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Kitabı oku: «Chronique de 1831 à 1862, Tome 2 (de 4)», sayfa 6

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Rochecotte, 11 novembre 1836.– Mme de Lieven disait, dernièrement, devant Pozzo, qu'elle irait peut-être passer l'hiver prochain à Rome: «Eh! qu'iriez-vous faire en Italie?» s'écria Pozzo, «vous n'auriez que l'Apollon du Belvédère à qui demander des nouvelles, et sur son refus, vous lui diriez: «Vilain magot, va te promener!» Cette saillie de Pozzo a fait rire tous les assistants, et même la Princesse; au fait, elle est fort gaie.

Rochecotte, 20 novembre 1836.– Les lettres d'hier chantent la palinodie sur les affaires de Portugal. Il paraît que la contre-révolution a échoué au moment où on la croyait assurée, et que c'est la mésintelligence entre le petit Van de Weyer et lord Howard de Walden qui en est cause; le gâchis est complet.

Madame Adélaïde mande à M. de Talleyrand que, décidément, la Cour ne prendra pas le deuil à l'occasion de la mort de Charles X58, faute de notification. Elle cite plusieurs exemples de deuils non portés pour ce motif, quoiqu'il s'agît de très proches parents, entre autres, celui de la feue Reine de Naples, tante et belle-mère de l'Empereur d'Autriche, morte dans son château impérial auprès de Vienne, et dont la Cour d'Autriche n'a pas pris le deuil, parce que le Roi de Naples, alors en Sicile, n'a pas notifié la mort de sa femme. Il n'y a rien à opposer à de pareils exemples.

Rochecotte, 21 novembre 1836.– La mort de Charles X divise, à Paris, sur tous les points. Chacun y porte le deuil à sa façon, depuis la couleur jusqu'à la laine noire, avec des gradations infinies, et des aigreurs nouvelles à chaque aune de crêpe de moins. Puis, les uns disent le comte de Marnes et Henri V, les autres Louis XIX. Enfin, c'est la tour de Babel; on n'est pas même d'accord sur la maladie dont Charles X est mort! Nos lettres d'hier ne parlent pas d'autre chose, à part cependant des affaires du Portugal. On assure que ce qui vient d'y être gauchement tenté pourrait bien faire chavirer lord Palmerston59.

Rochecotte, 22 novembre 1836.– Le prince de Laval m'écrit que M. de Ranville est chez lui à Montigny, et M. de Polignac sur la route de Munich et de Goritz. Je ne sais pas du tout comment son affaire s'est arrangée60. Je ne sais pas non plus ce que c'est que cette réunion des curés de Paris, convoqués chez M. Guizot, ministre des Cultes. On dit que Mgr. l'Archevêque prépare un mandement à cet égard, mais je n'ai pas encore le mot de l'énigme.

Il faudrait l'abbé de Vertot pour raconter toutes les révolutions du Portugal. Lord Palmerston n'en serait pas le héros, ni même lord Howard de Walden! Que peut-on penser de toute la bassesse de cette diplomatie?

Rochecotte, 28 novembre 1836.– Il y a eu division, sur la question du deuil de Charles X, jusque dans la famille royale actuelle: la Reine, qui l'avait pris spontanément le premier jour, a été très peinée que le Ministère le lui ait fait quitter. Le Cabinet a craint la controverse des journaux et n'y a rien gagné, car toutes les gazettes rivalisent, selon leur couleur, à qui mieux mieux. Je suis très embarrassée de savoir à quelle nuance, du blanc, du gris ou du noir je me vouerai en arrivant à Paris; en général, les dames du juste milieu, qui tiennent aussi à la société, vont en noir dans le monde et en blanc à la Cour. La position de nos diplomates, au dehors, sera très embarrassante!

M. de Balzac, qui est un Tourangeau, est venu dans la contrée pour y acheter une petite propriété. Il s'est fait amener ici par un de mes voisins. Malheureusement, il faisait un temps horrible, ce qui m'a obligée à le retenir à dîner.

J'ai été polie, mais très réservée. Je crains horriblement tous les publicistes, gens de lettres, faiseurs d'articles; j'ai tourné ma langue sept fois dans ma bouche avant de proférer un mot, et j'ai été ravie quand il a été parti. D'ailleurs, il ne m'a pas plu. Il est vulgaire de figure, de ton, et, je crois, de sentiments; sans doute, il a de l'esprit, mais il est sans verve ni facilité dans la conversation. Il y est même très lourd; il nous a tous examinés et observés de la manière la plus minutieuse, M. de Talleyrand surtout.

Je me serais bien passée de cette visite, et, si j'avais pu l'éviter, je l'aurais fait. Il vise à l'extraordinaire, et raconte de lui-même mille choses auxquelles je ne crois nullement!

Le prince de Laval me mande que M. de Polignac n'a pas pu encore profiter de la liberté qui lui a été accordée, s'étant trouvé trop souffrant au moment du départ61. Il demande à être transporté à la plus proche frontière, Mons ou Calais, pour éviter le plus possible de route qu'il ne pourrait pas supporter.

Rochecotte, 2 décembre 1836.– La lettre de Mgr. l'Archevêque sur la fameuse convocation des curés est mauvaise, parce qu'elle est captieuse, ce qui ne convient jamais à un pasteur dont le plus bel attribut est la simplicité évangélique; mais convenons aussi que la démarche directe auprès des curés a dû le choquer, et que cette interdiction des prières instituées par l'Église sent un peu trop la Révolution, dont je voudrais qu'on sortît plus nettement qu'on ne le fait. C'est par peur qu'on reste dans cette voie, et cette peur, trop marquée, isole du dehors, et encourage les ennemis du dedans.

M. le duc d'Angoulême s'appellera décidément Louis XIX et sa femme, la Reine: c'est elle qui l'a voulu ainsi. Mais ils ont cependant, aussitôt après la mort de Charles X, envoyé dans la chambre du duc de Bordeaux tous les insignes de la Royauté, déclarant que même si les événements devenaient favorables, ils ne voulaient jamais régner en France. Du reste, les notifications ont été faites sous le titre incognito du comte de Marnes. Le jeune Prince est appelé à Goritz Monseigneur; il reste, avec sa sœur, chez son oncle et sa tante.

C'est sur une lettre de M. de Polignac à M. Molé, écrite après la mort de Charles X, et qui dit positivement qu'il sera reconnaissant au Roi des Français de le faire sortir de Ham, qu'il a obtenu d'en sortir. M. de Peyronnet a écrit, au charbon, sur le mur de sa prison: «Je ne demande merci qu'à Dieu», ce qu'il n'avait plus, ce me semble, le droit de dire, puis il est sorti, fort guilleret, de sa prison. Il n'a pas voulu revoir M. de Polignac, même au dernier moment.

Rochecotte, 15 décembre 1836.– Je pars décidément demain soir d'ici, et serai après-demain à Paris.

Les deux correspondants dont les lettres ont alimenté cette Chronique s'étant trouvés réunis à Paris, pendant quelques mois, la Chronique a été interrompue, pour recommencer en 1837.

1837

Paris, 17 avril 1837.– Le nouveau Ministère, qui s'est constitué avant-hier, et qui est destiné à illustrer la date du 15 avril, puisque c'est par des dates qu'on désigne les différentes administrations, le nouveau Ministère, dis-je, aura une rude guerre à soutenir; je désire, pour son chef, M. Molé, qu'il s'en tire honorablement. Le Journal de Paris fait de la franche opposition doctrinaire; le Journal des Débats, après l'oraison funèbre des sortants, promet paix et secours aux entrants; tout cela n'est ni sérieux, ni sincère, ni fidèle, ni stable, et je ne sais plus ni à qui, ni à quoi il est raisonnable de se fier dans les relations politiques. M. Royer-Collard est venu me voir ce matin avant d'aller à la Chambre des Députés; il n'avait pas l'air de croire que le nouveau Ministère pût traverser la session62.

Nous avons eu parmi nos convives, à dîner, M. Thiers qui a beaucoup causé, comme de coutume. Il venait de la Chambre où on avait vainement attendu la communication officielle du nouveau Ministère qui avait été annoncée. Le Roi devait mener l'Électrice63, qui est à Paris en ce moment sous le nom de Comtesse d'Arco, visiter Versailles; mais au lieu de cela, le Conseil ayant duré de dix heures du matin à cinq heures de l'après-midi, le Roi n'a pu sortir, ni les Ministres se rendre à la Chambre. Cela y a fait un très mauvais effet; on la dit irritée et méprisante.

Paris, 19 avril 1837.– Mme de Castellane, qui est venue chez moi ce matin, et qui était encore dans un état d'émotion très pénible de la séance de la veille à la Chambre, m'a appris que l'extrême longueur du Conseil d'hier avait tenu à une vive discussion sur le retrait absolu de la loi d'apanage, et sur la convenance de laisser en blanc le chiffre de l'apanage de Mgr le duc d'Orléans dans la loi qu'on va présenter à la Chambre à l'occasion de son mariage avec la princesse Hélène de Mecklembourg-Schwerin; M. le duc d'Orléans, qui assistait au Conseil, voulait qu'on laissât le chiffre en blanc et il a fini par l'emporter.

A peine Mme de Castellane était-elle sortie de chez moi, que Mme de Lieven est entrée; elle venait me demander à dîner pour aujourd'hui. Elle m'a conté un mot qui court sur le nouveau Ministère, et qui est pris d'une nouvelle invention: on l'appelle le Ministère inodore.

J'ai eu, à la fin de la matinée, la visite de M. de Tocqueville, qui venait de la Chambre, où il avait assisté à l'entrée solennelle du Ministère. Il dit que cette entrée s'est faite au milieu du silence le plus absolu: pas une parole, pas un geste, comme si les banquettes avaient été vides et comme si on eût été au milieu des glaces du lac Ladoga, ainsi que le disait plus tard Mme de Lieven. Le même silence a régné pendant le discours de M. Molé, mais, au moment où le Ministère s'est retiré en masse pour aller à la Chambre des Pairs, il y a eu un mauvais murmure qui a fait rebrousser chemin à MM. de Salvandy et de Rosamel, qui sont venus se rasseoir sur le banc ministériel. Dans la discussion qui a suivi, le maréchal Clauzel paraît avoir été pitoyable, mais M. Jaubert très incisif; à son mot sur l'état provisoire des choses, les rires les plus désobligeants pour le Cabinet ont éclaté de toutes parts. En somme, l'impression était fort décourageante pour le nouveau Ministère.

Après notre dîner, le duc de Noailles est venu à son tour nous raconter l'entrée ministérielle à la Chambre des Pairs. M. Molé a dit quelques mots courts et troublés; M. de Brézé a dit qu'il les trouvait trop vagues, et a demandé quelques explications sur les causes qui avaient amené la rupture du dernier Cabinet. M. Molé a voulu y répondre sans trop y parvenir, au point qu'en se trompant, sans doute, il a fini par se servir du mot catégorique pour désigner la netteté de ses paroles. A ce mot de catégorique, M. Villemain a dit, méchamment, que le discours du Président du Conseil était tout, excepté catégorique, et qu'il désirait savoir ce que l'on ferait de la loi de non-révélation; M. de Montalivet a parlé alors, et très bien, dit-on; il aurait laissé la Chambre sur une très bonne impression, si M. Siméon, rapporteur de la loi de non-révélation, n'était pas venu annoncer que son discours était prêt, ce qui sera une grande gêne pour le Ministère, qui aurait voulu laisser tomber ce projet de loi en oubli.

Paris, 22 avril 1837.– J'ai eu, aujourd'hui, la visite de M. le duc d'Orléans: il venait d'apprendre le vote de la Chambre sur sa dotation, et le fond et la forme lui convenaient. Il m'a paru disposé à employer la moitié du million de frais d'établissement en œuvres de bienfaisance, aux ouvriers de Lyon, en livrets achetés pour des malheureux aux différentes caisses d'épargne du pays, à vêtir un grand nombre d'enfants dans les salles d'asile, enfin, en fort bonnes actions. Il est fort heureux de son mariage et de belle humeur. La princesse Hélène désire être escortée depuis Weimar par un envoyé de France; on cherche quelqu'un pour cette mission. Je voudrais qu'on en chargeât le baron de Montmorency. La Princesse verra le Roi de Prusse à Potsdam. Son portrait n'est pas encore arrivé. On espère toujours que le mariage se fera avant le 15 juin. La Princesse, n'étant pas mariée par procuration, et n'étant pas encore, par conséquent, Duchesse d'Orléans, sa maison n'ira pas la chercher à la frontière. Elle y trouvera seulement quelqu'un de la maison du Roi, et, peut-être, une des Dames de la Reine; elle vient, du reste, avec sa belle-mère, Mme la grande-duchesse douairière de Mecklembourg.

Meunier64 aura probablement sa grâce à l'occasion du mariage. Ce procès Meunier n'a aucun intérêt par le caractère des individus, ni leur langage rien de dramatique; c'est fort au-dessous de Fieschi, et même d'Alibaud; du dégoût, voilà tout ce que cela produit. Cela vaut, du reste, beaucoup mieux comme effet sur le public.

Le ridicule compliment de M. Dupin au Prince Royal est fort bien relevé, ce matin, dans le Journal de Paris. Le Roi n'a pas voulu que son fils reçût, ailleurs qu'auprès de lui, les félicitations des Chambres, ce qui faisait dire à M. de Sémonville qu'il aurait cru abdiquer en faisant autrement.

J'ai dîné chez M. et Mme Mollien avec M. et Mme Bertin de Veaux, M. Guizot, M. de Vandœuvre. On y a beaucoup parlé du discours embarrassé de M. Barthe, à la fin duquel il est resté court; de l'extrême pâleur du Ministère et de la presque infaillibilité d'un duel entre MM. Thiers et Guizot dans le cours d'une session qui doit amener encore tant de questions palpitantes, comme on dit maintenant; les deux champions se battront sur le dos du Ministère, qui pourrait bien succomber sous leurs coups. Ce dire est assez général et ne m'appartient pas en propre. Hier, on n'a fait qu'escarmoucher.

Paris, 26 avril 1837.– On me parle de discussions en Angleterre sur la question espagnole. M. Thiers assurait, l'autre jour, que le Ministère anglais était près d'abandonner l'Espagne à ses propres destinées; il en tirait avec effroi, pour la dynastie française actuelle, la conclusion du triomphe de Don Carlos. Il est vrai que cette question rentre dans celle de l'intervention à laquelle il tenait tant.

La duchesse d'Albuféra a été fort troublée par ce duel de son gendre, M. de La Redorte, qui s'est battu avec le gérant du Corsaire pour un article injurieux, paru il y a deux jours dans cette vilaine feuille, et dans lequel la personne aussi bien que les opinions de M. de La Redorte étaient violemment attaquées. On s'est battu au pistolet, le gérant a été blessé à la main; on croit qu'il perdra le doigt. L'état social est détruit par les excès de la presse!

Paris, 27 avril 1837.– J'ai vu, ce matin, Madame Adélaïde, qui m'a dit que le Roi venait de signer la commutation de peine de Meunier. J'ai appris aussi, chez elle, que la princesse de Mecklembourg et sa belle-mère seront le 25 mai à la frontière de France; le 28, jour de Saint-Ferdinand, fête de M. le duc d'Orléans, à Fontainebleau; et que le mariage aurait lieu le 31.

Nous avons eu à dîner la princesse de Lieven, le duc de Noailles, Labouchère, M. Thiers et Matusiewicz, qui revient très vieilli, de Naples, dont il parle très mal, comme climat et comme ressources sociales. La composition de ce dîner était assez disparate, ce qui a tenu aux distractions de M. de Talleyrand, mais enfin, cela s'est bien passé, et la conversation a été vive, surtout entre M. Thiers et Mme de Lieven. Elle est dans des coquetteries positives à son égard, et je me sers du mot coquetterie parce qu'il est le seul qui dise bien le vrai. M. Thiers a raconté la Chambre, en répétant sans cesse, d'un accent particulier qui fait rire malgré soi: ce pauvre Ministère! Il le protège cependant, mais ne consentirait jamais, je pense, à être protégé à ce prix! Il lui est commode de le faire vivre jusqu'à la session prochaine, mais on doute qu'il y réussisse, car, comme il dit lui-même, on peut faire vivre un malade, mais non pas un mort. Dans la séance d'hier, le Ministère a tergiversé, comme de coutume; il a fini par se décider contre le maréchal Soult, ce qui a donné beaucoup d'humeur à la gauche, parce que les Doctrinaires criaient de toutes parts: «Prononcez-vous; allons, prononcez-vous donc!» On dit que cela a été fort scandaleux. Mme de Lieven partie, ces Messieurs sont restés encore assez longtemps, et on a parlé des changements que le schisme, dans le juste milieu lui-même, avait apportés dans la société; de l'influence des salons, et de celle des femmes qui les gouvernent. Voici comment M. Thiers les a classés: le salon de Mme de Lieven, c'est l'observatoire de l'Europe; celui de Mme de Ségur, c'est la Doctrine pure, sans conciliation; la chambre de Mme de La Redorte est à M. Thiers sans partage; chez Mme de Flahaut, on veut ce qui est commode à M. le duc d'Orléans; chez M. de Talleyrand, ce qui est commode au Roi; la maison de Mme de Broglie est au 11 octobre, à la conciliation, mais à la plus aigre des conciliations; le cabinet de Mme de Dino est seul gouverné par la plus parfaite indépendance de l'esprit et du jugement: ma part n'est pas la plus mauvaise; à la vérité, elle est faite en ma présence!

Les journaux allemands annoncent la mort de M. Ancillon. Malade depuis longtemps, le médecin lui ordonne une potion intérieure et un liniment; il explique cela à Mme Ancillon, qui part pour un concert; en rentrant, elle s'aperçoit qu'on s'est trompé et peu d'heures après, le malade meurt! Le pauvre homme n'a pas eu le mariage heureux! Il avait d'abord épousé une femme qui aurait pu être sa mère, puis une autre qui pouvait être sa fille, et enfin cette beauté belge qui était, je crois, la pire des trois.

Paris, 29 avril 1837.– J'ai vu, ce matin, M. Royer-Collard, qui m'a parlé de la séance de la veille à la Chambre des Députés, où on a voté le million de la Reine des Belges. Le résultat, pour lequel lui aussi a voté, a sans doute été bon, mais il paraît que la discussion a été triste pour le gouvernement, et que M. de Cormenin, bien loin de recevoir les étrivières, a eu le dessus. Cette même impression m'a été rendue par deux autres personnes qui assistaient à la séance.

Paris, 20 avril 1837.– M. Thiers est venu me voir, ce matin, avant la séance de la Chambre: il m'a confirmé le dire général sur la séance du million de la Reine des Belges; mais le but de sa visite était de se plaindre de la princesse de Lieven. Il a très bien avisé ce que j'avais prévu depuis longtemps, c'est qu'elle ne le prenait pas au sérieux, qu'elle le produisait, le promettait et le mettait en scène comme acteur; il a trop d'esprit pour n'en pas sentir le ridicule et même pour ne pas le ressentir! Il m'a demandé si je m'en étais aperçue, et si d'autres s'en étaient aperçus. Je lui ai répondu que personne ne m'en avait fait la réflexion, mais que je croyais qu'un peu de réserve dans son langage, dans un salon que lui-même appelait l'observatoire de l'Europe, ne pourrait avoir que de l'avantage. Je l'ai engagé, cependant, à rester en bons termes avec la Princesse à laquelle il plaît au fond beaucoup, et dont l'esprit et la conversation facile et rapide lui plaisent aussi. Je crois qu'il a déjà trouvé, l'autre jour, l'occasion de lui glisser quelques mots qui l'ont fort effarouchée. Il n'y a pas de mal, c'est une personne avec laquelle il faut rester bien, mais qu'il faut contenir.

Paris, 1er mai 1837.– Le duc de Broglie va au-devant de la princesse de Mecklembourg, à Fulda, en deçà de Weimar, non pas pour épouser, mais pour complimenter et escorter. C'est la maréchale Lobau qui sera Dame d'honneur de la Princesse.

J'ai eu, hier, une lettre de l'Archevêque de Paris, qui m'envoie la copie de la réponse de Rome, qu'il venait de recevoir, relativement à ses dernières difficultés à l'occasion du terrain de l'Archevêché. Rome approuve entièrement sa conduite, le laissant libre cependant de faire telle transaction qui pourrait concilier tous les intérêts; cette dernière phrase est très vague. J'irai, probablement après-demain, remercier l'Archevêque et savoir quelques détails de plus; il ajoute, dans sa lettre, qu'il est certain que le gouvernement a reçu une réponse semblable à celle qu'il me communique.

Paris, 2 mai 1837.– On assure que c'est le baron de Werther, le Ministre de Prusse ici, qui remplacera M. Ancillon à Berlin; il fait seulement quelques difficultés d'accepter, mais on croit qu'il finira par là.

On a surnommé le marquis de Mornay, le Sosthène de la révolution de Juillet: c'est très drôle et assez vrai.

J'ai vu M. Royer-Collard, qui croyait que la loi sur les fonds secrets passerait, mais en blessant mortellement le Cabinet.

J'ai été, hier soir, à la réception de la Cour pour le 1er mai65. Il y avait un monde énorme, du beau et du laid, du joli et du malpropre, de tout enfin. M. le duc d'Orléans n'a pas paru, à cause d'un grand mal de gorge auquel se joint une fluxion sur l'œil. Il fait bien de se soigner, car il n'a plus que trois semaines pour cela.

On m'a dit au Château que, dans la séance de la Chambre ce matin, M. Jaubert avait écorché vif le Ministère et que la journée d'aujourd'hui pourrait bien en amener le renversement; je ne le crois pas, parce que personne n'est pressé de son héritage immédiat.

Le bruit circulait aussi d'une victoire importante qui aurait été remportée par don Carlos.

Il me semble que je n'ai pas mandé ce que Matusiewicz m'a raconté de la nouvelle Reine de Naples, sur laquelle je l'ai fort questionné; c'est l'archiduchesse Thérèse dont il était tant question l'année dernière. Il dit, donc, qu'elle est agréable, spirituelle, gracieuse, surtout gentille; point de grand air, ni de belles manières; point du tout Princesse. On dit que le Roi en est fort amoureux.

Paris, 4 mai 1837.– J'ai été hier au Sacré-Cœur, voir Mgr l'Archevêque; je l'ai trouvé enchanté des réponses de Rome, ne voulant pas en faire publiquement parade, et désireux, pour peu que de l'autre côté on y mette des formes, d'user de la latitude que lui laisse Rome pour traiter tout à l'amiable; enfin, plus calme, plus doux que je ne l'avais vu depuis longtemps.

Paris, 5 mai 1837.– M. Molé, qui a dîné hier chez nous, disait que son collègue, M. Martin du Nord, ferait, aujourd'hui même, une espèce d'amende honorable à la Chambre pour son équipée d'avant-hier. M. Thiers a harangué ses soldats et les a calmés.

Les ratifications du contrat de mariage de M. le duc d'Orléans sont arrivées du Mecklembourg; la maladie de M. de Plessen, le ministre mecklembourgeois, l'ayant empêché de se rendre à l'endroit où l'échange des ratifications devait se faire, on a craint des retards qui auraient été d'autant plus prolongés que M. de Plessen est mort depuis. M. Bresson lui a, en conséquence, envoyé quelqu'un qui lui a porté l'acte; il était presque agonisant quand il a signé; trois heures après, il est mort.

M. de Lutteroth mande que le portrait du Prince Royal, qu'il était chargé de porter à la princesse Hélène, a eu le plus grand succès. Deux accès de grippe, dont la Princesse a été atteinte, ont empêché d'achever le sien; à sa place, je n'en enverrais pas du tout! M. de Lutteroth ne tarit pas sur les agréments de la Princesse, bien qu'il convienne qu'elle ait un nez peu distingué et d'assez mauvaises dents. Le reste est très bien, surtout la taille, qui est charmante. Le jour où il a dîné avec elle, elle avait des gants trop larges et des souliers noirs qui, évidemment, n'avaient point été faits à Paris. Ce qui est fâcheux, c'est que M. le duc d'Orléans ait un échauffement de poitrine qui se prolonge. Il tousse beaucoup et a une forte extinction de voix; il se soigne, et il fait bien.

Les Princesses de Mecklembourg n'ont pas de dot, seulement, quand elles se marient, les États votent deux ou trois cent mille francs de don volontaire. M. le duc d'Orléans les a refusés, ce qui, dit-on, a fait grand plaisir aux Mecklembourgeois. Le duc de Broglie sera accompagné, dans sa mission, de M. le comte Foy, fils du général célèbre, du comte d'Haussonville, de M. Léon de Laborde, de Philippe de Chabot, et de M. Doudan, celui-ci avec le titre de premier secrétaire d'ambassade66.

Paris, 6 mai 1837.– Après une visite de M. Royer-Collard, et comme contraste, je suis allée hier matin faire une assez longue station chez Mme Baudrand, la célèbre marchande de modes. Je voulais choisir des chiffons, pour les fêtes de Fontainebleau; je m'y suis amusée. D'abord, les plus jolies choses du monde; puis une foule, qui attendait un tour de faveur; des messages du Château qui appelaient en hâte ce grand personnage. En vérité, on aurait pu se croire chez le chef de la Doctrine ou du Tiers-parti!

J'ai eu, hier soir, un billet de Mme de Castellane; écrit après la séance de la Chambre, et qui en fait le récit suivant: M. Martin du Nord a donné quelques mots d'explication raisonnables; M. Augustin Giraud a vivement attaqué M. Molé, qui lui a extrêmement bien répondu; M. Vatry a appelé les grands athlètes dans l'arène, en proposant un amendement; M. de Lamartine, dans un ennuyeux discours parfaitement étranger à la question, a provoqué M. Odilon Barrot, qui, alors, a fait un de ses plus beaux discours; M. Guizot, à son tour, lui a répondu admirablement.

On m'a éveillée tout à l'heure pour un billet de M. Molé qui me dit que M. Thiers, ébranlé, retourné même par la séance d'hier, veut renverser le Ministère pour forcer M. Guizot à se présenter, avec ses amis, et le renverser à son tour; il ajoute que M. Dupin a rappelé à M. Thiers ses engagements, en lui disant qu'en agissant comme il voulait le faire, il ferait une mauvaise action. M. Thiers a paru de nouveau ébranlé et a annoncé qu'il réunirait de nouveau ses amis. M. Molé me mande ces nouvelles en me priant d'en causer avec M. Thiers dans le même sens que Dupin. C'est se fort mal adresser, car chat échaudé craint l'eau froide, et je me souviens trop bien des scènes de l'année dernière pour me jeter dans un pareil guêpier; je ne veux pas me mêler de ce qui ne me regarde pas! Mais, enfin, la journée d'aujourd'hui sera décisive pour le Ministère.

Paris, 7 mai 1837.– Je ne suis pas sortie hier matin, et j'ai laissé ma porte ouverte; cela m'a valu des visites: M. Jules d'Entraigues, le duc de Noailles, la petite princesse Schœnbourg. Chacun arrivait encore tout ému de la séance de la veille et du magnifique discours de M. Guizot. Il est, en effet, admirable, et a occasionné la plus forte émotion parlementaire au sein de la Chambre.

Vers cinq heures, M. de Tocqueville est arrivé. Il sortait de la séance et venait d'entendre Thiers, qui avait répondu à Guizot. Il paraît que jamais on n'a eu plus d'esprit: c'est lui qui a sauvé le Ministère et fait passer la loi67.

Il a ajouté que Thiers avait parlé bas, froidement, avec l'affectation de montrer qu'il ne cherchait aucun effet de tribune, et ne voulait rivaliser en rien sous le rapport dramatique, mais porter coup, et on dit que c'est fait!

A dîner, nous avons eu la duchesse d'Albuféra, M. et Mme de La Redorte, MM. Thiers et Mignet. M. Thiers était fort satisfait de sa journée, rendant une éclatante justice à M. Guizot et établissant bien qu'il n'aurait jamais fait la bêtise de chercher à l'éclipser, attendu que cela ne se pouvait pas; mais qu'il avait cherché à le rendre impossible et qu'il croyait y être parvenu. Il nous a dit alors son discours: il m'a paru d'une clarté, d'un bon sens et d'une application frappants. Il m'a conté que M. Royer-Collard l'avait presque embrassé en lui disant: «Vous les avez tués!»

J'ai été, le soir, chez Mme Molé, pour y payer le dîner que j'avais fait dernièrement avec l'Électrice: il n'y était question que de la séance de la Chambre. Le Ministère en jouissait comme d'un succès; assurément, il n'y avait pas, pour lui, moyen d'en triompher. Je suis revenu par chez Mme de Lieven: elle avait été entendre M. Guizot la veille, mais non pas Thiers le matin; elle était donc restée toute Guizot, ce qui avait d'autant plus d'à-propos, qu'il est arrivé lui-même, fort enchanté du concert d'éloges qui l'a accueilli; mais, au fond, il était atteint. Cela m'a paru sensible, à moi qui le connais bien!

Je suis tout étourdie, en écrivant, par le bruit du tambour qui bat sans discontinuer, pour la grande revue de la Garde nationale que le Roi doit passer aujourd'hui. Dieu veuille qu'elle se passe bien! J'en suis dans une grande anxiété.

Je sais que MM. de Werther et Apponyi se montrent médiocrement satisfaits des doctrines politiques exprimées par M. Guizot, dans son discours d'avant-hier; ils s'attendaient à un système moins rétréci, moins bourgeois! En cela, ils avaient tort, car le système social de M. Guizot est le seul approprié au temps et au pays, tel qu'il est fait maintenant!

Paris, 8 mai 1837.– Je serais charmée si la nouvelle que j'ai apprise se réalisait, et que la grande-duchesse Stéphanie mariât sa fille au duc de Leuchtenberg; il n'y aurait plus de chances, alors, pour la marier à un de nos Princes, et j'en serais également contente, parce que je ne me soucie pas d'en voir un neveu du Préfet de Blois68.

Avant-hier soir, chez Mme de Lieven, j'ai rencontré le marquis de Conyngham; il a raconté que la duchesse de Kent, qui ne manque jamais de faire des gaucheries, a invité dernièrement à dîner lord Grey, en même temps que lady Jersey. Leur rang réciproque indiquait que lord Grey devait conduire lady Jersey à table; sir John Conroy est venu le dire à lord Grey, qui s'y est positivement refusé, de façon que lady Jersey a été conduite par un inférieur en rang. Cela a déplu vivement aux uns et aux autres.

Il paraît certain que la duchesse de Saint-Leu se meurt. C'est le chirurgien Lisfranc, revenu d'Arenenberg, qui l'a dit; la pauvre femme a beau avoir mal gouverné sa vie et sa situation, l'expiation est trop cruelle. Survivre à son fils aîné, mourir loin du second, dans un isolement complet de tous les siens, c'est affreux! Et cela désarme tout jugement sévère qu'on pourrait être tenté de porter sur elle.

Hier, à l'occasion de la grande revue, toutes mes chambres n'ont pas désempli depuis onze heures du matin. On voyait parfaitement, de nos fenêtres, la défilade, qui suivait toute la rue de Rivoli, et passait ensuite devant l'Obélisque, où se trouvaient le Roi, la Reine, les Princes et un très nombreux entourage. Les soixante mille gardes nationaux, et vingt mille hommes de troupes de ligne ont défilé. Avant cela, le Roi avait passé dans tous leurs rangs tant dans l'intérieur de la cour du Carrousel que sur l'Esplanade des Invalides. La Garde nationale a fort bien crié: «Vive le Roi!» et la troupe de ligne encore mieux. Le vent était aigre et froid, mais le soleil brillant. Le Roi est rentré au Château par le milieu du jardin des Tuileries. Voilà donc enfin le Roi débloqué! C'est excellent. il faut espérer que, d'une part, on ne se croira plus obligé de renouveler souvent ce genre de solennité, et que, de l'autre, on pourra, peu à peu, se relâcher de cet excès de précautions qui nuisent au bon effet, et qui, hier, étaient telles, que je n'ai rien vu au monde de plus triste et de plus pénible: les quais, la rue de Rivoli, la place, les Tuileries, ont été interdits à tout le monde, excepté les uniformes; hommes, femmes, enfants, petits chiens, enfin tout être vivant, repoussé, refoulé; un vide complet; chacun bloqué dans sa maison; mon fils Valençay, pour venir de chez lui, rue de l'Université, ici, obligé de passer par le pont d'Auteuil! Il en a été ainsi jusqu'au moment où le Roi est rentré dans ses appartements. Toute la police sur pied et les gardes nationaux doublés, de chaque côté, d'un rang de sergents de ville et de gardes municipaux, dans toute la longueur du groupe royal; on aurait dit une ville déserte, pestiférée, et dans laquelle passait une armée conquérante, sans trouver ni arrêt, ni habitants!

58.Charles X venait de mourir, à Goritz, en Autriche, le 6 novembre 1836.
59.La Reine de Portugal avait été forcée, après des émeutes, d'accepter la Constitution radicale de 1820. – Elle fit, en novembre, aidée de Palmella, Terceira et Saldanha, une contre-révolution, croyant, à l'instigation de l'Angleterre, que le peuple de Lisbonne la soutiendrait, et proposa de renvoyer ses Ministres: elle avait été mal renseignée sur le sentiment populaire et fut forcée d'abandonner la lutte.
60.M. de Polignac, prisonnier à Ham, avait réclamé de M. Molé sa translation dans une maison de santé.
61.Sa peine avait été commuée en un bannissement perpétuel.
62.Voici la composition de ce Ministère: MM, Molé, président du Conseil et ministre des Affaires étrangères; Barthe, ministre de la Justice; de Montalivet, ministre de l'Intérieur; Lacave-Laplagne, ministre des Finances; de Salvandy, ministre de l'Instruction publique; le général Bernard, l'amiral de Rasamel et M. Martin du Nord gardaient leurs portefeuilles. M. de Rémusat, sous-secrétaire d'État, suivait son ministre dans sa retraite.
63.Marianne-Léopoldine, archiduchesse d'Autriche-Este, née en 1771, avait épousé l'électeur Charles-Théodore de Bavière. Après la mort de son mari, elle épousa le grand-maître de sa Cour, le comte Louis Arco. Cette princesse mourut en 1848.
64.Le 27 décembre 1837, jour de l'ouverture de la session parlementaire, un nouvel attentat avait été commis contre le Roi Louis-Philippe, qui se rendait en voiture, avec trois de ses fils, au Palais-Bourbon. L'auteur du crime était Meunier, un jeune homme de vingt-deux ans. Il fut condamné à mort par la Chambre des Pairs, mais le Roi obtint, en effet, que sa peine fût commuée en bannissement perpétuel, à l'occasion du mariage de M. le duc d'Orléans.
65.Fête du Roi Louis-Philippe.
66.Cette ambassade d'honneur était envoyée au-devant de la royale fiancée; elle la rencontra à Fulda, le 22 mai 1837.
67.Il s'agissait d'une loi de crédit pour les dépenses secrètes de la police.
68.Le comte de Lezay-Marnesia.
Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
27 eylül 2017
Hacim:
580 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
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