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Kitabı oku: «Nouvelles histoires extraordinaires», sayfa 7

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LE COEUR RÉVÉLATEUR

Vrai! – je suis très-nerveux, épouvantablement nerveux, – je l'ai toujours été; mais pourquoi prétendez-vous que je suis fou? La maladie a aiguisé mes sens, – elle ne les a pas détruits, – elle ne les a pas émoussés. Plus que tous les autres, j'avais le sens de l'ouïe très-fin. J'ai entendu toutes choses du ciel et de la terre. J'ai entendu bien des choses de l'enfer. Comment donc suis-je fou? Attention! Et observez avec quelle santé, – avec quel calme je puis vous raconter toute l'histoire.

Il est impossible de dire comment l'idée entra primitivement dans ma cervelle; mais, une fois conçue, elle me hanta nuit et jour. D'objet, il n'y en avait pas. La passion n'y était pour rien. J'aimais le vieux bonhomme. Il ne m'avait jamais fait de mal. Il ne m'avait jamais insulté. De son or je n'avais aucune envie. Je crois que c'était son œil! oui, c'était cela! Un de ses yeux ressemblait à celui d'un vautour, – un œil bleu pâle, avec une taie dessus. Chaque fois que cet œil tombait sur moi, mon sang se glaçait; et ainsi, lentement, – par degrés, – je me mis en tête d'arracher la vie du vieillard, et par ce moyen de me délivrer de l'œil à tout jamais.

Maintenant, voici le hic! Vous me croyez fou. Les fous ne savent rien de rien. Mais si vous m'aviez vu! Si vous aviez vu avec quelle sagesse je procédai! – avec quelle précaution – avec quelle prévoyance, – avec quelle dissimulation je me mis à l'œuvre! Je ne fus jamais plus aimable pour le vieux que pendant la semaine entière qui précéda le meurtre. Et, chaque nuit, vers minuit, je tournais le loquet de sa porte, et je l'ouvrais, – oh! si doucement! Et alors, quand je l'avais sûrement entrebâillée pour ma tête, j'introduisais une lanterne sourde, bien fermée, bien fermée, ne laissant filtrer aucune lumière; puis je passais la tête. Oh! vous auriez ri de voir avec quelle adresse je passais ma tête! Je la mouvais lentement, – très, très-lentement, – de manière à ne pas troubler le sommeil du vieillard. Il me fallait bien une heure pour introduire toute ma tête à travers l'ouverture, assez avant pour le voir couché sur son lit. Ah! un fou aurait-il été aussi prudent? – Et alors, quand ma tête était bien dans la chambre, j'ouvrais la lanterne avec précaution, – oh! avec quelle précaution, avec quelle précaution! – car la charnière criait. – Je l'ouvrais juste pour qu'un filet imperceptible de lumière tombât sur l'œil de vautour. Et cela, je l'ai fait pendant sept longues nuits, – chaque nuit juste à minuit; – mais je trouvai toujours l'œil fermé; – et ainsi il me fut impossible d'accomplir l'œuvre; car ce n'était pas le vieux homme qui me vexait, mais son mauvais œil. Et, chaque matin, quand le jour paraissait, j'entrais hardiment dans sa chambre, je lui parlais courageusement, l'appelant par son nom d'un ton cordial et m'informant comment il avait passé la nuit. Ainsi, vous voyez qu'il eût été un vieillard bien profond, en vérité, s'il avait soupçonné que, chaque nuit, juste à minuit, je l'examinais pendant son sommeil.

La huitième nuit, je mis encore plus de précaution à ouvrir la porte. La petite aiguille d'une montre se meut plus vite que ne faisait ma main. Jamais, avant cette nuit, je n'avais senti toute l'étendue de mes facultés, – de ma sagacité. Je pouvais à peine contenir mes sensations de triomphe. Penser que j'étais là, ouvrant la porte, petit à petit, et qu'il ne rêvait même pas de mes actions ou de mes pensées secrètes! À cette idée, je lâchai un petit rire; et peut-être l'entendit-il, car il remua soudainement sur son lit comme s'il se réveillait. Maintenant, vous croyez peut-être que je me retirai, – mais non. Sa chambre était aussi noire que de la poix, tant les ténèbres étaient épaisses, – car les volets étaient soigneusement fermés, de crainte des voleurs, – et, sachant qu'il ne pouvait pas voir l'entrebâillement de la porte, je continuai à la pousser davantage, toujours davantage.

J'avais passé ma tête, et j'étais au moment d'ouvrir la lanterne, quand mon pouce glissa sur la fermeture de fer-blanc, et le vieux homme se dressa sur son lit, criant: – Qui est là?

Je restai complètement immobile et ne dis rien. Pendant une heure entière, je ne remuai pas un muscle, et pendant tout ce temps je ne l'entendis pas se recoucher. Il était toujours sur son séant, aux écoutes; – juste comme j'avais fait pendant des nuits entières, écoutant les horloges-de-mort dans le mur.

Mais voilà que j'entendis un faible gémissement, et je reconnus que c'était le gémissement d'une terreur mortelle. Ce n'était pas un gémissement de douleur ou de chagrin; – oh! non, – c'était le bruit sourd et étouffé qui s'élève du fond d'une âme surchargée d'effroi. Je connaissais bien ce bruit. Bien des nuits, à minuit juste, pendant que le monde entier dormait, il avait jailli de mon propre sein, creusant avec son terrible écho les terreurs qui me travaillaient. Je dis que je le connaissais bien. Je savais ce qu'éprouvait le vieux homme, et j'avais pitié de lui, quoique j'eusse le rire dans le cœur. Je savais qu'il était resté éveillé, depuis le premier petit bruit, quand il s'était retourné dans son lit. Ses craintes avaient toujours été grossissant. Il avait tâché de se persuader qu'elles étaient sans cause, mais il n'avait pas pu. Il s'était dit à lui-même: – Ce n'est rien, que le vent dans la cheminée; – ce n'est qu'une souris qui traverse le parquet; – ou: c'est simplement un grillon qui a poussé son cri. – Oui, il s'est efforcé de se fortifier avec ces hypothèses; mais tout cela a été vain. Tout a été vain, parce que la Mort qui s'approchait avait passé devant lui avec sa grande ombre noire, et qu'elle avait ainsi enveloppé sa victime. Et c'était l'influence funèbre de l'ombre inaperçue qui lui faisait sentir, – quoiqu'il ne vît et n'entendît rien, – qui lui faisait sentir la présence de ma tête dans la chambre.

Quand j'eus attendu un long temps très-patiemment, sans l'entendre se recoucher, je me résolus à entrouvrir un peu la lanterne, – mais si peu, si peu que rien. Je l'ouvris donc, – si furtivement, si furtivement que vous ne sauriez imaginer, – jusqu'à ce qu'enfin un seul rayon pâle, comme un fil d'araignée, s'élançât de la fente et s'abattît sur l'œil de vautour.

Il était ouvert, – tout grand ouvert, – et j'entrai en fureur aussitôt que je l'eus regardé. Je le vis avec une parfaite netteté, – tout entier d'un bleu terne et recouvert d'un voile hideux qui glaçait la moelle dans mes os; mais je ne pouvais voir que cela de la face ou de la personne du vieillard; car j'avais dirigé le rayon, comme par instinct, précisément sur la place maudite.

Et maintenant, ne vous ai-je pas dit que ce que vous preniez pour de la folie n'est qu'une hyperacuité des sens? – Maintenant, je vous le dis, un bruit sourd, étouffé, fréquent vint à mes oreilles, semblable à celui que fait une montre enveloppée dans du coton. Ce son-là, je le reconnus bien aussi. C'était le battement du cœur du vieux. Il accrut ma fureur, comme le battement du tambour exaspère le courage du soldat.

Mais je me contins encore, et je restai sans bouger. Je respirais à peine. Je tenais la lanterne immobile. Je m'appliquais à maintenir le rayon droit sur l'œil. En même temps, la charge infernale du cœur battait plus fort; elle devenait de plus en plus précipitée, et à chaque instant de plus en plus haute. La terreur du vieillard devait être extrême! Ce battement, dis-je, devenait de plus en plus fort à chaque minute! – Me suivez-vous bien? Je vous ai dit que j'étais nerveux; je le suis en effet. Et maintenant, au plein cœur de la nuit, parmi le silence redoutable de cette vieille maison, un si étrange bruit jeta en moi une terreur irrésistible. Pendant quelques minutes encore je me contins et restai calme. Mais le battement devenait toujours plus fort, toujours plus fort! Je croyais que le cœur allait crever. Et voilà qu'une nouvelle angoisse s'empara de moi: – le bruit pouvait être entendu par un voisin! L'heure du vieillard était venue! Avec un grand hurlement j'ouvris brusquement la lanterne et m'élançai dans la chambre. Il ne poussa qu'un cri, – un seul. En un instant, je le précipitai sur le parquet, et je renversai sur lui tout le poids écrasant du lit. Alors je souris avec bonheur voyant ma besogne fort avancée. Mais pendant quelques minutes, le cœur battit avec un son voilé. Cela toutefois ne me tourmenta pas; on ne pouvait l'entendre à travers le mur. À la longue, il cessa. Le vieux était mort. Je relevai le lit, et j'examinai le corps. Oui, il était roide, roide mort. Je plaçai ma main sur le cœur, et l'y maintins plusieurs minutes. Aucune pulsation. Il était roide mort. Son œil désormais ne me tourmenterait plus.

Si vous persistez à me croire fou, cette croyance s'évanouira quand je vous décrirai les sages précautions que j'employai pour dissimuler le cadavre. La nuit avançait, et je travaillai vivement, mais en silence. Je coupai la tête, puis les bras, puis les jambes.

Puis j'arrachai trois planches du parquet de la chambre, et je déposai le tout entre les voliges. Puis je replaçai les feuilles si habilement, si adroitement, qu'aucun œil humain – pas même le sien! – n'aurait pu y découvrir quelque chose de louche. Il n'y avait rien à laver, – pas une souillure, – pas une tache de sang. J'avais été trop bien avisé pour cela. Un baquet avait tout absorbé, – ha! ha!

Quand j'eus fini tous ces travaux, il était quatre heures, – il faisait toujours aussi noir qu'à minuit. Pendant que le timbre sonnait l'heure, on frappa à la porte de la rue. Je descendis pour ouvrir, avec un cœur léger, – car qu'avais-je à craindre maintenant? Trois hommes entrèrent qui se présentèrent, avec une parfaite suavité, comme officiers de police. Un cri avait été entendu par un voisin pendant la nuit; cela avait éveillé le soupçon de quelque mauvais coup: une dénonciation avait été transmise au bureau de police, et ces messieurs (les officiers) avaient été envoyés pour visiter les lieux.

Je souris, – car qu'avais-je à craindre? Je souhaitai la bienvenue à ces gentlemen. – Le cri, dis-je, c'était moi qui l'avais poussé dans un rêve. Le vieux bonhomme, ajoutai-je, était en voyage dans le pays. Je promenai mes visiteurs par toute la maison. Je les invitai à chercher, à bien chercher. À la fin, je les conduisis dans sa chambre. Je leur montrai ses trésors, en parfaite sûreté, parfaitement en ordre. Dans l'enthousiasme de ma confiance, j'apportai des sièges dans la chambre, et les priai de s'y reposer de leur fatigue, tandis que moi-même, avec la folle audace d'un triomphe parfait, j'installai ma propre chaise sur l'endroit même qui recouvrait le corps de la victime.

Les officiers étaient satisfaits. Mes manières les avaient convaincus. Je me sentais singulièrement à l'aise. Ils s'assirent, et ils causèrent de choses familières auxquelles je répondis gaiement. Mais, au bout de peu de temps, je sentis que je devenais pâle, et je souhaitai leur départ. Ma tête me faisait mal, et il me semblait que les oreilles me tintaient; mais ils restaient toujours assis, et toujours ils causaient. Le tintement devint plus distinct; – il persista et devint encore plus distinct; je bavardai plus abondamment pour me débarrasser de cette sensation; mais elle tint bon et prit un caractère tout à fait décidé, – tant qu'à la fin je découvris que le bruit n'était pas dans mes oreilles.

Sans doute je devins alors très-pâle; – mais je bavardais encore plus couramment et en haussant la voix. Le son augmentait toujours, – et que pouvais-je faire? C'était un bruit sourd, étouffé, fréquent, ressemblant beaucoup à ce que ferait une montre enveloppée dans du coton. Je respirai laborieusement, – les officiels n'entendaient pas encore. Je causai plus vite, – avec plus de véhémence; mais le bruit croissait incessamment. – Je me levai, et je disputai sur des niaiseries, dans un diapason très-élevé et avec une violente gesticulation; mais le bruit montait, montait toujours. – Pourquoi ne voulaient-ils pas s'en aller? – J'arpentai çà et là le plancher lourdement et à grands pas, comme exaspéré par les observations de mes contradicteurs; – mais le bruit croissait régulièrement. Ô Dieu! que pouvais-je faire? J'écumais, – je battais la campagne – je jurais! j'agitais la chaise sur laquelle j'étais assis, et je la faisais crier sur le parquet; mais le bruit dominait toujours, et croissait indéfiniment. Il devenait plus fort, – plus fort! – toujours plus fort! Et toujours les hommes causaient, plaisantaient et souriaient. Était-il possible qu'ils n'entendissent pas? Dieu tout-puissant! – Non, non! Ils entendaient! – ils soupçonnaient! – ils savaient, – ils se faisaient un amusement de mon effroi! – je le crus, et je le crois encore. Mais n'importe quoi était plus tolérable que cette dérision! Je ne pouvais pas supporter plus longtemps ces hypocrites sourires! Je sentis qu'il fallait crier ou mourir! – et maintenant encore, l'entendez-vous? – écoutez! plus haut! – plus haut! – toujours plus haut! —toujours plus haut!

Misérables! – m'écriai-je, – ne dissimulez pas plus longtemps! J'avoue la chose! – arrachez ces planches! c'est là! c'est là! – , c'est le battement de son affreux cœur!

BÉRÉNICE

Dicebant mihi sodales, si sepulchrum amicoe visitarem, curas meas aliquaritulum fore levatas.

EBN ZAIAT.

Le malheur est divers. La misère sur terre est multiforme. Dominant le vaste horizon comme l'arc-en-ciel, ses couleurs sont aussi variées, – aussi distinctes, et toutefois aussi intimement fondues. Dominant le vaste horizon comme l'arc-en-ciel! Comment d'un exemple de beauté ai-je pu tirer un type de laideur? du signe d'alliance et de paix une similitude de la douleur? Mais comme, en éthique, le mal est la conséquence du bien, de même, dans la réalité, c'est de la joie qu'est né le chagrin; soit que le souvenir du bonheur passé fasse l'angoisse d'aujourd'hui, soit que les agonies qui sont tirent leur origine des extases qui peuvent avoir été.

J'ai à raconter une histoire dont l'essence est pleine d'horreur. Je la supprimerais volontiers, si elle n'était pas une chronique de sensations plutôt que de faits.

Mon nom de baptême est Egaeus; mon nom de famille, je le tairai. Il n'y a pas de château dans le pays plus chargé de gloire et d'années que mon mélancolique et vieux manoir héréditaire. Dès longtemps on appelait notre famille une race de visionnaires; et le fait est que dans plusieurs détails frappants, – dans le caractère de notre maison seigneuriale, – dans les fresques du grand salon, – dans les tapisseries des chambres à coucher, – dans les ciselures des piliers de la salle d'armes, – mais plus spécialement dans la galerie des vieux tableaux, – dans la physionomie de la bibliothèque, – et enfin dans la nature toute particulière du contenu de cette bibliothèque, – il y a surabondamment de quoi justifier cette croyance.

Le souvenir de mes premières années est lié intimement à cette salle et à ses volumes, – dont je ne dirai plus rien. C'est là que mourut ma mère. C'est là que je suis né. Mais il serait bien oiseux de dire que je n'ai pas vécu auparavant, – que l'âme n'a pas une existence antérieure. Vous le niez? – ne disputons pas sur cette matière. Je suis convaincu et ne cherche point à convaincre. Il y a d'ailleurs une ressouvenance de formes aériennes, – d'yeux intellectuels et parlants, – de sons mélodieux mais mélancoliques; une ressouvenance qui ne veut pas s'en aller; une sorte de mémoire semblable à une ombre, – vague, variable, indéfinie, vacillante; et de cette ombre essentielle il me sera impossible de me défaire, tant que luira le soleil de ma raison.

C'est dans cette chambre que je suis né. Émergeant ainsi au milieu de la longue nuit qui semblait être, mais qui n'était pas la non-existence, pour tomber tout d'un coup dans un pays féerique, – dans un palais de fantaisie, – dans les étranges domaines de la pensée et de l'érudition monastiques, – il n'est pas singulier que j'aie contemplé autour de moi avec un œil effrayé et ardent, – que j'aie dépensé mon enfance dans les livres et prodigué ma jeunesse en rêveries; mais ce qui est singulier, – les années ayant marché, et le midi de ma virilité m'ayant trouvé vivant encore dans le manoir de mes ancêtres, – ce qui est étrange, c'est cette stagnation qui tomba sur les sources de ma vie, – c'est cette complète interversion qui s'opéra dans le caractère de mes pensées les plus ordinaires. Les réalités du monde m'affectaient comme des visions, et seulement comme des visions, pendant que les idées folles du pays des songes devenaient en revanche, non la pâture de mon existence de tous les jours, mais positivement mon unique et entière existence elle-même.

Bérénice et moi, nous étions cousins, et nous grandîmes ensemble dans le manoir paternel. Mais nous grandîmes différemment, – moi, maladif et enseveli dans ma mélancolie, – elle, agile, gracieuse et débordante d'énergie; à elle, le vagabondage sur la colline, – à moi, les études du cloître; moi, vivant dans mon propre cœur, et me dévouant, corps et âme, à la plus intense et à la plus pénible méditation, – elle, errant insoucieuse à travers la vie, sans penser aux ombres de son chemin, ou à la fuite silencieuse des heures au noir plumage. Bérénice! – J'invoque son nom, – Bérénice! – et des ruines grises de ma mémoire se dressent à ce son mille souvenirs tumultueux! Ah! son image est là vivante devant moi, comme dans les premiers jours de son allégresse et de sa joie! Oh, magnifique et pourtant fantastique beauté! Oh! sylphe parmi les bocages d'Arnheim! Oh! naïade parmi ses fontaines! Et puis, – et puis tout est mystère et terreur, une histoire qui ne veut pas être racontée. Un mal, – un mal fatal s'abattit sur sa constitution comme le simoun; et même pendant que je la contemplais, l'esprit de métamorphose passait sur elle et l'enlevait, pénétrant son esprit, ses habitudes, son caractère, et, de la manière la plus subtile et la plus terrible, perturbant même son identité! Hélas! le destructeur venait et s'en allait; – mais la victime, – la vraie Bérénice, – qu'est-elle devenue? Je ne connaissais pas celle-ci, ou du moins je ne la reconnaissais plus comme Bérénice.

Parmi la nombreuse série de maladies amenées par cette fatale et principale attaque, qui opéra une si horrible révolution dans l'être physique et moral de ma cousine, il faut mentionner, comme la plus affligeante et la plus opiniâtre, une espèce d'épilepsie qui souvent se terminait en catalepsie, – catalepsie ressemblant parfaitement à la mort, et dont elle se réveillait, dans quelques cas, d'une manière tout à fait brusque et soudaine. En même temps, mon propre mal, – car on m'a dit que je ne pouvais pas l'appeler d'un autre nom, – mon propre mal grandissait rapidement, et, ses symptômes s'aggravant par un usage immodéré de l'opium, il prit finalement le caractère d'une monomanie d'une forme nouvelle et extraordinaire. D'heure en heure, de minute en minute, il gagnait de l'énergie, et à la longue il usurpa sur moi la plus singulière et la plus incompréhensible domination. Cette monomanie, s'il faut que je me serve de ce terme, consistait dans une irritabilité morbide des facultés de l'esprit que la langue philosophique comprend dans le mot: facultés d'attention. Il est plus que probable que je ne suis pas compris; mais je crains, en vérité, qu'il ne me soit absolument impossible de donner au commun des lecteurs une idée exacte de cette nerveuse intensité d'intérêt avec laquelle, dans mon cas, la faculté méditative, – pour éviter la langue technique, – s'appliquait et se plongeait dans la contemplation des objets les plus vulgaires du monde.

Réfléchir infatigablement de longues heures, l'attention rivée à quelque citation puérile sur la marge ou dans le texte d'un livre, – rester absorbé, la plus grande partie d'une journée d'été, dans une ombre bizarre s'allongeant obliquement sur la tapisserie ou sur le plancher, – m'oublier une nuit entière à surveiller la flamme droite d'une lampe ou les braises du foyer, – rêver des jours entiers sur le parfum d'une fleur, – répéter, d'une manière monotone, quelque mot vulgaire, jusqu'à ce que le son, à force d'être répété, cessât de présenter à l'esprit une idée quelconque, – perdre tout sentiment de mouvement ou d'existence physique dans un repos absolu obstinément prolongé, – telles étaient quelques-unes des plus communes et des moins pernicieuses aberrations de mes facultés mentales, aberrations qui sans doute ne sont pas absolument sans exemple, mais qui défient certainement toute explication et toute analyse.

Encore, je veux être bien compris. L'anormale, intense et morbide attention ainsi excitée par des objets frivoles en eux-mêmes est d'une nature qui ne doit pas être confondue avec ce penchant à la rêverie commun à toute l'humanité, et auquel se livrent surtout les personnes d'une imagination ardente. Non-seulement elle n'était pas, comme on pourrait le supposer d'abord, un terme excessif et une exagération de ce penchant, mais encore elle en était originairement et essentiellement distincte. Dans l'un de ces cas, le rêveur, l'homme imaginatif, étant intéressé par un objet généralement non frivole, perd peu à peu son objet de vue à travers une immensité de déductions et de suggestions qui en jaillit, si bien qu'à la fin d'une de ces songeries souvent remplies de volupté il trouve l'incitamentum, ou cause première de ses réflexions, entièrement évanoui et oublié. Dans mon cas, le point de départ était invariablement frivole, quoique revêtant, à travers le milieu de ma vision maladive, une importance imaginaire et de réfraction. Je faisais peu de déductions, – si toutefois j'en faisais; et dans ce cas elles retournaient opiniâtrement à l'objet principe comme à un centre. Les méditations n'étaient jamais agréables; et, à la fin de la rêverie, la cause première, bien loin d'être hors de vue, avait atteint cet intérêt surnaturellement exagéré qui était le trait dominant de mon mal. En un mot, la faculté de l'esprit plus particulièrement excitée en moi était, comme je l'ai dit, la faculté de l'attention, tandis que, chez le rêveur ordinaire, c'est celle de la méditation.

Mes livres, à cette époque, s'ils ne servaient pas positivement à irriter le mal, participaient largement, on doit le comprendre, par leur nature imaginative et irrationnelle, des qualités caractéristiques du mal lui-même. Je me rappelle fort bien, entre autres, le traité du noble italien Coelius Secundus Curio, De Amplitudine Beati Regni Dei; le grand ouvrage de saint Augustin, la Cité de Dieu, et le De Carne Christi, de Tertullien, de qui l'inintelligible pensée: —Mortuus est Dei Filius; credibile est quia ineptum est; et sepultus resurrexit; certum est quia impossibile est, – absorba exclusivement tout mon temps, pendant plusieurs semaines d'une laborieuse et infructueuse investigation.

On jugera sans doute que, dérangée de son équilibre par des choses insignifiantes, ma raison avait quelque ressemblance avec cette roche marine dont parle Ptolémée Héphestion, qui résistait immuablement à toutes les attaques des hommes et à la fureur plus terrible des eaux et des vents, et qui tremblait seulement au toucher de la fleur nommée asphodèle. À un penseur inattentif il paraîtra tout simple et hors de doute que la terrible altération produite dans la condition morale de Bérénice par sa déplorable maladie dût me fournir maint sujet d'exercer cette intense et anormale méditation dont j'ai eu quelque peine à expliquer la nature. Eh bien! il n'en était absolument rien. Dans les intervalles lucides de mon infirmité, son malheur me causait, il est vrai, du chagrin; cette ruine totale de sa belle et douce vie me touchait profondément le cœur; je méditais fréquemment et amèrement sur les voies mystérieuses et étonnantes par lesquelles une si étrange et si soudaine révolution avait pu se produire. Mais ces réflexions ne participaient pas de l'idiosyncrasie de mon mal, et étaient telles qu'elles se seraient offertes dans des circonstances analogues à la masse ordinaire des hommes. Quant à ma maladie, fidèle à son caractère propre, elle se faisait une pâture des changements moins importants, mais plus saisissants, qui se manifestaient dans le système physique de Bérénice, – dans la singulière et effrayante distorsion de son identité personnelle.

Dans les jours les plus brillants de son incomparable beauté, très-sûrement je ne l'avais jamais aimée. Dans l'étrange anomalie de mon existence, les sentiments ne me sont jamais venus du cœur, et mes passions sont toujours venues de l'esprit. À travers les blancheurs du crépuscule, – à midi, parmi les ombres treillissées de la forêt, – et la nuit dans le silence de ma bibliothèque, – elle avait traversé mes yeux, et je l'avais vue, – non comme la Bérénice vivante et respirante, mais comme la Bérénice d'un songe; non comme un être de la terre, un être charnel, mais comme l'abstraction d'un tel être; non comme une chose à admirer, mais à analyser; non comme un objet d'amour, mais comme le thème d'une méditation aussi abstruse qu'irrégulière. Et maintenant, – maintenant je frissonnais en sa présence, je pâlissais à son approche; cependant, tout en me lamentant amèrement sur sa déplorable condition de déchéance, je me rappelai qu'elle m'avait longtemps aimé, et dans un mauvais moment je lui parlai de mariage.

Enfin l'époque fixée pour nos noces approchait, quand, dans une après-midi d'hiver, – dans une de ces journées intempestivement chaudes, calmes et brumeuses, qui sont les nourrices de la belle Halcyone, – je m'assis, me croyant seul, dans le cabinet de la bibliothèque. Mais en levant les yeux, je vis Bérénice debout devant moi.

Fut-ce mon imagination surexcitée, – ou l'influence brumeuse de l'atmosphère, – ou le crépuscule incertain de la chambre, – ou le vêtement obscur qui enveloppait sa taille, – qui lui prêta ce contour si tremblant et si indéfini? Je ne pourrais le dire. Peut-être avait-elle grandi depuis sa maladie. Elle ne dit pas un mot; et moi, pour rien au monde, je n'aurais prononcé une syllabe. Un frisson de glace parcourut mon corps; une sensation d'insupportable angoisse m'oppressait; une dévorante curiosité pénétrait mon âme; et, me renversant dans le fauteuil, je restai quelque temps sans souffle et sans mouvement, les yeux cloués sur sa personne. Hélas! son amaigrissement était excessif, et pas un vestige de l'être primitif n'avait survécu et ne s'était réfugié dans un seul contour. À la fin, mes regards tombèrent ardemment sur sa figure.

Le front était haut, très-pâle, et singulièrement placide; et les cheveux, autrefois d'un noir de jais, le recouvraient en partie, et ombrageaient les tempes creuses d'innombrables boucles, actuellement d'un blond ardent, dont le caractère fantastique jurait cruellement avec la mélancolie dominante de sa physionomie. Les yeux étaient sans vie et sans éclat, en apparence sans pupilles, et involontairement je détournai ma vue de leur fixité vitreuse pour contempler les lèvres amincies et recroquevillées. Elles s'ouvrirent, et dans un sourire singulièrement significatif les dents de la nouvelle Bérénice se révélèrent lentement à ma vue. Plût à Dieu que je ne les eusse jamais regardées, ou que, les ayant regardées, je fusse mort!

Une porte en se fermant me troubla, et, levant les yeux, je vis que ma cousine avait quitté la chambre. Mais la chambre dérangée de mon cerveau, le spectre blanc et terrible de ses dents ne l'avait pas quittée et n'en voulait pas sortir. Pas une piqûre sur leur surface, – pas une nuance dans leur émail, – pas une pointe sur leurs arêtes que ce passager sourire n'ait suffi à imprimer dans ma mémoire! Je les vis même alors plus distinctement que je ne les avais vues tout à l'heure. – Les dents! – les dents! – Elles étaient là, – et puis là, – et partout, – visibles, palpables devant moi; longues, étroites et excessivement blanches, avec les lèvres pâles se tordant autour, affreusement distendues comme elles étaient naguère. Alors arriva la pleine furie de ma monomanie, et je luttai en vain contre son irrésistible et étrange influence. Dans le nombre infini des objets du monde extérieur, je n'avais de pensées que pour les dents. J'éprouvais à leur endroit un désir frénétique. Tous les autres sujets, tous les intérêts divers furent absorbés dans cette unique contemplation. Elles – elles seules, – étaient présentes à l'œil de mon esprit, et leur individualité exclusive devint l'essence de ma vie intellectuelle. Je les regardais dans tous les jours. Je les tournais dans tous les sens. J'étudiais leur caractère. J'observais leurs marques particulières. Je méditais sur leur conformation. Je réfléchissais à l'altération de leur nature. Je frissonnais en leur attribuant dans mon imagination une faculté de sensation et de sentiment, et même, sans le secours des lèvres, une puissance d'expression morale. On a fort bien dit de mademoiselle Sallé que tous ses pas étaient des sentiments, et de Bérénice je croyais plus sérieusement que toutes les dents étaient des idées. Des idées!– ah! voilà la pensée absurde qui m'a perdu! Des idées!– ah! voilà donc pourquoi je les convoitais si follement! Je sentais que leur possession pouvait seule me rendre la paix et rétablir ma raison.

Et le soir descendit ainsi sur moi, – et les ténèbres vinrent, s'installèrent, et puis s'en allèrent, – et un jour nouveau parut, – et les brumes d'une seconde nuit s'amoncelèrent autour de moi, – et toujours je restais immobile dans cette chambre solitaire, – toujours assis, toujours enseveli dans ma méditation, – et toujours le fantôme des dents maintenait son influence terrible, au point qu'avec la plus vivante et la plus hideuse netteté il flottait çà et là à travers la lumière et les ombres changeantes de la chambre. Enfin, au milieu de mes rêves, éclata un grand cri d'horreur et d'épouvante, auquel succéda, après une pause, un bruit de voix désolées, entrecoupées par de sourds gémissements de douleur ou de deuil. Je me levai, et, ouvrant une des portes de la bibliothèque, je trouvai dans l'antichambre une domestique tout en larmes, qui me dit que Bérénice n'existait plus! Elle avait été prise d'épilepsie dans la matinée; et maintenant, à la tombée de la nuit, la fosse attendait sa future habitante, et tous les préparatifs de l'ensevelissement étaient terminés.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
01 kasım 2017
Hacim:
330 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain

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