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Kitabı oku: «Nouvelles histoires extraordinaires», sayfa 19

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OMBRE

En vérité, quoique je marche à travers de la vallée de l'Ombre…

Psaumesde DAVID (XXIII)

Vous qui me lisez, vous êtes encore parmi les vivants; mais moi qui écris, je serai depuis longtemps parti pour la région des ombres. Car, en vérité, d'étranges choses arriveront, bien des choses secrètes seront révélées, et bien des siècles passeront avant que ces notes soient vues par les hommes. Et quand ils les auront vues, les uns ne croiront pas, les autres douteront, et bien peu d'entre eux trouveront matière à méditation dans les caractères que je grave sur ces tablettes avec un stylus de fer.

L'année avait été une année de terreur, pleine de sentiments plus intenses que la terreur, pour lesquels il n'y a pas de nom sur la terre. Car beaucoup de prodiges et de signes avaient eu lieu, et de tous côtés, sur la terre et sur la mer, les ailes noires de la Peste s'étaient largement déployées. Ceux-là néanmoins qui étaient savants dans les étoiles n'ignoraient pas que les cieux avaient un aspect de malheur; et pour moi, entre autres, le Grec Oinos, il était évident que nous touchions au retour de cette sept cent quatre-vingt-quatorzième année, où, à l'entrée du Bélier, la planète Jupiter fait sa conjonction avec le rouge anneau du terrible Saturne. L'esprit particulier des cieux, si je ne me trompe grandement, manifestait sa puissance non-seulement sur le globe physique de la terre, mais aussi sur les âmes, les pensées et les méditations de l'humanité.

Une nuit, nous étions sept, au fond d'un noble palais, dans une sombre cité appelée Ptolémaïs, assis autour de quelques flacons d'un vin pourpre de Chios. Et notre chambre n'avait pas d'autre entrée qu'une haute porte d'airain; et la porte avait été façonnée par l'artisan Corinnos, et elle était d'une rare main d'œuvre, et fermait en dedans. Pareillement, de noires draperies, protégeant cette chambre mélancolique, nous épargnaient l'aspect de la lune, des étoiles lugubres et des rues dépeuplées; – mais le pressentiment et le souvenir du Fléau n'avaient pas pu être exclus aussi facilement. Il y avait autour de nous, auprès de nous, des choses dont je ne puis rendre distinctement compte, – des choses matérielles et spirituelles, – une pesanteur dans l'atmosphère, – une sensation d'étouffement, une angoisse, – et, par-dessus tout, ce terrible mode de l'existence que subissent les gens nerveux, quand les sens sont cruellement vivants et éveillés, et les facultés de l'esprit assoupies et mornes. Un poids mortel nous écrasait. Il s'étendait sur nos membres, – sur l'ameublement de la salle, – sur les verres dans lesquels nous buvions; et toutes choses semblaient opprimées et prostrées dans cet accablement, – tout, excepté les flammes des sept lampes de fer qui éclairaient notre orgie. S'allongeant en minces filets de lumière, elles restaient toutes ainsi, et brûlaient pâles et immobiles; et, dans la table ronde d'ébène autour de laquelle nous étions assis, et que leur éclat transformait en miroir, chacun des convives contemplait la pâleur de sa propre figure et l'éclair inquiet des yeux mornes de ses camarades. Cependant, nous poussions nos rires, et nous étions gais à notre façon, – une façon hystérique; et nous chantions les chansons d'Anacréon, – qui ne sont que folie; et nous buvions largement, – quoique la pourpre du vin nous rappelât la pourpre du sang. Car il y avait dans la chambre un huitième personnage, – le jeune Zoïlus. Mort, étendu tout de son long et enseveli, il était le génie et le démon de la scène. Hélas! il n'avait point sa part de notre divertissement, sauf que sa figure, convulsée par le mal, et ses yeux, dans lesquels la Mort n'avait éteint qu'à moitié le feu de la peste, semblaient prendre à notre joie autant d'intérêt que les morts sont capables d'en prendre à la joie de ceux qui doivent mourir. Mais, bien que moi, Oinos, je sentisse les yeux du défunt fixés sur moi, cependant je m'efforçais de ne pas comprendre l'amertume de leur expression, et, regardant opiniâtrement dans les profondeurs du miroir d'ébène, je chantais d'une voix haute et sonore les chansons du poëte de Téos. Mais graduellement mon chant cessa, et les échos, roulant au loin parmi les noires draperies de la chambre, devinrent faibles, indistincts, et s'évanouirent. Et voilà que du fond de ces draperies noires où allait mourir le bruit de la chanson s'éleva une ombre, sombre, indéfinie, – une ombre semblable à celle que la lune, quand elle est basse dans le ciel, peut dessiner d'après le corps d'un homme; mais ce n'était l'ombre ni d'un homme, ni d'un Dieu, ni d'aucun être connu. Et frissonnant un instant parmi les draperies, elle resta enfin, visible et droite, sur la surface de la porte d'airain. Mais l'ombre était vague, sans forme, indéfinie; ce n'était l'ombre ni d'un homme, ni d'un Dieu, – ni d'un Dieu de Grèce, mi d'un Dieu de Chaldée, ni d'aucun Dieu égyptien. Et l'ombre reposait sur la grande porte de bronze et sous la corniche cintrée, et elle ne bougeait pas, et elle ne prononçait pas une parole, mais elle se fixait de plus en plus, et elle resta immobile. Et la porte sur laquelle l'ombre reposait était, si je m'en souviens bien, tout contre les pieds du jeune Zoïlus enseveli. Mais nous, les sept compagnons, ayant vu l'ombre, comme elle sortait des draperies, nous n'osions pas la contempler fixement; mais nous baissions les yeux, et nous regardions toujours dans les profondeurs du miroir d'ébène. Et, à la longue, moi, Oinos, je me hasardai à prononcer quelques mots à voix basse, et je demandai à l'ombre sa demeure et son nom. Et l'ombre répondit:

– Je suis OMBRE, et ma demeure est à côté des Catacombes de Ptolémaïs, et tout près de ces sombres plaines infernales qui enserrent l'impur canal de Charon!

Et alors, tous les sept, nous nous dressâmes d'horreur sur nos sièges, et nous nous tenions tremblants, frissonnants, effarés; car le timbre de la voix de l'ombre n'était pas le timbre d'un seul individu, mais d'une multitude d'êtres; et cette voix, variant ses inflexions de syllabe en syllabe, tombait confusément dans nos oreilles en imitant les accents connus et familiers de mille et mille amis disparus!

SILENCE

La crête des montagnes sommeille; la vallée, le rocher et la caverne sont muets.

ALCMAN.

Écoute-moi, – dit le Démon, en plaçant sa main sur ma tête. – La contrée dont je parle est une contrée lugubre en Libye, sur les bords de la rivière Zaïre. Et là, il n'y a ni repos ni silence.

Les eaux de la rivière sont d'une couleur safranée et malsaine; et elles ne coulent pas vers la mer, mais palpitent éternellement, sous l'œil rouge du soleil, avec un mouvement tumultueux et convulsif. De chaque côté de cette rivière au lit vaseux s'étend, à une distance de plusieurs milles, un pâle désert de gigantesques nénuphars. Ils soupirent l'un vers l'autre dans cette solitude, et tendent vers le ciel leurs longs cous de spectres, et hochent de côté et d'autre leurs têtes sempiternelles. Et il sort d'eux un murmure confus qui ressemble à celui d'un torrent souterrain. Et ils soupirent l'un vers l'autre.

Mais il y a une frontière à leur empire, et cette frontière est une haute forêt, sombre, horrible. Là, comme les vagues autour des Hébrides, les petits arbres sont dans une perpétuelle agitation. Et cependant il n'y a pas de vent dans le ciel. Et les vastes arbres primitifs vacillent éternellement de côté et d'autre avec un fracas puissant. Et de leurs hauts sommets filtre, goutte à goutte, une éternelle rosée. Et à leurs pieds d'étranges fleurs vénéneuses se tordent dans un sommeil agité. Et sur leurs têtes, avec un frou-frou retentissant, les nuages gris se précipitent, toujours vers l'ouest, jusqu'à ce qu'ils roulent en cataracte derrière la muraille enflammée de l'horizon. Cependant il n'y a pas de vent dans le ciel. Et sur les bords de la rivière Zaïre, il n'y a ni calme ni silence.

C'était la nuit, et la pluie tombait; et quand elle tombait, c'était de la pluie, mais quand elle était tombée, c'était du sang. Et je me tenais dans le marécage parmi les grands nénuphars, et la pluie tombait sur ma tête, – et les nénuphars soupiraient l'un vers l'autre dans la solennité de leur désolation.

Et tout d'un coup, la lune se leva à travers la trame légère du brouillard funèbre, et elle était d'une couleur cramoisie. Et mes yeux tombèrent sur un énorme rocher grisâtre qui se dressait au bord de la rivière, et qu'éclairait la lueur de la lune. Et le rocher était grisâtre, sinistre et très-haut, – et le rocher était grisâtre. Sur son front de pierre étaient gravés des caractères; et je m'avançai à travers le marécage de nénuphars, jusqu'à ce que je fusse tout près du rivage, afin de lire les caractères gravés dans la pierre. Mais je ne pus pas les déchiffrer. Et j'allais retourner vers le marécage, quand la lune brilla d'un rouge plus vif; et je me retournai et je regardai de nouveau vers le rocher et les caractères; – et ces caractères étaient: DÉSOLATION.

Et je regardai en haut, et sur le faîte du rocher se tenait un homme; et je me cachai parmi les nénuphars afin d'épier les actions de l'homme. Et l'homme était d'une forme grande et majestueuse, et, des épaules jusqu'aux pieds, enveloppé dans la toge de l'ancienne Rome. Et le contour de sa personne était indistinct, – mais ses traits étaient les traits d'une divinité; car, malgré le manteau de la nuit, et du brouillard, et de la lune, et de la rosée, rayonnaient les traits de sa face. Et son front était haut et pensif, et son œil était effaré par le souci; et dans les sillons de sa joue je lus les légendes du chagrin, de la fatigue, du dégoût de l'humanité, et une grande aspiration vers la solitude.

Et l'homme s'assit sur le rocher, et appuya sa tête sur sa main, et promena son regard sur la désolation. Il regarda les arbrisseaux toujours inquiets et les grands arbres primitifs; il regarda, plus haut, le ciel plein de frôlements, et la lune cramoisie. Et j'étais blotti à l'abri des nénuphars, et j'observais les actions de l'homme. Et l'homme tremblait dans la solitude; – cependant, la nuit avançait, et il restait assis sur le rocher.

Et l'homme détourna son regard du ciel, et le dirigea sur la lugubre rivière Zaïre, et sur les eaux jaunes et lugubres, et sur les pâles légions de nénuphars. Et l'homme écoutait les soupirs des nénuphars et le murmure qui sortait d'eux. Et j'étais blotti dans ma cachette, et j'épiais les actions de l'homme. Et l'homme tremblait dans la solitude; – cependant, la nuit avançait, et il restait assis sur le rocher.

Alors je m'enfonçai dans les profondeurs lointaines du marécage, et je marchai sur la forêt pliante de nénuphars, et j'appelai les hippopotames qui habitaient les profondeurs du marécage. Et les hippopotames entendirent mon appel et vinrent avec les béhémoths jusqu'au pied du rocher, et rugirent hautement et effroyablement sous la lune. J'étais toujours blotti dans ma cachette, et je surveillais les actions de l'homme. Et l'homme tremblait dans la solitude. – cependant, la nuit avançait, et il restait assis sur le rocher.

Alors je maudis les éléments de la malédiction du tumulte; et une effrayante tempête s'amassa dans le ciel, où naguère il n'y avait pas un souffle. Et le ciel devint livide de la violence de la tempête, – et la pluie battait la tête de l'homme, – et les flots de la rivière débordaient, – et la rivière torturée jaillissait en écume, – et les nénuphars criaient dans leurs lits, et la forêt s'émiettait au vent, – et le tonnerre roulait, – et l'éclair tombait, – et le roc vacillait sur ses fondements. Et j'étais toujours blotti dans ma cachette pour épier les actions de l'homme. Et l'homme tremblait dans la solitude; – cependant, la nuit avançait, et il restait assis sur le rocher.

Alors je fus irrité, et je maudis de la malédiction du silence la rivière et les nénuphars, et le vent, et la forêt, et le ciel, et le tonnerre, et les soupirs des nénuphars. Et ils furent frappés de la malédiction, et ils devinrent muets. Et la lune cessa de faire péniblement sa route dans le ciel, – et le tonnerre expira, – et l'éclair ne jaillit plus, – et les nuages pendirent immobiles, – et les eaux redescendirent dans leur fit et y restèrent, – et les arbres cessèrent de se balancer, – les nénuphars ne soupirèrent plus, – et il ne s'éleva plus de leur foule le moindre murmure, ni l'ombre d'un son dans tout le vaste désert sans limites. Et je regardai les caractères du rocher et ils étaient changés; – et maintenant ils formaient le mot: SILENCE.

Et mes yeux tombèrent sur la figure de l'homme, et sa figure était pâle de terreur. Et précipitamment il leva sa tête de sa main, il se dressa sur le rocher, et tendit l'oreille. Mais il n'y avait pas de voix dans tout le vaste désert sans limites, et les caractères gravés sur le rocher étaient: SILENCE. Et l'homme frissonna, et il fit volte-face, et il s'enfuit loin, loin, précipitamment, si bien que je ne le vis pas.

– Or, il y a de biens beaux contes dans les livres des Mages, – dans les mélancoliques livres des Mages, qui sont reliés en fer. Il y a là, dis-je, de splendides histoires du Ciel, et de la Terre, et de la puissante Mer, – et des Génies qui ont régné sur la mer, sur la terre et sur le ciel sublime. Il y avait aussi beaucoup de science dans les paroles qui ont été dites par les Sybilles; et de saintes, saintes choses ont été entendues jadis par les sombres feuilles qui tremblaient autour de Dodone; – mais comme il est vrai qu'Allah est vivant, je tiens cette fable que m'a contée le Démon, quand il s'assit à côté de moi dans l'ombre de la tombe, pour la plus étonnante de toutes! Et quand le Démon eut fini son histoire, il se renversa dans la profondeur de la tombe, et se mit à rire. Et je ne pus pas rire avec le Démon, et il me maudit parce que je ne pouvais pas rire. Et le lynx, qui demeure dans la tombe pour l'éternité, en sortit, et il se coucha aux pieds du Démon, et il le regarda fixement dans les yeux.

L'ÎLE DE LA FÉE

Nullus enim locus sine genio est.

SERVIUS.

La musique, – dit Marmontel, dans ces Contes Moraux que nos traducteurs persistent à appeler Moral Tales, comme en dérision de leur esprit, —la musique est le seul des talents qui jouisse de lui-même; tous les autres veulent des témoins. Il confond ici le plaisir d'entendre des sons agréables avec la puissance de les créer. Pas plus qu'aucun autre talent, la musique n'est capable de donner une complète jouissance, s'il n'y a pas une seconde personne pour en apprécier l'exécution. Et cette puissance de produire des effets dont on jouisse pleinement dans la solitude ne lui est pas particulière; elle est commune à tous les autres talents. L'idée que le conteur n'a pas pu concevoir clairement, ou qu'il a sacrifiée dans son expression à l'amour national du trait, est sans doute l'idée très-soutenable que la musique du style le plus élevé est la plus complètement sentie quand nous sommes absolument seuls. La proposition, sous cette forme, sera admise du premier coup par ceux qui aiment la lyre pour l'amour de la lyre et pour ses avantages spirituels. Mais il est un plaisir toujours à la portée de l'humanité déchue, – et c'est peut-être l'unique, – qui doit même plus que la musique à la sensation accessoire de l'isolement. Je veux parler du bonheur éprouvé dans la contemplation d'une scène de la nature. En vérité l'homme qui veut contempler en face la gloire de Dieu sur la terre doit contempler cette gloire dans la solitude. Pour moi du moins, la présence, non pas de la vie humaine seulement, mais de la vie sous toute autre forme que celle des êtres verdoyants qui croissent sur le sol et qui sont sans voix, est un opprobre pour le paysage; elle est en guerre avec le génie de la scène. Oui vraiment, j'aime à contempler les sombres vallées, et les roches grisâtres, et les eaux qui sourient silencieusement, et les forêts qui soupirent dans des sommeils anxieux, et les orgueilleuses et vigilantes montagnes qui regardent tout d'en haut. – J'aime à contempler ces choses pour ce qu'elles sont: les membres gigantesques d'un vaste tout, animé et sensitif, – un tout dont la forme (celle de la sphère) est la plus parfaite et la plus compréhensive de toutes les formes; dont la route se fait de compagnie avec d'autres planètes; dont la très-douce servante est la lune; dont le seigneur médiatisé est le soleil; dont la vie est l'éternité; dont la pensée est celle d'un Dieu; dont la jouissance est connaissance; dont les destinées se perdent dans l'immensité; pour qui nous sommes une notion correspondante à la notion que nous avons des animalcules qui infestent le cerveau, – un être que nous regardons conséquemment comme inanimé et purement matériel, – appréciation très-semblable à celle que ces animalcules doivent faire de nous.

Nos télescopes et nos recherches mathématiques nous confirment de tout point, – nonobstant la cafarderie de la plus ignorante prêtraille, – que l'espace, et conséquemment le volume, est une importante considération aux yeux du Tout-Puissant. Les cercles dans lesquels se meuvent les étoiles sont le mieux appropriés à l'évolution, sans conflit, du plus grand nombre de corps possible. Les formes de ces corps sont exactement choisies pour contenir sous une surface donnée la plus grande quantité possible de matière; – et les surfaces elles-mêmes sont disposées de façon à recevoir une population plus nombreuse que ne l'auraient pu les mêmes surfaces disposées autrement. Et, de ce que l'espace est infini, on ne peut tirer aucun argument contre cette idée: que le volume a une valeur aux yeux de Dieu; car, pour remplir cet espace, il peut y avoir un infini de matière. Et puisque nous voyons clairement que douer la matière de vitalité est un principe, – et même, autant que nous en pouvons juger, le principe capital dans les opérations de la Divinité, – est-il logique de le supposer confiné dans l'ordre de la petitesse, où il se révèle journellement à nous, et de l'exclure des régions du grandiose? Comme nous découvrons des cercles dans des cercles et toujours sans fin, – évoluant tous cependant autour d'un centre unique infiniment distant, qui est la Divinité, – ne pouvons-nous pas supposer, analogiquement et de la même manière, la vie dans la vie, la moindre dans la plus grande, et toutes dans l'Esprit divin? Bref, nous errons follement par fatuité, en nous figurant que l'homme, dans ses destinées temporelles ou futures, est d'une plus grande importance dans l'univers que ce vaste limon de la vallée qu'il cultive et qu'il méprise, et à laquelle il refuse une âme par la raison peu profonde qu'il ne la voit pas fonctionner10.

Ces idées, et d'autres analogues, ont toujours donné à mes méditations parmi les montagnes et les forêts, près des rivières et de l'océan, une teinte de ce que les gens vulgaires ne manqueront pas d'appeler fantastique. Mes promenades vagabondes au milieu de tableaux de ce genre ont été nombreuses, singulièrement curieuses, souvent solitaires; et l'intérêt avec lequel j'ai erré à travers plus d'une vallée profonde et sombre, ou contemplé le ciel de maint lac limpide, a été un intérêt grandement accru par la pensée que j'errais seul, que je contemplais seul. Quel est le Français bavard qui, faisant allusion à l'ouvrage bien connu de Zimmerman, a dit: La solitude est une belle chose, mais il faut quelqu'un pour vous dire que la solitude est une belle chose? Comme épigramme, c'est parfait; mais, il faut! Cette nécessité est une chose qui n'existe pas.

Ce fut dans un de mes voyages solitaires, dans une région fort lointaine, – montagnes compliquées par des montagnes, méandres de rivières mélancoliques, lacs sombres et dormants, – que je tombai sur certain petit ruisseau avec une île. J'y arrivai soudainement dans un mois de juin, le mois du feuillage, et je me jetai sur le sol, sous les branches d'un arbuste odorant qui m'était inconnu, de manière à m'assoupir en contemplant le tableau. Je sentis que je ne pourrais le bien voir que de cette façon, – tant il portait le caractère d'une vision.

De tous côtés, – excepté à l'ouest, où le soleil allait bientôt plonger, – s'élevaient les murailles verdoyantes de la forêt. La petite rivière qui faisait un brusque coude, et ainsi se dérobait soudainement à la vue, semblait ne pouvoir pas s'échapper de sa prison; mais on eût dit qu'elle était absorbée vers l'est par la verdure profonde des arbres; – et du côté opposé (cela m'apparaissait ainsi, couché comme je l'étais, et les yeux au ciel), tombait dans la vallée, sans intermédiaire et sans bruit, une splendide cascade, or et pourpre, vomie par les fontaines occidentales du ciel.

À peu près au centre de l'étroite perspective qu'embrassait mon regard visionnaire, une petite île circulaire, magnifiquement verdoyante, reposait sur le sein du ruisseau.

 
La rive et son image étaient si bien fondues
Que le tout semblait suspendu dans l'air.
 

L'eau transparente jouait si bien le miroir qu'il était presque impossible de deviner à quel endroit du talus d'émeraude commençait son domaine de cristal.

Ma position me permettait d'embrasser d'un seul coup d'œil les deux extrémités, est et ouest, de l'îlot; et j'observai dans leurs aspects une différence singulièrement marquée. L'ouest était tout un radieux harem de beautés de jardin. Il s'embrasait et rougissait sous l'œil oblique du soleil, et souriait extatiquement par toutes ses fleurs. Le gazon était court, élastique, odorant, et parsemé d'asphodèles. Les arbres étaient souples, gais, droits, – brillants, sveltes et gracieux, – orientaux par la forme et le feuillage, avec une écorce polie, luisante et versicolore. On eût dit qu'un sentiment profond de vie et de joie circulait partout; et, quoique les Cieux ne soufflassent aucune brise, tout cependant semblait agité par d'innombrables papillons qu'on aurait pu prendre, dans leurs fuites gracieuses et leurs zigzags, pour des tulipes ailées.

L'autre côté, le côté est de l'île, était submergé dans l'ombre la plus noire. Là, une mélancolie sombre, mais pleine de calme et de beauté, enveloppait toutes choses. Les arbres étaient d'une couleur noirâtre, lugubres de forme et d'attitude, – se tordant en spectres moroses et solennels, traduisant des idées de chagrin mortel et de mort prématurée. Le gazon y revêtait la teinte profonde du cyprès, et ses brins baissaient languissamment leurs pointes. Là s'élevaient éparpillés plusieurs petits monticules maussades, bas, étroits, pas très-longs, qui avaient des airs de tombeaux, mais qui n'en étaient pas; quoique au-dessus et tout autour grimpassent la rue et le romarin. L'ombre des arbres tombait pesamment sur l'eau et semblait s'y ensevelir, imprégnant de ténèbres les profondeurs de l'élément. Je m'imaginais que chaque ombre, à mesure que le soleil descendait plus bas, toujours plus bas, se séparait à regret du tronc qui lui avait donné naissance et était absorbée par le ruisseau, pendant que d'autres ombres naissaient à chaque instant des arbres, prenant la place de leurs aînées défuntes.

Cette idée, une fois qu'elle se fut emparée de mon imagination, l'excita fortement, et je me perdis immédiatement en rêveries. – Si jamais île fut enchantée, – me disais-je, – celle-ci l'est, bien sûr. C'est le rendez-vous des quelques gracieuses Fées qui ont survécu à la destruction de leur race. Ces vertes tombes sont-elles les leurs! Rendent-elles leurs douces vies de la même façon que l'humanité? Ou plutôt leur mort n'est-elle pas une espèce de dépérissement mélancolique? Rendent-elles à Dieu leur existence petit à petit, épuisant lentement leur substance jusqu'à la mort, comme ces arbres rendent leurs ombres l'une après l'autre? Ce que l'arbre qui s'épuise est à l'eau qui en boit l'ombre et devient plus noire de la proie qu'elle avale, la vie de la Fée ne pourrait-elle pas bien être la même chose à la Mort qui l'engloutit?

Comme je rêvais ainsi, les yeux à moitié clos, tandis que le soleil descendait rapidement vers son lit, et que des tourbillons couraient tout autour de l'île, portant sur leur sein de grandes, lumineuses et blanches écailles, détachées des troncs des sycomores, – écailles qu'une imagination vive aurait pu, grâce à leurs positions variées sur l'eau, convertir en tels objets qu'il lui aurait plu, – pendant que je rêvais ainsi, il me sembla que la figure d'une de ces mêmes Fées dont j'avais rêvé, se détachant de la partie lumineuse et occidentale de l'île, s'avançait lentement vers les ténèbres. – Elle se tenait droite sur un canot singulièrement fragile, et le mouvait avec un fantôme d'aviron. Tant qu'elle fut sous l'influence des beaux rayons attardés, son attitude parut traduire la joie; – mais le chagrin altéra sa physionomie quand elle passa dans la région de l'ombre. Lentement elle glissa tout le long, fit peu à peu le tour de l'île, et rentra dans la région de la lumière.

– La révolution qui vient d'être accomplie par la Fée, – continuai-je, toujours rêvant, – est le cycle d'une brève année de sa vie. Elle a traversé son hiver et son été. Elle s'est rapprochée de la Mort d'une année; car j'ai bien vu que, quand elle entrait dans l'obscurité, son ombre se détachait d'elle et était engloutie par l'eau sombre, rendant sa noirceur encore plus noire.

Et de nouveau le petit bateau apparut, avec la Fée; mais dans son attitude il y avait plus de souci et d'indécision, et moins d'élastique allégresse. Elle navigua de nouveau de la lumière vers l'obscurité, – qui s'approfondissait à chaque minute, – et de nouveau son ombre se détachant tomba dans l'ébène liquide et fut absorbée par les ténèbres. – Et plusieurs fois encore elle fit le circuit de l'île, – pendant que le soleil se précipitait vers son lit, – et à chaque fois qu'elle émergeait dans la lumière, il y avait plus de chagrin dans sa personne, et elle devenait plus faible, et plus abattue, et plus indistincte; et à chaque fois qu'elle passait dans l'obscurité, il se détachait d'elle un spectre plus obscur qui était submergé par une ombre plus noire. Mais à la fin, quand le soleil eut totalement disparu, la Fée, maintenant pur fantôme d'elle-même, entra avec son bateau, pauvre inconsolable! dans la région du fleuve d'ébène, – et si elle en sortit jamais, je ne puis le dire, – car les ténèbres tombèrent sur toutes choses, et je ne vis plus son enchanteresse figure.

10.En parlant des marées, Pomponius Mela dit, dans son traité De Situ Orbis: Ou le monde est un vaste animal, ou, etc. – E. A. P.
Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
01 kasım 2017
Hacim:
330 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain

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