Kitabı oku: «Les derniers iroquois», sayfa 11
Le jeune homme marchait d’un pas ferme, sa contenance était digne.
En l’apercevant, Léonie, qui l’avait cru mort, ne put retenir un cri de joie.
– Ma fille, lui dit madame de Repentigny en essayant de sourire, je voudrais être seule quelques instants. Va te reposer!
Après un long baiser, Léonie sortit.
– Marthe, dit alors la malade, à sa femme de chambre, je sens que je me meurs; cours chercher M. le curé, mais que l’enfant l’ignore.
Pendant ce temps, un domestique annonçait à mademoiselle de Repentigny qu’un officier anglais désirait l’entretenir dans le parloir.
Elle y descendit.
– Je vous demande mille pardons de vous déranger, mademoiselle, lui dit cet officier; j’ai appris le triste état de madame votre mère et je voudrais pour tout au monde ne vous causer aucun trouble. Mais les lois de la guerre sont inflexibles. On m’a commandé de renfermer, pour jusqu’à demain, dans votre maison, plusieurs prisonniers, et quoi qu’il m’en coûte, j’obéis à ma consigne. Veuillez être assurée, du reste, qu’on ne fera aucun bruit.
– Je crains, dit Léonie, que nous n’ayons pas de chambres assez vastes.
– Qu’à cela ne tienne, mademoiselle. Il y a près de votre parc une basse-cour dont les murs sont élevés; c’est assez bon pour des misérables dont le bourreau fera bientôt justice…
Un frisson glacial figea le sang de la jeune fille dans ses veines.
– Disposez-en comme il vous plaira, monsieur, balbutia-t-elle; mais excusez-moi… la maladie de ma mère…
Des larmes lui coupèrent la parole.
Elle sortit du parloir. Cependant, au lieu de remonter à sa chambre, elle entra dans une petite serre attenant à la salle à manger, et appela:
– Antoine!
Un jeune homme parut:
– Écoute, lui dit-elle d’une voix brève et palpitante, tu es mon frère de lait; j’ai confiance en toi. Tu ne me tromperas pas, n’est-ce pas vrai, car tu m’aimes? Un Indien m’a sauvé la vie, dans la catastrophe du Montréalais, tu le sais. Cet indien est prisonnier parmi ceux qu’on nous amène. Il faut le délivrer. Tu le délivreras, n’est-ce pas?
– Je ferai tout ce que vous voudrez, ma chère sœur, mais le moyen?
– Le moyen? Il y en a un. On enfermera les captifs dans la basse-cour. Ils n’y sont pas encore. Glisse-toi parmi eux. Dis un mot à l’Indien. Passe-lui un couteau. Il fait presque nuit. La chose n’est pas impossible. Tu porteras la clef de la basse-cour au commandant de détachement qui conduit ces pauvres gens. On ne se défiera pas de toi. Puis tu offriras du vin aux soldats, et, dans la nuit, quand ils seront ivres, tu ouvriras la porte de la basse-cour, qui donne sur le parc; m’as-tu comprise?
– Oui, oui, oui, soyez tranquille, votre protégé s’évadera ou je perds mon nom.
– Dépêche-toi, j’attendrai le résultat dans ma chambre.
Antoine partit.
Nous renonçons à peindre l’anxiété dont Léonie fut dévorée pendant les cinq heures qui s’écoulèrent jusqu’à son retour.
– C’est fait, dit-il; il est échappé.
La jeune fille se prosterna pour rendre grâces à Dieu; puis, se relevant, elle alla, sur la pointe du pied, souhaiter le bonsoir à sa mère, avant de se coucher.
Le silence général régnait dans la chambre, faiblement éclairée par une veilleuse.
Léonie crut que madame de Repentigny dormait.
Elle se pencha sur le lit pour effleurer son front.
Ce front était froid comme un marbre.
– Ah! je suis maudite! s’écria la jeune fille en se redressant tout d’un coup, comme si elle eût été mue par un ressort; je suis maudite; j’ai un instant oublié ma mère, et ma mère est morte sans me donner sa bénédiction!
Et elle tomba à la renverse.
XVII. Drame
Dans une salle basse, voûtée, aux fenêtres ogivales, aux murs blanchis à la chaux, plusieurs personnages assis entourent une table.
Ils sont diversement vêtus de costumes mi-parties civils, mi-parties militaires.
Des sabres pendent à leur côté, des pistolets à leur ceinture; quelques-uns portent l’uniforme en drap foncé de la milice canadienne.
Il y a là Poignet-d’Acier, qui domine par sa taille, Xavier Cherrier et sa femme habillée en homme, le docteur Chénier, Armury Girod, Suisse d’origine, et quelques autres.
On est au 13 décembre. Il fait nuit, un grand feu pétille dans l’âtre de la salle et efface, par ses clartés brillantes, la lueur terne d’une lampe qui brûle tristement sur la table.
Au dehors, le vent pousse des gémissements lamentables, ébranle les croisées, et, s’introduisant par rafales dans la cheminée, chasse jusqu’au milieu de la pièce des tourbillons de flamme et de fumée.
Sombre nuit que celle-là; plus sombres sont les figures des gens qui discutent, à cette heure, dans le couvent de Saint-Eustache.
Car c’est à Saint-Eustache que nous sommes, à sept lieues environ de Montréal, de l’autre côté du Saint-Laurent, sur la rive septentrionale de l’Outaouais, vis à vis de l’île Jésus.
Un homme entre dans la salle. À sa soutane, à son air grave, recueilli, vous reconnaîtriez un ecclésiastique. Il est prêtre, en effet, curé de Saint-Eustache; on le nomme messire Paquin.
À sa vue Poignet-d’Acier fronce le sourcil.
– Que venez-vous faire ici, monsieur? dit-il durement.
– Je viens, répondit messire Paquin, d’une voix douce et ferme, engager des hommes égarés à cesser une lutte dangereuse qui est pour le pays une source de deuil, de désolation…
– C’est assez, monsieur, reprit Poignet-d’Acier; vos conseils sont superflus.
– Mais, monsieur, vous ne songez donc pas aux veuves, aux orphelins, à tous ces malheureux que votre folle témérité a plongé dans les larmes et l’affliction? Vous ne pensez donc pas à Dieu qui vous voit, qui vous juge…
Le capitaine poussa un éclat de rire démoniaque.
– Oui, qui vous juge et qui vous condamne! poursuivit le prêtre avec une énergie croissante. Il vous condamne, ce Dieu tout-puissant! Il frappe les insensés qui ont allumé le brandon de la guerre civile; car ils viennent d’essuyer une sanglante défaite!
– Vous mentez! s’écria Poignet-d’Acier d’un ton cassant.
Et il se leva, marcha sur le curé.
– Arrêtez! arrêtez! dirent les assistants en se levant à leur tour.
– Laissez cet homme! laissez-le! dit l’ecclésiastique, sans s’émouvoir. La fureur l’aveugle. Mais il ouvrira les yeux. Qu’importe qu’il me batte, pourvu qu’ensuite il rentre en lui-même, qu’il cesse de vous conduire à l’abîme!
– Mais qu’y a-t-il? demanda le docteur Chénier.
– Il y a, mon fils, une nouvelle affreuse. Les royalistes ont écrasé votre parti à Saint-Charles, le 25 novembre!
– Cela n’est pas; cela n’est pas! intervint Poignet-d’Acier; cela n’est pas; fausseté que votre langage, prêtre! fausseté, puisque, le 22, le brave Neilson déroutait les Anglais devant Saint-Denis!
– Votre violence ne m’intimidera point, répondit avec calme messire Paquin. Ce que je vous dis est vrai. Le colonel Wetherell a défait les Canadiens à Saint-Denis. Il leur a tué plus de cent hommes, cent pères de famille, monsieur, et le village ne présente plus aujourd’hui qu’un monceau de décombres fumants! Puisse le ciel vous pardonner! Mais tous ces pauvres gens privés de leurs foyers; toutes ces femmes privées de leurs maris, de leurs enfants; tous ces infortunés privés de leur soutien vous pardonneront-ils?
Ces paroles répandirent la consternation parmi les auditeurs. Des larmes coulèrent sur les joues du docteur Chénier; cependant il répliqua avec la fermeté d’une conviction inébranlable:
– Les rapports que nous avons reçus du comté de Richelieu ne s’accordent pas avec les vôtres, monsieur le curé. Y fussent-ils conformes, que ma résolution ne changerait pas. Investi du commandement de ce village, j’y vaincrai ou je m’ensevelirai sous ses ruines.
– Bien parlé, mon ami; bien parlé! dit Poignet-d’Acier en serrant chaleureusement la main du docteur.
– Oui, bien dit, votre réponse est d’un grand cœur! ajouta la femme de Cherrier, qui, depuis le commencement des troubles, avait senti renaître en elle l’ardeur martiale qu’elle avait puisée au milieu des tribus indiennes du désert américain, alors que, sous le nom de Mérellum, la Petite-Hirondelle[58], elle exerçait une autorité souveraine sur les Clallomes.
Xavier approuva par un regard l’exclamation de Louise.
Et aussitôt les assistants, magnétisés par cet accès d’enthousiasme, se jetèrent dans les bras les uns des autres en prononçant ce noble serment:
– Oui, nous jurons ici de triompher de nos oppresseurs ou de mourir en combattant!
– Oh! les aveugles! les misérables aveugles! proféra l’ecclésiastique, élevant les mains et les joignant avec une expression désespérée.
Puis il se retira, au moment même où deux Indiens pénétraient dans la salle.
C’était Co-lo-mo-o et Nar-go-tou-ké.
– Ah! enfin, nous allons être édifiés sur la valeur de ces bruits absurdes, dit Poignet-d’Acier, courant à la rencontre des Iroquois.
– Que s’est-il passé à Saint-Charles, mon jeune Aigle?
– Les Habits-Rouges ont eu le dessus.
– Vous y étiez, n’est-ce pas?
– J’y étais.
– Et ils ont vaincu?
– Oui, parce que le chef nous a abandonnés.
– Ah! ce Brown, je m’en doutais! répliqua amèrement Poignet-d’Acier. Pourquoi aussi tous les postes importants n’ont-ils pas été confiés à des Canadiens-français?
– Hélas! notre trop grande confiance nous a toujours perdus! murmura Chénier.
– Donnez-nous des détails, reprit le capitaine.
Co-lo-mo-o raconta ce qui avait eu lieu, le 25 novembre à Saint-Charles, mais sans dire qu’il était tombé au pouvoir des vainqueurs.
– Où pensez-vous que soient maintenant MM. Papineau et Neilson? s’enquit Chénier.
– Le premier, répondit le Petit-Aigle, doit être réfugié aux États-Unis; quant au second, je crois qu’il a été pris sur la frontière et ramené à Montréal.
– Alors, c’en est fait de nous! s’écria Chénier, se laissant tomber sur son siège et enfouissant sa tête dans ses mains.
– Non, non, ce n’est pas fini! dit Poignet-d’Acier, Neilson, malgré son courage, malgré son dévouement, est encore de la race maudite. Pour moi, son arrestation ne m’inquiète guère. Mais je suis heureux d’apprendre que Papineau est aux États-Unis. Plus que jamais nous devons résister, car il ne tardera guère à reparaître sur les bords du Saint-Laurent avec une puissante armée américaine. Soyez assurés, mes amis, que si nous pouvons tenir encore huit jours, il nous arrivera de la République fédérale des secours effectifs, avec lesquels nous réparerons promptement le petit échec de Saint-Charles. Ne vous découragez donc pas. Plus nos infâmes ennemis massacreront, saccageront, brûleront nos campagnes, plus ils feront de victimes, plus ils se rendront odieux, plus ils soulèveront contre eux les autres nations du monde!
Ce discours fait d’une voix mâle et persuasive, produisit l’effet qu’en attendait le capitaine.
Il ranima l’espérance dans le cœur des insurgés, qui le saluèrent par des bravos enthousiastes.
Quand le silence se fut rétabli, Poignet-d’Acier dit à Co-lo-mo-o:
– Vous amenez sans doute vos Hurons?
– Non, reprit le jeune homme en secouant la tête. Mécontents des délibérations prises à l’assemblée de Saint-Charles, ils sont partis pour la plupart et retournés à Lorette.
– Alors vous êtes seul!
– Seul avec mon père.
Nar-go-tou-ké prit la parole.
– J’ai travaillé, pour mes frères, dit-il. Les Indiens de l’Outaouais m’ont donné vingt-cinq guerriers, autant de fusils et un canon. Les guerriers et les armes sont là dans la cour.
– Merci, mon frère, lui dit Chénier, nous récompenserons tes services.
Nar-go-tou-ké n’a pas besoin de récompense, répliqua sèchement l’Iroquois.
– Que signifie ce bruit? interrogea Louise en dirigeant ses regards vers la porte qui s’ouvrit brusquement.
Une dizaine de paysans armées entrèrent.
Au milieu d’eux trottinait un homme rabougri, bancal.
– Voici un espion, docteur, dit un des paysans, en s’adressant à Chénier.
Co-lo-mo-o sourit imperceptiblement.
– Un brigand d’espion, baptême! poursuivit le paysan. Mais impossible de lui faire desserrer les dents. Nous l’avons roué de coups, sans y parvenir.
– Et vous avez tort, Pierre, dit Chénier, car ce nain est sourd-muet.
– Ah! exclamèrent en chœur les gardiens de Jean-Baptiste, qui s’était mis à échanger des signes avec Co-lo-mo-o et Nar-go-tou-ké.
– Ordonnez à ces gens de sortir, monsieur, dit le Petit-Aigle à Chénier.
– C’est bien, mes amis, allez! fit le docteur aux paysans qui évacuèrent la salle, en y laissant le nain.
– Mon père et moi, dit alors Co-lo-mo-o, nous répondons de cet homme. Il arrive de Montréal, et nous annonce qu’une troupe nombreuse d’Anglais est en marche vers ce village.
À cet instant un rire singulier glissa sur le visage de Nar-go-tou-ké, qui continuait avec Jean-Baptiste une conversation mimique.
– Pourquoi ce sauvage rit-il? interrogea sévèrement Chénier.
– Mon père rit, parce que le nain lui apprend qu’un officier anglais, son ennemi personnel, fait partie du corps d’expédition.
– Ah! dit Poignet-d’Acier, si l’ennemi personnel de Nar-go-tou-ké se trouve dans le détachement qu’on lance contre nous, malheur à ce détachement!… le vaillant chef iroquois, – le dernier avec son fils de cette noble tribu, messieurs, – fera un terrible carnage des Kingsors, comme il appelle les sujets de la Grande-Bretagne.
– Ainsi, dit Chénier, nous pouvons compter sur ce que rapporte cet individu?
– Oui, répondit Co-lo-mo-o.
– Alors, messieurs, il faut prendre nos mesures, faire battre la générale. Il est minuit. Les royalistes paraîtront de bonne heure dans la matinée! Prouvons-leur que nous sommes encore les dignes enfants de la France!
Pendant que le docteur Chénier et ses compagnons quittaient la salle et allaient donner ordres, Co-lo-mo-o continua de questionner Jean-Baptiste.
Bientôt il sut que sir William Colborne, commandant en chef des troupes anglaises et surnommé plus tard le Vieux-brûlot à cause des incendies dont il couvrit le Bas-Canada, était parti, le matin même, de Montréal avec deux mille hommes, huit pièces de canon et un obusier, pour envahir le comté des Deux-Montagnes.
Cette force était composées de soldats de la ligne, d’un corps de volontaires, Canadiens dégénérés qui trahirent le drapeau de leur pays pour celui d’Albion, et d’une centaine de cavaliers.
Le 32e régiment, où sir William King servait comme lieutenant, figurait dans l’effectif de cette armée.
Dans la soirée, elle campa sur le bord méridional de l’Outaouais.
Le 14, dès l’aurore, elle traversa la rivière.
Il avait neigé une partie de la nuit. Mais alors le temps était froid, clair et sec.
Le passage de l’Outaouais se fit au moyen de bateaux.
Aussitôt que les insurgés, réunis au nombre de cinq ou six cents devant le couvent, le presbytère et l’église de Saint-Eustache, aperçurent cette longue «colonne, d’autant plus imposante qu’elle couvrait avec ses bagages plus de deux milles d’espace», ils furent saisis d’une panique invincible, et se débandèrent.
Épouvanté, Girod se sauva avec un grand nombre.
Poignet-d’Acier se tenait devant la rivière avec cent hommes déterminés, parfaitement armés, tireurs des plus habiles, et qui pouvaient opposer au débarquement des Anglais une barrière inexpugnable. Mais ces hommes, tous trappeurs, qui avaient vieilli avec leur capitaine dans le désert américain, ne reconnaissaient d’autre chef que lui, ne voulaient recevoir des ordres de personne autre.
L’œil sanglant, le visage coloré, souriant, Poignet-d’Acier, l’ex-notaire de Montréal, savourait déjà par anticipation cette vengeance qu’il avait attendue, cultivée et mûrie pendant de si longues années; ses regards étaient rivés aux embarcations qui approchaient lentement de la grève; sa main droite frémissait d’impatience en tourmentant la poignée d’un sabre qu’il se disposait à dresser en l’air comme signal du combat, lorsqu’un éclair brilla dans les rangs anglais, la détonation d’une arme à feu se fit entendre, et Poignet-d’Acier tomba le cou percé d’une balle.
Aussitôt ses hommes l’entourèrent. Il voulut parler, ne le put; commander de rester, de lutter; effort inutile! Il s’évanouit.
Et les trappeurs nord-ouestiers, tournant le dos à l’ennemi, se retirèrent froidement en emportant leur capitaine avec eux.
À peine restait-il deux cent cinquante hommes auprès de Chénier.
– Fuyons, dirent quelques-uns.
– Quoi! vous aussi m’abandonneriez!
– Mais nous n’avons pas d’armes.
– Soyez tranquilles, répondit flegmatiquement l’intrépide docteur; il y aura du monde de tué aujourd’hui. Vous ramasserez les fusils des morts[59].
Cette réponse électrisa Cherrier.
– Ah! Chénier, lui dit-il, vous étiez né pour manier l’épée plutôt que la lancette.
– Mon ami, repartit l’autre, je ne comprendrais pas qu’on manquât de courage, quand on voit une femme jeune et belle comme la vôtre affronter en souriant les balles de l’ennemi. Mais, attention, voilà le branle-bas qui commence!
– Un baiser encore, avant de courir au feu, ma Louise chérie, dit Xavier.
Et, au bruit du l’artillerie, à travers la mitraille qui déjà impitoyablement fauchait autour d’eux, Xavier embrassa sa femme avec une tendresse idolâtre.
– En avant! citoyens, en avant! tonna la voix de Chénier.
Les patriotes se ruèrent sur les batteries anglaises en chantant l’hymne de Charles VI:
Guerre aux tyrans!
Jamais, jamais en France!
Jamais l’Anglais…
Repoussés, avec des pertes considérables, par deux décharges successives, ils revinrent une troisième fois à l’attaque, et forcèrent les artilleurs à reculer.
Mais alors, sir John Colborne donna l’ordre au 32e régiment d’appuyer ses batteries.
Cet ordre fut aussitôt exécuté.
Sir William King, l’épée nue, le front haut, se jeta bravement à la tête de sa compagnie en murmurant:
– Tiens, ce Cherrier ici… Charmant, très charmant, en vérité! Je vais lui donner sa revanche… Mais, by Jove, ne me trompé-je pas? C’est sa femme que j’aperçois près de lui… un joli, très joli militaire, sur ma foi! Ah! la fête sera ravissante, extrêmement ravissante! Mais, comme elle joue du sabre, la petite dame! Parole d’honneur, j’en suis émerveillé… Ah!
Un coup de couteau en pleine poitrine arracha ce cri au sous-lieutenant.
Il l’avait à peine exhalé, qu’un bras vigoureux le renversait à terre; un homme, un démon à forme humaine, lui plantait son genou sur le ventre, lui tranchait la tête en un clin d’œil, et le houp de guerre indien retentissait par-dessus le fracas de la bataille.
Si rapides furent ces divers mouvements, que, dans l’ivresse du combat, les soldats de sir William ne le remarquèrent point.
Le meurtrier se releva, la tête de sa victime à la main, et se tourna vers Co-lo-mo-o, qui, tenant un fusil par le bout du canon, s’en servait comme d’une massue, et faisait de larges trouées dans les bataillons anglais.
– Que le Petit-Aigle, s’écria-t-il, apprenne, par l’exemple de Nar-go-tou-ké, à venger les injures infligées à sa race! Le père de ce chien a fait mutiler Ni-a-pa-ah, ma femme, et moi, voilà ce que je fais de l’un des siens!
Il cracha à la face de la tête sanglante qu’il agitait en l’air, et la lança au front d’une compagnie de Volontaires, qui fondit sur lui, le larda sur-le-champ avec ses sabres, le cribla de balles, et le foula aux pieds de ses chevaux, en chargeant les insurgés.
Car ceux-ci pliaient sous le nombre.
Ni les prodiges de valeur accomplis par le docteur Chénier, Cherrier et sa femme; ni les efforts inouïs de Co-lo-mo-o; ni la bravoure des assaillis ne pouvaient longtemps résister à deux mille hommes disciplinés, pourvus d’armes en excellent état et de munitions abondantes, tandis qu’eux étaient mal équipés pour la plupart et obligés de faire usage de cailloux arrondis en guise de plomb.
Pressés par l’ennemi, ils se réfugièrent dans l’église et continuèrent désespérément la défense.
Les troupes y mirent le feu.
Bientôt des torrents de flammes et de fumée envahirent l’enceinte du temple.
Les assiégés n’ont plus de poudre; mais le courage leur reste; ils montent au clocher; une grêle de pierres tombe sur les assiégeants.
– Il faut les enfumer comme des renards! hurle sir John Colborne, aux portes du lieu saint.
L’incendie gagne du terrain. Le clocher est enveloppé par ses langues ardentes.
– La charpente s’écroule! crie une voix.
C’est un sauve-qui-peut général.
On s’élance aux fenêtres; on se foule; on se précipite dans le cimetière.
Chénier, Cherrier, Louise, Co-lo-mo-o y parviennent avec une cinquantaine d’autres.
Mais là, devant eux, se dresse un rempart de baïonnettes.
Cent coups de fusil les reçoivent.
Le docteur Chénier est frappé à mort.