Ücretsiz

Aux glaces polaires

Abonelik
0
Yorumlar
iOSAndroidWindows Phone
Uygulamanın bağlantısını nereye göndermeliyim?
Kodu mobil cihazınıza girene kadar bu pencereyi kapatmayın
TekrarlaBağlantı gönderildi

Telif hakkı sahibinin talebi üzerine, bu kitap dosya olarak indirilemez.

Yine de, onu mobil uygulamalarımızda (internet bağlantısı olmadan bile) okuyabilir ve Litres sitesinde çevrimiçi olarak okuyabilirsiniz.

Okundu olarak işaretle
Yazı tipi:Aa'dan küçükDaha fazla Aa

Le Frère Jean-Marie (Lecreff) s’aperçoit que le Père Dupé dévie de la ligne droite, et il court pour l’y ramener. Ses chiens le suivent toujours; mais le traîneau, que la main du frère maintenait en équilibre dans les endroits inégaux du chemin, n’étant plus soutenu, verse sur un banc de neige, et me voilà à pied sans plus de cérémonie. Relever le traîneau et le remettre en marche, c’est l’affaire d’une seconde. Je pourrais m’y réinstaller, et, avec un peu d’attention, éviter de nouveaux accidents; mais j’ai honte de voir mes compagnons exposés seuls aux horreurs de la tempête, car c’est une vraie tempête qui s’est abattue sur nous, et je les rejoins. Je m’imagine que je les aiderai à reprendre la bonne direction; mais je suis bientôt, comme eux, fouetté par le vent et aveuglé par la neige. J’essaye d’ouvrir les yeux. Aussitôt des flocons précipités, poussés par l’ouragan comme les projectiles par une mitrailleuse, me forcent de les fermer et me criblent le visage. J’essuie mes paupières, et déjà les cils sont collés entre eux par de durs glaçons. Il faut faire volte-face et tourner le dos au vent, afin de me débarrasser le mieux possible de ces écailles d’un nouveau genre; mais c’est pour les voir se reformer presque immédiatement. Nous en sommes là tous les trois, et ne savons guère où donner de la tête. Félix nous rejoint enfin.

«Il n’y a qu’à marcher, dit-il, pour nous empêcher de geler; dirigeons-nous toujours sur le vent; nous finirons par atteindre la côte.»

Se diriger sur le vent n’était pas chose facile, comme on le comprendra par ce que je viens de dire; mais encore on ne savait plus au juste de quel côté il soufflait. Les tourbillons de neige se soulevaient et semblaient se poursuivre vers les quatre points cardinaux à la fois. La rafale continuait à nous cingler sans merci et à nous aveugler de plus belle.

Qu’allons-nous devenir, si la tempête dure? Nous nous recommandons à Dieu, à la Vierge, aux saints Anges, et, le corps penché en avant, un bras placé au-dessus des yeux pour nous permettre de les ouvrir, nous continuons de lutter contre les éléments déchaînés. Dire où nous allons, personne ne le sait; mais nous marchons toujours.

Après plusieurs heures de course au milieu de cette furieuse tourmente, il nous sembla que sa violence diminuait; puis nous crûmes voir une masse d’ombre flotter au sein des tourbillons de neige. Ne serait-ce pas la terre?.. Oui, c’est elle! Deo gratias!

Où sommes-nous? Félix regarde la côte à droite, à gauche, aussi loin que sa vue peut porter, et déclare ne pas s’y reconnaître. Nous examinerons cela tout à l’heure. En attendant, chauffons-nous, dégelons-nous et réconfortons-nous un peu. Nous en avons besoin. Nous n’avons pas la chance des enfants de la fournaise à Babylone, lesquels passèrent par le feu sans en ressentir les ardeurs. Nous avons subi les rigueurs des éléments tout à fait opposés, et nous n’en avons pas moins le visage couvert de brûlures. Pas un nez indemne, pas une joue intacte. Félix surtout, qui n’a pas de barbe, a littéralement la face en compote. Heureusement, ces morsures du froid ne sont pas profondes, l’épiderme seul en est affecté, et l’on en sera quitte pour faire peau neuve.

Comme Mgr Grouard n’avait, lors de cette aventure, que des lacs de dimensions moyennes à rencontrer, il s’était contenté de son équipage. Mais les missionnaires qui doivent braver les grandes étendues du lac Athabaska et du Grand Lac des Esclaves ne partent jamais seuls.

Même en caravanes, ils peuvent être jetés en d’extrêmes périls. Ce fut le cas de Mgr Grandin, la nuit du 14 au 15 décembre 1863, sur le Grand Lac des Esclaves.

Maladif, affaibli encore par une longue marche fournie depuis le fort Providence, il allait, avec son petit compagnon, Jean-Baptiste Pépin, le dernier d’un cortège formé par le courrier de la Compagnie, quelques sauvages et lui-même. La mission Saint-Joseph, du fort Résolution, terme du voyage, était en vue, «à un tiers de lieue», lorsque la poudrerie isola le traîneau de l’évêque.

Tout à coup, raconte-t-il, s’éleva un vent très violent lequel, soulevant la neige qui était sur le lac, et la mêlant à celle qui tombait en abondance, nous empêcha de rien distinguer, et nous perdîmes bientôt la trace du courrier. Le vent seul pouvait encore nous servir de guide. Nous nous dirigions, nous semblait-il, vers la mission. Mais rien n’est variable comme le vent: il avait changé de direction. Nous avons marché encore plusieurs heures avant la nuit complète, criant et écoutant si on répondait à nos cris. La tempête seule se faisait entendre.

Dans l’espoir que nos chiens nous conduiraient vers un lieu sûr, nous les abandonnons à eux-mêmes, mais le lac se déploie toujours devant nos pas, sans aucun horizon. Si nous eussions été au milieu des glaçons (bordillons), nous aurions pu nous en faire un abri pour passer la nuit et ne pas nous geler, mais nous étions sur la glace vive. Le vent balayait la neige à mesure qu’elle tombait. Il nous était impossible de nous en servir pour nous protéger.

Comprenant que plus nous avancions, plus nous nous exposions, nous essayâmes de camper sur la glace. Je détachai notre traîneau avec toute la diligence possible. C’est, dans cette circonstance, une opération très dangereuse; car pour défaire tous ces nœuds et toutes ces cordes, il fallait enlever nos mitaines. Chacun à notre tour, nous travaillions à cette œuvre, plus longue qu’on ne le supposerait; et pendant que l’un travaillait, l’autre se battait les flancs pour se réchauffer. Nous cherchâmes à nous protéger contre le froid au moyen de nos chiens, de notre traîneau, de nos raquettes et de nos couvertures.

Assis sur la glace, le dos appuyé sur le traîneau, mon petit garçon assis sur moi et appuyé contre moi, tous deux enveloppés dans nos couvertures, que le vent soulevait malgré toutes nos précautions, nous nous préparâmes à la mort, le pauvre enfant en se confessant, et moi en faisant des actes de contrition et de soumission à la volonté du bon Dieu. Bientôt nous sentons que le froid nous gagne. Nous nous relevons, gardons sur nous chacun une couverture, attachons les autres en grande hâte sur le traîneau et nous marchons de nouveau, comme pour fuir la mort dont nous sommes poursuivis. Notre dîner avait été bien mince, car nous étions au terme de notre voyage et au bout de nos provisions, et cependant je ne sentais nullement le besoin de manger. Je ne sentais même plus mon mal de pied. Nous marchons ainsi longtemps, en nous arrêtant quand nous n’avions pas trop froid; mais mon petit garçon commençait à s’endormir malgré lui et malgré moi. Je compris que le moyen de lui sauver la vie était d’essayer de camper encore.

Je trouvai heureusement une épaisse couche de neige. J’y fis un trou avec mes raquettes, j’y étendis mes couvertures et j’y couchai mon cher compagnon. Puis, je plaçai les chiens sur le coin, et je recouvris le tout de neige. Quand toutes mes opérations furent finies, je m’introduisis comme je pus auprès du petit garçon; mais il aurait fallu une troisième personne pour me couvrir à mon tour. Quelques précautions que je prisse, le vent pénétrait toujours jusqu’à nous. Cependant, m’étant très fatigué pour faire notre lit, j’éprouvai d’abord une forte chaleur qui fit fondre la neige que j’avais dans mes habits. Le vent gela bientôt le tout, de sorte que je ne savais plus où mettre mes mains pour leur éviter de se geler. Mon compagnon était dans le même état. Tout couchés que nous étions, nous passâmes la nuit à nous remuer, à nous frotter, à souffler pour nous réchauffer.

Enfin, une dernière fois, n’en pouvant plus, je sors de dessous mes couvertures pour prendre mes ébats plus à l’aise. Je crus alors apercevoir la terre. Vite, je fais lever mon petit garçon, nous plions bagage et nous nous dirigeons vers l’endroit où nous espérons pouvoir faire du feu.

Je sens qu’un de mes talons se gèle. Mon compagnon éprouve la même chose dans ses deux pieds. Nous ne pouvons plus chausser nos raquettes. Après une marche assez longue, nous arrivons à terre. Nous avons eu beaucoup de peine à trouver du bois et plus encore à allumer notre feu. Nous aperçûmes alors deux traîneaux. Nous crions de toutes nos forces. C’étaient le père et l’oncle de mon compagnon qui allaient à notre recherche. Nous campions sur l’île où se trouve la mission, et nous n’en étions qu’à un quart d’heure de distance…

En arrivant à la mission, Mgr Grandin trouva les Pères Gascon et Petitot, tout en larmes, offrant le saint sacrifice pour le repos de son âme.

Ils avaient passé la nuit à tirer des coups de fusil, à fouiller les abords du lac en agitant des tisons enflammés. Rien n’avait répondu. Mgr Grandin aurait dû se geler jusqu’au cœur, disent les Indiens du pays.

Mais la Providence garde le missionnaire.

L’humble traîneau sauvage fut, au début des missions, un luxe exceptionnel.

Les missionnaires s’estimaient heureux de trouver, sur le traîneau du commis de la Compagnie, une petite place pour leur couverture de nuit et pour le strict nécessaire de leur chapelle. Mgr Taché, Mgr Faraud, Mgr Clut, Mgr Grouard, le P. Gascon allèrent ainsi de nombreuses années. Ils «couraient devant les chiens», en échange du service qu’on leur rendait. A défaut de ce secours, il leur arriva de marcher de longues journées, le dos ployé sous le poids de leur bagage.

Lorsque les moyens permirent d’acheter et d’entretenir un attelage, le voyageur lui-même n’en fut guère soulagé. Il continua à courir sur la neige, les épaules libres seulement.

Que l’on fasse, en effet, le calcul de ce qu’il faut de poisson pour nourrir quatre chiens pendant une semaine, et plus, à raison de cinq à six livres, par tête et par jour. Ajoutons à ce «poisson des chiens» les vivres du maître, sa chapelle portative, sa hache, son fusil, sa misérable literie: voilà notre chargement complet. D’autre part, si un bras solide ne tient continuellement le traîneau, par l’arrière, dans les dédales des bois, des glaçons, des bancs de neige, il se disloque bientôt, se lacère, se met en pièces; et la cargaison se disperse. De plus, les chiens ne marcheront ordinairement qu’à la suite d’un homme qu’ils verront courir devant eux. Sur la neige quelque peu épaisse, cette corvée d’éclaireur est absolument nécessaire. C’est ce que l’on appelle: battre la neige devant les chiens.

 

Tout voyageur qui voudrait «se faire traîner» aurait à doubler cet effectif, et son convoi supposerait deux traîneaux, l’un pour ses vivres et son bagage, l’autre pour sa personne, huit chiens, trois hommes, dont deux pour gouverner les traîneaux et le troisième pour battre la neige devant les chiens.

Comme le temps n’est pas encore venu pour le missionnaire du Mackenzie d’affronter les dépenses qu’entraîneraient de pareils équipages, il se contente du traîneau aux provisions. S’il a le bonheur de posséder la compagnie d’un frère coadjuteur, il lui propose l’une des fonctions guide ou gouvernail, et s’acquitte de l’autre.

Il convient pourtant de dire que, depuis quelques années, grâce à de longues économies, et grâce au système organisé de leurs privations, les missionnaires se sont donné du moins la jouissance de fournir à leurs évêques un attelage-omnibus, qui se décore du nom de carriole. La spécialité de ce traîneau épiscopal est d’avoir la peau d’orignal, qui forme ses parois, plus soigneusement tendue, et même enjolivée d’un filet de peinture. L’évêque y est empaqueté, ficelé dans ses couvertures, à la façon des momies. Lorsque ses reins sont moulus par les cahots, et ses oreilles trop étourdies des rauques frottements de la caisse contre les rugosités de la glace, il se lève et prend la place du coureur «guide ou gouvernail», en lui offrant la sienne. Dans ce toboggan à la chevauchée bondissante, désordonnée, butant sans cesse contre les détours de la forêt, heurtant les arbres, raclant le frimas des branches abaissées, l’auguste voyageur garde la sécurité de se dire que s’il roule dans la neige, – et il roulera, malgré toutes les vigilances, – il ne tombera jamais d’assez haut pour se briser les membres.

Soit que le missionnaire «conduise» son traîneau, soit qu’il «batte la neige devant ses chiens», soit qu’il entreprenne une course solitaire, il ne peut avancer qu’à la condition de «chausser les raquettes».

La raquette, l’«escarpin du Nord», le «snow-shoe», est une palette de forme ovale, légèrement relevée en avant, et finissant en queue de poisson. Le cadre de bois est garni d’un treillis de fils de peau (babiche). Une lanière de même nature assujettit les orteils au milieu du réseau et va contourner le talon, afin de retenir le pied dans la position voulue. Les orteils sont donc l’unique point d’attache. Ils portent, suspendu, tout le poids de l’instrument qu’ils traînent. Leurs articulations, n’étant enveloppées que de la nippe– pièce de grosse laine – et du mocassin, gardent leur souplesse. L’écart des jambes, l’effort du pied et le balancement rythmé du corps se règlent sur les dimensions des raquettes, qui varient selon la profondeur et la mollesse de la neige sur laquelle elles sont destinées à maintenir le marcheur. Les plus grandes mesurent à peu près deux mètres de long sur un demi-mètre de large.

C’est un long et sanglant noviciat que celui de la raquette.

Mgr Grandin, qui en voulut toujours à ses «longues jambes» de lui avoir attiré la dignité épiscopale, s’exerçait depuis huit ans à la raquette, lorsqu’il écrivit, dans le compte rendu de sa visite à l’Athabaska-Mackenzie.

…Dès la deuxième journée de marche, j’avais les pieds couverts d’ampoules. A la fin de la troisième, ils étaient littéralement comme si on en eut enveloppé les extrémités, dessus et dessous, avec des mouches. Des douleurs rhumatismales vinrent se joindre à tout cela. Et, quand le matin, ou même après quelques instants de repos, il fallait se remettre en route, c’était pour moi des souffrances inouïes, que je ne pouvais dissimuler. Un bâton m’aurait rendu bien service, si nous eussions marché sur la terre ferme. Mais sur la glace il aurait fallu une troisième raquette à mon bâton pour l’empêcher de glisser… Mon unique soulagement était, une fois arrivé au campement, de me déchausser et me laver les pieds avec de la neige. Il me semblait toujours que je les avais dans le feu.

A ces meurtrissures, que toute autre chaussure pourrait causer, il faut ajouter un mal spécial, inhérent à la manière dont les membres jouent sur la raquette, mal auquel bien peu de profès du métier ont échappé, et que tous s’accordent à déclarer extrêmement douloureux: le mal de raquette. Le mal de raquette, indépendant des autres lésions, peut saisir sa victime, l’habitué comme le débutant, l’Indien comme le Blanc, à tout moment du voyage. On le compare à la souffrance que causeraient des tenailles disloquant les hanches, ou serrant les tendons du jarret et les tordant par saccades, souffrance qui arrache des gémissements, et qui coucherait sur place l’infortuné, si le mot d’ordre du désert de glace, comme celui du désert de sable, n’était: «ou marcher, ou mourir».

La température souhaitée, tant pour le traîneau que pour la raquette, est de 25 à 35 degrés centigrades au-dessous de zéro. Plus sèche, en effet, la neige ne laisserait glisser le véhicule qu’avec peine. Plus molle, elle adhérerait à la planche de fond et retarderait la marche.

L’air avivé et pénétrant d’une trentaine de degrés fait, d’autre part, «pomper les poumons à leur puissance; les conditions, toutes favorables alors, de la densité atmosphérique forcent la réaction intérieure et stimulent la circulation du sang; le mouvement devient un besoin; et le coureur, vêtu de sa légère peau velue de jeune renne, lancé au pas gymnastique, peut aller, des jours et des semaines, sans désemparer plus que ne le demandent les sommaires repas et le court sommeil, à la «belle étoile». Rompu au métier, exempt des ampoules et du mal de raquette, il peut dévorer, sans fatigue excessive, des espaces qui déconcerteraient les coureurs sportifs des pays tempérés.

Mais le souhait du missionnaire est souvent déçu. Le froid descend parfois sous 40 degrés, à 50, à 60. Les tempéraments plus faibles ne sauraient fournir la réaction suffisante à une telle rigueur, et leur salut n’est plus que de courir, courir toujours, en se défendant contre le sommeil, agréable, dit-on, qui gagne insensiblement sa victime pour la tuer.

Si, au contraire, le thermomètre remonte plus qu’il n’est désiré, à quinze ou dix degrés sous zéro par exemple, la combustion naturelle dépasse l’intensité du froid. La sueur coule, pour se glacer sur le corps. La neige fondue par la chaleur du pied se transforme, entre le mocassin et la raquette, en aiguilles de glace. Ampoules et plaies saignantes en sont la suite.

Au dégel, le réseau des babiches s’humecte et se relâche. Les raquettes, tout imbibées, s’appesantissent et deviennent un supplice de galérien.

Il est, enfin, dans l’exercice de la raquette, un tourment auquel on ne s’attendrait guère, à moins d’y réfléchir, et qui dépasse peut-être tous les autres: la soif. Il manquait ce trait au missionnaire du Nord glacé, pour achever sa ressemblance avec le Missionnaire des Gentils, sous le ciel ardent de l’Asie… in nuditate, fame, siti: dans le dénuement, la faim, la soif.

– Si vous écrivez sur notre pays, nous disait un bon frère, vieux routier des lacs du Nord, qui battit des milliers et des milliers de lieues à la raquette, mettez que la pire des tortures, c’est la soif; mais la soif de Tantale, qui voudrait se jeter, à chaque pas, sur la neige alléchante, et qui ne le peut pas, parce que manger la neige dans une course échauffante, c’est fatal, nous le savons. La soif s’avive davantage, les forces tombent à l’instant, les entrailles se bouleversent. Vous êtes fini!

Un autre, le Père Laity, la veille de sa mort, qui arriva le 23 décembre 1915, à la mission Saint-Joseph, sur le Grand Lac des Esclaves, achevait de nous raconter les souvenirs de ses 47 ans d’apostolat parmi les Montagnais, les Castors, les Couteaux-Jaunes et les Cris de l’Athabaska-Mackenzie:

– J’ai bien marché à la raquette, disait-il, pour faire, et refaire, les 500 kilomètres qu’il y avait du lac Athabaska au fort Vermillon, sur la rivière de la Paix, sans parler d’innombrables autres courses pour visiter mes sauvages, ou procurer des vivres aux orphelins du couvent des Sœurs Grises. J’ai fait ces voyages, aux temps si durs des commencements, alors que nous n’avions que des habits en cuir d’orignal, qui se recoquillaient, en séchant, après s’être imprégnés de nos sueurs, et nous forçaient à aller demi-courbés. Il m’arriva de courir trente-huit heures sans répit, sous la menace de mourir de faim. Un jour, j’arrivai à Athabaska, exténué, n’ayant pu mordre, à cause de mes dents malades, dans une boulette de pémmican (viande sèche, pulvérisée et mêlée de suif) que j’avais pour toutes provisions, et que je n’avais pu faire dégeler, ayant perdu mon briquet batte-feu. J’avais une entorse au genou. Ma jambe était toute bleue. J’étais si mal en point que Mgr Faraud, me voyant tomber sur le plancher de la maison, eut peur et me crut perdu. J’ai connu le mal de raquette, autant que personne, je crois… Mais tout cela je l’ai enduré, je le pouvais: j’étais fort, j’avais bonne volonté. Ce à quoi je n’ai pu me faire, ça été la soif. Oui, la soif. Et pensez que j’étais Breton! faisait-il, en esquissant l’un de ses derniers sourires. Ah! que j’ai donc souffert, durant ces heures où l’on ne pouvait s’arrêter pour faire fondre un peu de neige, et où il était impossible de casser une glace trop épaisse! Que j’ai donc envié le sort des chiens, happant la neige pour se désaltérer! Mais aussi, il fallait voir lorsqu’un endroit se rencontrait, où l’on savait qu’un courant plus fort amincissait la glace! Deux coups de hache faisaient jaillir l’eau vive. Je pouvais boire. A la première gorgée, on eût dit qu’une boule de glace prenait la place du cerveau… Il a fallu bien aimer le bon Dieu et les pauvres âmes, allez, je le vois bien maintenant, pour supporter cela! La soif, la soif dans les courses de l’hiver, ce fut le vrai sacrifice de ma vie de missionnaire, le seul. Les autres ne comptent pas… Puisse le bon Dieu qui va me juger bientôt, l’avoir eu pour agréable! Je le lui ai offert tant de fois, en union avec le sitio du Calvaire, pour la conversion et pour la persévérance des sauvages, mes chers enfants!