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Kitabı oku: «Deux essais: Octave Mirbeau, Romain Rolland», sayfa 5

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II

Les œuvres de M. Romain Rolland ne sont peut-être pas également de belles œuvres, mais elles sont toujours de bonnes œuvres. Un esprit commun les domine, qui est le bien des hommes, et chacune soutient des idées, comme le coup de canon appuie le pavillon.

Dans les trois séries: théâtre, roman, critique, circule le même filon de pensée qui remonte ici et là, à fleur de texte, pour briller en formules analogues, et partout l’on retrouve, même dans les ouvrages d’imagination, le goût de l’auteur pour le document, la référence et les tirades dogmatiques.

M. Romain Rolland tient de sa formation universitaire l’amour du petit papier et de la thèse, sans pousser jusqu’au pédantisme. Il n’a point le souci de démontrer, d’analyser, d’ergoter qui, depuis M. Bourget, possède tous les psychologues: il a le désir de convaincre. Ce n’est pas un enseigneur, c’est un croyant; il ne propose pas, il affirme; et, pour faire plus de poids dans la balance, il y jette fréquemment, ainsi que le Gaulois son épée, les aphorismes lourds de Tolstoï ou de Gœthe.

Sa foi est humaine et laïque; elle se nourrit de la passion de la vie et de la vérité; elle poursuit son but sans faiblir et se poursuit elle-même jusqu’en ses plus extrêmes conséquences. «Quand j’accepte une idée, dit M. Rolland, j’accepte tout ce qui est en elle, et je me mépriserais, si je reculais devant la nécessité de mon esprit.»

Et il ne recule jamais; il va de l’avant, non pas aveuglément et par instinct, comme un mystique, mais à coups de raisonnements, parce qu’il a besoin de vider à fond toute idée et de la briser, même, pour voir si elle ne recèle point encore de l’inconnu dans ses morceaux, et parce qu’il veut encourager par son exemple. Sans doute espère-t-il soulever la conscience humaine jusqu’à ses hauteurs avec ce dur levier qu’il forge, à nos yeux, pour l’usage de ses mains. S’il a mis dans la bouche d’un vaincu ces paroles de clairvoyante désespérance: «L’homme est fou qui pense changer le monde. L’univers est livré au caprice du hasard. Tous les essais de l’homme pour tâcher de le guider vers une Raison plus haute se détruisent les uns les autres. Chaque effort énergique pour contraindre la volonté du Destin ne fait que la rendre plus implacable et plus meurtrière. – Que faire? Se résigner et garder le silence», sa réplique sonne, comme un défi, dans la confession du conventionnel Hugot qui marche à la guillotine: «La vie sera ce que je veux. J’ai devancé la victoire, mais je vaincrai.»

Voilà son attitude qui est celle de la volonté avertie et de la foi quand même! Il n’y a pas à se plaindre, parce que personne ne nous entend au delà de nous-même; il n’y a pas à ruser sous le couvert d’une religion, parce que c’est une lâcheté. Les confessions ne sont que le sable du désert où l’autruche traquée se cache la tête. Il ne faut point chercher à «tromper la vie», selon le mot de Brunetière, avec les paradis éternels, ni même avec l’art, comme Wagner; mais il faut la regarder en face, l’empoigner à bras-le-corps et lui faire violence, victorieusement.

C’est la tenue d’un brave. Il veut le courage réfléchi et non la fuite en avant. Tu ne te déroberas pas, tu ne te griseras pas; tu sonderas la réalité sinistre jusqu’à la mort, et tu te tiendras debout en face d’elle: «les yeux grands ouverts, dit-il, aspirer par tous les pores le souffle tout-puissant de la vie, voir les choses comme elles sont, son infortune en face».

Car ce n’est pas par ignorance que M. Romain Rolland se guinde à ce personnage. Il a mesuré la profondeur de la détresse humaine et tend plutôt à en exagérer la somme. «La vie, écrit-il dès ses premiers drames, est un malentendu incessant et cruel. Chacun vit près des autres sans jamais les comprendre. On se hait; on se torture; on s’efforce à se détruire… Les hommes sont aussi loin l’un de l’autre que la terre des étoiles qui roulent dans l’espace. Elles ne se réuniront que dans la destruction.»

Son stoïcisme est donc la réaction d’un pessimisme mêlé d’orgueil. Il reprend le vieux thème de la solitude absolue de l’homme, qui allait bien à la force morale des ancêtres morvandiots, venue intacte jusqu’à lui. Il entend le christianisme qui craque de toutes parts, dans le relâchement de la doctrine, et les appétits bâiller comme des fauves qui se réveillent. Il sent que les hommes et lui-même oscillent et ploient ainsi que des arbustes sans tuteur. Alors il se raidit, contemple autour de lui l’abîme d’épouvante, se révolte et se hausse jusqu’à le dominer. «Je hais l’idéalisme couard, qui détourne les yeux des misères de la vie et des faiblesses de l'âme… Le mensonge héroïque est une lâcheté. Il n’y a qu’un héroïsme au monde: c’est de voir le monde tel qu’il est, – et de l’aimer».

Mot suprême qui rompt l’impassibilité et nous rattache tout d’un coup à l’existence! Oui, nous la voyons telle qu’elle est avec ses deux faces inégales, l’une de joie, l’autre de douleur. Elles sont opposées, mais elles se complètent et l’une est la clef de l’autre. «Louée soit la joie et louée la douleur! L’une et l’autre sont sœurs et toutes deux sont saintes. Elles forgent le monde et gonflent les grandes âmes. Elles sont la force, elles sont la vie, elles sont Dieu. Qui ne les aime point toutes deux, n’aime ni l’une ni l’autre. Et qui les a goûtées sait le prix de la vie et la douceur de la quitter.»

La douleur, c’est la purification, c’est l'âcre bain où notre cœur macère pour ressortir plus ferme à la fois et plus sensible. Elle détache des faux plaisirs, nous éclaire sur nous-même et sur les malheurs des autres; et parce qu’elle s’oppose directement à la vie, ainsi qu’un combattant, elle réveille en nous l’instinct de lutte.

«La souffrance et la lutte, dit M. Romain Rolland, qu’y a-t-il de plus normal? C’est l’échine de l’univers.» Et vraiment il faudrait casser les reins du monde pour les supprimer. Physique ou morale, la douleur est inéluctable mais saine. C’est la grande Némésis qui pèse aux épaules des hommes, mais les fait se cambrer plus roide pour la porter. Elle apprend la résignation, mais aussi la victoire qui est la joie. Il faut l’aimer pour la pureté, pour la force qu’elle donne, et aussi, sans doute, pour elle-même, pour la saveur de son amertume.

Car il y a chez M. Romain Rolland un goût ascétique pour la souffrance. Il ne la considère pas seulement comme une expiation et un facteur de l’équilibre universel, le moyen et la nécessité; mais comme un état qui contient sa fin et sa récompense. Il accepte le cilice et la flagellation, un peu pour le plaisir monstrueux de leur blessure. Il dépasse, dans l’austérité et l’idéalisme, le but moral, et l’on sent souvent l’ivresse inquiète des martyrs le posséder.

Par là il revient à ces religions dont il a fait table rase. D’ailleurs, l’esprit humain n’est-il pas emmuré dans des formes immuables de pensée, où chacun s’efforce de couler une matière d’expression nouvelle. M. Romain Rolland divinise la douleur et prêche le culte du sacrifice. L’homme est ramené de force sur la terre, en face de son destin. On lui arrache ses masques et ses appuis. Il prend conscience de sa détresse et comprend qu’il n’y a de recours qu’en lui-même. Il se conquiert par le sacrifice dans la souffrance. Puis lentement, à mesure de sa perfection et de la tension de sa volonté, il domine autour de lui, par la justice et l’énergie. Il sait qu’il n’a rien à espérer de l’au-delà et que son écroulement sera total. Alors il tente de gagner un peu d’éternité, dont il a soif, par la grandeur et la fraternité. Le solitaire touche au triomphe. Il y a de nouveau un Dieu dans le monde: c’est l’Homme.

Tout au cours de ses livres, M. Romain Rolland répandra cette doctrine par verset, par épisode, dans l’histoire et dans le roman, avec sa belle ardeur de missionnaire laïque. C’est un chant qui revient perpétuellement aux basses, grave, pénétrant, et qui donne à l'œuvre la forte assise d’une pensée fondamentale. Qu’importe qu’il y ait dans le détail de ces contradictions qui font la joie des critiques! qu’il ne démontre point mais affirme, pour la plus grande huée des imbéciles! Une théorie vaut une théorie. Il s’agit de nous donner du cœur à vivre, et cet homme s’en charge, en prenant pourtant par le plus rude.

Il n’a guère écrit que des vies héroïques, pour prêcher d’exemple, de Danton à Tolstoï, de Michel-Ange à Jean Christophe; mais il le dit expressément: «Je n’élève point des statues de héros inaccessibles.» Ses héros sont des hommes au grand cœur qui se débattent dans la misère tenace de l’existence. Ils souffrent de la maladie, de l’injustice, de la bêtise, du désespoir. Ils sont à la commune mesure de notre faible humanité, plus découverts même que beaucoup d’entre nous, parce qu’ils ont une plus grande surface de sensibilité à protéger. Et ils combattent comme ils peuvent, les uns avec la force régulière d’une volonté infrangible, les autres par secousses furieuses qui étourdissent momentanément l’adversaire en les brisant de fatigue.

Beethoven souhaitait «que le malheureux se consolât en trouvant un malheureux comme lui, qui, malgré tous les obstacles de la nature, avait fait tout ce qui était en son pouvoir pour devenir un homme digne de ce nom».

M. Romain Rolland a simplement mis en œuvre cette généreuse parole. Aux misérables il a voulu montrer des misérables et la faiblesse des grands aux plus humbles. Il fallait un enseignement général, et que ses héros touchassent du moins par leur vie ceux qu’ils dépassaient par leurs œuvres. Et, d’une main pieusement sacrilège, il a repoussé les anges de la gloire, a soulevé les panneaux des châsses saintes où reposaient les morts illustres, puis a écarté leur vêtement respecté, fendu leur chair, jusqu’à mettre à nu ce cœur où il a fouillé pour y trouver l’écharde.

O toi que le labeur pour le pain quotidien écrase lentement, regarde Berlioz sacrifier du génie à une besogne nourricière! Toi que l’infirmité arrête, songe à Beethoven, le sourd, fuyant l’orchestre où il ne peut même pas rassembler sa musique! Toi qui pâtis de la sottise et de l’envie, vois Hugo Wolf bafoué comme un Christ au prétoire! Toi qui perds ta femme, ton enfant, rappelle-toi Desmoulins et Danton guillotinés presque à la face des leurs! Ici la folie, la mendicité, la haine; là le gouffre de la solitude et des aspirations incomblées; mais partout le courage, toujours la vaillance, le relèvement après la chute, l’espoir après le doute! Regarde, ô malheureux, comment ils se redressaient, ces Antées, chaque fois qu’ils roulaient à terre!

– «Il ruisselle de ces âmes sacrées un torrent de force sereine et de bonté puissante. Sans même qu’il soit besoin d’interroger leurs œuvres, et d’écouter leurs voix, nous lisons dans leurs yeux, dans l’histoire de leur vie, que jamais la vie n’est plus grande, plus féconde, – et plus heureuse, – que dans la peine.»

Mais peut-être que la réalisation n’atteint pas à la hauteur des conceptions évangéliques chez M. Romain Rolland. Sa passion de la vérité, son impartialité même et la manie du document l’entraînent parfois dans les voies banales de l’histoire. Où il y avait un poème épique de la souffrance à bâtir, amorcé dans sa préface, et préparé par l’ampleur simple de la division, avec ce Michel-Ange, le sculpteur de montagne, il s’épuise dans le détail, la note, il s’éparpille dans les miettes et les références au point d’écrire deux livres: l’un en texte, l’autre en marge.

Son Beethoven, seul, échappe à peu près à cette manière et y gagne en fermeté et en émotion. C’est moins «du travail» et plus une œuvre d’art. S’il manque un peu de ce lyrisme dans la joie et la détresse qui souleva toujours l'âme athlétique du musicien, il forme, du moins, un ensemble, un bloc, comme le masque aux modelés trapus qui hante le monde. Le Michel-Ange est plus dispersé, et quant au Tolstoï ce n’est qu’un commentaire fidèle et souple, coulé tout au long de la pensée montueuse du grand Russe.

Ainsi en est-il des études sur les musiciens. Contraint, sans doute, par des habitudes de Sorbonne, M. Romain Rolland accable certains livres sous une érudition de classeur dont il devait dégager l'œuvre. A quoi bon nous montrer les charpentes, les croisillons et les rivets où notre attention et sa force s’égarent? Pourquoi accumuler les obstacles devant sa sensibilité si vive quand elle est libre? Chacune de ses pages a des fondations à découvert.

En vérité, pour construire des figures, petites ou monumentales, il faut les avoir étudiées à fond en elles-mêmes et dans leurs entours; mais ce n’est pas une raison pour employer tous les matériaux. L’esprit fouilleur et implacable de M. Romain Rolland ne nous fait pas grâce des disputes de Buonarotti avec ses servantes. Il y a des moments où ses grands hommes fléchissent jusqu’à être moins que des hommes: d’énormes ratés, des déséquilibrés remarquables.

Certes, le feu sacré brûle toujours au centre d’eux-mêmes, tantôt déployé en incendie par la bourrasque d’une passion, tantôt retiré sous la cendre et rongeant en profondeur. Ces héros sont la proie du génie comme le commun est la proie de l’amour. Ils ont la face humaine et la face géniale. La première est souvent misérable, toujours douloureuse, parfois grimaçante; la seconde est sublime.

Nous avions admiré celle-ci dans les œuvres; celle-là nous fut révélée par M. Romain Rolland. Déjà nous puisions une force abondante à la lumière de ces phares, maintenant que nous savons comment ils sont construits et tiennent contre la mer, nous aurons double courage.

C’est, d’ailleurs, pour une part, un courage négatif: une aptitude à la résignation, à la résistance. M. Romain Rolland est un historien sombre qui retourne, comme un terreau profitable, la misère humaine. Il y a toujours le nuage de la vérité autour de ses enthousiasmes, et Tolstoï le dit: «La vérité est horrible.»

Sa morale n’est pas joyeuse, ses conceptions sont austères, puritaines; il n’a pas la philosophie ensoleillée et païenne d’instinct des hommes vigoureux. Quand il porte ce jugement parfait: «La grande division de l’humanité est celle des gens bien portants et de ceux qui ne le sont point», on le sent du côté de ces derniers. Il a enfoncé, volontairement, ses théories, comme des pilotis, dans la couche molle des hantises de la mort et des dégoûts qui stagnait tout au fond de lui. C’est un désespéré qui se cramponne et appelle à l’aide d’autres malheureux. «On ne fait pas ce qu’on veut, dit son Gottfried. On veut et on vit: cela fait deux… Il faut faire ce qu’on peut… Un héros, c’est celui qui fait ce qu’il peut. Les autres ne le font pas.»

L’antique fatalisme religieux est là, avec ce qu’il comporte d’abdication. Nous savons que nous sommes vaincus d’avance, – mais nous voulons rester debout, face à l’ennemi. «L’instinct de faiblesse», dont s’irrita Nietzsche, reparaît et cherche son appui dans lui-même, en s’admettant, et se haussant à la taille d’une vertu. M. Romain Rolland porte bien, sous des apparences énergiques, la marque de son époque anémiée par le découragement de la défaite matérielle et morale. Il n’a que la volonté de vivre dans le malheur; il n’a pas naturellement la joie de vivre, malgré le malheur, pour la création, pour l’éternité de la vie, pour le soleil.

C’est là le point de départ dont il a parfaitement pris conscience. Il connut en lui-même toute sa génération, et, dès lors, entreprit et poursuivit cette œuvre tonique qui est Jean-Christophe. Elle paraissait après les vies héroïques, après le théâtre du peuple, mais, pétrie des mêmes idées, poussée par le même effort utilitaire, elle formait la suite logique des volumes précédents et s’ajoutait à eux comme des tomes successifs. La boule de neige grossissait au flanc de la montagne, s’incrustant au passage des cailloux, des branches, des épaves, de plus en plus durcie, de plus en plus massive, et les hommes de la vallée, le front haut, maintenant, la regardaient venir.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
11 ağustos 2017
Hacim:
70 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
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