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Kitabı oku: «Nana», sayfa 8

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– Tiens! demanda avec étonnement Tatan Néné qui l'avait aperçu, pourquoi donc met-il du champagne dans le piano?

– Comment! ma fille, tu ne sais pas ça? répondit Labordette gravement. Il n'y a rien de bon comme le champagne pour les pianos. Ça leur donne du son.

– Ah! murmura Tatan Néné convaincue.

Et, comme on riait, elle se fâcha. Est-ce qu'elle savait! On l'embrouillait toujours.

Ça se gâtait, décidément. La nuit menaçait de finir d'une façon malpropre. Dans un coin, Maria Blond s'était empoignée avec Léa de Horn qu'elle accusait de coucher avec des gens pas assez riches; et elles en venaient aux gros mots, en s'attrapant sur leurs figures. Lucy, qui était laide, les fit taire. Ça ne signifiait rien la figure, il fallait être bien faite. Plus loin, sur un canapé, un attaché d'ambassade avait passé un bras à la taille de Simonne, qu'il tâchait de baiser au cou; mais Simonne, éreintée, maussade, le repoussait chaque fois avec des «Tu m'embêtes!» et de grands coups d'éventail sur la figure. Aucune, d'ailleurs, ne voulait qu'on la touchât. Est-ce qu'on les prenait pour des filles? Cependant, Gaga, qui avait rattrapé la Faloise, le tenait presque sur ses genoux; tandis que Clarisse, entre deux messieurs, disparaissait, secouée d'un rire nerveux de femme qu'on chatouille. Autour du piano, le petit jeu continuait, dans un coup de folie bête; on se poussait, chacun voulait y verser son fond de bouteille. C'était simple et gentil.

– Tiens! mon vieux, bois un coup… Diantre! il a soif, ce piano!.. Attention! en voici encore une; il ne faut rien perdre.

Nana, le dos tourné, ne les voyait pas. Elle se rabattait décidément sur le gros Steiner, assis près d'elle. Tant pis! c'était la faute de ce Muffat, qui n'avait pas voulu. Dans sa robe de foulard blanc, légère et chiffonnée comme une chemise, avec sa pointe d'ivresse qui la pâlissait, les yeux battus, elle s'offrait de son air tranquille de bonne fille. Les roses de son chignon et de son corsage s'étaient effeuillées; il ne restait que les queues. Mais Steiner retira vivement la main de ses jupes, où il venait de rencontrer les épingles mises par Georges. Quelques gouttes de sang parurent. Une tomba sur la robe et la tacha.

– Maintenant, c'est signé, dit Nana sérieusement.

Le jour grandissait. Une lueur louche, d'une affreuse tristesse, entrait par les fenêtres. Alors, le départ commença, une débandade pleine de malaise et d'aigreur. Caroline Héquet, fâchée d'avoir perdu sa nuit, dit qu'il était temps de s'en aller, si l'on ne voulait pas assister à de jolies choses. Rose faisait une moue de femme compromise. C'était toujours ainsi, avec ces filles; elles ne savaient pas se tenir, elles se montraient dégoûtantes à leurs débuts. Et Mignon ayant nettoyé Vandeuvres, le ménage partit, sans s'inquiéter de Steiner, après avoir invité de nouveau Fauchery pour le lendemain. Lucy, alors, refusa de se laisser reconduire par le journaliste, qu'elle renvoya tout haut à sa cabotine. Du coup, Rose, qui s'était retournée, répondit par un «Sale grue!» entre les dents. Mais, déjà, Mignon, paternel dans les querelles de femmes, expérimenté et supérieur, l'avait poussée dehors, en la priant de finir. Derrière eux, Lucy, toute seule, descendit royalement l'escalier. Puis, ce fut la Faloise que Gaga dut emmener, malade, sanglotant comme un enfant, appelant Clarisse, filée depuis longtemps avec ses deux messieurs. Simonne aussi avait disparu. Il ne restait plus que Tatan, Léa et Maria, dont Labordette voulut bien se charger, complaisamment.

– C'est que je n'ai pas du tout envie de dormir! répétait Nana.

Il faudrait faire quelque chose.

Elle regardait le ciel à travers les vitres, un ciel livide où couraient des nuages couleur de suie. Il était six heures. En face, de l'autre côté du boulevard Haussmann, les maisons, encore endormies, découpaient leurs toitures humides dans le petit jour; tandis que, sur la chaussée déserte, une troupe de balayeurs passaient avec le bruit de leurs sabots. Et, devant ce réveil navré de Paris, elle se trouvait prise d'un attendrissement de jeune fille, d'un besoin de campagne, d'idylle, de quelque chose de doux et de blanc.

– Oh! vous ne savez pas? dit-elle en revenant à Steiner, vous allez me mener au bois de Boulogne, et nous boirons du lait.

Une joie d'enfant la faisait battre des mains. Sans attendre la réponse du banquier, qui consentait naturellement, ennuyé au fond et rêvant autre chose, elle courut jeter une pelisse sur ses épaules. Dans le salon, il n'y avait plus, avec Steiner, que la bande des jeunes gens; mais, ayant égoutté dans le piano jusqu'au fond des verres, ils parlaient de s'en aller, lorsqu'un d'eux accourut triomphalement, tenant à la main une dernière bouteille, qu'il rapportait de l'office.

– Attendez! attendez! cria-t-il, une bouteille de chartreuse!.. Là, il avait besoin de chartreuse; ça va le remettre… Et maintenant, mes enfants, filons. Nous sommes idiots.

Dans le cabinet de toilette, Nana dut réveiller Zoé, qui s'était assoupie sur une chaise. Le gaz brûlait. Zoé frissonna, aida madame à mettre son chapeau et sa pelisse.

– Enfin, ça y est, j'ai fait ce que tu voulais, dit Nana qui la tutoya, dans un élan d'expansion, soulagée d'avoir pris un parti. Tu avais raison, autant le banquier qu'un autre.

La bonne était maussade, engourdie encore. Elle grogna que madame aurait dû se décider le premier soir. Puis, comme elle la suivait dans la chambre, elle lui demanda ce qu'elle devait faire de ces deux-là. Bordenave ronflait toujours. Georges, qui était venu sournoisement enfoncer la tête dans un oreiller, avait fini par s'y endormir, avec son léger souffle de chérubin. Nana répondit qu'on les laissât dormir. Mais elle s'attendrit de nouveau, en voyant entrer Daguenet; il la guettait de la cuisine, il avait l'air bien triste.

– Voyons, mon Mimi, sois raisonnable, dit-elle en le prenant dans ses bras, en le baisant avec toutes sortes de câlineries. Il n'y a rien de changé, tu sais que c'est toujours mon Mimi que j'adore… N'est-ce pas? il le fallait… Je te jure, ce sera encore plus gentil. Viens demain, nous conviendrons des heures… Vite, embrasse-moi comme tu m'aimes… Oh! plus fort, plus fort que ça!

Et elle s'échappa, elle rejoignit Steiner, heureuse, reprise par son idée de boire du lait. Dans l'appartement vide, le comte de Vandeuvres demeurait seul avec l'homme décoré qui avait récité le Sacrifice d'Abraham, tous deux cloués à la table de jeu, ne sachant plus où ils étaient, ne voyant pas le plein jour; tandis que Blanche avait pris le parti de se coucher sur un canapé, pour tâcher de dormir.

– Ah! Blanche en est! cria Nana. Nous allons boire du lait, ma chère… Venez donc, vous retrouverez Vandeuvres ici.

Blanche se leva paresseusement. Cette fois, la face congestionnée du banquier blêmit de contrariété, à l'idée d'emmener cette grosse fille qui allait le gêner. Mais les deux femmes le tenaient déjà, répétant:

– Vous savez, nous voulons qu'on le tire devant nous.

V

On donnait, aux Variétés, la trente-quatrième représentation de la Blonde Vénus. Le premier acte venait de finir. Dans le foyer des artistes, Simonne, en petite blanchisseuse, était debout devant la console surmontée d'une glace, entre les deux portes d'angle, s'ouvrant en pan coupé sur le couloir des loges. Toute seule, elle s'étudiait et se passait un doigt sous les yeux, pour corriger son maquillage; tandis que des becs de gaz, aux deux côtés de la glace, la chauffaient d'un coup de lumière crue.

– Est-ce qu'il est arrivé? demanda Prullière, qui entra, dans son costume d'Amiral suisse, avec son grand sabre, ses bottes énormes, son plumet immense.

– Qui ça? dit Simonne sans se déranger, riant à la glace, pour voir ses lèvres.

– Le prince.

– Je ne sais pas, je descends… Ah! il doit venir. Il vient donc tous les jours!

Prullière s'était approché de la cheminée, qui faisait face à la console, et où brûlait un feu de coke; deux autres becs de gaz y flambaient, largement. Il leva les yeux, regarda l'horloge et le baromètre, à gauche et à droite, que des sphinx dorés, de style Empire, accompagnaient. Puis, il s'allongea dans un vaste fauteuil à oreillettes, dont le velours vert, usé par quatre générations de comédiens, avait pris des tons jaunes; et il resta là, immobile, les yeux vagues, dans l'attitude lasse et résignée des artistes habitués aux attentes de leur entrée en scène.

Le vieux Bosc venait de paraître à son tour, traînant les pieds, toussant, enveloppé d'un ancien carrick jaune, dont un pan, glissé d'une épaule, laissait voir la casaque lamée d'or du roi Dagobert. Un instant, après avoir posé sa couronne sur le piano, sans dire une parole, il piétina, maussade, l'air brave homme pourtant, avec ses mains qu'un commencement d'alcoolisme agitait; tandis qu'une longue barbe blanche donnait un aspect vénérable à sa face enflammée d'ivrogne. Puis, dans le silence, comme une giboulée fouettait les vitres de la grande fenêtre carrée, qui s'ouvrait sur la cour, il eut un geste dégoûté.

– Quel cochon de temps! grogna-t-il.

Simonne et Prullière ne bougèrent pas. Quatre ou cinq tableaux, des paysages, un portrait de l'acteur Vernet, jaunissaient à la chaleur du gaz. Sur un fût de colonne, un buste de Potier, une des anciennes gloires des Variétés, regardait de ses yeux vides. Mais il y eut un éclat de voix. C'était Fontan, dans son costume du second acte, en garçon chic, tout habillé de jaune, ganté de jaune.

– Dites donc! cria-t-il en gesticulant, vous ne savez pas? c'est ma fête, aujourd'hui.

– Tiens! demanda Simonne, qui s'approcha avec un sourire, comme attirée par son grand nez et sa bouche largement fendue de comique, tu t'appelles donc Achille?

– Juste!.. Et je vais faire dire à madame Bron de monter du champagne, après le deux.

Depuis un moment, une sonnette au loin tintait. Le son prolongé s'affaiblit, puis revint; et, quand la sonnette eut cessé, un cri courut, monta et descendit l'escalier, se perdit dans les couloirs: «En scène pour le deux!.. En scène pour le deux!..» Ce cri se rapprochait, un petit homme blafard passa devant les portes du foyer, où il jeta de toute la puissance de sa voix grêle: «En scène pour le deux!»

– Fichtre! du champagne! dit Prullière, sans paraître avoir entendu ce vacarme, tu vas bien!

– Moi, à ta place, je le ferais venir du café, déclara lentement le vieux Bosc, qui s'était assis sur une banquette de velours vert, la tête appuyée au mur.

Mais Simonne disait qu'il fallait respecter les petits bénéfices de madame Bron. Elle tapait des mains, allumée, mangeant du regard Fontan, dont le masque en museau de chèvre remuait, dans un jeu continuel des yeux, du nez et de la bouche.

– Oh! ce Fontan! murmurait-elle, il n'y a que lui, il n'y a que lui!

Les deux portes du foyer restaient grandes ouvertes sur le corridor menant aux coulisses. Le long du mur jaune, vivement éclairé par une lanterne à gaz qu'on ne voyait pas, des silhouettes rapides filaient, des hommes costumés, des femmes à demi nues, enveloppées dans des châles, toute la figuration du second acte, les chienlits du bastringue de la Boule-Noire; et l'on entendait, au bout du corridor, la dégringolade des pieds tapant les cinq marches de bois qui descendaient sur la scène. Comme la grande Clarisse passait en courant, Simonne l'appela; mais elle répondit qu'elle revenait tout de suite. Et elle reparut presque aussitôt en effet, grelottante sous la mince tunique et l'écharpe d'Iris.

– Sapristi! dit-elle, il ne fait pas chaud; et moi qui ai laissé ma fourrure dans ma loge!

Puis, debout devant la cheminée, grillant ses jambes, dont le maillot se moirait de rose vif, elle reprit:

– Le prince est arrivé.

– Ah! crièrent les autres curieusement.

– Oui, je courais pour ça, je voulais voir… Il est dans la première avant-scène de droite, la même que jeudi. Hein? c'est la troisième fois qu'il vient en huit jours. A-t-elle une chance, cette Nana!.. Moi, je pariais qu'il ne viendrait plus.

Simonne ouvrait la bouche. Mais ses paroles furent couvertes par un nouveau cri, qui éclata près du foyer. La voix aiguë de l'avertisseur lançait dans le couloir, à toute volée: «C'est frappé!»

– Ça commence à être joli, trois fois, dit Simonne, lorsqu'elle put parler. Vous savez qu'il ne veut pas aller chez elle; il l'emmène chez lui. Et il paraît que ça lui coûte bon.

– Parbleu! quand on va en ville! murmura méchamment Prullière, en se levant pour jeter dans la glace un coup d'oeil de bel homme adoré des loges.

– C'est frappé! c'est frappé! répétait la voix de plus en plus perdue de l'avertisseur, courant les étages et les corridors.

Alors, Fontan, qui savait comment ça s'était passé la première fois entre le prince et Nana, raconta l'histoire aux deux femmes serrées contre lui, riant très haut, quand il se baissait, pour donner certains détails. Le vieux Bosc n'avait pas remué, plein d'indifférence. Ces machines-là ne l'intéressaient plus. Il caressait un gros chat rouge, couché en rond sur la banquette, béatement; et il finit par le prendre entre ses bras, avec la bonhomie tendre d'un roi gâteux. Le chat faisait le gros dos; puis, après avoir flairé longuement la grande barbe blanche, répugné sans doute par l'odeur de colle, il retourna dormir en rond sur la banquette. Bosc restait grave et absorbé.

– Ça ne fait rien, moi, à ta place, je prendrais le champagne au café, il est meilleur, dit-il tout d'un coup à Fontan, comme celui-ci finissait son histoire.

– C'est commencé! jeta la voix longue et déchirée de l'avertisseur. C'est commencé! c'est commencé!

Le cri roula un instant. Un bruit de pas rapides avait couru. Par la porte du couloir brusquement ouverte, il vint une bouffée de musique, une lointaine rumeur; et la porte retomba, on entendit le coup sourd du battant rembourré.

De nouveau, une paix lourde régnait dans le foyer des artistes, comme à cent lieues de cette salle, où toute une foule applaudissait. Simonne et Clarisse en étaient toujours sur Nana. En voilà une qui ne se pressait guère! La veille encore elle avait manqué son entrée. Mais tous se turent, une grande fille venait d'allonger la tête, puis, voyant qu'elle se trompait, avait filé au fond du couloir. C'était Satin, avec un chapeau et une voilette, prenant des airs de dame en visite. Une jolie roulure! murmura Prullière, qui la rencontrait depuis un an au café des Variétés. Et Simonne conta comment Nana, ayant reconnu Satin, une ancienne amie de pension, s'était toquée d'elle et tannait Bordenave pour qu'il la fît débuter.

– Tiens! bonsoir, dit Fontan en donnant des poignées de main à Mignon et à Fauchery qui entraient.

Le vieux Bosc lui-même tendit les doigts, pendant que les deux femmes embrassaient Mignon.

– Une belle salle, ce soir? demanda Fauchery.

– Oh! superbe! répondit Prullière. Il faut voir comme ils gobent!

– Dites donc, mes enfants, fit remarquer Mignon, ça doit être à vous.

Oui, tout à l'heure. Ils n'étaient que de la quatrième scène. Seul, Bosc se leva avec l'instinct du vieux brûleur de planches qui sent venir sa réplique. Justement, l'avertisseur paraissait à la porte.

– Monsieur Bosc! mademoiselle Simonne! appela-t-il.

Vivement, Simonne jeta une pelisse fourrée sur ses épaules et sortit. Bosc, sans se hâter, alla chercher sa couronne, qu'il se posa au front, d'une tape; puis, traînant son manteau, mal d'aplomb sur ses jambes, il s'en alla, grognant, de l'air fâché d'un homme qu'on dérange.

– Vous avez été bien aimable dans votre dernière chronique, reprit Fontan en s'adressant à Fauchery. Seulement, pourquoi dites-vous que les comédiens sont vaniteux?

– Oui, mon petit, pourquoi dis-tu ça? s'écria Mignon, qui abattit ses mains énormes sur les épaules grêles du journaliste, dont la taille plia.

Prullière et Clarisse retinrent un éclat de rire. Depuis quelque temps, tout le théâtre s'amusait d'une comédie qui se jouait dans les coulisses. Mignon, furieux du caprice de sa femme, vexé de voir ce Fauchery n'apporter au ménage qu'une publicité discutable, avait imaginé de se venger en le comblant de marques d'amitié; chaque soir, quand il le rencontrait sur la scène, il le bourrait de coups, comme emporté par un excès de tendresse; et Fauchery, chétif à côté de ce colosse, devait accepter les tapes en souriant d'un air contraint, pour ne pas se fâcher avec le mari de Rose.

– Ah! mon gaillard, vous insultez Fontan! reprit Mignon, poussant la farce. En garde! Une, deux, et v'lan dans la poitrine!

Il s'était fendu, il avait porté une telle botte au jeune homme, que celui-ci resta un instant très pâle, la parole coupée. Mais, d'un clignement de paupière, Clarisse montrait aux autres Rose Mignon, debout sur le seuil du foyer. Rose avait vu la scène. Elle marcha droit vers le journaliste, comme si elle n'apercevait pas son mari; et, se haussant, les bras nus, dans son costume de Bébé, elle présenta le front, avec une moue de câlinerie enfantine.

– Bonsoir, bébé, dit Fauchery, qui, familièrement, la baisa.

C'étaient là ses dédommagements. Mignon ne parut même pas remarquer ce baiser; tout le monde embrassait sa femme au théâtre. Mais il eut un rire, en jetant un mince coup d'oeil sur le journaliste; sûrement celui-ci allait payer cher la bravade de Rose.

Dans le couloir, la porte rembourrée s'ouvrit et retomba, soufflant jusqu'au foyer une tempête d'applaudissements. Simonne revenait après sa scène.

– Oh! le père Bosc a fait un effet! cria-t-elle. Le prince se tortillait de rire, et il applaudissait avec les autres, comme si on l'avait payé… Dites donc, connaissez-vous le grand monsieur qui est à côté du prince, dans l'avant-scène? Un bel homme, l'air très digne, des favoris superbes.

– C'est le comte Muffat, répondit Fauchery. Je sais que le prince, avant-hier, chez l'impératrice, l'avait invité à dîner pour ce soir… Il l'aura débauché ensuite.

– Tiens! le comte Muffat, nous connaissons son beau-père, n'est-ce pas, Auguste? dit Rose en s'adressant à Mignon. Tu sais, le marquis de Chouard, chez qui je suis allée chanter?.. Justement, il est aussi dans la salle. Je l'ai aperçu au fond d'une loge. En voilà un vieux…

Prullière, qui venait de coiffer son immense plumet, se retourna, pour l'appeler.

– Eh! Rose, allons-y.

Elle le suivit en courant, sans achever sa phrase. A ce moment, la concierge du théâtre, madame Bron, passait devant la porte, avec un énorme bouquet entre les bras. Simonne demanda plaisamment si c'était pour elle; mais la concierge, sans répondre, désigna du menton la loge de Nana, au fond du couloir. Cette Nana! on la couvrait de fleurs. Puis, comme madame Bron revenait, elle remit une lettre à Clarisse, qui laissa échapper un juron étouffé. Encore ce raseur de la Faloise! en voilà un homme qui ne voulait pas la lâcher! Et lorsqu'elle apprit que le monsieur attendait, chez la concierge, elle cria:

– Dites-lui que je descends après l'acte… Je vas lui coller ma main sur la figure.

Fontan s'était précipité, répétant:

– Madame Bron, écoutez… Écoutez donc, madame Bron… Montez à l'entracte six bouteilles de champagne.

Mais l'avertisseur avait reparu, essoufflé, la voix chantante.

– Tout le monde en scène!.. A vous, monsieur Fontan! Dépêchez!

dépêchez!

– Oui, oui, on y va, père Barillot, répondit Fontan, ahuri. Et, courant derrière madame Bron, il reprenait:

– Hein? c'est entendu, six bouteilles de champagne, dans le foyer, à l'entracte… C'est ma fête, c'est moi qui paie…

Simonne et Clarisse s'en étaient allées, avec un grand bruit de jupes. Tout s'engouffra; et, lorsque la porte du couloir fut retombée sourdement, on entendit, dans le silence du foyer, une nouvelle giboulée qui battait la fenêtre. Barillot, un petit vieillard blême, garçon de théâtre depuis trente ans, s'était familièrement approché de Mignon, en présentant sa tabatière ouverte. Cette prise offerte et acceptée lui donnait une minute de repos, dans ses continuelles courses à travers l'escalier et les couloirs des loges. Il y avait bien encore madame Nana, comme il la nommait; mais celle-là n'en faisait qu'à sa tête et se fichait des amendes; quand elle voulait manquer son entrée, elle la manquait. Il s'arrêta, étonné, murmurant:

– Tiens! elle est prête, la voici… Elle doit savoir que le prince est arrivé.

Nana, en effet, parut dans le corridor, vêtue en Poissarde, les bras et le visage blancs, avec deux plaques roses sous les yeux.

Elle n'entra pas, elle envoya simplement un signe de tête à Mignon et à Fauchery.

– Bonjour, ça va bien?

Mignon seul serra la main qu'elle tendait. Et Nana continua son chemin, royalement, suivie par son habilleuse qui, tout en lui marchant sur les talons, se penchait pour arranger les plis de sa jupe. Puis, derrière l'habilleuse, fermant le cortège, venait Satin, tâchant d'avoir un air comme il faut et s'ennuyant déjà à crever.

– Et Steiner? demanda brusquement Mignon.

– Monsieur Steiner est parti hier pour le Loiret, dit Barillot, qui retournait sur la scène. Je crois qu'il va acheter là-bas une campagne…

– Ah! oui, je sais, la campagne de Nana.

Mignon était devenu grave. Ce Steiner qui avait promis un hôtel à Rose, autrefois! Enfin, il fallait ne se fâcher avec personne, c'était une occasion à retrouver. Pris de rêverie, mais supérieur toujours, Mignon se promenait de la cheminée à la console. Il n'y avait plus que lui et Fauchery dans le foyer. Le journaliste, fatigué, venait de s'allonger au fond du grand fauteuil; et il restait bien tranquille, les paupières demi-closes, sous les regards que l'autre jetait en passant. Quand ils étaient seuls, Mignon dédaignait de le bourrer de tapes; à quoi bon? puisque personne n'aurait joui de la scène. Il se désintéressait trop pour s'amuser lui-même à ses farces de mari goguenard. Fauchery, heureux de ce répit de quelques minutes, allongeait languissamment les pieds devant le feu, les yeux en l'air, voyageant du baromètre à la pendule. Dans sa marche, Mignon se planta en face du buste de Potier, le regarda sans le voir, puis retourna devant la fenêtre, où le trou sombre de la cour se creusait. La pluie avait cessé, un silence profond s'était fait, alourdi encore par la grosse chaleur du coke et le flamboiement des becs de gaz. Plus un bruit ne montait des coulisses. L'escalier et les couloirs semblaient morts. C'était une de ces paix étouffées de fin d'acte, lorsque toute la troupe enlève sur la scène le vacarme assourdissant de quelque finale, tandis que le foyer vide s'endort dans un bourdonnement d'asphyxie.

– Ah! les chameaux! s'écria tout à coup la voix enrouée de Bordenave.

Il arrivait seulement, et il gueulait déjà contre deux figurantes, qui avaient failli s'étaler en scène, parce qu'elles faisaient les imbéciles. Quand il aperçut Mignon et Fauchery, il les appela, pour leur montrer quelque chose: le prince venait de demander à complimenter Nana dans sa loge, pendant l'entracte. Mais, comme il les emmenait sur le théâtre, le régisseur passa.

– Collez donc une amende à ces rosses de Fernande et de Maria! dit furieusement Bordenave.

Puis, se calmant, tâchant d'attraper une dignité de père noble, après s'être passé son mouchoir sur la face, il ajouta:

– Je vais recevoir Son Altesse.

La toile tombait, au milieu d'une salve prolongée d'applaudissements. Aussitôt, il y eut une débandade, dans la demi-obscurité de la scène, que la rampe n'éclairait plus; les acteurs et les figurants se hâtaient de regagner leurs loges, tandis que les machinistes enlevaient rapidement le décor. Cependant, Simonne et Clarisse étaient restées au fond, causant à voix basse. En scène, entre deux de leurs répliques, elles venaient d'arranger une affaire. Clarisse, tout bien examiné, préférait ne pas voir la Faloise, qui ne se décidait plus à la lâcher pour se mettre avec Gaga. Simonne irait simplement lui expliquer qu'on ne se collait pas à une femme de cette façon. Enfin, elle l'exécuterait.

Alors, Simonne, en blanchisseuse d'opéra-comique, les épaules couvertes de sa fourrure, descendit l'étroit escalier tournant, aux marches grasses, aux murailles humides, qui menait à la loge de la concierge. Cette loge, placée entre l'escalier des artistes et l'escalier de l'administration, fermée à droite et à gauche par de larges cloisons vitrées, était comme une grande lanterne transparente, où brûlaient violemment deux flammes de gaz. Dans un casier, des lettres, des journaux s'empilaient. Sur la table, il y avait des bouquets de fleurs, qui attendaient à côté d'assiettes sales oubliées et d'un vieux corsage dont la concierge refaisait les boutonnières. Et, au milieu de ce désordre de soupente mal tenue, des messieurs du monde, gantés, corrects, occupaient les quatre vieilles chaises de paille, l'air patient et soumis, tournant vivement la tête, chaque fois que madame Bron redescendait du théâtre avec des réponses. Elle venait justement de remettre une lettre à un jeune homme, qui s'était hâté de l'ouvrir dans le vestibule, sous le bec de gaz, et qui avait légèrement pâli, en trouvant cette phrase classique, lue tant de fois à cette place: «Pas possible ce soir, mon chéri, je suis prise.» La Faloise était sur une des chaises, au fond, entre la table et le poêle; il semblait décidé à passer la soirée là, inquiet pourtant, rentrant ses longues jambes, parce que toute une portée de petits chats noirs s'acharnaient autour de lui, tandis que la chatte, assise sur son derrière, le regardait fixement de ses yeux jaunes.

– Tiens, c'est vous, mademoiselle Simonne, que voulez-vous donc? demanda la concierge.

Simonne la pria de faire sortir la Faloise. Mais madame Bron ne put la contenter tout de suite. Elle tenait sous l'escalier, dans une sorte d'armoire profonde, une buvette où les figurants descendaient boire pendant les entractes; et comme elle avait là cinq ou six grands diables, encore vêtus en chienlits de la Boule-Noire, crevant de soif et pressés, elle perdait un peu la tête. Un gaz flambait dans l'armoire; on y voyait une table recouverte d'une feuille d'étain et des planches garnies de bouteilles entamées. Quand on ouvrait la porte de ce trou à charbon, un souffle violent d'alcool en sortait, qui se mêlait à l'odeur de graillon de la loge et au parfum pénétrant des bouquets laissés sur la table.

– Alors, reprit la concierge quand elle eut servi les figurants, c'est ce petit brun là-bas, que vous voulez?

– Mais non, pas de bêtise! dit Simonne. C'est le maigre, à côté du poêle, celui dont votre chatte sent le pantalon.

Et elle emmena la Faloise dans le vestibule, pendant que les autres messieurs se résignaient, étouffant, pris à la gorge, et que les chienlits buvaient le long des marches de l'escalier, en s'allongeant des claques, avec des gaietés enrouées de soûlards.

En haut, sur la scène, Bordenave s'emportait contre les machinistes, qui n'en finissaient pas d'enlever le décor. C'était fait exprès, le prince allait recevoir quelque ferme sur la tête.

– Appuyez! Appuyez! criait le chef d'équipe.

Enfin, la toile de fond monta, la scène était libre. Mignon, qui guettait Fauchery, saisit l'occasion pour recommencer ses bourrades. Il l'empoigna dans ses grands bras, en criant:

– Prenez donc garde! ce mât a failli vous écraser.

Et il l'emportait, et il le secouait, avant de le remettre par terre. Devant les rires exagérés des machinistes, Fauchery devint pâle; ses lèvres tremblaient, il fut sur le point de se révolter, pendant que Mignon se faisait bonhomme, lui donnant sur l'épaule des tapes affectueuses à le casser en deux, répétant:

– C'est que je tiens à votre santé, moi!.. Fichtre! je serais joli, s'il vous arrivait malheur!

Mais un murmure courut: «Le prince! Le prince!» Et chacun tourna les yeux vers la petite porte de la salle. On n'apercevait encore que le dos rond de Bordenave, avec son cou de boucher, qui se pliait et se renflait dans une série de saluts obséquieux. Puis, le prince parut, grand, fort, la barbe blonde, la peau rose, d'une distinction de viveur solide, dont les membres carrés s'indiquaient sous la coupe irréprochable de la redingote. Derrière lui, marchaient le comte Muffat et le marquis de Chouard. Ce coin du théâtre était obscur, le groupe s'y noyait, au milieu de grandes ombres mouvantes. Pour parler à un fils de reine, au futur héritier d'un trône, Bordenave avait pris une voix de montreur d'ours, tremblante d'une fausse émotion. Il répétait:

– Si Son Altesse veut bien me suivre… Son Altesse daignerait-elle passer par ici… Que Son Altesse prenne garde…

Le prince ne se hâtait nullement, très intéressé, s'attardant au contraire à regarder la manoeuvre des machinistes. On venait de descendre une herse, et cette rampe de gaz, suspendue dans ses mailles de fer, éclairait la scène d'une raie large de clarté. Muffat surtout, qui n'avait jamais visité les coulisses d'un théâtre, s'étonnait, pris d'un malaise, d'une répugnance vague mêlée de peur. Il levait les yeux vers le cintre, où d'autres herses, dont les becs étaient baissés, mettaient des constellations de petites étoiles bleuâtres, dans le chaos du gril et des fils de toutes grosseurs, des ponts volants, des toiles de fond étalées en l'air, comme d'immenses linges qui séchaient.

– Chargez! cria tout à coup le chef des machinistes.

Et il fallut que le prince lui-même prévînt le comte. Une toile descendait. On posait le décor du troisième acte, la grotte du mont Etna. Des hommes plantaient des mâts dans les costières, d'autres allaient prendre les châssis, contre les murs de la scène, et venaient les attacher aux mâts, avec de fortes cordes. Au fond, pour produire le coup de lumière que jetait la forge ardente de Vulcain, un lampiste avait fixé un portant, dont il allumait les becs garnis de verres rouges. C'était une confusion, une apparente bousculade, où les moindres mouvements étaient réglés; tandis que, dans cette hâte, le souffleur, pour délasser ses jambes, se promenait à petits pas.

– Son Altesse me comble, disait Bordenave en s'inclinant toujours. Le théâtre n'est pas grand, nous faisons ce que nous pouvons… Maintenant, si Son Altesse daigne me suivre…

Déjà le comte Muffat se dirigeait vers le couloir des loges. La pente assez rapide de la scène l'avait surpris, et son inquiétude venait beaucoup de ce plancher qu'il sentait mobile sous ses pieds; par les costières ouvertes, on apercevait les gaz brûlant dans les dessous; c'était une vie souterraine, avec des profondeurs d'obscurité, des voix d'hommes, des souffles de cave. Mais, comme il remontait, un incident l'arrêta. Deux petites femmes, en costume pour le troisième acte, causaient devant l'oeil du rideau. L'une d'elles, les reins tendus, élargissant le trou avec ses doigts, pour mieux voir, cherchait dans la salle.

Metin
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Litres'teki yayın tarihi:
28 ekim 2017
Hacim:
540 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
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