Kitabı oku: «Journal du corsaire Jean Doublet de Honfleur, lieutenant de frégate sous Louis XIV», sayfa 13
Je fus saluer Mr le maréchal de Cœuvre170 qui étoit comandant et luy rendis compte de mon voyage et de la carguaison que j'amenois. Il me dits: «Voilà un beau bouquet pour le Roy, nos vaisseaux en ayant grand besoin et vous mérittez récompense.» Je lui dits: «Monseigneur, il y a bien du temps que l'on me l'a faite espérer, et je n'obtiens rien et suis déterminé à quitter le service.» Il dits: «Il ne faut pas faire cela.» Et je prits congé de luy pour aler à M. l'intendant pour lors Mr Descluzeaux qui me receus encor très bien, et avec lequel je tins les mesmes discours. L'on fit incontinent la décharge de mon vaisseau, puis je rendis mes comptes et j'en tiray une décharge et fut simplement payé de mes gages, et j'eus ordre de remettre mon vaisseau aux mains de Mr Dugué-Troüin pour armer pour faire la course, et je party de Brest au commencement d'octobre pour me rendre à Saint-Malo afin d'aller accomplir ma parolle de me marier comme je l'avois promis par toutes mes lettres, et le 24 du mesme mois la célébration en fut faite,171 et dix jours après il me survint ordre de me rendre à Brest pour recommander le Profond sur ce que l'équipage que j'avois amené étoient tous Flamands et qui ne vouloient servir soubs Mr Dugué, et lorsque je fus arrivé on me proposa de m'embarquer pour segond soubs luy, et je n'en voulus point et retournay à Saint-Malo et il me falut songer à m'occuper.
Et il ne se trouvoit qu'une moyenne frégatte de 18 canons qui étoit à Grandville où je pris intérest et la fust armer pour la course. Je fus croiser dans la Manche de Bristol, et je fis trois moyennes prises de peu de valeur et puis je fus aux costes d'Angleterre où je fus rudement poursuivi par plusieurs gardes costes qui m'obligèrent de jeter ma chaloupe dans la mer et qu'à force de porter les voiles pour échapper je fus prest à périr, et heureusement je m'échappay et fut pour croiser vers les illes des Assores, où j'étois tort connu et me flattant d'y trouver des vivres à très bon compte et sur mon crédit. Au dix de may 1693 je dessendit à Punte Delgade, ville capitale de l'ille de Saint-Michel, appartenante à Mr le comte de Ribeira-Grande et où tout les moinnes de l'ordre de Saint-François étoient en grand désordre pour faire élection d'un Prouvincial, ayant deux factions l'une pour Nolet et l'autre pour Sapator, et cherchoient à se battre courant les jours et les nuits par troupes comme des bandits portant des ceintures rouges et les autres blanches, allant mesmes quelques-uns à cheval avec des fusils criant comme des enragez: «Vivat Nolet; Vivat Sapator.» Et me demandaient de quel party j'étois, et je dis bonnement: «du plus fort,» ils se prirent à rire. Le gouverneur me fit aller chez lui et me pria de recevoir dans mon bord le R. P. Sapator avec dix ou douze de ces religieux pour les porter jusqu'à l'ille Tercère qui n'est éloignée que de 30 lieues, et je dis avoir besoin de vivres pour mes gens. Il envoya chercher son ami Sapotor qui me dit: «N'en acheptez pas, faites votre mémoire et tout vous sera promptement envoyé sans qu'il vous en couste.» Et je fis sur le champ le mémoire bien ample et sans rien oublier et fut bien exécuté dès le 16e. Les moinnes s'embarquèrent nuitamment et avoient deux barques caravales qui les suivoient soubs mon escorte crainte des Salletins, et le 17e may nous estions à 6 lieues dépassés la pointe du ouest de l'ille que les deux caravalles étoient à plus d'une lieue de l'avant de nous. Il s'éleva un grand bruit de la mer quoyque tout en calme et soudain un volcan en sortit avec tant d'impétuosité que nous crueusmes tous estre à notre dernière fin, sentant notre navire tout ébranlé et que les deux caravalles avoient sauté à perte de vue dans l'air et entourés d'une épaisse fumée qui nous offusquoit d'odeur de soufre; un chacun de nous agenouillé demandant la bénédiction de nos séraphins qui en avoient autant besoin que nous, et les prières ne manquèrent pas. Mais ayant revüe à nos pompes et que le navire ne faisoit point d'eau, je les rassuray tous et poursuivis la route espérant sauver quelqu'uns des deux caravelles, et nous n'aperceusmes pendant près de deux lieues que des pierres de ponces flottantes sur l'eau avec quantité de différents poissons, dont en ayant pris on n'en peut gouster tant ils étoient corrompus du souffre. Et le 18 nous entrasmes au port d'Angra où est la ville capitale, et débarquasmes nostre marchandise, les restes des franciscains qui me laissèrent toutes leurs provisions et le lendemain me régalèrent splendidement au grand couvent et envoyèrent bœufs et moutons, volailles, vin, jusqu'à des biscuits sucrés pour toute mon équipage au nombre de 120 hommes, et je ne m'arrestoy que trois jours. Je fus comblé de remerciements et de provisions jusqu'à des herbes potagères. Et malgré les régalles je ne fus pas 8 jours en mer que je voyois dépérir mon équipage, et mes chirurgiens, furent obligés de me déclarer qu'ils étoient tous gastées de maux vénériens, mesme jusqu'à un mousse de 15 à 16 ans, et au bout de 20 jours je n'avois pas 30 hommes en état de combattre. Je prits une flutte Angloise sans canons et qui n'avoit pas de sable pour son lest, et fut contrainct d'aller désarmer à Saint-Malo vers le 15 juin.
Après quoy172 je m'intéressay d'une huitiesme partie d'une frégatte de 36 canons nomé le Comte de Revel173 pour la comander et faire la course. Je l'équipay avec beaucoup de diligence et engageay 220 bons hommes, et Mrs de Villestreux de la Hays174 et de Beauchesnes-Guouin175 armoient à mesme dessein les vaisseaux, le Sainct-Anthoine de 52 canons et le Prudent de 44, le premier avec 320 hommes et l'autre 290. Et sortismes du port de Saint-Malo à quelques jours différents les uns des autres étant prévenus de nos signaux et du lieu de nous rencontrer qui étoit sur les environs des sondes de la Manche, où nous nous joignismes peu de jours après le départ. Et le lendemain suivant nous aperceumes une flotte de 60 navires desquels il y avoit dix gros vaisseaux de guerre et quatre frégattes. Nous en approchasmes à deux portées de canon et mesme plus proche et les reconnusmes Anglois qui tenoient un bon ordre dans leur marche sans se diviser pour nous chasser et continuèrent leur route vers l'Espagne ou le détroit. Nous les suivions pendant 3 jours et deux nuits, ce qui nous écarta de notre croisière, et nous chassasmes chacun de nostre costé.
Et me trouvant seul au 21 aoust à environ 70 lieux au ouest du cap de Finisterre, nous aperceumes une flotte de 40 navires desquels nous aprochions pour les reconnoistre avec leurs forces. Notre homme de la découverte cria qu'il y avoit un navire qui en étoit fort écarté. Nous chassions dessus, et il nous fit nos signaux où nous luy répondismes, et il s'approcha de nous pour nous parler. C'étoit la frégatte L'Amitié de 24 canons commandée par le Sr La Janais Le Gouts176, de Saint-Malo, lequel nous dits qu'il y avoit trois jours qu'il suivoit et observoit cette flotte, et que n'étant assez fort il n'avoit osé l'attaquer, et je luy demanday de quelle force à peu près il croyoit estre leurs convoys. Il me répondit que le commandant et le plus gros ne pouvoit avoir que 36 canons, le segond de 30 et le 3e de 24 à 26, mais qu'il y avoit des navires marchands depuis 30 à 36 canons. Surquoy je luy demanday que s'il me vouloit segonder que nous les irions attaquer, et que sa frégate qui étoit plus légère que la mienne qu'il faudroit qu'il poussat avec toutes ses voilles tout proche et par dessoubs le vent du commandant et de lui lascher toute sa bordée afin de luy faire partir la sienne, et qu'incontinent je serais en état de lascher la mienne et tout d'un temps sauter à son abordage et que luy sieur Trouard reviendroit m'aborder, me metant son monde dans mon bord qui suivoient les miens de dedans le dit commandant. Et il ne le jugea pas à propos; je lui dits de me suivre très proche pour me seconder, et que j'alois livrer le combat, et le commandant Anglois me voyant disposé pendant que je discourois avec mon camarade, il fit un signal à sa flotte et qui luy envoyèrent à son bord dix chaloupes, remplies d'hommes et fit amarer derrière sa poupe et il cargua ses basses voilles, ainsy que tous les navires de sa flotte pour nous attendre dans un bon ordre ayant son arrière garde derrière luy à portée de pistolets qui avoit 40 canons et son avant garde 36 canons, et voyant tout mon équipage bien animé et bien disposé j'approchay du commandant à demie portée de pistolet et luy laschay ma bordée et la mousqueterie. J'essuyay la sienne et de ces deux confrères, et notre mousquetterie étoit bien servie et fusmes plus d'une grosse heure à nous chamailler, mais mon camarade s'écarta dès la première volée qu'il receut de l'arrière garde dont il avoit receu quelque dommage. Mes officiers m'advertirent qu'il s'étoit retiré, je les encourageois à soustenir, et ils me dirent que je ne voyais pas notre domage où nous étions par la quantité des morts et estropiez ainsi que plusieurs de nos canons démontés et qu'il y avait plus de trois pieds d'eau dedans notre fonds de calle, et par un bonheur le commandant, ses camarades et toute sa flotte firent toutte voille pour se tirer de nous et je ne peus plus les poursuivre. Lorsque j'eus considéré le mauvais état où nous étions, nous travaillasmes à étancher l'eau que les coups de canons nous avoient causés, et quarante six de nos hommes tuez dont notre aumônier fut du nombre, ayant sorty de son poste de la calle pour me prier de cesser le combat, dont le dernier coup de canon de notre ennemi luy emporta la teste. Nous eusmes 21 estropiez des cuisses, bras et jambes et 32 de bien blessés et huit de nos canons entièrement démontés de leurs affûts qui estoient brisés et toutes voilles coupées à morceaux, ainsy que nos manœuvres dont il ne nous restait qu'un seul lanbau du grands mât et les mâts et vergues hachés ainsy que le corps de notre vaisseau par des carreaux de fer, de pied et demy à deux pieds de longueur sur 2 à trois pouces dépaisseur, qu'ils nous avoient envoyés par leurs canons, et il est surprenant comme nous en avons échappé. Et pendant que nous nous raccordions le sieur de la Jannais vint m'approcher et m'offrir quelques secours. Je le gronday de ce qu'il m'avoit abandonné sitôt et il me dit avoir reçu deux coups de canons à l'eau et que son segond capitaine le sieur Truchot avoit un bras emporté. Je luy redis: «Sy vous m'aviez aidé seulement une demie heure nous aurions eu la victoire.» Il me répondit: «Vous estes trop heureux d'avoir échappé après estre si mal traité et nets-ce pas victoire de les avoir fait lascher pied et prendre la fuitte.» Je luy dits de se retirer d'avec moy, et il s'en alla. Ma chaloupe et le canot furent brisés des canons, et je fis routte sur celles que nos ennemis abandonnèrent pour mieux fuir et j'en choisis une très belle, puis on aperceut un moyen navire à une lieue des dites chaloupes et c'étoit un flutton d'environ 150 thoneaux de port chargé de bons balots de diverses étoffes et toilles de merceries, lequel estoit de la mesme flotte que nous venions de combattre, et nous déclara leurs forces et qu'ils aloient en Pensilvanie et portaient neuf cens hommes de troupes réglées. Et je fis route avec cette prise pour relascher à Sainct-Malo me faire racomoder et étant par trop mal traité, je ne peus résister aux vents un peu contraires, et je fus contraint d'entrer à la rade de Brest où M. Herpin le capitaine du port vint à mon bord, et fut très surpris de ce que je m'étois retiré d'un pareil embarras, voyant mon navire et mon équipage sortis mal traités; et il eust la bonté de m'envoyer aussitots un batteau chalant pour avec des chirurgiens faire enlever mes estropiez et blessez au grand hospital du Roy et puis fit entrer notre frégatte, et je fus saluer M. le Marquis de Langeron qui était commandant et M. Descluseaux intendants, qui me promirent de bien faire radouber et équiper ma frégatte et que j'eus à aller par terre à Sainct-Malo refère un équipage et que je ne me mis en paine que mon radoub seroit sur le tault du Roy. Les effects de ma prize produire autour de trente six mil livres et ayant rengagé 162 bons hommes je les aconduits à Brest le 19 septembre. L'on me fournit mesmes un des magazins du Roy sur le mesme prix pour la bonne amitié qu'avoit pour moy M. Albust munissionnaire. Je partis seul de Brest le 26 septembre et fut croiser entre le cap Lezards et les Sollingues. J'aperceu un vaisseaux de 50 canons; je fis nos signaux et il me répondit juste; nous nous aprochasmes à nous parler, c'était le vaisseau du Roy: Le François comandé par M. Dugué-Troüin armé par des particuliers et nous fusmes à l'ancre en rade de la grande ille Sorlingue ayant nos pavillons anglois. Il vint à nostre bord une chaloupe du pays, j'étois au bord de M. Dugué pour y disner, et nous aperceusmes un vaisseau seul venant sur nous, lequel nous croyoit anglois voyant nos pavillons. Je me fis promptement reporter à mon bord, où il me resta un officier de M. Dugué. Nous levasmes nos ancres, le dernier vaisseau qui nous avoit approché à portée du canon se deffia ou il nous reconnut. Il prit la fuitte et nous lui donnions bonne chasse. J'alois beaucoup mieux que le François, et aproché à portée du fusil le vaisseau anglois qui avoit 60 canons et il m'aurait enlevé avant que M. Dugué m'euts peu secourir. Le dit anglois jetta des chaloupes, mats et vergues d'hune de rechange et ses éclouaisons à la mer pour mieux aller et s'échapper, je le laissay s'échaper et me rejoignit à M. Dugué et luy renvoyai son officier, et la nuit il survint un coup de vent, qui nous sépara d'avec mondit sieur Dugué.
Et je pris résolution me voyant seul d'aler croiser au Nord des côtes d'Irlande jusqu'au travers et en vue de Londondery où nous aperçeumes une moyenne frégatte, à laquelle nous fismes les signaux et elle y répondit, et nous nous approchasmes à nous entreparler. C'étoit l'Etoille de 18 canons, capitaine Pignon-Vert-Creton, de Sainct-Malo, et tombasmes d'accord de croiser quelques jours ensemble. C'étoit au soir et que le lendemain au matin nous aperceusmes à deux ou 3 lieues soubs le vent de nous un navire qui vouloit nous approcher, le jugeant pour un garde coste denviron 40 canons et qu'il falloit tascher à l'éviter, le Sieur Creton en convint et nous serrasmes le vent à toutes boulinnes, et le dit garde-coste nous approchoit à vue d'œil, ce qui intimidoit grandement nos équipages, qui se servoient de lunettes d'aproches et raisonnoient ensemble: «cets un garde coste de 50 canons»; d'autres: «il est bien plus fort que nous.» Et entendant ces murmures j'arachey toutes les lunettes d'approches et les jettay dans la mer et d'un ton colérique je prits parrolle leur disant: «Vous voyez tous que nous ne pouvons éviter le combat; quant à estre batus en fuyant vous l'estes à demy et l'ennemy se fortifie; je suis d'avis de fronder sur luy et il aura la moittié de la peur.» Et j'en dis autant au Sr Creton qui me répondit: «nous ferons ce qu'il vous plaira», mais du ton trop lent, et mon équipage la mesme chose. Je fis aporter du vin, le versant à tous, je bus hautement à la santé du Roy et qu'il vive; et la plus part crièrent: «Vive le Roy». Je dis: «Allons mes amis vous estes des braves gens soutenons l'honneur du pavillon, et qu'on leur verse encore à boire, et nous disposons à vaincre nostre ennemy; ce nets pas les canons qui batte se sont les braves gens et il nen a pas dix plus que nous, et alant nous mesme l'attaquer ils sont plus qu'à demy battus.» Et fis armer vent arrière sur luy, et l'Etoille nous suivoit lentement, ainsy ce n'étoit pas celles des trois Mages. Le garde coste nous atendoit avec ses deux voilles majeures carguées et le vent sur le petit hunier ayant son costé de tribord au vent, et y avoit échangé trois de ces plus forts canons croyant que je l'ataquerois du mesme costé, mais étant tout proche de luy je fits ariver par sa poupe et luy tirant ma volée coup après coup qui le prenoient en enfilade, et puis fits tenir au vent soubs le vent de luy qu'il ne peut faire aucune manœuvre, et notre mousqueterie très bien servie nous luy coupasmes la drisse du grand hunier dont la vergue et voile tomba; nous redoublames nos décharges et en une heure de combat, il se rendit, je ne perdits qu'un homme qui eut la teste emportée nommé Mazelinne, d'Honfleur, et notre ennemy eut 24 tuez avec leur capitaine Mr Kilincword. Le navire étoit tout neuf, mis à l'eau depuis 3 mois, armé de 40 canons, percé pour 44, se nommait le Scarboug, avec 200 hommes; et l'Etoille ne me seconda nullement cependant a eu part à cette prise pour avoir assisté de tesmoing, et après l'avoir pris les officiers et équipages qui restoient me prièrent de les faire débarquer à la terre d'Irlande, dont nous n'étions éloignés que de trois lieues, ainsy que leurs blessés et estropiez dont ils périroient la plus grande partie sy je les enlevois en France. J'accorday leurs demandes et m'en débarrassay et les fit porter à terre dont je fus grandement loué par leurs nations, et j'escortay la dite prise au Port-Louis le 6 de novembre et en ressortis 2 jours après sur ma frégatte le Comte de Revel ne l'ayant montée que de 30 canons à cause de l'hiver, ainsy l'anglois en avoit 10 canons plus que moy et de plus gros calibre et 24 hommes plus. Je partis du Port-Louis seul le 8 novembre pour retourner à Sainct-Malo désarmer où j'arivay le 12 novembre177.
CHAPITRE VIII
Bombardement de Saint-Malo. – Visite de Vauban. – Voyage à Bourg neuf. – Second bombardement de Saint-Malo. – Croisières. – Excursion en Irlande. – Superstition de Doublet. – Voyages aux Açores. – Lutte contre les Anglais. – Séjour de Doublet à Salé et à Saffi. – Il refuse le salut à deux vaisseaux portugais. – Martyre de la fille de Dom Garcia. – Retour à Marseille.
1693. Le 26 sur les deux heures de l'après midy, je fus à la promenade sur les remparts proche de la porte de Sainct Thomas, avec plusieurs messieurs de la ville, et l'on aperceu au large de la Conchée178 une flotte qui s'en approchoit. La pluspart de nos messieurs croyoient estre une flotte du party des gabelles qui venoient d'Honfleur, et nous les regardions avec des lunettes d'aproches. Je dits: «Ce n'est nullement une flotte de navires marchands, ce sont vaisseaux de guerre.» Et il y eut presque un pary entre M. de la Motte-Gaillard et moy. Il se fondoit que la saison étoit par trop advancée et j'opinay tousjours que c'étoit des vaisseaux de guerre jusqu'à payer dix pistoles pour gajeures. Et sur les 4 heures ils mouillèrent leurs ancres en dedans de la Conchée à la fosse aux Normands, je quitay ma compagnie en leur disant qu'ils feroient bien d'ordonner de préparer les forteresses pour les deffences de la ville, et que j'alois changer d'habit pour m'y disposer. Je fus chez moy très embarrassé pour advertir mon épouse qui étoit sur son huitiesme mois de sa première grossesse et pour l'envoyer à la campagne de sa mère, et j'étois encore plus embarrassé comment la quitter. Je dis à son frère de l'aler conduire et que je ne le pouvois faire, crainte que l'on ne m'accusât de lascheté et qu'on ne dit que j'avois pris ce prétexte pour me sauver, et elle consentit de partir avec son frère. Et je fus au fort Royal où il n'y avoit rien de préparé aux batteries des canons, et les ennemis se postèrent ayant des pavillons blancs, ce qui faisoit encore doubter que ce ne fut des françois. Et lorsqu'ils eurent bien placé deux galiotes à bombes, sur les 5 heures, ils envoyèrent plusieurs grosses bombes qui par un bonheur outrepassoient de beaucoup la ville et sans faire aucun dommage, et alors les portes se trouvoient trop petites pour passer l'afluence du monde qui se vouloit sauver. Et nous leur envoyâmes plusieurs coups de canons sans nous apercevoir leur avoir fait dommage. La nuit survint et l'on cessa de tirer de part et d'autre.
Nous avions deux mortiers au pied du glacis sous la guérite du bastion du fort Royal. Au lendemain nous les mismes en estat de les faire jouer, mais il n'y avoit pas gens expérimentés pour cela, je m'y offris sachant le fait, mais M. le Camus, écrivain principal, qui représentoit la place de M. le commissaire qui étoit à Paris179 m'osta cette pratique la croyant mieux savoir que moy180, et se voyant sans réussite et par la sollicitation de plusieurs messieurs il m'abandonna les mortiers. Et avec l'assemblée nous aperçeusmes que lorsque les galiotes avoient envoyé leurs bombes elles changeoient de leur place pour n'estre pas endomagés par les nostres, et je proposay que si l'on ne me veut pas troubler que je feray crever toutes les bombes en l'air que j'envoirray, et que par les éclats épars de tous cotez que nous pourrons par ce moyen plustot incomoder les dites Galiotes. Je commençay par mettre le feu à la fusée de chaque bombe et puis, à une distance de deux Ave Maria, je fis mettre feu à l'amorce des mortiers et le mât d'hune de la Galiote la plus éloignée fut emporté, et se retira de sa place; et de ma seconde volée la poupe de l'autre galiotte fut fort endommagée et mis le feu à un baril de poudre qui fit bien du fracas, et se retira au large, dont j'eus bien des applaudissements. Et lorsque j'eus cessé, je montay au fort Royal pour découvrir d'où provenoit des pierres de taille que nous tomboient proche de nostre batterie des deux mortiers qui risquoient à nous blesser, et je remarquay que c'étoit la guérite du bastion qui tombait par l'effort de nos mortiers. Je fis achever d'abattre la dite guérite, et y fis porter une pièce de canon de 36 livres de boulet, qui avoit démonté l'affut à l'embrasure voisine qui ne pouvoit donner sur nos ennemis, et la place vidée de la guérite battoit directement ou ils étoient mouillés et fit un bon effet, et nos ennemis se tirèrent plus que très lentement. Nous étions dans le château Royal avec tous les plus braves et signalés capitaines de frégate de Sainct-Malo, tous enfants des meilleures familles, et qui agissoient du concert sans se piquer du commandement, résolus de combattre jusqu'à la fin, lorsque sur les 5 à 6 heures du soir il survint une compagnie d'infanterie dont l'officier creut nous comander comme à ses soldats et nous vivions à nos frais – nous nous retirasmes tous du fort et y laissâmes les officiers et soldats. Nous estions tous très échauffés par nos agitations; nous fusmes souper et changer. Sur les huict heures du soir, on se croyoit tranquille pour la nuit, j'étois à souper en bonne compagnie lorsqu'il se répandit comme un terrible coup de tonnerre que l'on creut entièrement abismée, les lanternes de tous costés, que un chacun regardoit sy sa maison subsistait. Nous courusmes vers le fort Royal où avoit esté le grand effort et on aperceut un navire échoué derrière les murs qui avoit sauté par une quantité de poudre et d'artifices dont les murs de la ville du mesme costé étoient entr'ouverts, et au jour on ne remarqua que très peu de maisons peu endommagées, et presque tous les vitrages et des églises entièrement fracassés, et le lendemain les ennemis voyant la ville encore debout se retira sans bruit et les gens de ce navire furent trouvés écrasés et brisés. C'étoit cette fameuse machine infernale dont les gasettes avoient fait mention que l'on la composoit dans la tour de Londres, et sy les soldats ne nous euts dépossédez du fort Royal nous aurions coulé à fonds cette dite machine avant qu'elle eut approché de la ville; c'est un hazard comme elle (la ville), n'en at esté ruinée, etc.181.
Je fus pris d'un grand rumatisme par tout le corps des fatigues que j'avois euts. Mrs les intéressés en la frégatte le comte de Revel me déclarèrent qu'ils aloient se rendre adjudicataires de la prise du garde côte que j'avois faite et que sy je voulais bien m'y intéresser que je la commanderois de compagnie avec le Revel. J'acceptay le party aux conditions que mon beau-frère le Sr Demarets-Fossard auroit le commandement du dit Revel, Et il étoit connu pour un très brave homme et il n'y eut aucune difficultés.
Peu de jours ensuitte Monsieur le duc de Chaulne,182 gouverneur et admiral de la Bretagne, vint faire sa demeure a Sainct-Malo, et il fut informé comme j'avois agy au bombardement et comme j'avois enlevé corps à corps un vaisseau de guerre plus fort que n'étoit le mien, Il dits: «Cela mérite une récompense.» Et il me fit venir devant luy et me fit présent d'une espée à garde et poignée d'argent doré et un beau ceinturon brodé, et dits: «Je veux prendre intérêts avec vous dans le garde coste que vous avez pris et le nommerez de mon nom.» Je le remerciay humblement des bontés de Sa Grandeur et de l'honneur qu'il me faisait.
Mr de Vauban premier ingénieur du Royaume vint pour examiner la ville de Sainct-Malo, et lorsqu'il passa au fort Royal il vit la guérite en question abatue, il demanda sy savoit esté par quelque boulet des ennemis, et il avoit une grande troupe d'officiers à sa suitte et entr'autres Mr Carajean ingénieur en chef à Sainct-Malo qui sourdement m'en vouloit. Il dit à mon dit Sr de Vauban que c'étoit moy qui avoit démoly la dite guérite et sans subjet. Mr de Vauban s'échauffa et dits: «Que l'on me fasse venir cet homme je luy feray rédifier à ses frais. Quoy, moi-mesme je n'oserois faire abattre ma guéritte de bois sans le permis du Roy.» J'étois assés proche de luy pour entendre son discours, et je ne me démonté pas. Je luy dits: «Monseigneur, ayez la bonté de m'entendre, il faut que j'aye quelqu'ennemy caché qui vous a mal informé, et je me raporterai à la pluralité des voix d'une aussy belle cour que vous avez. Je ne mérite pas un sy mauvais sort pour mes paines.» Il dit: «Hé bien, qu'avez-vous à dire?» Je luy contay comme j'avois agy et fait, et quantités d'honnestes gens m'aprouvèrent et luy dirent que j'acusois vérité, et il se tourna vers l'ingénieur et luy dit: «Vous avez grand tort d'accuser à faux cet homme; il mérite plustot une récompense qu'une reprise.» Et je fus affranchi de monter les gardes dont les Mrs de la ville y sont obligez.
Et sur la fin de l'année 1694, mes intéressés m'avertirent que le garde coste que j'avois mené au Port-Louis nous étoit adjugé par trente quatre mil cinq cens livres, et que j'eusse à me disposer de partir par l'aller armer avec seulement soixante hommes d'équipage, et que j'irois le conduire à Bourneuf pour y charger aux deux tiers de sel pour aporter à Sainct-Malo, afin d'y armer tout d'un mesme temps avec le Revel, que j'avois cédé à Mr Desmarets et je partis par terre. Etant arrivé au Port-Louis, je fis équiper simplement le navire qui fut nommé le Duc de Chaulne, et le 20 janvier 1695 je fus arrivé à Bourg neuf pour y charger le sel. Je fus par terre à Nantes pour faire l'épreuve de 70 fusils boucaniers que j'avois fait faire et les fis apporter par charrette. Ayant chargé le sel, je partis de Bourgneuf au 4 février et par vents contraires, je relaschay à Camaret183 où il y avoit une flotte de nos navires marchands qui atendoient le vent favorable pour passer par la Manche et tous les capitaines me prièrent de leur servir de convoy et je les conduis jusqu'à Sainct-Malo après les avoir préservés de cinq corsaires de Garnesey. Etant arrivé au 26 avril nous travaillasmes fortement à armer nos deux frégattes et à engager plus de quatre cents matelots et 120 volontaires pour la mousqueterie, et sur le 20e juin nos frégattes étoient armées et mis en la rade de Rance.184 Je demanday à Mr Desmarets185, s'il étoit en état de sortir en mer, et il me dit qu'il ne le pouvoit que pour la marée du lendemain. Je luy dits de se bien aprester et que j'alois sortir pour l'attendre à la rade du dehors qui est sur le vieux banc, et que je me disposerois à mettre tout en estat et réglerois mes bordées pour les quarts et pour régler les portées au cas de combat, et comme le temps étoit beau je faisois ces réglements étant soubs les voiles pour aussy éprouver la marche du vaisseau.
Nous fusmes186 trois à 4 lieux en mer que j'envoyay un homme au haut du mât pour faire la découverte. Sitots qu'il fut en haut il cria qu'il voyoit plusieurs batteaux qu'il croyoit estre des pescheurs, et j'envoyay en haut un de nos enseignes, lequel me cria aussy que c'étoit des batteaux, cependant qu'il y en avoit quelqu'uns qui paroissoient plus gros. Je montay aussitost sur la hune du grand mâts, et me servit de moyennes lunettes d'aproche pour mieux examiner. Et j'aperceus que c'étoit de gros vaisseaux qui venoient vers nos rades, allant dans un bon ordre. Je redessendis et dis: «Quelle diable de méprise de prendre des vaisseaux de guerre pour des bateaux pescheurs! et il faut que nous les remarquions de plus près afin de les bien connoistre.» Et comme ils venoient de notre costé ils s'aprochèrent en très peu de temps, dont nous ayant aperceus il y en eut deux qui me donnèrent la chasse et j'aperceu que le plus gros de ces vaisseaux portoit à son grand mât un grand pavillon rouge. Et je fis revirer de bord pour rentrer à la rade de rancée. Devant la ville il y avoit une grande quantité de monde sur la Holande187 et sur les remparts à nous regarder. Les uns croyoient qu'il se seroit ouvert quelque voye d'eau à nostre vaisseau et on ne savoit que présumer, car on ne voyoit pas de la ville les vaisseaux qui m'avoient obligé de rentrer. C'est que la marée baissoit et le vent cessa qui les obligea de reculer plutots que d'avancer. L'on m'envoya un bateau de la ville pour s'informer ce qui me pouvoit estre arivé. J'avois défendu à tout mon équipage de ne rien dire, et je dits aux gens du dit bateau que j'allois dessendre à terre et j'ordonnay à mon segond capitaine de ne laisser aprocher aucun bateau de nous, et je m'embarquay dans mon canot avec Mr De la Motte Nepveu, mon premier lieutenant, et luy ordonnay qu'aussitots que j'aurois débarqué à terre qu'il eut à retourner à nostre bord et ne pas déclarer à qui que ce fut ce que nous avions veu. Mes intéressés et amis se trouvèrent à mon débarquement, étant très inquiets m'empressoient de leur déclarer le subjet de ma relasche sy précipitée. Je les priay de ne pas obliger à parler devant une sy grande quantité de monde et que j'alois chez Mr le comte de Polastron188 qui étoit le comandant, et que là ils sauroient toutes chozes. Et lorsque j'entray je dits: «Monsieur, que j'aye s'il vous plaits l'honneur de vous entretenir un moment en particulier avec Mrs mes intéressés.» Et il nous fit entrer dans une autre chambre et gardée par deux sentinelles. Et je déclaray ce que nous avions veu et le prévint que s'il ne le voyoit pas que c'étoit les marées qui les avoit empeschées d'avancer et que j'avois compté jusqu'à quarante vaisseaux de guerre et qu'infailliblement venoient pour attaquer la ville et qu'il donnât les ordres pour les deffences. Il me prit par la main et me dits: «Allons chez Mr le commissaire, nous y trouverons tous les officiers.» Nous y fusmes et je le priay de me laisser pour un moment aller chez moy advenir mon épouse et famille pour mettre ordre aux affaires de ma maison. Et il me dit: «Je vous prie de ne vous pas séparer de moy. Vous allez estre accablé de questionneurs et ne pourrez vous en débarrasser. Cette affaire est de toute importance.»