu'en Russie cent personnes ont péri, tandis qu'en Angleterre, on n'a rien eu de semblable à déplorer. Paul Medem m'a dit que le Palais d'Hiver était trois fois grand comme le Louvre, que six mille personnes y demeuraient; que la pharmacie impériale était située au milieu du Château, et qu'une explosion, à la suite d'une expérience chimique qu'on y avait faite, avait causé l'incendie.
Je ne suis pas sortie hier. M. de Sainte-Aulaire est venu déjeuner avec ma sœur et moi. Plus tard, j'ai eu une visite de M. Royer-Collard, qui se porte bien mieux cette année. J'ai vu MM. Thiers et Guizot chez M. de Talleyrand. Nous avions un ennuyeux et grand dîner de famille, après lequel ma sœur et moi n'avons rien trouvé de mieux à faire que de nous coucher à neuf heures et demie. Je ne suis pas en force. Une conversation avec le docteur Cruveilhier, trop semblable à celle que j'ai eue, à Tours, avec le docteur Bretonneau, a fort contribué à me rejeter dans une disposition sombre et découragée.
Paris, 16 janvier 1838.– Lorsque j'écrivais, hier, je ne savais encore rien de l'incendie qui avait dévoré, la nuit précédente, le Théâtre italien. Le sous-directeur et quatre pompiers ont péri. C'est une perte, c'est une catastrophe; puis c'est consternant pour les pauvres gens dont le seul plaisir était l'opéra italien, comme c'est mon cas. J'y suis tout particulièrement sensible.
Lady Clanricarde est venue, hier, déjeuner avec moi, et je l'ai revue avec un grand plaisir, c'est une très aimable personne. Nous avons repassé dear, ever dear England, et c'est un sujet inépuisable pour moi.
J'ai mené le soir Pauline chez M. le duc d'Orléans, à un bal qui était charmant et arrangé à merveille. Nous sommes parties, en sortant du souper, à deux heures du matin, ce qui était beaucoup pour moi. Du reste, à un fort mal de tête près, je n'ai pas trop à me plaindre de la manière dont j'ai traversé cette corvée; malheureusement, j'en ai d'autres, semblables, en perspective et leur multiplicité m'effraye. Rien ne m'a frappée à ce bal, si ce n'est l'air délicat de Mme la duchesse d'Orléans, qui, malheureusement, ne s'explique pas par une grossesse. Je trouve, aussi, notre excellente Reine vieillie, et M. le duc de Nemours terriblement maigri. Il se fait pousser une barbe moderne, mais tellement blonde que c'est affreux.
Paris, 17 janvier 1838.– J'ai passé, hier, avec ma sœur, ma matinée à faire ce que je déteste le plus au monde, une tournée effective de visites indispensables. Le soir je l'ai conduite aux Tuileries. Elle était très noblement et très magnifiquement arrangée. Elle a été un peu étonnée de la forme de présentation ici. Cela m'a frappée, moi-même, plus que de coutume.
Paris, 23 janvier 1838.– Je me suis enrhumée, par un affreux courant d'air, qui m'a coupé le dos, hier, à un concert chez M. le duc d'Orléans. C'était le seul tort de cette soirée peu nombreuse, et où la musique a été divine, bien choisie, et pas trop prolongée.
M. de Talleyrand se porte très bien, à ses jambes près; leur faiblesse m'est indifférente, mais elles deviennent douloureuses, surtout les doigts d'un pied, dont la couleur n'est pas toujours naturelle. C'est une triste menace. Je m'en trouble extrêmement et lui aussi. En somme, je suis profondément triste, et tout pèse lourdement sur mon cœur.
Paris, 28 janvier 1838.– M. de Talleyrand n'est pas malade, mais sa rage de dîner en ville lui a mal réussi. Hier, chez lord Granville, donnant le bras à la princesse de Lieven, il s'est pris le pied dans les plis de sa robe, et a failli tomber. Il n'a pas fait de chute, mais son genou a ployé, le pied déjà malade a tourné et il s'est donné une entorse du gros orteil. J'ai été fort effrayée, en le voyant rapporter ainsi. Quelle triste année que celle-ci! Le fait est que, depuis le mois d'avril dernier, rien n'a bien marché, et que, si je ne voyais dans tout ceci les épreuves et les préparations à un meilleur monde, je serais bien dégoûtée de celui-ci.
Paris, 30 janvier 1838.– Le pied de M. de Talleyrand le fait souffrir, et ce qu'il y a de pire, c'est qu'il est difficile de découvrir si la douleur tient à la foulure ou à l'état général de ce pauvre pied. Du reste, M. de Talleyrand est calme, toujours entouré, et il fait sa partie de whist chaque soir.
J'ai été, ce soir, chez la Reine, qui avait reçu ce matin la triste nouvelle de l'incendie de ce palais de Gotha dans lequel habitait sa fille, la princesse Marie. La Princesse a failli périr, et elle a perdu beaucoup de choses précieuses, des albums, des portraits, des livres, des journaux de toute sa vie, tout enfin; ses diamants sont fondus dans les montures qui ne sont plus que des lingots, les grosses pierres seules ont résisté et il faut les repolir; et puis, tous les objets chers à son cœur et que l'argent ne peut rendre! Ce premier nuage qui obscurcit un jeune bonheur a quelque chose de cruel parce qu'il met en défiance et rompt la sécurité pour l'avenir. C'est une véritable peine de cœur pour la Reine, d'autant plus que la Princesse étant grosse, le saisissement peut lui avoir fait mal.
Paris, 1er février 1838.– M. de Talleyrand s'inquiète de l'état de sa jambe et du changement que cela porte dans ses habitudes. Je voudrais bien qu'il reprît assez de force, dans ce pied, pour pouvoir remonter en voiture, mais il ne peut pas encore s'appuyer assez pour prendre l'élan nécessaire. L'absence d'air et de mouvement, si cela devait continuer, aurait de graves conséquences. En attendant, il n'est pas seul une minute depuis dix heures du matin jusqu'à une heure après minuit.
Lady Clanricarde est venue déjeuner avec moi hier; elle retourne, sous peu de jours, dans cette chère Angleterre, à laquelle je pense chaque jour avec plus de regrets. Je savais bien tout ce que je perdais en la quittant, et j'ai, du moins, bien mesuré le sacrifice.
Paris, 2 février 1838.– L'état de la jambe de M. de Talleyrand reste à peu près le même quoiqu'elle fût un peu moins enflée hier. Il s'en attriste, et je le crois trop perspicace pour n'en pas mesurer tous les mauvais résultats possibles. Je ne puis dire combien j'ai le cœur et l'esprit en angoisse, quels poids m'oppresse!
Paris, 3 février 1838.– C'était, hier, l'anniversaire de la naissance de M. de Talleyrand, qui a accompli ses quatre-vingt-quatre ans. Heureusement que sa jambe avait un beaucoup meilleur aspect que ces jours derniers. C'était le plus beau bouquet de fête à lui offrir, et à moi aussi.
Paris, 5 février 1838.– Ma sœur avait réuni chez elle, hier soir, des Autrichiens et des Italiens, et avait fait venir un groupe de musiciens napolitains qui se trouvent ici. Elle leur a fait chanter des airs nationaux fort jolis. On a porté M. de Talleyrand en haut, dans l'appartement de ma sœur, et il y a fait sa partie. L'aspect de sa jambe continue à être meilleur, mais son pied foulé reste faible et douloureux. Je ne sais s'il pourra jamais marcher encore. Si, du moins, il pouvait monter en voiture! Car l'absence d'air m'inquiète.
Il est triste et se tourmente! Une chose très remarquable, c'est qu'il a désiré faire la connaissance de l'Abbé Dupanloup, et m'a chargée de l'inviter à dîner pour le jour de ma fête. Je me suis hâtée de le faire, l'Abbé a accepté d'abord, refusé ensuite; je soupçonne l'Archevêque d'être là-dessous. Je le verrai demain, je veux en avoir le cœur net. M. de Talleyrand, en apprenant le refus de l'Abbé, m'a dit: «Il a moins d'esprit que je ne croyais, car il devait désirer pour lui et pour moi venir ici.» Ces paroles m'ont frappée, et ont augmenté mon impatience du refus de l'Abbé.
Paris, 7 février 1838.– J'ai été, hier, malgré un froid très vif, chez l'Archevêque, que j'ai trouvé fort gracieux. Il m'a donné, pour la Sainte-Dorothée, ma fête, qui était hier, un superbe exemplaire de l'Imitation de Jésus-Christ; pour M. de Talleyrand, le même; pour ma sœur, un portrait de Léon XII, le Pape qui avait reçu son abjuration; pour Pauline, un beau livre de piété. Il a été très surpris et affligé du refus de dîner que nous a fait l'abbé Dupanloup; enfin, j'en ai été très satisfaite.
Je l'ai été encore plus de la manière dont M. de Talleyrand a reçu le cadeau de l'Archevêque et de la façon dont il a écouté le récit de mon entretien avec lui. Il désire que l'Archevêque use de son autorité pour décider l'abbé Dupanloup à venir ici. Je ne puis m'empêcher de rattacher ses bonnes dispositions à celles que j'ai pu témoigner dans ma dernière maladie, et aux paroles qu'à cette occasion j'ai pu lui adresser. Je bénis Dieu de l'épreuve que, dans ses voies cachées et toujours admirables, il lui a plu de m'envoyer! Et si, pour achever cette grande œuvre, il me fallait porter un sacrifice encore plus complet, je suis joyeusement prête.
Paris, 9 février 1838.– M. de Talleyrand est sorti en voiture, hier, pour la première fois, uniquement pour se promener, et cela lui a fait du bien, ou, pour mieux dire, du plaisir. Les effets de la foulure disparaissent vite, mais il n'en est pas de même de l'état général du pied, qui reste assez mauvais. On l'a porté jusque dans sa voiture, et retiré à bras; cela a été moins difficile que je ne pensais, mais ces démonstrations d'infirmité me sont douloureuses à regarder, plus que je ne puis le dire.
On commence à ajouter foi aux bruits de grossesse de Mme la duchesse d'Orléans. Je crois, cependant, qu'il faut encore attendre un peu pour être parfaitement assuré de ce fait.
Paris, 10 février 1838. – On dit que le différend entre les Flahaut et le général Baudrand s'arrangera95, mais je ne pense pas que cela dure. Mme de Flahaut vient, le soir, voir M. de Talleyrand, et le mari chaque matin; ils sont doux et gracieux comme des menacés.
M. Royer-Collard, que j'ai vu un instant, hier, était enchanté d'avoir, par ses discours de l'autre jour, déchiré le costume que l'on voulait faire reprendre aux Députés. Nous nous sommes un peu querellés à cette occasion. Il y a, dans son âme, une goutte trop forte d'amertume, qui le rend quelquefois, et à son insu, bien mischievous.
Paris, 11 février 1838.– M. de Talleyrand a pu aller, hier, chez Madame Adélaïde; c'était le grand événement de sa journée, par conséquent de la mienne. Celui d'aujourd'hui est la neige, qui tombe à gros flocons, sans discontinuer, et qui nous replonge dans l'hiver.
L'abbé Dupanloup est venu me faire, hier, une longue visite, dont je suis parfaitement satisfaite. Il dînera chez nous dans huit jours.
Nous avons eu aussi du monde à dîner, toute la famille d'Albuféra, les Thiers, les Flahaut, et il vient chaque soir quelques personnes.
Paris, 15 février 1838.– M. de Talleyrand s'occupe fort d'un petit éloge de M. Reinhard, qu'il veut prononcer, au commencement du mois prochain, à l'Académie des Sciences morales et politiques. Il y met du soin et cela nous a pris quelques heures hier.
L'affaire Baudrand et Flahaut n'est point encore terminée. Ce sont des prétentions, des hésitations, des tergiversations de tous côtés, qui finissent par donner un ridicule amer aux deux rivaux, et qui pis est, au Prince Royal.
Paris, 23 février 1838.– Nous vivons toujours dans le froid et dans la neige.
M. le duc de Nemours a eu un mal de gorge qui a menacé de tourner en esquinancie, mais cette indisposition n'a empêché aucune fête de Cour, et il assistait avant-hier au bal que donnait la Reine.
M. de Talleyrand a du rhume, les jambes faibles. Voilà deux points par lesquels il est atteint: le premier n'est que très passager; l'autre, grave dans ses conséquences éloignées, n'a rien d'imminent. Voilà le vrai.
Paris, 25 février 1838.– J'ai été avertie, de grand matin, que M. de Talleyrand éprouvait une espèce de suffocation. Cette suffocation était purement mécanique, et tenait à ce qu'il a glissé au fond de son lit, qu'il s'est trouvé comme enseveli sous ses énormes couvertures, et qu'il en est résulté une sorte de cauchemar. Je viens de le quitter, dormant paisiblement dans un fauteuil. Ce que je n'aime point, c'est que, depuis deux jours, il a toujours plus ou moins de fièvre, et que, ne voulant rien, ou presque rien manger, de peur de l'augmenter, il est très faible. L'absence du docteur Cruveilhier, qui est à Limoges, est aussi une mauvaise condition; enfin, sans inquiétude immédiate, je suis loin cependant d'être rassurée sur l'issue de cet état morbide, qui prouve l'ébranlement général de la machine.