Kitabı oku: «La corde au cou», sayfa 34
– Comment cela?
– Dame! Je ne sais que ce que mademoiselle a raconté…
– Répétez-le-moi.
– Ah! c'est très singulier. Lorsque ce monsieur que je viens de reconnaître a sonné à notre porte, mademoiselle Marthe, quiétait couchée, s'est levée et est allée se mettre à la fenêtre, pour regarder qui c'était. Elle m'a vue aller ouvrir, une bougie à la main, et revenir suivie du monsieur. Elle allait regagner son lit quand il lui sembla voir une des statues du jardin remuer et se mettre à marcher. Tout ce qu'on a pu lui dire n'a servi à rien… Elle affirme qu'elle ne s'est pas trompée, qu'elle a bien vu cette statue s'avancer doucement le long de l'allée et venir se placer tout contre l'arbre le plus rapproché du salon.
Cheminot triomphait:
– C'était moi! s'écria-t-il.
La bonne le regarda, et, sans trop de surprise:
– C'est bien possible, fit-elle.
– Qu'en savez-vous? interrogea M. Daubigeon.
– Je sais que ce doitêtre un homme qui s'était introduit dans le jardin, qui a fait tant de peur à mademoiselle Marthe, et voici pourquoi: monsieur Seignebos, en se retirant, a laissé tomber une pièce de cinq francs, qui est allée rouler juste au pied de l'arbre où mademoiselle dit avoir vu la statue. Le valet de chambre qui accompagnait le médecin l'a aidé à retrouver sa pièce et, en l'éclairant, il a très bien vu à terre des empreintes de souliers ferrés…
– Les empreintes de mes souliers, interrompit Cheminot. (Et s'asseyant et levant les jambes): Regardez plutôt mes semelles, monsieur le juge, disait-il, regardez si les clous y manquent…
Mais l'opinion du procureur de la Républiqueétait faite.
– Il suffit, dit-il au vagabond, je vous crois… (Et à la femme de chambre): Et vous, ma fille, savez-vous si, à la suite de ces scènes, il n'y a pas eu d'explication entre monsieur et madame de Claudieuse?
– Je l'ignore. Seulement madame et monsieur n'étaient plus du tout ensemble comme avant.
Elle ne savait rien de plus. Après lui avoir fait signer le procès-verbal de son interrogatoire, M. Daubigeon la congédia. (Puis s'adressant à Cheminot): On va vous conduire en prison, lui dit-il. Mais vousêtes un brave garçon, et vous pouvezêtre sans inquiétudes. Allez!
Le procureur de la République et le juge d'instruction restaient seuls, puisqu'il est entendu que le greffier n'existe pas.
– Eh bien! commença M. Daubigeon, que dites-vous de cela?
M. Davelineétait atterré.
– C'est à confondre l'esprit! murmura-t-il.
– Commencez-vous à croire que maître Folgat avait raison, et que l'affaire n'était pas aussi claire que vous le prétendiez!
– Eh! qui ne s'y fût trompé comme moi! Vous même, à un moment, n'avez-vous pasété de mon avis… Et cependant, si Jacques de Boiscoran et madame de Claudieuse sont innocents, qui donc est coupable?…
– C'est ce que nous saurons bientôt, car je suis fermement résolu à ne pas goûter un instant de repos avant d'avoir faitéclater la vérité! Quel bonheur que des vices de forme frappent le jugement de nullité… (Ilétait tellementému qu'il oubliait seséternelles citations. S'adressant au greffier): Mais il n'y a pas une minute à perdre, reprit-il. Prenez vos jambes à votre cou, mon cher Méchinet, et courez prier maître Folgat de passer au parquet. Je l'attends…
3. Lorsqu'en quittant la comtesse de Claudieuse…
Lorsqu'en quittant la comtesse de Claudieuse, Mlle de Chandoré rejoignit les parents et les amis de Jacques:
– Maintenant, oui, leur dit-elle, rayonnante d'espoir, maintenant nous l'emportons.
Son grand-père et le marquis de Boiscoran la pressaient de s'expliquer, elle refusa de rien dire, et ce n'est que plus tard, dans la soirée, qu'elle avoua à maître Folgat ce qu'elle avait obtenu, et comment ilétait plus que probable que le comte, avant de mourir, reviendrait sur sa déposition.
– Cela seul sauverait Jacques, déclara le jeune avocat.
Mais cette espérance luiétait un nouvel encouragement à redoubler d'efforts, et, tout brisé qu'il fût desémotions et des luttes de l'audience, il passa la nuit dans le cabinet de grand-père Chandoré à rédiger, de concert avec maître Magloire, la requête où il exposait les causes de nullité du jugement. N'ayant achevé que lorsqu'il faisait déjà grand jour, il ne voulut pas se coucher, et c'est sur un fauteuil qu'il s'établit, pour prendre quelques heures de repos. Il n'y avait pas une heure qu'il dormait lorsqu'il fut réveillé par le vieil Antoine, lequel venait lui annoncer qu'il y avait en bas un inconnu qui demandait instamment à lui parler.
Tout en se frottant les yeux, il descendit et, arrivé dans le corridor, il se trouva en face d'un homme d'une cinquantaine d'années, de mise passablement suspecte, portant moustache et barbiche, et vêtu de ce pantalon large et de cette redingoteétroite qu'affectionnent les anciens militaires.
– Vousêtes maître Folgat? lui demanda cet individu.
– Oui.
– Eh bien, moi, je suis l'agent que l'ami Goudar avait expédié en Angleterre…
Le jeune avocat tressauta.
– De quand, ici?
– De ce matin, par l'express. Vingt-quatre heures trop tard, je le sais, je l'ai appris par un journal que j'ai acheté à la gare… Monsieur de Boiscoran est condamné. Et cependant, je vous jure que je n'ai pas perdu une minute et que j'ai bien gagné la prime qui m'avaitété promise en cas de succès…
– Vous avez donc réussi?
– Naturellement. Ne vous disais-je pas dans ma lettre de Jersey que j'étais sûr de mon fait?…
– Vous avez retrouvé Suky?
– Vingt-quatre heures après vous avoirécrit, dans un public-house de Bouly-Bay… Elle ne voulait pas venir, la mâtine!
– Vous l'avez amenée…
– Parbleu! Elle est à l'Hôtel de France, où je l'ai déposée avant de venir vous demander.
– Sait-elle quelque chose?
– Tout.
– Courez me la chercher…
Depuis le temps qu'il espérait ce succès, maître Folgat s'était préparé à en tirer tout le parti possible. Dans un album de Mlle Denise, il avait, au milieu d'une trentaine de photographies, glissé le portrait de Mme de Claudieuse. Il alla chercher cet album, et il venait de le poser sur la table du salon quand l'agent reparut, suivi de sa capture.
Suky avaitété fort exactement dépeinte par le garçon traiteur de la rue des Vignes. C'était une grande diablesse d'une quarantaine d'années, aux traits durs, aux manières hommasses, habillée avec cette prétention si comique des Anglaises des basses classes qui peuvent disposer de quelque argent.
Interrogée par maître Folgat:
– Je suis restée quatre ans rue des Vignes, répondit-elle en français très compréhensible, bien qu'avec un déplorable accent, et j'y serais encore sans la guerre. Dès les premiers jours que j'y fus placée, je reconnus que j'étais la gardienne d'une maison où des amoureux se donnaient rendez-vous. Cela ne me convenait pas trop, parce qu'on a son amour-propre, n'est-ce pas; mais la placeétait bonne, je n'avais rien à faire; bref, je restai. Cependant mes patrons se défiaient de moi, je le voyais bien… Quand ils devaient se rencontrer, monsieur m'envoyait en course à Versailles, à Saint-Germain, à Orléans même… Cela me blessait si fort que je résolus de découvrir ce qu'on me cachait… Je n'y eus pas beaucoup de peine, et dès la semaine suivante je savais que monsieur ne s'appelait pas plus sir Burnett que moi, et que c'était là un nom de guerre qu'il avait emprunté à un de ses amis.
– Comment vous yêtes-vous prise?
– Oh! bien simplement. Un jour que monsieur s'en allait à pied, je le suivis et je le vis entrer dans un hôtel de la rue de l'Université. En face, des domestiques causaient sur une porte; je leur demandai quiétait ce monsieur, et ils me répondirent que c'était le fils du marquis de Boiscoran.
– Voilà pour votre patron.
Mais la visiteuse… Suky Wood souriait.
– Pour la dame, répondit-elle, je fis exactement la même chose… Il me fallut du temps, par exemple, et de la patience, parce qu'elle prenait des précautions incroyables, et j'ai perdu plus d'un après-midi à la guetter. Mais plus elle se cachait, plus j'avais envie de savoir, comme de juste… Enfin, un soir qu'elle quitta la maison en voiture, je pris un fiacre, moi aussi, et je la suivis… C'est rue de la Ferme-des-Mathurins qu'elle se fit conduire. Le lendemain, je vins aux informations chez les concierges, sous prétexte de demander une place, et j'appris que cette dameétait mariée en province, qu'elle venait tous les ans passer un mois chez ses parents, et qu'elle s'appelait la comtesse de Claudieuse…
Et Jacques qui prétendait, qui soutenait que Suky ne devait rien, ne pouvait rien savoir!
– Mais l'avez-vous vue, cette dame? interrogea maître Folgat.
– Comme je vous vois.
– La reconnaîtriez-vous?
– Entre mille.
– Et si l'on vous montrait son portrait?
– Je ne m'y tromperais pas.
Maître Folgat lui tendit l'album.
– Eh bien! cherchez, dit-il.
Ce fut l'affaire d'une minute.
– La voilà! s'écria Suky en mettant le doigt sur la photographie de Mme de Claudieuse.
Il n'y avait plus à douter.
– Seulement, reprit le jeune avocat, il faudrait, miss Suky, répéter devant la justice tout ce que vous venez de dire.
– Je le répéterai volontiers, puisque c'est la vérité.
– Celaétant, on va vous chercher un logement, et vous y resterez à notre disposition. Soyez sans crainte, vous ne manquerez de rien, et l'on vous payera des gages comme si vousétiez en place.
Maître Folgat n'eut pas le temps d'en dire davantage, le docteur Seignebos entrait comme un coup de vent, en criant à pleine voix:
– Victoire! cette fois. Victoire complète!
Mais il ne pouvait parler devant Suky Wood et l'agent. Il les congédia sans plus de façon, et dès qu'ils furent dehors:
– Je sors de l'hôpital, dit-ilà maître Folgat. J'ai vu Goudar. Il a réussi, il a fait parler Cocoleu…
– Qu'a-t-il dit?
– Ce que je savais bien qu'il dirait, si l'on parvenait à lui délier la langue… Mais vous l'entendrez, car il ne suffit pas que Cocoleu avoue tout à Goudar, il faut qu'il se trouve là des témoins pour recueillir les aveux de ce misérable…
– Devant des témoins, il ne parlera pas…
– Il ne les verra pas, ils resteront cachés, l'endroit est admirablement disposé pour une surprise.
– Et si, une fois les témoins cachés, Cocoleu s'obstine à se taire?
– Point. Goudar a trouvé le secret de le faire jaser quand il veut. Ah! c'est un habile mâtin, et qui sait son métier… Avez-vous confiance en lui?
– Oh! complètement.
– Eh bien, il répond du succès. Venez aujourd'hui même, m'a-t-il dit, entre une heure et deux, avec maître Folgat, le procureur de la République et monsieur Daveline, placez-vous à l'endroit que je vais vous montrer, et laissez-moi faire. Et là-dessus, il m'a fait voir où nous mettre et m'a indiqué comment je lui ferais connaître notre présence.
Maître Folgat n'hésita pas.
– Nous n'avons pas un moment à perdre, dit-il, courons au parquet.
Mais dans le corridor même, le docteur et maître Folgat furent arrêtés par Méchinet, lequel arrivait hors d'haleine, et à demi fou de joie.
– C'est monsieur Daubigeon qui m'envoie vous chercher, leur dit-il, écoutez ce qui arrive…
Et rapidement il les met au fait desévénements de la matinée, du récit de Cheminot et de la déposition de la bonne de Mme de Claudieuse.
– Ah! cette fois, c'est bien le salut! s'écria M. Seignebos.
Maître Folgat pâlissait d'émotion.
– Avant de nouséloigner, proposa-t-il, apprenons ce qui se passe au marquis de Boiscoran et à mademoiselle Denise…
– Non, interrompit le médecin, attendons une certitude. En route, plutôt, en route!
Ils avaient raison de se hâter. Le procureur de la République et le juge d'instruction les attendaient avec une impatience sans nom. Et dès qu'ils entrèrent dans la petite salle du greffe:
– Eh bien! s'écria M. Daubigeon, Méchinet vous a tout dit…
– Oui, répondit maître Folgat, mais nous savons encore autre chose que vous ignorez.
Et il se mit à raconter l'arrivée de Suky Wood et sa déposition.
Écrasé sous tant de preuves de son erreur, M. Galpin-Daveline s'était affaissé sur sa chaise, sans mouvement, sans voix. Mais M. Daubigeonétait radieux.
– Décidément, s'écria-t-il, Jacques est innocent!
– Il l'est sûrement, prononça le docteur Seignebos, et la preuve, c'est que je connais le coupable…
– Oh!…
– Et vous le connaîtrez comme moi, si vous voulez prendre, ainsi que monsieur le juge d'instruction, la peine de me suivre à l'hôpital…
Une heure venait de sonner, et aucun d'eux n'avait rien pris de la journée. Mais c'était bien le moment de songer à déjeuner!
Sans l'ombre d'une hésitation:
– Venez-vous, Daveline? dit simplement le procureur de la République.
Machinalement, avec des mouvements d'automate, le pauvre juge se leva, et ils partirent, laissant le long des rues les gens de Sauveterre stupéfaits de les voir ensemble.
C'est à Mme la supérieure de l'hôpital que M. Daubigeon s'adressa d'abord, et quand il lui eut expliqué ce dont il s'agissait, levant au ciel des yeux résignés:
– Faites, messieurs, répondit-elle, faites, et puissiez-vous réussir, car c'est une lourde croix que ces perpétuelles descentes de justice dans notre paisible maison.
– Suivez-moi donc au quartier des fous, messieurs, dit le docteur.
On appelle le quartier des fous, à l'hôpital de Sauveterre, une petite construction basse, devant laquelle est une cour sablée, entourée d'un mur fortélevé. Cette bâtisse est divisée en six cellules, ayant chacune deux portes, l'une qui donne sur la cour à l'usage des fous, l'autre s'ouvrant à l'extérieur et destinée aux gens de service.
C'est une de ces dernières qu'ouvrit le docteur Seignebos. Et après avoir recommandé le plus religieux silence, car le moindre bruit suspect pouvait réveiller les défiances de Cocoleu, il fit entrer ses compagnons dans une cellule dont la porte, donnant sur la cour, était fermée.
Mais cette porteétait percée d'un large judas grillé d'où, sansêtre vu, on pouvait voir et entendre ce qui se passait et se disait dans la cour.
À moins de deux mètres du judas, sur un banc de bois, étaient assis au soleil Goudar et Cocoleu.
À force d'études et de volonté, le policier avait réussi à donner à son visage une affreuse expression d'hébétude. À ce point que les gens de l'hôpital l'estimaient plus idiot que l'autre. Il tenait son violon qui, sur l'ordre du docteur, lui avaitété laissé, et il s'en accompagnait, tout en répétant cette ronde saintongeoise qu'il chantait le jour où, sur le Marché-Neuf, il avait accosté maître Folgat.
Quand l'ageasson y yut des ailes,
Y s'envolit sur les maisons,
La pibôle!
Y s'envolit sur les maisons,
Pibolon!…
Cocoleu, une large tartine d'une main et un gros couteau de paysan de l'autre, achevait son repas. Mais cette musique le ravissait si fort qu'il en oubliait de manger et, la lèvre pendante, l'œilà demi clos, il se dodelinait en mesure.
– Ils sont hideux! ne put s'empêcher de murmurer maître Folgat.
Cependant Goudar, prévenu par le signal convenu, venait de finir son couplet. Il se pencha et retira de dessous le banc uneénorme bouteille, dont il parut avaler une large lampée. Il passa ensuite la bouteille à Cocoleu, lequelà son tour se mit à boire, avidement, longtemps, et avec une expression de béatitude idiote. Après quoi, se passant la main sur le creux de l'estomac:
– C'est, c'est, c'est… bon! bégaya-t-il.
M. Daubigeon s'était penché à l'oreille du docteur Seignebos.
– Ah! je comprends, maintenant, murmura-t-il, et aux yeux de Cocoleu je vois qu'il y a longtemps déjà que dure cet exercice de bouteille… le misérable est ivre…
Ayant repris son violon, Goudar chantait:
Et des maisons sur uneéglise,
Qu'était l'église d'Avallon,
La pibôle!
Qu'était l'église d'Avallon,
Pibolon!
– À boire!… interrompit Cocoleu.
Après s'être fait un peu prier, Goudar lui tendit la bouteille, et tandis que, la tête renversée, il buvait à perdre la respiration:
– Eh bien, lui dit-il, tu n'avais pas de bon vin comme cela au Valpinson?
– Oh!… si! répondit Cocoleu.
– Mais pas tant que tu voulais?
– Si. Tout mon soûl… (Et riant d'un rireépais): J'en… j'en… j'entrais dans le cellier par une fenêtre, bégaya-t-il, et je… je… je buvais avec une paille…
– Tu dois regretter ce temps-là!
– Oh, oui!
– Seulement, puisque tuétais si bien au Valpinson, pourquoi y as-tu mis le feu?
Pressés autour du guichet de la cellule, les témoins de cette scèneétrange retenaient leur respiration.
– Je… je ne voulais brûler que les fagots, pour faire sortir monsieur le comte, répondit Cocoleu. Ce n'est pas ma faute si le feu a pris partout.
– Et pourquoi voulais-tu tuer le comte?
– Pour que la dame se marie avec monsieur de Boiscoran…
– C'est donc elle qui te l'avait commandé?
– Oh, non!… Mais elle disait en pleurant qu'elle serait heureuse si son mariétait mort… Alors, comme elleétait bonne pour Cocoleu et le comte mauvais, j'ai tiré…
– Bon! mais alors pourquoi dire que c'était monsieur de Boiscoran qui avait fait le coup.
– On commençait à dire que c'était moi. Tant pis! J'aime mieux qu'on lui coupe le cou qu'à moi!
Il frissonnait en disant cela, tellement que Goudar, craignant d'être allé un peu vite, reprit sa chanson:
Le curé disait: dominus,
L'ageasson y dit vobiscum,
La pibôle!
L'ageasson y dit vobiscum,
Pibolon!
Puis, sans cesser de racler une mélodie vague, et après une nouvelle caresse de Cocoleu à la bouteille:
– Où avais-tu pris le fusil? demanda le policier.
– Je… je… je l'avais pris au comte, pour tirer des oiseaux… et je… je… je l'ai encore, caché dans le trou où Michel m'a retrouvé…
C'est tout ce qu'en put supporter le bouillant docteur Seignebos. Ouvrant brusquement la porte, et s'élançant dans la cour:
– Bravo! Goudar! s'écria-t-il.
Mais, au bruit, Cocoleu s'était dressé. Il comprit, car la terreur dissipa son ivresse et décomposa ses traits.
– Ah! brigand! hurla-t-il.
Et, se jetant sur Goudar, il le frappa de deux coups de couteau. Trop rapide et trop imprévu avaitété le mouvement pour qu'il fût possible de s'y opposer.
Repoussant violemment maître Folgat qui cherchait à le désarmer, Cocoleu bondit jusqu'à l'un des angles de la cour, et là, terrible comme la bête acculée, l'œil injecté de sang, la boucheécumante, il menaçait de son redoutable couteau quiconque faisait mine d'approcher.
Aux cris de M. Daubigeon et de M. Daveline, les employés de l'hôpital s'étaient hâtés d'accourir, et cependant la lutte eûtété sanglante, probablement, sans la présence d'esprit d'un gardien qui, se hissant sur la crête du mur, réussit à prendre dans un nœud coulant le bras du misérable.
En un instant il fut renversé, désarmé et mis hors d'état de nuire.
– On… on… on fera de… de moi ce qu'on voudra, dit-il alors, je… je… je ne prononcerai plus une parole.
Pendant ce temps, l'involontaire et désolé auteur de la catastrophe, le docteur Seignebos, s'empressait près de Goudar, lequel gisait inanimé sur le sable de la cour. Les deux blessures du malheureux policierétaient graves, mais non mortelles, ni même très dangereuses, le couteau ayant glissé sur les côtes. Transporté dans une des chambres particulières de l'hôpital, il ne tarda pas à reprendre connaissance. Et voyant penchés sur son lit M. Daubigeon et M. Daveline, le docteur et maître Folgat:
– Eh bien, murmura-t-il avec un triste sourire, n'avais-je pas raison de dire que mon métier est un fichu métier…
– Mais rien ne vous empêche de l'abandonner, répondit maître Folgat, si véritablement certaine maison que nous avons visitée ensemble suffit à votre ambition…
Le visage pâli du policier s'illumina.
– On me la donnerait? s'écria-t-il.
– N'avez-vous pas découvert et livré à la justice le vrai coupable?
– Bénis soient, en ce cas, les coups de couteau. Je sens qu'avant quinze jours je serai sur pied! Vite une plume et de l'encre, que j'envoie ma démission et que j'annonce à ma femme la bonne nouvelle…
Il fut interrompu par l'entrée d'un des huissiers du tribunal. S'approchant du procureur de la République:
– Monsieur, dit respectueusement cet homme, monsieur le curé de Bréchy vous attend au parquet.
– Je suis à lui à l'instant, répondit M. Daubigeon. (Et s'adressant à ses compagnons): Venez, messieurs, dit-il, venez…
Le curé de Bréchy l'y attendait, en effet, et il se leva vivement du fauteuil où ilétait assis lorsqu'il vit entrer le procureur de la République et M. Daveline, maître Folgat et le docteur Seignebos.
– Peut-être est-ce à moi seul que vous voulez parler, monsieur le curé?… demanda M. Daubigeon.
– Non, monsieur, répondit le vieux prêtre, non… L'œuvre de réparation dont je suis chargé doitêtre publique. (Et présentant une lettre): Lisez, ajouta-t-il, lisez à haute voix…
Rompant d'une main tremblante d'émotion le cachet armorié, le procureur de la République lut:
– Au moment de mourir en chrétien, comme j'ai vécu, je me dois à moi-même, je dois à Dieu que j'ai offensé et aux hommes que j'ai trompés, de proclamer ce qui est la vérité. Inspiré par la haine, je me suis rendu coupable d'un faux témoignage exécrable, en disant que l'homme qui a tiré sur moi est monsieur de Boiscoran et que je l'ai reconnu.
«Non seulement je ne l'ai pas reconnu, mais je sais qu'il est innocent, j'en suis sûr, je le jure par tout ce qu’il y a de sacré en ce monde que je vais quitter, et en l'autre, où m'attend le souverain juge.
«Puisse monsieur de Boiscoran me pardonner comme je pardonne moi-même!
«Trivulce de Claudieuse.
– Malheureux homme! murmura maître Folgat.
Mais déjà le curé reprenait:
– Vous le voyez, messieurs, monsieur de Claudieuse ne met à sa rétractation aucune condition. Il ne demande rien, sinon que la vérité éclate. Et cependant, je serai l'interprète des derniers désirs d'un mourant, en vous suppliant de ne pas prononcer, dans le nouveau procès, le nom de la comtesse de Claudieuse.
Des larmes brillaient dans tous les yeux.
– Soyez sans inquiétude, monsieur le curé, répondit M. Daubigeon, les derniers vœux de monsieur de Claudieuse seront exaucés. Le nom de la comtesse ne sera pas prononcé, il n'en sera pas besoin. Le secret de sa faute sera religieusement gardé par ceux qui le connaissent.
Ilétait quatre heures à ce moment.
Une heure plus tard, arrivèrent au tribunal un gendarme et Michel, le fils du métayer de Boiscoran, qui avaientété chargés d'aller vérifier les déclarations de Cocoleu.
Ils rapportaient le fusil dont le misérable s'était servi, et qu'il avait caché dans une tanière qu'il s'était creusée dans les bois de Rochepommier, et où Michel l'avait découvert le lendemain du crime.
Désormais l'innocence de Jacquesétait plus claire que le jour, et bien qu'il dût rester sous le coup de sa condamnation jusqu'à la réforme du jugement, il fut décidé, le président des assises, M. Domini, et M. Du Lopt de la Gransière s'en mêlant, qu'il serait mis le soir même en liberté provisoire.
À maître Folgat et à maître Magloire revenait l'agréable mission d'annoncer au prisonnier cette heureuse nouvelle.
Ils le trouvèrent marchant comme un fou dans sa cellule, en proie aux plus indicibles angoisses, depuis les mots d'espoir que lui avait, le matin, adressés M. Daubigeon. Oui, il espérait… et cependant, quand il sut qu'ilétait sauvé, qu'ilétait libre, il s'affaissa comme une masse sur une chaise, moins fort contre la joie que contre la douleur. Mais on se remet vite de tellesémotions. Quelques instants plus tard, Jacques de Boiscoran, donnant le bras à ses défenseurs, sortait de cette prison où il avait, pendant des mois, enduré tout ce que peut souffrir un honnête homme. Effroyable expiation de ce qui, pour tant de gens, est à peine une faute légère.
En arrivant rue de la Rampe:
– On ne vous attend certes pas, dit maître Folgat à son client; ralentissez le pas, tandis que je me présenterai le premier.
Il trouva les parents et les amis de Jacques réunis au salon, dévorés d'anxiété, car ils ignoraient encore ce qu'il pouvait y avoir de fondé dans les bruits vagues arrivés jusqu'à eux. Avec les plus savantes précautions, le jeune avocat entreprit de les préparer à la vérité; mais Mlle Denise l'interrompit:
– Où est Jacques?
Jacquesétait à ses genoux, éperdu de reconnaissance et d'amour…
Le lendemain eut lieu l'enterrement du comte de Claudieuse et de la plus jeune de ses filles, et le soir même, la comtesse quittait Sauveterre pour s'établir chez son père, à Paris, où elle ne devait pas tarder à grossir le Clan des révoltées…
Ainsi que cela devaitêtre, le jugement qui frappait Jacques fut réformé, et Cocoleu, reconnu coupable du crime du Valpinson, était condamné aux travaux forcés à perpétuité.
Un mois plus tard, Jacques de Boiscoranépousait, à l'église de Bréchy, Mlle Denise de Chandoré. Les témoins du marié étaient maître Magloire et le docteur Seignebos, et ceux de la mariée maître Folgat et M. Daubigeon.
Même l'excellent procureur de la République oublia quelque peu, ce jour-là, la gravité de ses fonctions. Il ne cessait de répéter: «Nunc est bibendum, nun pede libero, Pulsanda tellus…»
Et il but, en effet, et il ouvrit le bal avec la mariée.
M. Galpin-Daveline, envoyé en Afrique, n'assista pas à ces noces. Mais Méchinet y brilla, débarrassé, grâce à Jacques, de tous ses soucis d'argent.
Et, aujourd'hui, lesépoux Blangin ont presque tout dévoré l'argent qu'ils avaient extorqué à Mlle Denise de Chandoré.
Cheminot, garde particulier de Boiscoran, est la terreur des vagabonds.
Et Goudar, jardinier pépiniériste, vend les plus belles pêches de Paris.