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Kitabı oku: «Histoires grotesques et sérieuses», sayfa 13

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La partie solide de l'ameublement consistait en une table ronde, quelques sièges (parmi lesquels un fauteuil à bascule) et un sofa ou plutôt un canapé, dont le bois était de l'érable uni, peint en blanc crémeux, avec de légers filets verts, et le fond en canne tressée. Sièges et table étaient assortis pour aller ensemble; mais les formes avaient été évidemment inventées par le même esprit qui avait tracé le plan des jardins; il était impossible de concevoir quelque chose de plus gracieux.

Sur la table traînaient quelques livres; un flacon de cristal, vaste et carré, contenant quelque parfum nouveau; une simple lampe astrale, de verre poli (non pas une lampe solaire), avec un abat-jour à l'italienne, et un large vase plein de fleurs splendidement épanouies. En somme, les fleurs de couleurs magnifiques et d'un parfum délicat, formaient la seule vraie décoration de la chambre. Le foyer de la cheminée était presque entièrement rempli par un pot de brillants géraniums. Sur une tablette triangulaire, placée dans chaque coin de la pièce, était posé un vase semblable, ne se distinguant des autres que par son gracieux contenu. Un ou deux bouquets semblables ornaient le manteau de la cheminée, et des violettes récemment cueillies étaient groupées sur le rebord des fenêtres ouvertes.

Je m'arrête, ce travail n'ayant pas d'autre but que de donner une peinture détaillée de la résidence de M. Landor, —telle que je l'ai trouvée.

PHILOSOPHIE DE L'AMEUBLEMENT

Dans la décoration intérieure, si ce n'est dans l'architecture extérieure de leurs résidences, les Anglais excellent. Les Italiens n'ont qu'un faible sentiment en dehors des marbres et des couleurs. En France, meliora probant, deteriora sequuntur; les Français sont une race trop coureuse pour entretenir ces talents domestiques dont ils ont d'ailleurs la très-délicate intelligence, ou du moins le sens élémentaire et juste. Les Chinois et la plupart des peuples orientaux ont une imagination chaude mais mal appropriée. Les Écossais sont de trop pauvres décorateurs. Les Hollandais ont peut-être l'idée vague qu'on ne fait pas un rideau avec de la gratte40. En Espagne, ils sont tout rideaux, – une nation qui raffole de pendaisons41. Les Russes ne se meublent pas. Les Hottentots et les Kickapoos sont bien dans leur voie naturelle. Seuls, les Yankees vont à rebours du bon sens.

Comment cela se fait, il n'est pas difficile de le comprendre. Nous n'avons pas d'aristocratie de naissance, et conséquemment ayant – chose naturelle et inévitable – fabriqué à notre usage une aristocratie de dollars, l'étalage de la richesse a dû prendre ici la place et remplir l'office du luxe nobiliaire dans les pays monarchiques. Par une transition facile à saisir et également facile à prévoir, nous avons été amenés à noyer dans la pure ostentation toutes les notions de goût que nous pouvions posséder.

Parlons d'une façon moins abstraite. En Angleterre, par exemple, un pur étalage de mobilier coûteux serait beaucoup moins propre que chez nous à créer une idée de beauté relativement au mobilier, ou dégoût naturel dans le propriétaire; – et cela, d'abord pour cette raison que la richesse, ne constituant pas la noblesse, n'est pas en Angleterre l'objet le plus élevé de l'ambition; en second lieu, parce que, là, la vraie noblesse de naissance, se restreignant aux strictes limites du goût légitime, évite plutôt qu'elle n'affecte cette pure somptuosité à laquelle une jalousie de parvenu peut quelquefois atteindre avec succès. Le peuple imitera les nobles, et le résultat est une diffusion générale du sentiment juste. Mais, en Amérique, la monnaie courante étant le seul blason de l'aristocratie, l'étalage de cette monnaie peut être généralement considéré comme le seul moyen de distinction aristocratique; et la populace, qui cherche toujours ses modèles en haut, est insensiblement amenée à confondre les deux idées, entièrement distinctes, de somptuosité et de beauté. Bref, le coût d'un article d'ameublement est devenu, à la fin, pour nous, le seul critérium de son mérite au point de vue décoratif; et ce critérium, une fois adopté, a ouvert la route vers une foule d'erreurs analogues dont on peut suivre facilement l'origine jusqu'à la principale sottise primordiale.

Il ne peut rien exister de plus directement choquant pour l'œil d'un artiste que l'arrangement intérieur de ce qu'on appelle aux États-Unis, – c'est-à-dire en Appallachie, – un appartement bien meublé. Son défaut le plus ordinaire est un manque d'harmonie. Nous parlons de l'harmonie d'une chambre comme nous parlerions de l'harmonie d'un tableau; car tous les deux, la chambre et le tableau, sont également soumis à ces principes indéfectibles, qui gouvernent toutes les variétés de l'art; et l'on peut dire qu'à très-peu de chose près, les lois par lesquelles nous jugeons les qualités principales d'un tableau suffisent pour apprécier l'arrangement d'une chambre.

Il y a quelquefois lieu d'observer un manque d'harmonie dans le caractère des diverses pièces de l'ameublement, mais plus généralement dans leurs couleurs ou dans leurs modes d'adaptation à leur usage naturel. Très-souvent l'œil est offensé parleur arrangement anti-artistique. Les lignes droites sont trop visiblement prédominantes, trop continuées sans interruption, ou rompues trop rudement par des angles droits. Si les lignes courbes interviennent, elles se répètent avec une uniformité déplaisante. Par une précision outrée, tout l'aspect d'une belle chambre se trouve complètement gâté.

Les rideaux sont rarement bien disposés ou bien choisis, relativement aux autres décorations. Avec un ameublement complet et rationel, les rideaux sont hors de place, et un vaste volume de draperies, de quelque nature qu'elles soient, dans n'importe quelles circonstances, est inconciliable avec le bon goût, – la quantité convenable ainsi que l'ajustement convenable dépendant du caractère de l'effet général.

La question des tapis est mieux comprise depuis ces derniers temps que dans les anciens jours; mais nous commettons souvent des erreurs dans le choix de leurs dessins et de leurs couleurs. Le tapis, c'est l'âme de l'appartement. C'est du tapis que doivent être déduites non-seulement les couleurs, mais aussi les formes de tous les objets qui reposent dessus. Il est permis à un juge en droit coutumier d'être un homme ordinaire; un bon juge en tapis doit être un homme de génie. Cependant nous avons entendu discuter de tapis, avec l'air d'un mouton qui rêve42, maint gaillard absolument incapable d'arranger lui-même ses favoris. Chacun sait qu'un grand tapis peut être revêtu de grands dessins, et qu'un petit doit être couvert de petits; – mais ce n'est pas là, bien entendu, le fin fond de la doctrine. En ce qui regarde le tissu, le tapis de Saxe est le seul admissible. Le tapis de Bruxelles est le passé-plus-que-parfait du style et celui de Turquie est le goût dans sa définitive agonie. Relativement aux dessins, un tapis ne doit pas être barbouillé, enjolivé comme un Indien Riccaree, – tout en craie rouge, ocre jaune et plumes de coq. Pour être bref, des fonds visibles avec des dessins éclatants, circulaires ou cycloïdes, mais sans aucune signification, sont, dans le cas en question, des lois inviolables. L'abomination des fleurs ou des images d'objets familiers de toute sorte devrait être exclue des limites de la chrétienté. En somme, qu'il s'agisse de tapis, de rideaux, de tapisserie ou d'étoffes pour divans, tout article de ce genre doit être orné d'une manière strictement arabesque. Quant à ces anciens tapis qu'on trouve encore de temps à autre dans les habitations du vulgaire, ces tapis où s'étalent et rayonnent d'énormes dessins, séparés par des bandes et brillant de toutes les couleurs de l'arc-en-ciel, à travers lesquelles il est impossible de distinguer un fond quelconque, ils ne sont qu'une méchante invention d'une race de complaisants du siècle et d'amoureux passionnés de l'argent, enfants de Baal et adorateurs de Mammon, – espèces de Benthams, qui, pour épargner la pensée et économiser l'imagination, ont d'abord inventé le barbare kaléidoscope, et puis ont établi des compagnies à fonds communs pour le faire tourner à la vapeur.

L'éclat est la principale hérésie de la philosophie américaine de l'ameublement, hérésie qui naît, comme il est facile de le reconnaître, de cette perversion du goût dont nous parlions tout à l'heure. Nous sommes violemment affolés de gaz et de verre. Le gaz, dans la maison, est complètement inadmissible. Sa lumière, vibrante et dure, est offensante. Quiconque a une cervelle et des yeux refusera d'en faire usage. Une lumière douce, ce que les artistes appellent un jour froid, donnant naturellement des ombres chaudes, fera merveille, même dans une chambre imparfaitement meublée. Il n'y eut jamais d'invention plus charmante que celle de la lampe astrale. Nous parlons, bien entendu, de la lampe astrale proprement dite, de la lampe d'Argand, avec son abat-jour primitif de verre poli et uni, et sa lumière de clair de lune, uniforme et tempérée. L'abat-jour de verre taillé est une triste invention du démon. L'empressement avec lequel nous l'avons adopté, d'abord à cause de son étincellement, mais surtout parce qu'il est plus coûteux, est un bon commentaire de la proposition que nous avons émise en commençant. Nous pouvons affirmer que celui qui emploie délibérément l'abat-jour de verre taillé est radicalement privé de goût, ou qu'il est un aveugle serviteur des caprices de la mode. La lumière qui jaillit d'une de ces vaniteuses abominations est inégale, brisée et douloureuse. Elle suffit pour gâter une masse de bons effets dans un ameublement soumis à sa détestable influence. Elle est un mauvais œil qui détruit spécialement plus de la moitié du charme de la beauté des femmes. En matière de verre, nous partons généralement de faux principes. Le caractère principal du verre, c'est l'éclat, – et quel monde de choses détestables ce seul mot suffit à exprimer! Les lumières trémoussantes, inquiètes, peuvent être quelquefois agréables (elles le sont toujours pour les enfants et les idiots); mais, dans la décoration d'une chambre, elles doivent être scrupuleusement évitées. Je dirai plus: les lumières constantes, si elles sont trop énergiques, sont elles-mêmes inadmissibles. Ces énormes et insensés lustres de verre taillés à facettes, éclairés au gaz, et sans abat-jour, qui sont suspendus dans nos salons les plus à la mode, peuvent être cités comme la quintessence du faux goût et le superlatif de la folie.

La passion de l'éclat, – cette idée s'étant confondue, comme nous l'avons déjà observé, avec celle de magnificence générale, – nous a conduits aussi à l'emploi exagéré des miroirs. Nous recouvrons les murs de nos appartements de grandes glaces anglaises, et nous nous imaginons avoir fait là quelque chose de fort beau. Or, la plus légère réflexion suffirait pour convaincre quiconque a un œil du détestable effet produit par de nombreux miroirs, spécialement par les plus grands. En faisant abstraction de sa puissance réflective, le miroir présente une surface continue, plane, incolore, monotone, – une chose toujours et évidemment déplaisante. Considéré comme réflecteur, il contribue fortement à produire une monstrueuse et odieuse uniformité, et le mal est ici aggravé, non pas seulement en proportion directe du moyen, mais dans une raison constamment croissante. De fait, une chambre avec quatre ou cinq glaces, distribuées à tort et à travers, est, au point de vue artistique, une chambre sans aucune forme. Si à ce défaut nous ajoutons la répercussion du miroitement, nous obtenons un parfait chaos d'effets discordants et désagréables. Le rustre le plus naïf, en entrant dans une chambre ainsi enjolivée, sentira immédiatement qu'il y a là quelque chose d'absurde, bien qu'il lui soit absolument impossible d'assigner une cause à son malaise. Supposons le même individu conduit dans une chambre meublée avec goût: il laissera éclater une exclamation de plaisir et de surprise.

Un malheur qui naît de nos institutions républicaines, c'est qu'ici un homme possédant une grosse bourse n'a généralement qu'une très-petite âme à mettre dedans. La corruption du goût fait partie et pendant de l'industrie des dollars. A mesure que nous devenons riches, nos idées se rouillent. Donc, ce n'est pas parmi notre aristocratie (encore moins en Appallachie) que nous chercherons la haute spiritualité du boudoir anglais. Mais nous avons vu dans la mouvance d'Américains de fortune moderne des appartements qui, au moins par leur mérite négatif, pourraient rivaliser avec les cabinets raffinés de nos amis d'outre-mer. En ce moment même, nous avons présente à l'œil de notre esprit une petite chambre sans prétentions, dans la décoration de laquelle il n'y a rien à reprendre. Le propriétaire est assoupi sur un sofa; le temps est frais; il est près de minuit; nous ferons un croquis de la chambre pendant qu'il sommeille.

La forme en est oblongue; – trente pieds de long environ, et vingt-cinq de large; – c'est une forme qui donne les commodités ordinaires les plus grandes pour l'arrangement d'un mobilier. Elle n'a qu'une porte, qui n'est rien moins que large, placée à l'un des bouts du parallélogramme, et que deux fenêtres, placées à l'autre bout. Ces dernières sont larges et descendent jusqu'au plancher, profondément enfoncées d'ailleurs, et ouvrant sur une véranda italienne. Leurs carreaux sont de verre pourpre, encadrés dans un châssis de bois de palissandre, plus massif que d'ordinaire. Elles sont garnies, à l'intérieur du renfoncement, de rideaux d'un épais tissu d'argent adapté à la forme de la fenêtre et tombant librement à petits plis. En dehors de la niche sont des rideaux de soie cramoisie, excessivement riche, frangés d'un large réseau d'or et doublés du même tissu d'argent dont est fait également le store extérieur. Il n'y a pas de corniches; mais tous les plis de l'étoffe (qui sont plutôt fins que massifs et ont ainsi un air de légèreté) sortent de dessous un entablement doré, d'un riche travail, qui fait tout le tour de la chambre à la ligne de jonction du plafond et des murs. La draperie s'ouvre ou se ferme au moyen d'une épaisse corde d'or qui l'enveloppe négligemment et qui se résout facilement en un nœud; on ne voit ni patères ni aucun mécanisme. Les couleurs des rideaux et de leurs franges, le cramoisi et l'or, se montrent partout avec profusion et déterminent le caractère de la chambre. Le tapis, un tissu de Saxe, a un pouce et demi d'épaisseur, et son fond, également cramoisi, est simplement relevé par une ganse d'or, analogue à la corde qui enserre les rideaux, faisant légèrement saillie sur le fond, et se promenant à travers, de manière à former une série de courbes brusques et irrégulières, l'une passant de temps en temps par-dessus l'autre. Les murs sont revêtus d'un papier satiné d'une couleur argentée, tigré de petits dessins arabesques de la même couleur cramoisie dominante, mais un peu affaiblie. Plusieurs peintures coupent çà et là l'étendue du papier. Ce sont principalement des paysages d'un style imaginatif, tels les Grottes des Fées, de Stanfield, ou l'Étang lugubre, de Chapman. Il y a néanmoins trois ou quatre têtes de femmes, d'une beauté éthéréenne, – des portraits dans la manière de Sully. Chacune de ces peintures est d'un ton chaud mais sombre. Elles ne contiennent pas ce qu'on appelle de brillants effets. De toutes émane un sentiment de repos. Aucune n'est de petite dimension. Les trop petits tableaux donnent à une chambre cet aspect moucheté, qui est le vice de plus d'un bel ouvrage d'art fastidieusement retouché. Les cadres sont larges, mais peu profonds, richement sculptés, mais ils ne sont ni mats ni travaillés à jour. Ils ont, tous, tout l'éclat de l'or bruni. Ils reposent à plat sur les murs et ne sont pas suspendus par des cordes, de manière à pencher. Il est vrai que les tableaux gagnent souvent beaucoup dans cette position, mais l'aspect général d'une pièce s'en trouve gâté. On n'aperçoit qu'une seule glace, qui d'ailleurs n'est pas très-grande. Sa forme est presque circulaire, et elle est suspendue de telle façon que le propriétaire ne peut y voir son image reflétée d'aucun des principaux sièges de la chambre. Deux larges sofas, très-bas, en bois de palissandre et en soie cramoisie brochée d'or, forment les seuls sièges, à l'exception de deux causeuses, également en palissandre. Il y a un piano (en palissandre), sans housse, et tout ouvert. Une table octogone, faite uniquement du plus beau marbre incrusté d'or, est placée près d'un des sofas. Cette table n'a pas non plus de tapis; en fait de draperies, les rideaux ont été jugés suffisants. Quatre vastes et magnifiques vases de Sèvres, dans lesquels s'épanouit une profusion de fleurs aussi odorantes qu'éclatantes, occupent les autres angles légèrement arrondis de la chambre. Un haut candélabre, soutenant une petite lampe antique pleine d'une huile fortement parfumée, s'élève près de la tête de mon ami assoupi. Quelques tablettes, légères et gracieuses, dorées sur leurs tranches, et suspendues par des cordelettes de soie cramoisie à glands d'or, supportent deux ou trois cents volumes magnifiquement reliés. En dehors de cela, il n'y a pas d'autres meubles, excepté une lampe d'Argand, avec un simple globe de verre poli d'une couleur pourpre, qui par une unique et mince chaîne d'or est suspendue au plafond, lequel est creusé en voûte et fort élevé, et répand sur toutes choses une lumière à la fois tranquille et magique.

LA GENÈSE D'UN POËME

La poétique est faite, nous disait-on, et modelée d'après les poëmes. Voici un poëte qui prétend que son poëme a été composé d'après sa poétique. Il avait certes un grand génie et plus d'inspiration que qui que ce soit, si par inspiration on entend l'énergie, l'enthousiasme intellectuel, et la faculté de tenir ses facultés en éveil. Mais il aimait aussi le travail plus qu'aucun autre; il répétait volontiers, lui, un original achevé, que l'originalité est chose d'apprentissage, ce qui ne veut pas dire une chose qui peut être transmise par l'enseignement. Le hasard et l'incompréhensible étaient ses deux grands ennemis. S'est-il fait, par une vanité étrange et amusante, beaucoup moins inspiré qu'il ne l'était naturellement? A-t-il diminué la faculté gratuite qui était en lui pour faire la part plus belle à la volonté? Je serais assez porté à le croire; quoique cependant il faille ne pas oublier que son génie, si ardent et si agile qu'il fût, était passionnément épris d'analyse, de combinaisons et de calculs. Un de ses axiomes favoris était encore celui-ci: «Tout, dans un poëme comme dans un roman, dans un sonnet comme dans une nouvelle, doit concourir au dénoûment. Un bon auteur a déjà sa dernière ligne en vue quand il écrit la première.» Grâce à cette admirable méthode, le compositeur peut commencer son œuvre par la fin, et travailler, quand il lui plaît, à n'importe quelle partie. Les amateurs du délire seront peut-être révoltés par ces cyniques maximes; mais chacun en peut prendre ce qu'il voudra. Il sera toujours utile de leur montrer quels bénéfices l'art peut tirer de la délibération, et de faire voir aux gens du monde quel labeur exige cet objet de luxe qu'on nomme Poésie.

Après tout, un peu de charlatanerie est toujours permis au génie, et même ne lui messied pas. C'est, comme le fard sur les pommettes d'une femme naturellement belle, un assaisonnement nouveau pour l'esprit.

Poëme singulier entre tous. Il roule sur un mot mystérieux et profond, terrible comme l'infini, que des milliers de bouches crispées ont répété depuis le commencement des âges, et que par une triviale habitude de désespoir plus d'un rêveur a écrit sur le coin de sa table pour essayer sa plume: Jamais plus! De cette idée, l'immensité, fécondée par la destruction, est remplie du haut en bas, et l'Humanité, non abrutie, accepte volontiers l'Enfer, pour échapper au désespoir irrémédiable contenu dans cette parole.

Dans le moulage de la prose appliqué à la poésie, il y a nécessairement une affreuse imperfection; mais le mal serait encore plus grand dans une singerie rimée. Le lecteur comprendra qu'il m'est impossible de lui donner une idée exacte de la sonorité profonde et lugubre, de la puissante monotonie de ces vers, dont les rimes larges et triplées sonnent comme un glas de mélancolie. C'est bien là le poëme de l'insomnie du désespoir; rien n'y manque: ni la fièvre des idées, ni la violence des couleurs, ni le raisonnement maladif, ni la terreur radoteuse, ni même cette gaieté bizarre de la douleur qui la rend plus terrible. Écoutez chanter dans votre mémoire les strophes les plus plaintives de Lamartine, les rhythmes les plus magnifiques et les plus compliqués de Victor Hugo; mêlez-y le souvenir des tercets les plus subtils et les plus compréhensifs de Théophile Gautier, – de Ténèbres, par exemple, ce chapelet de redoutables concetti sur la mort et le néant, où la rime triplée s'adapte si bien à la mélancolie obsédante, – et vous obtiendrez peut-être une idée approximative des talents de Poe en tant que versificateur; je dis: en tant que versificateur, car il est superflu, je pense, de parler de son imagination.

Mais j'entends le lecteur qui murmure comme Alceste: «Nous verrons bien!» – Voici donc le poëme43:

LE CORBEAU

«Une fois, sur le minuit lugubre, pendant que je méditais, faible et fatigué, sur maint précieux et curieux volume d'une doctrine oubliée, pendant que je donnais de la tête, presque assoupi, soudain il se fit un tapotement, comme de quelqu'un frappant doucement, frappant à la porte de ma chambre. «C'est quelque visiteur, – murmurai-je, – qui frappe à la porte de ma chambre; ce n'est que cela, et rien de plus.»

Ah! distinctement je me souviens que c'était dans le glacial décembre, et chaque tison brodait à son tour le plancher du reflet de son agonie. Ardemment je désirais le matin; en vain m'étais-je efforcé de tirer de mes livres un sursis à ma tristesse, ma tristesse pour ma Lénore perdue, pour la précieuse et rayonnante fille que les anges nomment Lénore, – et qu'ici on ne nommera jamais plus.

Et le soyeux, triste, et vague bruissement des rideaux pourprés me pénétrait, me remplissait de terreurs fantastisques, inconnues pour moi jusqu'à ce jour; si bien qu'enfin, pour apaiser le battement de mon cœur, je me dressai, répétant: «C'est quelque visiteur qui sollicite l'entrée à la porte de ma chambre, quelque visiteur attardé sollicitant l'entrée à la porte de ma chambre; – c'est cela même, et rien de plus.»

Mon âme en ce moment se sentit plus forte. N'hésitant donc pas plus longtemps:

«Monsieur, – dis-je, – ou madame, en vérité j'implore votre pardon; mais le fait est que je sommeillais, et vous êtes venu frapper si doucement, si faiblement vous êtes venu taper à la porte de ma chambre, qu'à peine étais-je certain de vous avoir entendu.» Et alors j'ouvris la porte toute grande; – les ténèbres, et rien de plus!

Scrutant profondément ces ténèbres, je me tins longtemps plein d'étonnement, de crainte, de doute, rêvant des rêves qu'aucun mortel n'a jamais osé rêver; mais le silence ne fut pas troublé, et l'immobilité ne donna aucun signe, et le seul mot proféré fut un nom chuchoté: «Lénore!» – C'était moi qui le chuchotais, et un écho à son tour murmura ce mot: «Lénore!» – Purement cela, et rien de plus.

Rentrant dans ma chambre, et sentant en moi toute mon âme incendiée, j'entendis bientôt un coup un peu plus fort que le premier. «Sûrement, – dis-je, – sûrement, il y a quelque chose aux jalousies de ma fenêtre; voyons donc ce que c'est, et explorons ce mystère. Laissons mon cœur se calmer un instant, et explorons ce mystère; – c'est le vent, et rien de plus.»

Je poussai alors le volet, et, avec un tumultueux battement d'ailes, entra un majestueux corbeau digne des anciens jours. Il ne fit pas la moindre révérence, il ne s'arrêta pas, il n'hésita pas une minute: mais, avec la mine d'un lord ou d'une lady, il se percha au-dessus de la porte de ma chambre; il se percha sur un buste de Pallas juste au-dessus de la porte de ma chambre; – il se percha, s'installa, et rien de plus.

Alors cet oiseau d'ébène, par la gravité de son maintien et la sévérité de sa physionomie, induisant ma triste imagination à sourire: «Bien que ta tête, – lui dis-je, – soit sans huppe et sans cimier, tu n'es certes pas un poltron, lugubre et ancien corbeau, voyageur parti des rivages de la nuit. Dis-moi quel est ton nom seigneurial aux rivages de la Nuit plutonienne!» Le corbeau dit: «Jamais plus!»

Je fus émerveillé que ce disgracieux volatile entendît si facilement la parole, bien que sa réponse n'eût pas un bien grand sens et ne me fût pas d'un grand secours; car nous devons convenir que jamais il ne fut donné à un homme vivant de voir un oiseau au-dessus de la porte de sa chambre, un oiseau ou une bête sur un buste sculpté au-dessus de la porte de sa chambre, se nommant d'un nom tel que Jamais plus!

Mais le corbeau, perché solitairement sur le buste placide, ne proféra que ce mot unique, comme si dans ce mot unique il répandait toute son âme. Il ne prononça rien de plus; il ne remua pas une plume, – jusqu'à ce que je me prisse à murmurer faiblement: «D'autres amis se sont déjà envolés loin de moi; vers le matin, lui aussi, il me quittera comme mes anciennes espérances déjà envolées.» L'oiseau dit alors: «Jamais plus!»

Tressaillant au bruit de cette réponse jetée avec tant d'à-propos: «Sans doute, – dis-je, – ce qu'il prononce est tout son bagage de savoir, qu'il a pris chez quelque maître infortuné que le Malheur impitoyable a poursuivi ardemment, sans répit, jusqu'à ce que ses chansons n'eussent plus qu'un seul refrain, jusqu'à ce que le De profundis de son Espérance eût pris ce mélancolique refrain: Jamais, jamais plus!

Mais, le corbeau induisant encore toute ma triste âme à sourire, je roulai tout de suite un siège à coussins on face de l'oiseau et du buste et de la porte; alors, m'enfonçant dans le velours, je m'appliquai à enchaîner les idées aux idées, cherchant ce que cet augural oiseau des anciens jours, ce que ce triste, disgracieux, sinistre, maigre et augural oiseau des anciens jours voulait faire entendre en croassant son Jamais plus!

Je me tenais ainsi, rêvant, conjecturant, mais n'adressant plus une syllabe à l'oiseau, dont les yeux ardents me brûlaient maintenant jusqu'au fond du cœur; je cherchais à deviner cela, et plus encore, ma tête reposant à l'aise sur le velours du coussin que caressait la lumière de la lampe, ce velours violet caressé par la lumière de la lampe que sa tête, à Elle, ne pressera plus, – ah! jamais plus!

Alors il me sembla que l'air s'épaississait, parfumé par un encensoir invisible que balançaient des séraphins dont les pas frôlaient le tapis de la chambre. «Infortuné! – m'écriai-je, – ton Dieu t'a donné par ses anges, il t'a envoyé du répit, du répit et du népenthès dans tes ressouvenirs de Lénore! Bois, oh! bois ce bon népenthès, et oublie cette Lénore perdue!» Le corbeau dit: «Jamais plus!»

«Prophète! – dis-je, – être de malheur! oiseau ou démon, mais toujours prophète! que tu sois un envoyé du Tentateur, ou que la tempête t'ait simplement échoué, naufragé, mais encore intrépide, sur cette terre déserte, ensorcelée, dans ce logis par l'Horreur hanté, – dis-moi sincèrement, je t'en supplie, existe-t-il, existe-t-il ici un baume de Judée? Dis, dis, je t'en supplie!» Le corbeau dit: «Jamais plus!».

«Prophète! – dis-je, – être de malheur! oiseau ou démon! toujours prophète! par ce Ciel tendu sur nos têtes, par ce Dieu que tous deux nous adorons, dis à cette âme chargée de douleur si, dans le Paradis lointain, elle pourra embrasser une fille sainte que les anges nomment Lénore, embrasser une précieuse et rayonnante fille que les anges nomment Lénore.» Le corbeau dit: «Jamais plus!»

«Que cette parole soit le signal de notre séparation, oiseau ou démon! – hurlai-je en me redressant. – Rentre dans la tempête, retourne au rivage de la Nuit plutonienne; ne laisse pas ici une seule plume noire comme souvenir du mensonge que ton âme a proféré; laisse ma solitude inviolée; quitte ce buste au-dessus de ma porte; arrache ton bec de mon cœur et précipite ton spectre loin de ma porte!» Le corbeau dit: «Jamais plus!»

Et le corbeau, immuable, est toujours installé, toujours installé sur le buste pâle de Pallas, juste au-dessus de la porte de ma chambre; et ses yeux ont toute la semblance des yeux d'un démon qui rêve; et la lumière de la lampe, en ruisselant sur lui, projette son ombre sur le plancher; et mon âme, hors du cercle de cette ombre qui gît flottante sur le plancher, ne pourra plus s'élever, – jamais plus!

Maintenant, voyons la coulisse, l'atelier, le laboratoire, le mécanisme intérieur, selon qu'il vous plaira de qualifier la Méthode de composition44.

MÉTHODE DE COMPOSITION

Charles Dickens, dans une note que j'ai actuellement sous les yeux, parlant d'une analyse que j'avais faite du mécanisme de Barnaby Rudge, dit:

«Savez-vous, soit dit en passant, que Godwin a écrit son Caleb Williams à rebours? Il a commencé par envelopper son héros dans un tissu de difficultés, qui forment la matière du deuxième volume, et ensuite, pour composer le premier, il s'est mis à rêver aux moyens de légitimer tout ce qu'il avait fait.»

Il m'est impossible de croire que tel a été précisément le mode de composition de Godwin, et d'ailleurs ce qu'il en avoue lui-même n'est pas absolument conforme à l'idée de M. Dickens; mais l'auteur de Caleb Williams était un trop parfait artiste pour ne pas apercevoir le bénéfice qu'on peut tirer de quelque procédé de ce genre. S'il est une chose évidente, c'est qu'un plan quelconque, digne du nom de plan, doit avoir été soigneusement élaboré en vue du dénoûment, avant que la plume attaque le papier. Ce n'est qu'en ayant sans cesse la pensée du dénoûment devant les yeux que nous pouvons donner à un plan son indispensable physionomie de logique et de causalité, – en faisant que tous les incidents, et particulièrement le ton général; tendent vers le développement de l'intention.

40.Il y a ici un jeu de mots. Cabbage veut dire à la fois chou et rognure d'étoffe, retaille gardée par le tailleur. – C. B.
41.Autre jeu de mots: hang veut dire pendre et tapisser; hangman, bourreau. – C. B.
42.Dans l'original, ces mots sont imprimés en français. – C. B.
43.Tout ce préambule est écrit par le traducteur. – C. B.
44.Ces trois lignes sont une interpolation du traducteur. – C. B.
Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
30 eylül 2017
Hacim:
260 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain

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