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Kitabı oku: «Mariages d'aventure», sayfa 8

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II

Un excellent système pour ne pas revenir sur une détermination, est de s’en ôter les moyens. Ainsi fit Hector: il brûla ses vaisseaux en écrivant à son futur beau-père pour lui annoncer «que, fin septembre, il irait lui rappeler un engagement cher à son cœur.»

Aussitôt il s’occupa sérieusement de son départ. Ce n’était pas une petite besogne: il avait à mettre ordre à ses affaires et à liquider un passé orageux.

Comptant ne revenir à Bordeaux qu’avec sa femme, il ne voulait rien laisser en arrière qui pût trahir le secret des années écoulées. Il redoutait le sort de certains maris que des spectres oubliés viennent tirer par les pieds lorsqu’ils s’endorment dans la quiétude. Il prit des précautions et voulut des garanties. Avant de jeter ses souvenirs à la mer, il eut soin de les lester d’une bonne grosse pierre qui les empêchât de revenir jamais flotter à la surface.

Le dernier acte de ce sacrifice fut l’inventaire de ses trophées de séducteur. Il s’était enfermé avec un grand feu dans la cheminée pour l’auto-da-fé. En fouillant à pleines mains dans le tiroir de son secrétaire, il lui semblait qu’il remuait les cendres de son cœur. C’était un retour sur lui-même, un examen de conscience qui plus d’une fois le fit rougir.

Tout y passa sans pitié, sinon sans regrets: rubans fanés, bouquets flétris, portraits microscopiques, bagues, boucles soyeuses brunes ou blondes, billets parfumés de violette ou de verveine, tout, tout. A chaque lettre cependant il s’arrêtait. Une nouvelle écriture, n’était-ce pas un nouveau chapitre?

Il regardait en soupirant s’envoler la fumée, roulant dans ses spirales des bluettes de papier où les lettres un instant apparaissaient en traits de feu.

Cette fumée, n’était-ce pas sa jeunesse?

Et tandis qu’avec les pincettes il attisait la flamme, il se demandait tout ce que représentaient au juste ces reliques de promesses oubliées, de serments menteurs, d’illusions, d’amour vrai, de larmes ou de remords.

Lorsqu’il n’y eut plus qu’un monceau de cendres au-dessus duquel voltigeaient quelques débris, comme des papillons noirs, il poussa un soupir de satisfaction.

– Allons! se dit-il, c’est fini, je suis libre, je suis un autre homme.

Le lendemain, il fit venir son tapissier. Il s’agissait, en son absence, de changer tous les ameublements. Puis il livra son hôtel aux peintres, qui, des caves aux greniers, devaient tout refaire, tout restaurer. Par ce dernier acte de sa volonté, il se mettait bénévolement à la porte de chez lui.

On était à la fin de juin, lorsque, ses dernières visites P. P. C. faites, Hector quitta Bordeaux. Trois mois encore le séparaient de sa première entrevue avec sa future. Il n’en était pas embarrassé. Il avait pensé qu’un voyage en Suisse est la préface indispensable d’un mariage, et il était parti.

C’était prendre le chemin des écoliers, mais tout chemin mène à Rome. Hector se réjouissait d’avoir un peu de temps devant lui pour réfléchir et se préparer convenablement. On n’entre pas dans une idée aussi facilement que dans une paire de pantoufles, et il devait se familiariser avec la sienne. Il s’exerçait au genre grave qui sied à l’homme sur le point de devenir père de famille, et il trouvait que cet air lui allait bien. Il avait commandé à son tailleur des vêtements d’une coupe sérieuse, parce qu’il avait reconnu la vérité du vieux proverbe: l’habit fait le moine.

Après moins d’un mois d’exercice, une véritable métamorphose s’était accomplie en lui. Plusieurs fois il se surprit à croire qu’il était réellement marié, et depuis plusieurs années; avait-il l’occasion de causer avec une jeune femme, il prenait involontairement un ton paternel.

Mais il eut beau se promener six semaines durant à travers la Suisse, il avait des yeux pour ne pas voir, il ne regarda rien. Les plus beaux paysages le trouvèrent indifférent, son esprit était ailleurs.

Peu à peu, sans s’en rendre compte, il était parvenu à se monter l’imagination. Peu pressé d’arriver, au départ, voilà que tout à coup il fut dévoré d’impatience. Il comptait les jours et même les heures. Le miroitement de l’inconnu l’attirait invinciblement. Il lui arriva de soupirer pour mademoiselle Aurélie, et, symptôme plus grave, il ne se trouvait pas ridicule.

Tant et si bien qu’un mois avant l’époque fixée, il s’éveilla à Tours, à six heures de Paris. Comment cela s’était-il fait? Il se le demanda quand la raison lui revint.

Il brûlait d’arriver. Dans le lointain du calendrier, la maison de M. Blandureau lui apparaissait comme la terre promise. Là régnait Aurélie. Il n’avait qu’à se rendre à la gare, à prendre un billet, le soir même il serait près d’elle. Quelle tentation!

Mais quoi! arriver ainsi à l’improviste, tomber dans une maison comme un avis de démolition! N’y verrait-on pas une preuve de mauvais goût, une défiance peu délicate, un sentiment d’infériorité? L’exactitude en matière d’échéance consiste moins à être prêt quinze jours à l’avance qu’à se trouver en mesure à l’heure juste. Il se fit violence et décida qu’il attendrait.

Mais que faire, à Tours, seul, pendent quatre éternelles semaines?

Il avait à choisir entre ces deux alternatives: revenir sur ses pas, ou mettre à profit ses dernières heures de liberté, en étudiant incognito la vie parisienne.

Justement Hector ne connaissait pas Paris. Il y était venu tout enfant; mais, depuis qu’il était en âge de raison, il n’avait jamais voulu y remettre les pieds. Il redoutait les désenchantements du retour. Après six mois du boulevard des Italiens, se contenterait-il des Fossés de l’Intendance? Peut-être Bordeaux lui paraîtrait-il alors mesquin et petit, il aurait des regrets. Il ne tenta pas l’aventure, ne voulant pas quitter sa ville, où il avait une supériorité que ne consacrerait pas Paris. Il aimait mieux être le premier dans la seconde ville de France, que le second dans la première: du César tout pur.

Mais, à la veille d’un mariage, il eut peur de Paris et aussi de lui-même. La conversion était trop fraîche. De fait, on aurait tort de choisir la grande ville, pour y faire retraite avant ses noces. Toutes les tentations de saint Antoine y paient leurs impositions et s’y promènent en robes de soie. Hector se dit qu’une fois marié il aurait tout le temps d’aller à la découverte. C’était un expédient à tenir en réserve, une poire pour la soif future.

Cependant, continuer le métier d’amoureux errant lui souriait peu.

Il était à bout de délibérations et d’expédients, lorsque fort à point il se souvint d’un de ses bons amis d’enfance, qui devait avoir planté sa tente sur les bords de la Loire, quelque part, entre Blois et Tours.

Cet ami l’était venu voir souvent à Bordeaux, et à chaque fois l’avait conjuré de lui rendre ses visites. Il avait promis, parce que les promesses ne coûtent rien; il avait songé, qui plus est, à tenir sa parole, mais toujours au dernier moment quelque empêchement était survenu. Cependant il aimait beaucoup cet ancien camarade de collége, il l’estimait, et il éprouvait à le revoir un extrême plaisir.

En ce moment, il s’accrocha à ce souvenir avec l’empressement que met l’homme qui se noie à saisir une branche. Il s’habilla en toute hâte et courut aux informations.

Tout le monde à Tours connaît M. Ferdinand Aubanel. Il habite, à cinq petites lieues, une belle propriété, la Fresnaie. A l’éloge pompeux qu’on lui fit de son ami, Hector conclut que la tente devait être un château.

Il n’avait plus rien à apprendre. Il eut vite trouvé une calèche, et, tout en roulant sur le chemin qui mène à la Fresnaie, il se répétait qu’il est bon d’avoir des amis un peu partout.

III

Le véhicule avançait lentement, les chevaux, comme on dit, trottaient sur place, le conducteur dormait à demi. Hector ne songeait pas à s’en plaindre. Enfoncé dans une rêverie sans but, il se laissait aller au balancement monotone de la voiture; son esprit se reposait à contempler ces paysages si tranquilles de la Touraine.

La route était belle. Tantôt accrochée au flanc d’une colline ombreuse, elle dominait le cours de la Loire; tantôt elle s’enfonçait dans quelque fraîche vallée, avec mille sinuosités qui adoucissaient les pentes.

Bientôt on prit un chemin de traverse.

– Voici que nous avançons, dit le conducteur.

Et d’un coup de fouet, il éveilla ses maigres chevaux, dont l’allure ne changea pourtant pas.

Déjà tout annonçait le voisinage de quelque riche habitation. L’œil du maître devait veiller par là. Les haies vives étaient bien entretenues, alignées et sans espaces vides, les fossés relevés soigneusement, les arbres taillés de façon à donner de l’ombre sans que le chemin fût endommagé par l’humidité.

On dépassa deux fermes, tapies dans des massifs d’ormeaux comme des nids; plus loin, c’était le toit pointu d’un pigeonnier qu’on apercevait dominant les cimes. On coupait, dans une prairie, le regain un peu en retard cette année, et l’odeur des foins embaumait l’air. Dans un enclos soigneusement entouré de barrières, des chevaux de race paissaient. Au bruit de la voiture, ils relevaient leurs têtes intelligentes; l’un d’eux, le favori sans doute, s’avança jusqu’aux poteaux de la petite porte, allongeant son col fin par-dessus les planches.

Puis l’habitation apparut, au loin, à l’extrémité d’une longue, longue avenue de marronniers. Ce n’était pas un château à proprement parler, mais une de ces bonnes grosses maisons bourgeoises sans prétention, flanquées de deux ailes un peu en retour, commodes, hospitalières, avec tout un étage consacré aux chambres d’amis.

Près de la grille un domestique était debout, comme en vedette, la main devant les yeux, à cause du soleil; il semblait interroger la voiture, probablement pour signaler plus vite le visiteur.

– On attend quelqu’un sans doute, se dit Hector; je n’ai pas de chance en vérité, je serai peut-être importun.

Mais en avançant il reconnut le domestique pour l’avoir vu à Bordeaux avec son ami. Lui semblait aussi reconnaître Hector, car il faisait des signes avec son chapeau.

Lorsque la voiture s’arrêta dans la cour:

– Ah! monsieur, dit cet homme à Hector, enfin vous voici! mon maître se mourait d’impatience en vous attendant.

– On m’attendait, moi?

Il ne put entendre la réponse, Ferdinand était accouru et le serrait dans ses bras à l’étouffer.

– Ah! merci! lui disait-il, merci, c’est très bien ce que tu fais là. Tu es un ami véritable, toi, et tu le prouves; je savais bien que tu viendrais. Tu as reçu ma lettre et tu as tout quitté.

– Mon cher ami, depuis trois mois je suis absent de Bordeaux, le désir de te voir m’a seul amené. Je n’ai pas reçu ta lettre, et le hasard…

– Soit! c’est le hasard, bénissons-le. Il a tout fait, mais je n’en suis pas surpris; le hasard est à mes ordres désormais. Je suis l’homme le plus heureux. Que désires-tu? Je vais le souhaiter pour toi, tu seras exaucé. Mon bonheur me fait trembler; ce n’est pas naturel. Mais je te tiens là, au milieu de la cour, je perds la tête, suis-moi. J’ai le plus pressant besoin de tes conseils, viens; peut-être désires-tu te rafraîchir?

Et Ferdinand, à pleine voix, appela ses domestiques pour leur donner des ordres: toute la maison fut en l’air. Alors il entraîna son ami, mais il ne lâchait toujours pas son bras, il le pressait sous le sien, autant dans la crainte de le voir s’enfuir que pour s’assurer de la réalité de sa présence.

Et le long des corridors, dans l’escalier, il continuait, s’essoufflant à parler:

– Si je t’ai écrit d’accourir, c’est que je veux ta signature à mon contrat, tu es mon témoin, je me marie, cher Hector, après-demain. Une jeune fille, non, un ange, et belle, belle… Mais tu la verras: je l’aime, ou plutôt je l’adore. Et dire qu’après-demain elle sera à moi, à moi tout seul, pour toujours; tiens, cette idée me rend fou. Je tremble que ce ne soit un rêve; si tu es mon ami, ne m’éveille pas. Après-demain… mais que c’est long! c’est une éternité, vivrai-je jusque-là? Les jours ont vingt-quatre heures et les heures soixante minutes: j’aurai des cheveux blancs d’ici là. Et elle m’aime, oui, mon ami, elle m’aime, elle me l’a dit, elle te le répétera si tu veux, elle s’appelle Herminie. Tout à l’heure nous monterons au grenier, je te montrerai sa maison; elle, tu la verras ce soir; mais viens, viens.

– C’est une rage, pensa Hector, tout le monde se marie; j’ai bien fait de me décider, je n’aurais plus trouvé de femme si j’avais attendu. Sois béni, ô mon père, de ta sage prévoyance!

On était au premier étage. Ferdinand ouvrit une porte, et s’effaçant devant son ami:

– Entre, lui dit-il, entre, c’est ma chambre, ma chambre de garçon; je ne l’habiterai pas longtemps, nous en aurons une autre, ici, à côté; les tapissiers y mettent la dernière main. C’est un chef-d’œuvre, un nid de satin… Mais pardon, cher Hector, attends, prends garde, je vais te trouver une chaise.

Il y parvint, non sans peine. Le chaos avait élu domicile dans la chambre de garçon, la confusion y tenait cour plénière. Les objets les plus disparates y avaient été entassés comme à plaisir, lit, table, commode, chaises; tout était encombré. Le parquet même n’était pas libre, ni sans danger; deux caisses à peine éventrées étaient placées en travers; à côté gisaient des débris, des planches avec leurs clous en l’air, des tenailles, un marteau, un ciseau de menuisier.

Près de la fenêtre, un monsieur bien mis se tenait debout. Il s’inclina respectueusement lorsqu’entrèrent les deux amis. Il tenait à la main une petite bande de toile cirée, avec des chiffres en or, son mètre enfin.

– C’est mon tailleur, dit Ferdinand à son ami, il arrive de Paris avec ces deux caisses qui sont pleines d’habits. Depuis un mois il ne travaille que pour moi.

– Et tu prétends essayer tout cela?

– Sans aucun doute, tu vas bien le voir. Au surplus, tu seras juge. Voilà où tes conseils me deviennent indispensables; n’es-tu pas le roi de la mode, ou plutôt la mode en personne? Rien qu’à regarder un gilet, tu dois lui donner bonne façon.

Il parlait ainsi, tout en se déshabillant. Le tailleur, d’un air grave, présentait les vêtements que Ferdinand endossait les uns après les autres. Il ne se lassait pas, il n’en trouvait aucun à son gré.

– Hélas! gémissait-il, ma tournure est piteuse, je m’en aperçois aujourd’hui; j’avais des illusions. Regarde, Hector, regarde, suis-je assez commun, assez balourd? tu me trouves grotesque, n’est-il pas vrai? Mon cher tailleur, vos habits vont abominablement; ce pantalon est trop court, ce gilet trop long: l’un me grossit outre mesure, l’autre m’écrase la poitrine.

Le tailleur se donnait beaucoup de mal. Tout allait au mieux et «avantageait monsieur.» Jamais il n’avait vu plus charmante tournure ni trouvé plus difficile client.

Et on essayait encore.

– Aussi, c’est vrai, dit Ferdinand, vit-on jamais modes plus ridicules que les nôtres! Le chapeau tuyau de poêle a tué l’héroïsme. Soyez donc beau, noble, poétique avec cette loque qu’on appelle un habit noir! L’humanité entière a l’air de sortir du même moule! Apollon du Belvédère aurait aujourd’hui l’air d’un coiffeur. La galanterie a disparu avec les bas à coins, l’esprit s’est enfui avec la poudre.

– Levez un peu le bras, monsieur, disait le tailleur; bien, ainsi. Maintenant, tournez la tête, c’est cela.

– Avec tes idées, reprenait Hector, il fallait te marier en carnaval, tu aurais pu choisir un costume à ton gré, prendre la cuirasse des croisades, les souliers à la poulaine, les bottes Louis XIII, le chapeau galonné d’or, le justaucorps à brevet, et la cravate des merveilleux. Tu avais pour faire ton choix le magasin aux costumes de la Porte-Saint-Martin.

– Tu crois rire, mon ami, et tu viens d’émettre une grande et fructueuse idée. Mais là, sérieusement, vois… suis-je digne d’elle, d’elle, si belle, si gracieuse, si poétique? Non, je suis affreux, je voudrais avoir une marraine pour fée; comme Peau-d’Ane, j’aurais un pantalon fait d’un pan de la nue, un gilet couleur soleil, et un habit taillé dans l’aile d’un papillon.

– Monsieur est très bien ainsi, affirma le tailleur; si monsieur veut marcher un peu.

Ferdinand fit quelques pas.

– Très bien! insista Hector.

Il était temps, les caisses étaient vides. Restait à régler la façon de porter l’habit noir.

Ferdinand le voulait boutonné jusqu’au col, à la manière de M. de Girardin.

Hector tenait pour l’habit ouvert; c’est plus cérémonie.

Le tailleur insistait pour qu’il fût maintenu par «un double bouton;» il en avait apporté exprès. Il cita sept ou huit de ses clients, tous plus nobles les uns que les autres, qui ont adopté cette mode.

On discuta, mais on ne décida rien. Ferdinand déclara qu’il s’en remettait à l’inspiration qui vient toujours au moment suprême.

Le tailleur fut libre, mais non Hector. Il avait à dire son avis sur la corbeille.

Elle avait été déposée dans le grand salon, sur la table à thé.

C’était un meuble d’un goût exquis, comme il en sort quelquefois de chez Tahan, le travail était d’une délicatesse infinie. C’était un grand coffre ovale, en bois de rose avec des incrustations. Les poignées et les serrures d’argent avaient dû être ciselées par des fées.

Hector pensa qu’il achèterait la pareille pour mademoiselle Blandureau.

– Eh bien! qu’en dis-tu? demanda Ferdinand.

– Admirable.

– C’était mon avis. Ce qui me désole, c’est qu’elle sera bien trop petite, et alors comment faire?

Ce joli meuble paraissait à Hector d’une taille fort respectable. Mais, en regardant autour du salon, il comprit les inquiétudes de son ami.

Sans doute il avait dévalisé les dix plus somptueux magasins de Paris pour réunir toutes la merveilles qu’il voulait offrir à sa femme.

Hector admira sérieusement les cachemires et les dentelles, les coffrets, les étoffes, les bijoux, les éventails. Il évalua le tout à une somme considérable.

– Ma tante et moi avons couru quinze jours pour acheter tout cela, dit Ferdinand.

– Eh bien, elle a prêté la main à de belles folies. As-tu par hasard hérité d’un royaume, ou comptes-tu te ruiner?

– Me ruiner, moi! impossible. Je l’ai essayé trois fois, pour me distraire, avant de connaître Herminie. Je n’ai pas réussi. Sitôt que j’écornais mon capital, vlan! il me tombait un héritage. A ce train j’aurais réduit ma famille à moi seul. Je me suis arrêté. Ceci ne me coûte rien, c’est la succession d’un de mes oncles. Tout y a passé, mais ce n’est pas trop payer un sourire d’Herminie. Pourvu que la corbeille ne soit pas trop étroite. Enfin, c’est l’affaire de ma tante, elle sera ici demain de bonne heure, car c’est demain que j’envoie la corbeille. Allons dîner.

– Décidément, pensa Hector, la tête n’y est plus.

Au moins, l’estomac était toujours solide. Ferdinand le prouva bien à table. Il mangea comme quatre, tout en parlant. Mais il avait à peine avalé la dernière bouchée, qu’il se leva, et, bon gré mal gré, entraîna Hector.

– Je vais faire ma visite à ma fiancée, lui dit-il, ce sera la troisième aujourd’hui. Je dois te présenter, tu le comprends; n’es-tu pas mon meilleur ami? J’ai souvent parlé de toi, on te connaît. C’est à une demi-lieue d’ici; nous irons à pied, si tu le veux, j’ai besoin d’air et de mouvement.

A mesure qu’ils avançaient sur la route qui mène de la Fresnaie à Cormes-Ecluse qu’habitait la future famille de Ferdinand, Hector put remarquer que la verve de son ami allait en s’éteignant. Lorsqu’il entra au salon, toutes les couleurs de l’arc-en-ciel parurent tour à tour sur sa figure, il balbutiait en présentant Hector.

– Diable, pensa celui-ci, il paraît que c’est très sérieux.

Et il observait du coin de l’œil la contenance de mademoiselle Herminie. Elle était devenue plus rouge qu’une pivoine. Elle s’était levée pour faire une petite révérence, bien timide, mais presque aussitôt elle s’était rassise. Une broderie qu’elle tenait paraissait absorber toute son attention. Mais Hector remarqua que ses mains tremblaient si fort, qu’à peine elle pouvait tenir son aiguille. Puis, bien qu’elle eût la tête penchée sur son ouvrage et les yeux baissés, il put voir le regard qu’elle adressa à Ferdinand.

Toute son âme avait passé dans ce regard humide et doux, plein d’aveux naïfs et de candides promesses.

– Elle l’aime, se dit-il, eh bien! tant mieux! c’est un brave garçon, il le mérite.

Et tandis que Ferdinand s’approchait de sa fiancée, il resta près des parents; il parlait de choses indifférentes, de la Suisse qu’il n’avait pas vue, de Bordeaux. Lorsqu’il s’arrêtait un instant, il entendait le chuchotement des amoureux assis près de la table à ouvrage, si près que leurs cheveux se confondaient.

Toute la maison était en mouvement. A côté, il y avait des couturières qui achevaient le trousseau. A la cuisine, à l’office, on préparait le grand dîner qui le lendemain devait précéder le contrat.

Il fallut aller voir les robes. Ferdinand sortit avec sa fiancée et sa mère. Hector resta seul avec le père, qui profita de cette occasion pour entamer l’éloge de son futur gendre. Il semblait ne pas devoir tarir.

Les deux amis revinrent le soir, par un sentier qui avait la réputation de couper au plus court, et beaucoup plus long que la route en réalité. Ferdinand allait le premier, éclairant la marche, il écartait les clôtures à claire-voie qui séparent les champs et avertissait son ami quand il y avait un fossé à sauter.

Sur le seuil de la chambre préparée pour le voyageur, ils se séparèrent avec une dernière poignée de main, se souhaitant mutuellement bonne nuit.

Hector reconnut une de ces bonnes grandes chambres, qui attendent le visiteur aimé dans les maisons riches de la campagne, et s’entendent avec les maîtres pour l’y retenir longtemps. Le confortable de la vie de famille éclatait de toutes parts. Là, du moins, ni l’air ni l’espace n’avaient été mesurés par un architecte complice de la sordide lésinerie du propriétaire. Le plafond s’élevait à quatre mètres, on eût pu entrer en voiture par les fenêtres. Dès votre entrée, un bon fauteuil vous tendait les bras et vous invitait aux douceurs de la vie contemplative.

Hector eut un cri de joie, il se retrouvait comme chez lui. Et il y avait deux mois qu’il essuyait la poussière des auberges, se brisant aux durs fauteuils, se courbaturant à l’humidité des lits, doutant de tout, même quelquefois de la scrupuleuse virginité du linge. Aussi, avec quelles délices il respira le parfum d’iris des serviettes de fine toile, comme il s’émerveillait de la blancheur des draps, éclatante comme la neige.

Et il se déshabillait à la hâte, il promettait à son pauvre corps dix heures de bon sommeil, ni plus ni moins, les poings fermés.

Il comptait sans son hôte.

Ses idées s’embrouillaient à peine, que Ferdinand entra en robe de chambre; il s’assit sans façon sur le pied du lit.

Il avait mille choses de la plus haute importance à confier à son ami. Et sous ce prétexte, il débita les extravagances les plus inouïes. Hector riait de ses folies, et de temps à autre essayait de le renvoyer. Mais Ferdinand bravait le sommeil, et toujours il avait quelque chose à ajouter. – «Tiens, écoute encore, je m’en vais après.»

Enfin sur le matin, comme cinq heures sonnaient, Hector réussit à le mettre à la porte, à force de raisonnements, et aussi en le poussant un peu par les épaules.

Mais c’est peine perdue de courir après le sommeil enfui. Hector le vit bien. Déjà la maison s’emplissait de rumeurs matinales.

Dans la cour, on venait d’amener la voiture neuve, le carrosse des noces; on ouvrait les portes de la remise, les garçons d’écurie s’appelaient. Dans les corridors retentissaient les sabots bruyants des servantes, le ban et l’arrière-ban des vassales avaient été convoqués pour «prêter la main» en cette solennité. Le glacier de Tours arrivait, avec ses ustensiles sonores, moules de cuivre ou de fer-blanc, seaux et sabotières; on eût dit le carillon d’une église de village voyageant en carriole. On déballait le tout à grand bruit. Les escaliers gémissaient, ébranlés sous les pas d’un bataillon d’ouvriers. Les tapissiers montaient des banquettes pour le bal; le long de la rampe ils hissaient leurs échelles doubles. Tout le bâtiment tremblait au choc des marteaux, tandis qu’à grand renfort de clous on montait les tentures.

Bientôt, dominant le tumulte, la voix de Ferdinand retentit, il appelait tout le monde à la fois, hommes et femmes, il criait tout le calendrier par la fenêtre. Sa tante, la vieille demoiselle Aubanel, venait d’arriver.

Hector prit un parti héroïque. Il se leva et descendit. Ferdinand battait décidément la campagne; il le remplaça et se fit l’aide de camp de la tante. Sous ses ordres il dirigea l’armée indisciplinée des domestiques et des ouvriers. Il veilla à tout avec le sang-froid et la présence d’esprit du capitaine de vaisseau un jour de tempête.

Ferdinand avait disparu.

– Tu ferais bien, mon neveu, lui avait dit sa tante, d’aller rendre visite à ta future.

Il ne se l’était pas fait répéter deux fois.

Enfin, tout fut terminé, ou à peu près. Il manque toujours quelque chose, mais on doit savoir s’arrêter: le mieux est ennemi du bien. A peine restait-il le temps de courir au dîner, éloigné d’une demi-lieue en ne prenant pas le plus court.

C’était un dîner en cinq points, long et plantureux, un repas comme on les ordonne en Touraine; Gamache, s’il revenait sur terre, choisirait ce pays pour ses noces. La table ployait sous le faix des bouteilles et des verres, la lumière étincelait sur la facette des cristaux. Il y avait trente-huit personnes autour de la table, et deux plats au moins par convive. Tous se connaissaient et même étaient un peu parents. Hector aurait semblé étranger, mais Ferdinand avait parlé, beaucoup parlé. On vit leur intimité, les regards reconnaissants de la tante à son aide de camp, et il fut traité comme de la famille. Un vieux cousin s’écria: «Il n’y a qu’un parent de plus.» On rit. Ce soir-là on riait de tout et de rien. Hector eut de l’esprit, et parut spirituel, ce qui est mieux, quoi qu’on dise. Le futur était fier de son ami, encore un peu et il en eût paré sa boutonnière. Par instants il cessait de regarder sa fiancée pour lui sourire des yeux et le remercier d’avoir apporté sa part d’entrain et de gaîté.

Mais voilà que, sur la fin, deux messieurs tout de noir habillés, le col tendu par l’empois d’une cravate blanche, se levèrent et silencieusement passèrent dans le salon.

– Ces messieurs sont les notaires, dit à Hector une de ses voisines.

On les suivit. Les chaises, dans le salon, avaient été préparées à l’avance, en cercle. On prit place. Au milieu, sur la table, des plumes de cygne, immaculées, attendaient pour la signature, près d’une grosse écritoire de vermeil.

Le plus vieux des deux notaires était debout, il avait mis ses lunettes, il tenait le contrat à la main. Le silence s’établit, profond. En prêtant l’oreille, on eût entendu battre le cœur du futur.

La lecture commença.

Le vieux notaire, d’un ton monotone, énumérait les clauses et conditions, les noms et prénoms «des conjoints;» il hésitait de temps à autre, lorsqu’il trouvait un mot difficile, et même il ânonnait. Il bredouillait toutes les fois qu’il arrivait à ces passages techniques, aussi obligatoires qu’inutiles, qui sont comme le cadre de tous les actes. A la fin de chaque phrase, il élevait la voix et reprenait haleine; il faisait des «tenues» en tournant les feuillets. Les phrases étaient si longues, si longues, qu’il lui fallait s’y reprendre à trois fois, et, entortillées qu’elles étaient, et hérissées de mots barbares, des nids de procès devaient se cacher dans leurs replis.

Le vieux cousin, de tempérament apoplectique, grommelait entre ses dents. Une pareille lecture, après un de ces dîners qui font un labeur de la digestion, lui paraissait comme un guet-apens. Hector se sentait pris d’un invincible sommeil. Ferdinand s’agitait sur sa chaise comme Guatimozin sur son gril, il n’était pas sur un lit de roses.

Enfin il s’acheva, ce contrat interminable; le notaire lut d’un ton joyeux les dernières phrases, chacun se leva pour signer.

Hector, à demi éveillé, avait fait comme tout le monde.

Debout, il attendait son tour, le notaire avait d’abord «passé la plume aux dames.» Son regard errait insoucieusement autour du salon, se complaisant aux figures satisfaites, lorsque par hasard ses yeux s’arrêtèrent sur la table.

Il vit alors, tenant la plume, une main si mignonne, si délicate, si parfaite, qu’il en eut comme un éblouissement.

Elle avait, cette petite main, une grâce indicible; les doigts étaient longs et fuselés, légèrement infléchis à la première phalange et coquettement retroussés; les ongles étaient roses et étroits, avec des reflets nacrés à la racine; ils se détachaient nettement sur la peau d’une blancheur ferme et vive; elle avait une carnation d’enfant, aux lumières elle semblait transparente, et sous le tissu souple de la peau on suivait les sinuosités bleues des veines, comme si le sang eût coulé à ciel ouvert. Un poignet d’une pureté divine, d’une délicatesse infinie, rattachait cette main au bras blanc, à demi perdu sous la dentelle des manches.

Hector s’émerveillait à ces détails charmants. Par un mouvement instinctif il se rapprocha, écartant les hommes debout devant lui, et qui lui cachaient celle à qui appartenait cette main d’une si magnifique perfection.

– Malheureusement, se disait-il, une femme d’au moins trente-cinq ans peut seule avoir une main pareille.

Il se trompait. C’était la main d’une toute jeune fille, de dix-huit ans à peine, belle comme un rêve, poétique à faire éclore des sonnets dans le cerveau d’un agent de change. Elle avait les cheveux d’un admirable blond, lumineux, avec ces teintes chaudes qui font l’orgueil des belles Vénitiennes. Tordus sans art par le poignet vigoureux d’une rustique camériste, ils étaient retenus par un peigne qui disparaissait entièrement sous les flots dorés; si souples, si abondants, qu’à tout instant on pouvait craindre ou espérer de les voir briser le lien qui les retenait, et s’épandre, comme un manteau d’or, sur des épaules dont on devinait les contours exquis sous une petite guimpe à la vierge, fermée au col par une ruche de dentelles.

– Où donc avais-je les yeux? se demandait Hector. Quoi! je n’avais pas remarqué encore cette rayonnante beauté.