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Kitabı oku: «Nana», sayfa 15

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Ils voulurent la calmer, ils la suppliaient.

– Une, deux, vous refusez de partir?.. Eh bien! voyez ça.

J'ai du monde.

D'un geste brusque, elle ouvrit toute grande la porte de la chambre. Alors, les deux hommes, au milieu du lit défait, aperçurent Fontan. Il ne s'attendait pas à être montré ainsi, et il avait les jambes en l'air, la chemise volante, vautré comme un bouc au milieu des dentelles fripées, avec sa peau noire. D'ailleurs, il ne se troubla pas, habitué aux surprises des planches. Après la première secousse de saisissement, il trouva un jeu de physionomie pour s'en tirer à son honneur, il fit le lapin comme il disait, avançant la bouche, frisant le nez, dans un remuement du museau entier. Sa tête de faune canaille suait le vice. C'était Fontan que, depuis huit jours, Nana allait chercher aux Variétés, prise de la toquade enragée des filles pour la laideur grimacière des comiques.

– Voilà! dit-elle en le montrant, avec un geste de tragédienne.

Muffat, qui avait tout accepté, se révolta sous cet affront.

– Putain! bégaya-t-il.

Mais Nana, déjà dans la chambre, revint, pour avoir le dernier mot.

– De quoi, putain! Et ta femme?

Et, s'en allant, refermant la porte à toute volée, elle poussa bruyamment le verrou. Les deux hommes, restés seuls, se regardèrent en silence. Zoé venait d'entrer. Mais elle ne les bouscula pas, elle leur causa très raisonnablement. En personne sage, elle trouvait la bêtise de madame un peu forte. Pourtant, elle la défendait: ça ne tiendrait pas avec ce cabotin, il fallait laisser passer cette rage-là. Les deux hommes se retirèrent. Ils n'avaient pas dit une parole. Sur le trottoir, émus par une fraternité, ils se donnèrent une poignée de main silencieuse; et, se tournant le dos, ils s'éloignèrent, traînant la jambe, chacun de son côté.

Lorsque Muffat rentra enfin à son hôtel de la rue Miromesnil, sa femme justement arrivait. Tous deux se rencontrèrent dans le vaste escalier, dont les murs sombres laissaient tomber un frisson glacé. Ils levèrent les yeux et se virent. Le comte avait encore ses vêtements boueux, sa pâleur effarée d'homme qui revient du vice. La comtesse, comme brisée par une nuit de chemin de fer, dormait debout, mal repeignée et les paupières meurtries.

VIII

C'était rue Véron, à Montmartre, dans un petit logement, au quatrième étage. Nana et Fontan avaient invité quelques amis pour tirer le gâteau des Rois. Ils pendaient la crémaillère, installés seulement depuis trois jours.

Ça s'était fait brusquement, sans idée arrêtée de se mettre ensemble, dans le premier feu de leur lune de miel. Le lendemain de sa belle algarade, quand elle eut flanqué si carrément à la porte le comte et le banquier, Nana sentit tout crouler autour d'elle. D'un regard, elle jugea la situation: les créanciers allaient tomber dans son antichambre, se mêler de ses affaires de coeur, parler de tout vendre, si elle n'était pas raisonnable; ce seraient des querelles, des cassements de tête à n'en plus finir, pour leur disputer ses quatre meubles. Et elle préféra tout lâcher. D'ailleurs, l'appartement du boulevard Haussmann l'assommait. Il était bête, avec ses grandes pièces dorées. Dans son coup de tendresse pour Fontan, elle rêvait une jolie petite chambre claire, retournant à son ancien idéal de fleuriste, lorsqu'elle ne voyait pas au-delà d'une armoire à glace en palissandre et d'un lit tendu de reps bleu. En deux jours, elle vendit ce qu'elle put sortir, des bibelots, des bijoux, et elle disparut avec une dizaine de mille francs, sans dire un mot à la concierge; un plongeon, une fugue, pas une trace. Comme ça, les hommes ne viendraient pas se pendre après ses jupes. Fontan fut très gentil. Il ne dit pas non, il la laissa faire. Même il agit tout à fait en bon camarade. De son côté, il avait près de sept mille francs, qu'il consentit à joindre aux dix mille de la jeune femme, bien qu'on l'accusât d'avarice. Ça leur parut un fonds de ménage solide. Et ils partirent de là, tirant l'un et l'autre de leurs magots mis en commun, louant et meublant les deux pièces de la rue Véron, partageant tout en vieux amis. Au début, ce fut vraiment délicieux.

Le soir des Rois, madame Lerat arriva la première avec Louiset. Comme Fontan n'était pas rentré, elle se permit d'exprimer des craintes, car elle tremblait de voir sa nièce renoncer à la fortune.

– Oh! ma tante, je l'aime si fort! cria Nana, en serrant d'un geste joli ses deux mains sur sa poitrine.

Ce mot produisit un effet extraordinaire sur madame Lerat. Ses yeux se mouillèrent.

– Ça, c'est vrai, dit-elle d'un air de conviction, l'amour avant tout.

Et elle se récria sur la gentillesse des pièces. Nana lui fit visiter la chambre, la salle à manger, jusqu'à la cuisine. Dame! ce n'était pas immense, mais on avait refait les peintures, changé les papiers; et le soleil entrait là gaiement.

Alors, madame Lerat retint la jeune femme dans la chambre, tandis que Louiset s'installait à la cuisine, derrière la femme de ménage, pour voir rôtir un poulet. Si elle se permettait des réflexions, c'était que Zoé sortait de chez elle. Zoé, bravement, restait sur la brèche, par dévouement pour madame. Plus tard, madame la paierait; elle n'était pas inquiète. Et, dans la débâcle de l'appartement du boulevard Haussmann, elle tenait tête aux créanciers, elle opérait une retraite digne, sauvant des épaves, répondant que madame voyageait, sans jamais donner une adresse. Même, de peur d'être suivie, elle se privait du plaisir de rendre visite à madame. Cependant, le matin, elle avait couru chez madame Lerat, parce qu'il se passait du nouveau. La veille, des créanciers s'étaient présentés, le tapissier, le charbonnier, la lingère, offrant du temps, proposant même d'avancer une très forte somme à madame, si madame voulait revenir dans son appartement et se conduire en personne intelligente. La tante répéta les paroles de Zoé. Il y avait sans doute un monsieur là-dessous.

– Jamais! déclara Nana, révoltée. Eh bien! ils sont propres, les fournisseurs! Est-ce qu'ils croient que je suis à vendre, pour acquitter leurs mémoires!.. Vois-tu, j'aimerais mieux mourir de faim que de tromper Fontan.

– C'est ce que j'ai répondu, dit madame Lerat; ma nièce a trop de coeur.

Nana, cependant, fut très vexée d'apprendre qu'on vendait la Mignotte et que Labordette l'achetait à un prix ridicule, pour Caroline Héquet. Ça la mit en colère contre cette clique, de vraies roulures, malgré leur pose. Ah! oui, par exemple, elle valait mieux qu'elles toutes!

– Elles peuvent blaguer, conclut-elle, l'argent ne leur donnera jamais le vrai bonheur… Et puis, vois-tu, ma tante, je ne sais même plus si tout ce monde-là existe. Je suis trop heureuse.

Justement, madame Maloir entrait, avec un de ces chapeaux étranges, dont elle seule trouvait la forme. Ce fut une joie de se revoir. Madame Maloir expliqua que les grandeurs l'intimidaient; maintenant, de temps à autre, elle reviendrait faire son bézigue. On visita une seconde fois le logement; et, dans la cuisine, devant la femme de ménage qui arrosait le poulet, Nana parla d'économies, dit qu'une bonne aurait coûté trop cher et qu'elle-même voulait s'occuper de son chez-elle. Louiset regardait béatement la rôtissoire.

Mais il y eut un éclat de voix. C'était Fontan, avec Bosc et Prullière. On pouvait se mettre à table. Le potage était déjà servi, lorsque Nana, pour la troisième fois, montra le logement.

– Ah! mes enfants, que vous êtes bien ici! répétait Bosc, histoire simplement de faire plaisir aux camarades qui payaient à dîner, car au fond la question de «la niche», comme il disait, ne le touchait pas.

Dans la chambre à coucher, il força encore la note aimable. D'ordinaire, il traitait les femmes de chameaux, et l'idée qu'un homme pouvait s'embarrasser d'une de ces sales bêtes soulevait, chez lui, la seule indignation dont il était capable, dans le dédain d'ivrogne dont il enveloppait le monde.

– Ah! les gaillards, reprit-il en clignant les yeux, ils ont fait ça en sournois… Eh bien! vrai, vous avez eu raison. Ce sera charmant, et nous viendrons vous voir, nom de Dieu!

Mais comme Louiset arrivait, à califourchon sur un manche à balai, Prullière dit avec un rire méchant:

– Tiens! c'est déjà à vous, ce bébé?

Cela parut très drôle. Madame Lerat et madame Maloir se tordirent. Nana, loin de se fâcher, eut un rire attendri, en disant que non, malheureusement; elle aurait bien voulu, pour le petit et pour elle; mais il en viendrait peut-être un tout de même. Fontan, qui faisait le bonhomme, prit Louiset dans ses bras, jouant, zézayant.

– Ça n'empêche pas, on aime son petit père… Appelle-moi papa, crapule!

– Papa… papa… bégayait l'enfant.

Tout le monde le couvrit de caresses. Bosc, embêté, parlait de se mettre à table; il n'y avait que ça de sérieux. Nana demanda la permission d'asseoir Louiset près d'elle. Le dîner fut très gai. Bosc, pourtant, souffrit du voisinage de l'enfant, contre lequel il devait défendre son assiette. Madame Lerat le gêna aussi. Elle s'attendrissait, lui communiquait tout bas des choses mystérieuses, des histoires de messieurs très bien qui la poursuivaient encore; et, à deux reprises, il dut écarter son genou, car elle l'envahissait, avec des yeux noyés. Prullière se conduisit comme un malhonnête à l'égard de madame Maloir, qu'il ne servit pas une fois. Il était occupé uniquement de Nana, l'air vexé de la voir avec Fontan. D'ailleurs, les tourtereaux finissaient par être ennuyeux, tant ils s'embrassaient. Contre toutes les règles, ils avaient voulu se placer l'un près de l'autre.

– Que diable! mangez, vous avez bien le temps! répétait Bosc, la bouche pleine. Attendez que nous ne soyons plus là.

Mais Nana ne pouvait se tenir. Elle était dans un ravissement d'amour, toute rose comme une vierge, avec des rires et des regards trempés de tendresse. Les yeux fixés sur Fontan, elle l'accablait de petits noms: mon chien, mon loup, mon chat; et, lorsqu'il lui passait de l'eau ou du sel, elle se penchait, le baisait au hasard des lèvres, sur les yeux, sur le nez, sur une oreille; puis, si on la grondait, c'était avec des tactiques savantes, des humilités et des souplesses de chatte battue, qu'elle revenait, en lui prenant sournoisement la main pour la garder et la baiser encore. Il fallait qu'elle touchât quelque chose de lui. Fontan faisait le gros dos et se laissait adorer, plein de condescendance. Son grand nez remuait d'une joie toute sensuelle. Son museau de bouc, sa laideur de monstre cocasse s'étalait dans l'adoration dévote de cette fille superbe, si blanche et si grasse. Par moments, il rendait un baiser, en homme qui a tout le plaisir, mais qui veut se montrer gentil.

– A la fin, vous êtes agaçants! cria Prullière. Va-t'en de là, toi!

Et il renvoya Fontan, il changea le couvert pour prendre sa place, à côté de Nana. Ce furent des exclamations, des applaudissements, des mots très raides. Fontan mimait le désespoir, avec ses airs drôles de Vulcain pleurant Vénus. Tout de suite, Prullière se montra galant; mais Nana, dont il cherchait le pied sous la table, lui allongea un coup, pour le faire tenir tranquille. Non, certes, elle ne coucherait pas avec lui. L'autre mois, elle avait eu un commencement de béguin, à cause de sa jolie tête. Maintenant, elle le détestait. S'il la pinçait encore, en feignant de ramasser sa serviette, elle lui jetterait son verre par la figure.

Cependant, la soirée se passa bien. On en était venu naturellement à causer des Variétés. Cette canaille de Bordenave ne crèverait donc pas? Ses sales maladies reparaissaient et le faisaient tellement souffrir, qu'il n'était plus bon à prendre avec des pincettes. La veille, pendant la répétition, il avait gueulé tout le temps contre Simonne. En voilà un que les artistes ne pleureraient guère! Nana dit que, s'il la demandait pour un rôle, elle l'enverrait joliment promener; d'ailleurs, elle parlait de ne plus jouer, le théâtre ne valait pas son chez-soi. Fontan, qui n'était pas de la nouvelle pièce ni de celle qu'on répétait, exagérait aussi le bonheur d'avoir sa liberté entière, de passer les soirées avec sa petite chatte, les pieds devant le feu. Et les autres s'exclamaient, les traitant de veinards, affectant d'envier leur bonheur.

On avait tiré le gâteau des Rois. La fève était tombée à madame Lerat, qui la mit dans le verre de Bosc. Alors, ce furent des cris: «Le roi boit! le roi boit!» Nana profita de cet éclat de gaieté pour aller reprendre Fontan par le cou, en le baisant, en lui disant des choses dans l'oreille. Mais Prullière, avec son rire vexé de joli garçon, criait que ce n'était pas de jeu. Louiset dormait sur deux chaises. Enfin, la société ne se sépara que vers une heure. On se criait au revoir, à travers l'escalier.

Et, pendant trois semaines, la vie des deux amoureux fut réellement gentille. Nana croyait retourner à ses débuts, quand sa première robe de soie lui avait causé un si gros plaisir. Elle sortait peu, jouant à la solitude et à la simplicité. Un matin, de bonne heure, comme elle descendait acheter elle-même du poisson au marché La Rochefoucauld, elle resta toute saisie de se rencontrer nez à nez avec Francis, son ancien coiffeur. Il avait sa correction habituelle, linge fin, redingote irréprochable; et elle se trouva honteuse d'être vue par lui dans la rue, en peignoir, ébouriffée, traînant des savates. Mais il eut le tact d'exagérer encore sa politesse. Il ne se permit aucune question, il affectait de croire que madame était en voyage. Ah! madame avait fait bien des malheureux, en se décidant à voyager! C'était une perte pour tout le monde. La jeune femme, cependant, finit par l'interroger, prise d'une curiosité qui lui faisait oublier son premier embarras. Comme la foule les bousculait, elle le poussa sous une porte, où elle se tint debout devant lui, son petit panier à la main. Que disait-on de sa fugue? Mon Dieu! les dames où il allait, disaient ceci, disaient cela; en somme, un bruit énorme, un vrai succès. Et Steiner? Monsieur Steiner était bien bas; ça finirait par du vilain, s'il ne trouvait pas quelque nouvelle opération. Et Daguenet? Oh! celui-là allait parfaitement; monsieur Daguenet arrangeait sa vie. Nana, que ses souvenirs excitaient, ouvrait la bouche pour le questionner encore; mais elle éprouva une gêne à prononcer le nom de Muffat. Alors, Francis, souriant, parla le premier. Quant à monsieur le comte, c'était une pitié, tant il avait souffert, après le départ de madame; il semblait une âme en peine, on le voyait partout où madame aurait pu être. Enfin, monsieur Mignon, l'ayant rencontré, l'avait emmené chez lui. Cette nouvelle fit beaucoup rire Nana, mais d'un rire contraint.

– Ah! il est avec Rose maintenant, dit-elle. Eh bien! vous savez, Francis, je m'en fiche!.. Voyez-vous, ce cafard! Ça vous a pris des habitudes, ça ne peut pas jeûner seulement huit jours! Et lui qui me jurait de ne plus avoir de femme après moi!

Au fond, elle enrageait.

– C'est mon reste, reprit-elle, un joli coco que Rose s'est payé là! Oh! je comprends, elle a voulu se venger de ce que je lui ai pris cette brute de Steiner… Comme c'est malin d'attirer chez soi un homme que j'ai flanqué dehors!

– Monsieur Mignon ne raconte pas les choses de la sorte, dit le coiffeur. D'après lui, c'est monsieur le comte qui vous aurait chassée… Oui, et d'une façon dégoûtante encore, avec son pied au derrière.

Du coup, Nana devint toute pâle.

– Hein? quoi? cria-t-elle, son pied au derrière?.. Elle est trop forte, celle-là! Mais, mon petit, c'est moi qui l'ai jeté en bas de l'escalier, ce cocu! car il est cocu, tu dois savoir ça; sa comtesse le fait cocu avec tout le monde, même avec cette fripouille de Fauchery… Et ce Mignon qui bat les trottoirs pour sa guenon de femme, dont personne ne veut, tant elle est maigre!.. Quel sale monde! quel sale monde!

Elle étranglait. Elle reprit haleine.

– Ah! ils disent ça… Eh bien! mon petit Francis, je vais aller les trouver, moi… Veux-tu que nous y allions tout de suite ensemble?.. Oui, j'irai, et nous verrons s'ils auront le toupet de parler encore de coups de pied au derrière… Des coups! mais je n'en ai jamais toléré de personne. Et jamais on ne me battra, vois-tu, parce que je mangerais l'homme qui me toucherait.

Pourtant, elle s'apaisa. Après tout, ils pouvaient bien dire ce qu'ils voulaient, elle ne les considérait pas plus que la boue de ses souliers. Ça l'aurait salie, de s'occuper de ces gens-là. Elle avait sa conscience pour elle. Et Francis, devenu familier, la voyant se livrer ainsi dans son peignoir de ménagère, se permit, en la quittant, de lui donner des conseils. Elle avait tort de tout sacrifier à une toquade; les toquades gâtaient l'existence. Elle l'écoutait, la tête basse, pendant qu'il parlait d'un air peiné, en connaisseur qui souffrait de voir une si belle fille se gâcher de la sorte.

– Ça, c'est mon affaire, finit-elle par dire. Merci tout de même, mon cher.

Elle lui serra la main, qu'il avait toujours un peu grasse, malgré sa tenue parfaite; puis, elle descendit acheter son poisson. Dans la journée, cette histoire de coup de pied au derrière l'occupa. Elle en parla même à Fontan, elle se posa de nouveau comme une femme forte qui ne supporterait pas une chiquenaude. Fontan, en esprit supérieur, déclara que tous les hommes comme il faut étaient des mufes et qu'on devait les mépriser. Nana, dès lors, fut pleine d'un réel dédain.

Justement, ce soir-là, ils allèrent aux Bouffes voir débuter, dans un rôle de dix lignes, une petite femme que Fontan connaissait. Il était près d'une heure, quand ils regagnèrent à pied les hauteurs de Montmartre. Rue de la Chaussée-d'Antin, ils avaient acheté un gâteau, un moka; et ils le mangèrent dans le lit, parce qu'il ne faisait pas chaud et que ça ne valait pas la peine d'allumer du feu. Assis sur leur séant, côte à côte, la couverture au ventre, les oreillers tassés derrière le dos, ils soupaient, en causant de la petite femme. Nana la trouvait laide et sans chic. Fontan, couché sur le devant, passait les parts de gâteau, posées au bord de la table de nuit, entre la bougie et les allumettes. Mais ils finirent par se quereller.

– Oh! si on peut dire! criait Nana. Elle a des yeux comme des trous de vrille et des cheveux couleur filasse.

– Tais-toi donc! répétait Fontan. Une chevelure superbe, des regards pleins de feu… Est-ce drôle que vous vous mangiez toujours entre femmes!

Il avait l'air vexé.

– Allons, en voilà de trop! dit-il enfin d'une voix brutale. Tu sais, je n'aime pas qu'on m'embête… Dormons, ou ça va mal tourner.

Et il souffla la bougie. Nana, furieuse, continuait: elle ne voulait pas qu'on lui parlât sur ce ton, elle avait l'habitude d'être respectée. Comme il ne répondait plus, elle dut se taire. Mais elle ne pouvait s'endormir, elle se tournait, se retournait.

– Nom de Dieu! as-tu fini de remuer? cria-t-il tout d'un coup, avec un brusque saut.

– Ce n'est pas ma faute s'il y a des miettes, dit-elle sèchement.

En effet, il y avait des miettes. Elle en sentait jusque sous ses cuisses, elle était dévorée partout. Une seule miette la brûlait, la faisait se gratter au sang. D'ailleurs, lorsqu'on mange un gâteau, est-ce qu'on ne secoue pas toujours la couverture? Fontan, dans une rage froide, avait rallumé la bougie. Tous deux se levèrent; et pieds nus, en chemise, découvrant le lit, ils balayèrent les miettes sur le drap, avec les mains. Lui, qui grelottait, se recoucha, en l'envoyant au diable, parce qu'elle lui recommandait de bien s'essuyer les pieds. Enfin, elle reprit sa place; mais, à peine allongée, elle dansa. Il y en avait encore.

– Parbleu! c'était sûr, répétait-elle. Tu les as remontées avec tes pieds… Je ne peux pas, moi! je te dis que je ne peux pas!

Et elle faisait mine de l'enjamber, pour sauter par terre. Alors, poussé à bout, voulant dormir, Fontan lui allongea une gifle, à toute volée. La gifle fut si forte, que, du coup, Nana se retrouva couchée, la tête sur l'oreiller. Elle resta étourdie.

– Oh! dit-elle simplement, avec un gros soupir d'enfant.

Un instant, il la menaça d'une autre claque, en lui demandant si elle bougerait encore. Puis, ayant soufflé la lumière, il s'installa carrément sur le dos, il ronfla tout de suite. Elle, le nez dans l'oreiller, pleurait à petits sanglots. C'était lâche d'abuser de sa force. Mais elle avait eu une vraie peur, tant le masque drôle de Fontan était devenu terrible. Et sa colère s'en allait, comme si la gifle l'avait calmée. Elle le respectait, elle se collait contre le mur de la ruelle, pour lui laisser toute la place. Même elle finit par s'endormir, la joue chaude, les yeux pleins de larmes, dans un accablement délicieux, dans une soumission si lasse, qu'elle ne sentait plus les miettes. Le matin, quand elle se réveilla, elle tenait Fontan entre ses bras nus, serré contre sa gorge, bien fort. N'est-ce pas? il ne recommencerait jamais, jamais plus? Elle l'aimait trop; de lui, c'était encore bon, d'être giflée.

Alors, ce fut une vie nouvelle. Pour un oui, pour un non, Fontan lui lâchait des claques. Elle, accoutumée, empochait ça. Parfois, elle criait, le menaçait; mais il l'acculait contre le mur en parlant de l'étrangler, ce qui la rendait souple. Le plus souvent, tombée sur une chaise, elle sanglotait cinq minutes. Puis, elle oubliait, très gaie, avec des chants et des rires, des courses qui emplissaient le logement du vol de ses jupes. Le pis était que, maintenant, Fontan disparaissait toute la journée et ne rentrait jamais avant minuit; il allait dans des cafés, où il retrouvait des camarades. Nana tolérait tout, tremblante, caressante, avec la seule peur de ne plus le voir revenir, si elle lui adressait un reproche. Mais certains jours, quand elle n'avait ni madame Maloir, ni sa tante avec Louiset, elle s'ennuyait mortellement. Aussi, un dimanche, comme elle était au marché La Rochefoucauld en train de marchander des pigeons, fut-elle enchantée de rencontrer Satin, qui achetait une botte de radis. Depuis la soirée où le prince avait bu le champagne de Fontan, elles s'étaient perdues de vue toutes deux.

– Comment! c'est toi, tu es du quartier? dit Satin, stupéfaite de la voir en pantoufles dans la rue, à cette heure. Ah! ma pauvre fille, il y a donc de la panne!

Nana la fit taire d'un froncement de sourcil, parce que d'autres femmes étaient là, en robe de chambre, sans linge, les cheveux tombés et blancs de peluches. Le matin, toutes les filles du quartier, à peine l'homme de la veille mis à la porte, venaient faire leurs provisions, les yeux gros de sommeil, traînant des savates dans la mauvaise humeur et la fatigue d'une nuit d'embêtements. De chaque rue du carrefour, il en descendait vers le marché, de très pâles, jeunes encore, charmantes d'abandon, d'affreuses, vieilles et ballonnées, lâchant leur peau, se fichant d'être vues ainsi, en dehors des heures de travail; pendant que, sur les trottoirs, les passants se retournaient, sans qu'une seule daignât sourire, toutes affairées, avec des airs dédaigneux de ménagères pour qui les hommes n'existaient plus. Justement, comme Satin payait sa botte de radis, un jeune homme, quelque employé attardé, lui jeta un: «Bonjour, chérie», au passage. Du coup, elle se redressa, elle eut une dignité de reine offensée, en disant:

– Qu'est-ce qui lui prend, à ce cochon-là?

Puis, elle crut le reconnaître. Trois jours auparavant, vers minuit, remontant seule du boulevard, elle lui avait parlé près d'une demi-heure, au coin de la rue La Bruyère, pour le décider. Mais cela ne fit que la révolter davantage.

– Sont-ils assez mufes de vous crier des choses en plein jour, reprit-elle. Quand on va à ses affaires, n'est-ce pas? c'est pour qu'on vous respecte.

Nana avait fini par acheter ses pigeons, bien qu'elle doutât de leur fraîcheur. Alors, Satin voulut lui montrer sa porte; elle demeurait à côté, rue La Rochefoucauld. Et, dès qu'elles furent seules, Nana conta sa passion pour Fontan. Arrivée devant chez elle, la petite s'était plantée, ses radis sous le bras, allumée par un dernier détail que l'autre donnait, mentant à son tour, jurant que c'était elle qui avait flanqué le comte Muffat dehors, à grands coups de pied dans le derrière.

– Oh! très chic! répétait Satin, très chic, des coups de pied! Et il n'a rien dit, n'est-ce pas? C'est si lâche! J'aurais voulu être là pour voir sa gueule… Ma chère, tu as raison. Et zut pour la monnaie! Moi, quand j'ai un béguin, je m'en fais crever… Hein? viens me voir, tu me le promets. La porte à gauche. Frappe trois coups, parce qu'il y a un tas d'emmerdeurs.

Dès lors, quand Nana s'ennuya trop, elle descendit voir Satin. Elle était toujours certaine de la trouver, celle-ci ne sortant jamais avant six heures. Satin occupait deux chambres, qu'un pharmacien lui avait meublées pour la sauver de la police; mais, en moins de treize mois, elle avait cassé les meubles, défoncé les sièges, sali les rideaux, dans une telle rage d'ordures et de désordre, que le logement semblait habité par une bande de chattes en folie. Les matins où, dégoûtée elle-même, elle s'avisait de vouloir nettoyer, il lui restait aux mains des barreaux de chaise et des lambeaux de tenture, à force de se battre là-dedans avec la crasse. Ces jours-là, c'était plus sale, on ne pouvait plus entrer, parce qu'il y avait des choses tombées en travers des portes. Aussi finissait-elle par abandonner son ménage. A la lampe, l'armoire à glace, la pendule et ce qui restait des rideaux, faisaient encore illusion aux hommes. D'ailleurs, depuis six mois, son propriétaire menaçait de l'expulser. Alors, pour qui aurait-elle entretenu ses meubles? pour lui peut-être, plus souvent! Et quand elle se levait de belle humeur, elle criait: «Hue donc!» en allongeant de grands coups de pied dans les flancs de l'armoire et de la commode, qui craquaient.

Nana, presque toujours, la trouvait couchée. Même les jours où Satin descendait pour ses commissions, elle était si lasse en remontant, qu'elle se rendormait, jetée au bord du lit. Dans la journée, elle se traînait, elle sommeillait sur les chaises, ne sortant de cette langueur que vers le soir, à l'heure du gaz. Et Nana se sentait très bien chez elle, assise à ne rien faire, au milieu du lit défait, des cuvettes qui traînaient par terre, des jupons crottés de la veille, tachant de boue les fauteuils. C'étaient des bavardages, des confidences sans fin, pendant que Satin, en chemise, vautrée et les pieds plus hauts que la tête, l'écoutait en fumant des cigarettes. Parfois, elles se payaient de l'absinthe, les après-midi où elles avaient des chagrins, pour oublier, disaient-elles; sans descendre, sans même passer un jupon, Satin allait se pencher au-dessus de la rampe et criait la commande à la petite de la concierge, une gamine de dix ans qui, en apportant l'absinthe dans un verre, coulait des regards sur les jambes nues de la dame. Toutes les conversations aboutissaient à la saleté des hommes. Nana était assommante avec son Fontan; elle ne pouvait placer dix paroles sans retomber dans des rabâchages sur ce qu'il disait, sur ce qu'il faisait. Mais Satin, bonne fille, écoutait sans ennui ces éternelles histoires d'attentes à la fenêtre, de querelles pour un ragoût brûlé, de raccommodements au lit, après des heures de bouderie muette. Par un besoin de parler de ça, Nana en était arrivée à lui conter toutes les claques qu'elle recevait; la semaine passée, il lui avait fait enfler l'oeil; la veille encore, à propos de ses pantoufles qu'il ne trouvait pas, il l'avait jetée d'une calotte dans la table de nuit; et l'autre ne s'étonnait point, soufflant la fumée de sa cigarette, s'interrompant seulement pour dire que, elle, toujours se baissait, ce qui envoyait promener le monsieur avec sa gifle. Toutes deux se tassaient dans ces histoires de coups, heureuses, étourdies des mêmes faits imbéciles cent fois répétés, cédant à la molle et chaude lassitude des roulées indignes dont elles parlaient. C'était cette joie de remâcher les claques de Fontan, d'expliquer Fontan jusque dans sa façon d'ôter ses bottes, qui ramenait chaque jour Nana, d'autant plus que Satin finissait par sympathiser: elle citait des faits plus forts, un pâtissier qui la laissait par terre, morte, et qu'elle aimait quand même. Puis, venaient les jours où Nana pleurait, en déclarant que ça ne pouvait pas continuer. Satin l'accompagnait jusqu'à sa porte, restait une heure dans la rue, pour voir s'il ne l'assassinait pas. Et, le lendemain, les deux femmes jouissaient toute l'après-midi de la réconciliation, préférant pourtant, sans le dire, les jours où il y avait des raclées dans l'air, parce que ça les passionnait davantage.

Elles devinrent inséparables. Pourtant, Satin n'allait jamais chez Nana, Fontan ayant déclaré qu'il ne voulait pas de traînée dans la maison. Elles sortaient ensemble, et c'est ainsi que Satin mena un jour son amie chez une femme, justement cette madame Robert qui préoccupait Nana et lui causait un certain respect, depuis qu'elle avait refusé de venir à son souper. Madame Robert demeurait rue Mosnier, une rue neuve et silencieuse du quartier de l'Europe, sans une boutique, dont les belles maisons, aux petits appartements étroits, sont peuplées de dames. Il était cinq heures; le long des trottoirs déserts, dans la paix aristocratique des hautes maisons blanches, des coupés de boursiers et de négociants stationnaient, tandis que des hommes filaient vite, levant les yeux vers les fenêtres, où des femmes en peignoir semblaient attendre. Nana d'abord refusa de monter, disant d'un air pincé qu'elle ne connaissait pas cette dame. Mais Satin insistait. On pouvait toujours bien mener une amie avec soi. Elle voulait simplement faire une visite de politesse; madame Robert, qu'elle avait rencontrée la veille dans un restaurant, s'était montrée très gentille, en lui faisant jurer de la venir voir. Et Nana finit par céder. En haut, une petite bonne endormie leur dit que madame n'était pas rentrée. Pourtant, elle voulut bien les introduire dans le salon, où elle les laissa.

– Bigre! c'est chic! murmura Satin.

C'était un appartement sévère et bourgeois, tendu d'étoffes sombres, avec le comme il faut d'un boutiquier parisien, retiré après fortune faite. Nana, impressionnée, voulut plaisanter. Mais Satin se fâchait, répondait de la vertu de madame Robert. On la rencontrait toujours en compagnie d'hommes âgés et sérieux, qui lui donnaient le bras. Pour le moment, elle avait un ancien chocolatier, esprit grave. Quand il venait, charmé de la bonne tenue de la maison, il se faisait annoncer et l'appelait mon enfant.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
28 ekim 2017
Hacim:
540 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
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