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Kitabı oku: «Mariages d'aventure», sayfa 12

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Toute jeune fille, qu’elle se l’avoue ou non, caresse au fond de son cœur un héros invraisemblable qu’elle ne rencontre jamais dans la vie réelle; plus heureuse, mademoiselle Blandureau venait de trouver son héros.

Une subite métamorphose s’opéra en elle.

La hardiesse de son regard s’éteignit, sa voix devint moins impérieuse, son geste, son maintien se firent modestes.

Elle parut oublier son rôle superbe de reine, et redevint une jeune fille.

Enfin, elle eut pour sa mère des attentions et des prévenances qui stupéfièrent celle-ci. Madame Blandureau ne comprenait rien à ce changement, et son regard étonné semblait interroger toutes les personnes présentes, et leur demander la cause de tant d’affabilité.

La superbe Aurélie venait de trouver son maître.

Sir James, de son côté, ne fut pas long à comprendre qu’il était sympathique à tous. Il est de ces nuances imperceptibles que ne peut imiter la politesse la plus raffinée, et qui donnent bien vite à l’homme du monde la mesure de l’accueil qu’on lui fait.

Le baronnet se sentit plus à l’aise; sa timidité se rassura. Venu chez des étrangers, il se trouvait après moins d’une heure dans une maison amie. Il oublia donc un peu sa morgue, dénoua le masque de sa froideur et cessa de se tenir sur le qui-vive d’une prudence soupçonneuse.

En accompagnant Hector, M. Wellesley s’était bien juré de ne pas ouvrir la bouche. Il ne s’abusait pas sur sa facilité à parler notre langue, et ne voulait pas prêter à rire.

Certain qu’on ne se moquerait pas de lui, il osa parler et parla beaucoup. On ne le comprenait guère, à dire vrai, mais l’attention qu’on lui prêtait n’en était que plus grande.

Cette première soirée acheva de perdre Hector dans l’esprit de mademoiselle Aurélie.

Tout en prêtant une oreille distraite aux discours de M. Wellesley qui expliquait à M. Blandureau la différence qui existe entre un whig et un tory, différence que le négociant n’a jamais bien comprise, elle comparait involontairement les deux jeunes gens, et certes la comparaison n’était pas à l’avantage d’Hector.

Comme il lui semblait commun et trivial!

Il était gai, spirituel et railleur, il avait en parlant le geste animé des hommes du Midi; il riait, et, chose plus grave, les autres riaient en l’écoutant.

Quelle différence entre ces deux hommes, entre l’air plein de bonhomie de l’un et la physionomie glacée de l’autre, entre le regard clair et un peu moqueur d’Hector et le regard terne de sir James!

Comme on reconnaissait bien, à première vue, le neveu du pair d’Angleterre et le fils du marchand de Bordeaux! Car enfin, M. Malestrat était un marchand.

Mademoiselle Aurélie était devenue profondément triste, en faisant toutes ces réflexions.

– Et cependant, se disait-elle, cet homme que je hais, il me faudra l’épouser!..

A cette idée, elle était bien près de pleurer, et, pour la première fois encore, elle accusa d’imprudence son père, qui lui avait choisi un mari sans la consulter. Jamais elle n’avait été si véritablement malheureuse.

Sir James ne paraissait pas s’apercevoir que les heures s’écoulaient, et c’est à minuit seulement qu’il parla de se retirer.

Tout en reconduisant ses hôtes jusque dans la cour, M. Blandureau faisait jurer à «mylord» Wellesley de revenir souvent, le plus souvent possible.

– Je vous le promets, répondit le baronnet.

Et lorsqu’il se trouva seul avec Hector:

– Je ne saurais exprimer, lui dit-il, l’impression profonde que je garde de cette jeune fille; je la trouve, en vérité, tout à fait charmante et adorable.

Hector ouvrait la bouche pour répondre:

– Mademoiselle Aurélie est ma fiancée.

Un secret pressentiment l’arrêta.

IX

Le jour où Hector avait imaginé l’abominable plan qui devait conduire à l’abîme l’homme heureux désigné par le baron d’Ambleçay, il n’avait pas compté avec sa conscience. Il n’avait écouté que le désespoir, conseiller des résolutions insensées.

Avec le sang-froid et la réflexion, le sentiment de l’honneur lui revint, et il comprit tout l’odieux de son projet. Il eut horreur d’avoir pu s’y arrêter seulement une minute, et il y renonça. Pourtant, à moins d’un miracle, il n’entrevoyait pas de salut possible. Que pouvait-il faire? Attendre. Il attendit avec les mortelles angoisses du malheureux qui sait une inévitable condamnation suspendue sur sa tête.

S’il retournait encore chez M. Blandureau, c’est qu’il hésitait à rompre le premier; il avait d’ailleurs la conviction qu’un jour ou l’autre on lui signifierait très poliment congé. Il n’avait certes pas l’empressement d’un jeune homme admis officiellement à faire sa cour, à peine paraissait-il une fois ou deux par semaine.

Mais il pouvait rester à Paris. La maison de Ville-d’Avray avait conquis un hôte assidu, un hôte qui remplissait avec une merveilleuse exactitude les devoirs négligés par Hector.

Sir James est un homme qui, lui aussi, sait tenir une parole donnée. Il avait promis à M. Blandureau de revenir quelquefois, il revint tous les jours.

Oui, tous les jours, ce baronnet, aussi audacieux qu’exemplaire, affrontait trois et quatre heures de conversation avec l’ancien négociant, ravi de se voir écouté si attentivement par un homme dont l’oncle siége à la Chambre haute. C’était l’auditeur le plus bienveillant et le plus résigné qu’il eût jamais rencontré.

Il est vrai que le plus souvent le lord futur répondait de façon à prouver péremptoirement qu’il n’avait rien entendu ou rien compris, mais M. Blandureau ne s’arrêtait pas pour si peu. Il attribuait l’incohérence de son interlocuteur à la difficulté qu’il devait éprouver à s’exprimer en français, et n’en continuait que de plus belle.

Le fait est que, tout en paraissant prêter une oreille patiente aux discours du père, le baronnet n’avait d’yeux et d’attention que pour la fille.

Frappé au cœur, le premier soir, sir James, le lendemain, adorait mademoiselle Aurélie. Au bout de huit jours il était amoureux fou, amoureux au point de perdre le boire et le manger, mais non pas assez fou, malheureusement, pour perdre la mémoire.

L’infortuné souffrait tous les tourments qu’avait endurés Hector, lorsque, près de mademoiselle d’Ambleçay, il oubliait la fille de M. Blandureau.

Il était cependant bien plus excusable. Frappé comme par la foudre, il n’avait pas eu une minute pour la réflexion. Il ne s’appartenait plus, déjà, lorsque le souvenir de Louise lui revint. Et cependant, la voix impitoyable de sa conscience lui criait:

– Gentilhomme indigne, tu forfais à l’honneur!

Mais qu’est le devoir, lorsque la passion commande! et déjà sir James en était arrivé à s’avouer que, pour lui, s’éloigner d’Aurélie, ce serait mourir.

Il avait bien d’autres tortures encore.

Il était pauvre, et il savait le père de mademoiselle Blandureau prodigieusement riche. Cette fortune était un insurmontable obstacle aux yeux du gentilhomme anglais. Lui qui avait à peine de quoi vivre, il professait pour l’argent un souverain mépris. Mais qui voudrait croire à son désintéressement?

Une héritière, en notre siècle, peut-elle croire au désintéressement d’un homme pauvre?

S’il demandait a M. Blandureau la main de sa fille, celui-ci n’y verrait-il pas la démarche d’un gentleman ruiné qui spécule sur son nom pour faire des réparations au manoir paternel?

Mais ces tristes réflexions s’envolaient à un seul regard de mademoiselle Aurélie, et plus d’une fois les yeux de la jeune fille rencontrèrent ceux du baronnet.

Sir James est un homme timide en dépit de ses manières hautaines. Il est modeste aussi; bien longtemps il refusa de croire à des apparences trop flatteuses. Il avait bien remarqué que la jeune fille ne fuyait pas sa présence. Arrivait-il, si elle n’était pas au salon, elle ne tardait pas à y descendre. Plus d’une fois, en s’éloignant, il avait cru l’apercevoir soulevant un coin d’un des rideaux de mousseline de la fenêtre, et l’accompagnant du regard jusqu’à sa voiture.

Il attribuait tout cela au hasard; il n’y voulait voir que des actions indifférentes, jusqu’à ce qu’un jour enfin ce hasard qu’il gratifiait si bénévolement de ses succès lui fournit l’occasion de se trouver seul avec mademoiselle Aurélie.

Oh! ce ne fut qu’un instant, cinq minutes à peine, mais on dit bien des choses en cinq minutes, surtout quand on ne parle pas, car ils ne se parlèrent pas. Ils restèrent debout, l’un devant l’autre, émus, tremblants, les yeux dans les yeux.

Ma foi! sir James ne se posséda plus, le magnétisme de l’amour bouleversa toutes ses idées innées du respect des convenances; il se rendit coupable d’une hardiesse qu’il ne s’explique pas encore aujourd’hui, il osa prendre la main de mademoiselle Aurélie et la porter respectueusement à ses lèvres.

Mademoiselle Aurélie ne retira pas sa main; même il crut sentir une légère pression de ses doigts, muette réponse à sa muette déclaration.

Sans doute sir James allait enfin bégayer quelques phrases, lorsque M. Blandureau entra. Le négociant ne remarqua ni la rougeur de sa fille, ni l’air embarrassé du baronnet. Il tenait un journal à la main et venait demander à «mylord» des explications sur la conduite du cabinet anglais dans l’affaire du San Jacinto.

Sir James réussit, après des efforts incroyables, à maîtriser son émotion. Que n’eût-il pas donné pour éloigner Blandureau? Il était aimé, c’était désormais une certitude pour lui; il eût voulu pouvoir savourer son bonheur; mais non, il lui fallait répondre aux questions de l’ancien négociant, qui lui répétait toujours:

– Que pensez-vous de l’enlèvement des commissaires du Sud?

L’infortuné baronnet ne pensait rien du tout, sinon que mademoiselle Aurélie est la plus belle des femmes. Il se rejeta dans les généralités et ne mit pas moins d’un bon quart d’heure à amplifier cet axiome de la politique britannique: «Les principes de morale sont éternels, mais le coton est indispensable.»

Cette journée, si heureusement commencée pour sir James, devait finir bien tristement, hélas!

Le matin, il avait reçu l’aveu tacite de l’amour de mademoiselle Blandureau; le soir même il apprit qu’elle était la fiancée d’Hector et qu’avant un mois elle serait sa femme.

C’est l’ancien négociant lui-même qui lui révéla cette funeste nouvelle. M. Wellesley pâlit et chancela sous le coup.

– Est-ce possible? balbutia-t-il, est-ce possible?

Son trouble était trop visible cette fois. M. Blandureau fut obligé de s’en apercevoir.

– Qu’avez-vous, mylord? demanda-t-il.

– Oh! fit le baronnet, je souffre, je souffre beaucoup!

Et, prenant congé, il se retira sans s’apercevoir que mademoiselle Aurélie partageait visiblement son émotion.

Sir James rentra chez lui dans un état impossible à décrire. L’homme froid n’existait plus. Il parlait haut dans sa chambre, il gesticulait.

– Je suis maudit décidément, disait-il, et tout à fait perdu désormais. J’ai violé ma parole de gentleman, j’ai oublié mademoiselle d’Ambleçay, j’ai trompé ma fiancée, et voici que maintenant j’enlève le cœur de la fiancée du seul ami que j’aie en France. Je serai un traître à ses yeux, un homme tout à fait vil et méprisable.

Il eut d’abord l’idée d’écrire à Hector; il voulait confesser sa faute involontaire; mais il réfléchit et déchira la lettre.

Puis, une inspiration soudaine illuminant son visage:

– Oui, dit-il, je n’ai que cela à faire; ma résolution est prise.

Et le lendemain il retourna chez M. Blandureau, comme si rien ne s’était passé.

Son existence était affreuse. En présence de mademoiselle Aurélie, il était au septième ciel; se retrouvait-il seul, il tombait sans transition au plus profond de l’enfer.

X

Cependant M. Blandureau commençait à s’apercevoir de ce qui se passait. Il n’en était pas positivement sûr, mais il avait ce que la justice appelle de sérieuses présomptions.

Il était aussi mécontent que possible. Il s’était fait jusqu’à présent honneur à lui-même des visites quotidiennes de sir James. En découvrant qu’il pouvait bien venir aussi pour sa fille, son amour-propre fut blessé au vif.

Ce n’est pas qu’un mariage avec le neveu d’un pair d’Angleterre ne l’eût flatté infiniment; il eût donné pour réaliser ce beau rêve la moitié de sa fortune. Mais il s’était engagé avec Hector; il ne songea donc qu’à presser l’union décidée et à prévenir son futur gendre de ses soupçons.

Hector, lui aussi, avait des soupçons.

Un jour qu’il était venu chez M. Blandureau où il se faisait de plus en plus rare, il avait aperçu sur une table une grammaire anglaise et un pocket-dictionary.

Ce fut comme un trait de lumière, et c’est le cœur gonflé de joie et d’espérance qu’il ouvrit ces deux volumes. Les pages en étaient coupées, et quelques signes au crayon le long des marges attestaient qu’on s’en était servi.

– Oh! pensa Hector, mademoiselle Aurélie est trop sensée pour vouloir apprendre l’anglais sans maître. Mon ami James, j’imagine, sera le professeur. Puisse-t-elle bientôt parler comme une demoiselle du Lancashire!

Et il s’éloigna plus joyeux qu’il ne l’avait été depuis longtemps.

– Ne troublons pas ces jeunes gens, se disait-il; si M. Blandureau veut me voir, il viendra me chercher.

M. Blandureau, en effet, après avoir inutilement attendu son gendre, alla le surprendre un matin.

L’ancien négociant paraissait fort ému.

– Vous aimez ma fille? lui demanda-t-il tout d’abord.

– Certes, répondit Hector, comme une sœur.

– Eh bien, continua M. Blandureau, je dois vous révéler un fait très grave. Votre ami mylord Wellesley aime Aurélie.

Hector eut toutes les peines du monde à comprimer sa joie.

– Êtes-vous bien sûr de ce que vous dites? demanda-t-il.

– A peu près. Je crois donc qu’il serait bon de presser l’affaire, et de vous marier le plus tôt possible.

– C’est bien, dit Hector, je vous remercie; j’aviserai.

Et comme M. Blandureau en revenait sans cesse à son idée, il lui joua la scène de M. Dimanche. M. Blandureau quitta son gendre, assez surpris de son peu d’empressement.

Une surprise plus grande l’attendait chez lui. Sa fille l’avait fait demander.

Mademoiselle Aurélie aimait véritablement sir James, et elle était bien résolue à rompre à tout prix avec Hector.

Elle trouvait à cette rupture des avantages sans nombre. D’abord elle devenait la femme d’un homme titré; on l’appelait mylady. Comme elle avait assez de fortune pour deux, elle s’inquiétait peu de la fortune. Elle irait habiter l’Angleterre, où nul ne songerait à lui reprocher son origine plébéienne. Enfin la meilleure raison, elle aimait sir James.

Aussi est-ce du ton le plus résolu qu’elle déclara à son père que jamais elle n’épouserait Hector.

On se ferait difficilement idée de la colère et de l’étonnement de l’ancien négociant à l’annonce de cette résolution d’Aurélie.

– Songes-tu bien à ce que tu dis? balbutia-t-il, toi, ma fille, lorsque tu sais que j’ai donné ma parole!

– Vous la reprendrez, mon père.

– Jamais, s’écria le négociant, jamais! Parole de Blandureau vaut de l’or.

– Soit, répondit mademoiselle Aurélie; mais, moi, je n’ai rien promis et je n’ai rien à tenir.

– Mais, malheureuse enfant, la présence seule de ce jeune homme ici impliquait une acceptation de ta part. Je suis le créateur du billet, mais tu es l’endosseur. D’ailleurs, songe au désespoir d’Hector; veux-tu briser sa vie?

– Croyez-vous qu’il m’aime, mon père?

– S’il t’aime! ah! si tu savais de quel ton il me disait, il n’y a pas plus d’une heure: «Mademoiselle Aurélie, je l’aime comme une sœur.»

La jeune fille ne put retenir un éclat de rire.

– Vous trouvez que cela suffit? demanda-t-elle.

– Je t’affirme, répondit M. Blandureau, je t’affirme que moi je n’aimais pas du tout ta mère lorsque nous nous sommes mariés. Dieu sait cependant si nous avons été heureux!

– Eh bien, moi, reprit mademoiselle Aurélie, à aucun prix, mon père, je ne veux de ce bonheur. Je ne suis pas des jeunes filles que l’on contraint, ajouta-t-elle d’un ton de défi.

– Et moi, s’écria M. Blandureau furieux, je jure que la terre cessera de tourner et le soleil d’éclairer la terre avant qu’on me voie reprendre ma parole.

Et il sortit en tirant violemment la porte.

Mademoiselle Aurélie n’était pas d’un caractère à s’effrayer pour si peu. Elle ne renonça nullement à ses espérances.

Une heure plus tard, Hector recevait d’elle un petit billet où, invoquant sa délicatesse de galant homme, elle le conjurait de se retirer. D’ailleurs, elle ne lui donnait aucun détail.

Mais Hector ne pouvait ainsi se rendre à la légère aux désirs de mademoiselle Aurélie. Il voulut la voir auparavant, lui parler.

Et comme le temps pressait, il sauta dans une voiture et se fit conduire à Ville-d’Avray.

Il y avait quinze jours à peu près qu’Hector n’avait vu mademoiselle Blandureau; il la reconnut à peine, tant l’avait transfigurée l’amour vrai qu’elle éprouvait. C’était encore la statue, mais la statue animée par l’étincelle.

C’est avec une rougeur modeste qu’elle lui conta fort simplement son roman.

Si elle avait écrit à Hector, c’est qu’elle était sûre de l’amour de M. Wellesley.

Hector fut vraiment touché de l’expression d’angoisse qui se peignit sur les traits de la jeune fille, lorsqu’en terminant elle lui renouvela sa prière.

– Je vais vous obéir, mademoiselle, lui dit-il, avec l’espoir qu’à défaut de l’amour que je n’ai su mériter, cette déférence me vaudra votre amitié.

En toute autre circonstance, Hector aurait été singulièrement troublé d’avoir à affronter la colère de M. Blandureau; mais il était si joyeux que c’est à peine s’il y songea.

L’ancien négociant, pour tout dire, le reçut assez mal.

Ravi de cette rupture, il tenait à honneur d’en paraître indigné. Il fit des représentations à Hector, lui offrit de fermer la porte à M. Wellesley, lui proposa d’augmenter le chiffre de la dot, et lorsqu’il vit le jeune homme inébranlable, il l’accabla des paroles les plus dures et lui reprocha son manque de foi.

– Votre père n’aurait pas agi ainsi, lui dit-il; mais enfin, puisque vous refusez absolument d’accepter ma fille, car c’est vous qui refusez, je l’espère, et sans motifs, vous allez m’en signer une déclaration.

Hector signa de grand cœur, et prenant congé de M. Blandureau, il courut au café le plus voisin et écrivit à Ferdinand:

«Tout est arrangé. Accours, je t’attends.»

Le soir même, M. Blandureau agréait la demande de M. James Wellesley. Même il profita du changement de gendre pour diminuer la dot de cinq cent mille francs.

Alors seulement le baronnet apprit que son beau-père avait été dans le commerce. Ses préjugés voulurent élever la voix. Il leur imposa silence. Il se consola d’ailleurs par cette réflexion:

– Qui le saura en Angleterre?

Deux jours plus tard, Hector achevait sa toilette lorsque le domestique de l’hôtel lui annonça qu’un monsieur insistait pour lui parler.

– Qu’il entre, dit Hector, sûr que ce devait être Ferdinand, et il s’avança à la rencontre de son ami.

Ce n’était pas Ferdinand, mais bien sir James, plus pâle et plus grave qu’à l’ordinaire. Il tenait à la main une boîte d’acajou qu’il posa sur la table.

– J’ai à vous parler sérieusement, dit-il à Hector, êtes-vous certain que personne ne peut nous entendre?

– Personne, répondit Hector, surpris de ce début.

L’Anglais alla s’assurer que la porte était bien fermée, et revenant vers son ami:

– Monsieur, lui dit-il, je suis un homme tout à fait coupable et tout à fait indigne de votre amitié. Je me méprise moi-même et vous ne sauriez m’accabler de plus de reproches que ne m’en a fait ma conscience. J’avais une fiancée, je l’ai trahie; hier, j’ai dû lui écrire que j’étais un homme sans foi; aujourd’hui je viens vous dire: Ami, je vous ai trahi de la façon la plus misérable, je vous ai enlevé le cœur de celle que vous deviez épouser, j’aime Aurélie, j’en suis aimé. Son père vient de m’accorder sa main.

– Tu es le meilleur et le plus excellent des hommes, s’écria Hector en serrant le gentleman sur son cœur. S’il te faut jamais un ami sûr, viens à moi. Te faut-il toute ma fortune, parle?

M. Wellesley pensa que la raison d’Hector s’égarait, et ses remords en redoublèrent.

– Revenez à vous, lui dit-il, je ne vous ai pas tout dit encore. Je veux vous offrir toutes les satisfactions qu’un homme peut désirer. J’ai là une boîte de pistolets; une seule de ces armes est chargée. Vous allez choisir et…

– Me battre avec vous! s’écria Hector, et pourquoi, grand Dieu! Rassurez-vous; je n’aimais pas mademoiselle Aurélie.

– Que vous l’aimiez ou non, reprit sir James, mon action n’en est ni moins perfide, ni moins odieuse. Mais, je vous le répète, j’ai là des pistolets…

– Vous êtes fou, fit Hector en haussant les épaules. Comment, vous me prenez mademoiselle Aurélie, et vous voulez me tuer par-dessus le marché!

M. Wellesley se fâcha tout rouge sur ces dernières paroles.

– Il est trop tard pour reculer, dit-il; je vous ai fait des excuses telles que désormais je ne pourrais supporter votre vue. Vous refusez la réparation que je venais vous offrir; c’est moi maintenant qui vous demande satisfaction.

Un duel aurait certainement terminé cette singulière querelle, si l’arrivée de Ferdinand n’était venue y mettre un terme.

Il avait reçu la lettre d’Hector et il accourait.

Dès qu’on l’eut mis au courant de l’affaire:

– Laisse-moi, dit-il à Hector, moi qui parle anglais comme un Londonien, je vais arranger l’affaire avec M. Wellesley.

Il s’entendait à arranger les affaires, Ferdinand.

Une fois Hector passé dans une autre pièce, il raconta à sir James l’histoire de son ami et de mademoiselle d’Ambleçay.

La fureur de l’Anglais ne connut plus de bornes.

– Je suis joué! s’écria-t-il; et alors il exigea des réparations d’une voix si impérieuse et si haute, qu’Hector accourut au bruit.

On s’expliqua, et le lendemain Hector gratifiait sir James d’un joli coup d’épée dans le bras, qui retarda son mariage de six semaines.

Ces quelques gouttes de sang retrempèrent l’amitié de ces ennemis d’un jour.