Kitabı oku: «Pot-Bouille», sayfa 12
– C'est bien curieux, murmura Octave, qui sentait la nécessité de dire quelque chose.
Alors, le mari, blême et se grandissant sur ses courtes jambes, pour dominer le ridicule, en vint à ce qu'il appelait la mauvaise conduite de cette malheureuse. Deux fois, il l'avait soupçonnée; mais il était trop honnête, une telle idée ne pouvait lui entrer dans le cerveau. Cette fois, pourtant, il fallait se rendre à l'évidence. Impossible de douter, n'est-ce pas? Et, de ses doigts tremblants, il tâtait la poche de son gilet où se trouvait la lettre.
– Encore, si elle faisait ça pour de l'argent, je comprendrais, ajouta-t-il. Mais on ne lui en donne pas, j'en suis sûr, je le saurais… Alors, dites-moi ce qu'elle peut avoir dans la peau? Moi, je suis très gentil, elle a tout à la maison, je ne comprends pas… Si vous comprenez, monsieur, dites-le-moi, je vous en prie.
– C'est bien curieux, bien curieux, répéta Octave, gêné de toutes ces confidences, et cherchant à se dégager.
Mais le mari ne le lâchait plus, fiévreux, travaillé d'un besoin de certitude. A ce moment, madame Juzeur reparut, alla dire un mot à l'oreille de madame Josserand, qui saluait d'une révérence l'entrée d'un grand bijoutier du Palais-Royal; et celle-ci, toute retournée, se hâta de la suivre.
– Je crois que votre femme a une crise très violente, fit remarquer Octave à Théophile.
– Laissez donc! répondit ce dernier furieux, désespéré de ne pas être malade pour qu'on le soignât aussi, elle est trop contente, d'avoir une crise! Ça met toujours le monde de son côté… Je ne me porte pas mieux qu'elle, et je ne l'ai jamais trompée, moi!
Madame Josserand ne revenait pas. Le bruit courait, parmi les intimes, que Valérie se débattait dans des convulsions affreuses. Il aurait fallu des hommes pour la tenir; mais, comme on avait dû la déshabiller à moitié, on refusait les offres de Trublot et de Gueulin. Cependant, l'orchestre jouait un quadrille, Berthe ouvrait le bal avec Duveyrier qui dansait en magistrat, tandis que, n'ayant pu retrouver madame Josserand, Auguste leur faisait vis-à-vis avec Hortense. On cachait la crise aux mariés, pour leur éviter des émotions dangereuses. Le bal s'animait, des rires sonnaient dans la vive clarté des lustres. Une polka, dont les violons accentuaient vivement la cadence, emporta autour du salon des couples, déroulant toute une queue de longues traînes.
– Le docteur Juillerat? où est le docteur Juillerat? demanda madame Josserand en reparaissant violemment.
Le docteur était invité, mais personne ne l'avait encore aperçu. Alors, elle ne cacha pas la sourde colère qu'elle amassait depuis le matin. Elle parla devant Octave et Campardon, sans ménager les termes.
– Je commence à en avoir assez… Ce n'est pas drôle pour ma fille, tout ce cocuage qui n'en finit plus!
Elle cherchait Hortense, elle l'aperçut enfin causant avec un monsieur, dont elle voyait seulement le dos, mais qu'elle reconnut à ses épaules larges. C'était Verdier. Cela augmenta sa mauvaise humeur. Elle appela sèchement la jeune fille, elle lui dit, en baissant la voix, qu'elle ferait mieux de rester à la disposition de sa mère, un jour comme celui-là. Hortense n'accepta pas la réprimande. Elle était triomphante, Verdier venait de fixer leur mariage à deux mois, en juin.
– Fiche-moi la paix! dit la mère.
– Je t'assure, maman… Il découche déjà trois fois par semaine pour accoutumer l'autre, et dans quinze jours il ne rentrera plus du tout. Alors, ce sera fini, je l'aurai.
– Fiche-moi la paix! J'en ai par-dessus la tête, de votre roman!.. Tu vas me faire le plaisir d'attendre à la porte le docteur Juillerat et de me l'envoyer dès son arrivée… Surtout pas un mot à ta soeur!
Elle rentra dans la pièce voisine, laissant Hortense murmurer que, Dieu merci! elle ne demandait l'approbation de personne, et qu'il y aurait bien du monde d'attrapé, lorsqu'on la verrait, un jour, se marier mieux que les autres. Pourtant, elle alla guetter l'entrée du docteur.
Maintenant, l'orchestre jouait une valse. Berthe dansait avec un petit cousin de son mari, pour épuiser à tour de rôle les membres de la famille. Madame Duveyrier n'avait pu refuser l'oncle Bachelard, qui l'incommodait beaucoup, en lui soufflant dans la figure. La chaleur grandissait, le buffet s'emplissait déjà de messieurs, s'épongeant le front. Des fillettes, dans un coin, sautaient ensemble; pendant que des mères, rêveuses, assises à l'écart, songeaient aux noces toujours manquées de leurs demoiselles. On félicitait beaucoup les deux pères, M. Vabre et M. Josserand, qui ne se quittaient plus, sans échanger d'ailleurs une parole. Tous le monde avait l'air de s'amuser et se récriait devant eux sur la gaieté du bal. C'était, selon le mot de Campardon, une gaieté de bon aloi.
Mais l'architecte, par effusion galante, s'inquiétait de l'état de Valérie, tout en ne manquant pas une danse. Il eut l'idée d'envoyer sa fille Angèle prendre des nouvelles en son nom. La petite, dont les quatorze ans, depuis le matin, brûlaient de curiosité autour de la dame qui faisait tant causer, fut ravie de pouvoir pénétrer dans le salon voisin. Et elle ne revint pas, l'architecte dut se permettre d'entr'ouvrir la porte et de passer la tête. Il aperçut sa fille debout devant le canapé, profondément absorbée par la vue de Valérie, dont la gorge tendue, secouée de spasmes, avait jailli hors du corsage dégrafé. Des protestations s'élevèrent, on lui criait de ne pas entrer; et il se retira, il jura qu'il désirait seulement savoir comment ça tournait.
– Ça ne va pas, ça ne va pas, dit-il mélancoliquement aux personnes qui se trouvaient près de la porte. Elles sont quatre à la tenir… Faut-il qu'une femme soit bâtie, pour sauter ainsi, sans se rien démancher!
Il s'était formé là un groupe. On y commentait à demi-voix les moindres phases de la crise. Des dames, averties, arrivaient d'un air d'apitoiement entre deux quadrilles, pénétraient dans le petit salon, puis rapportaient des détails aux hommes, et retournaient danser. C'était tout un coin de mystère, des mots dits à l'oreille, des regards échangés, au milieu du brouhaha grandissant. Et, seul, abandonné, Théophile se promenait devant la porte, rendu malade par cette idée fixe qu'on se moquait de lui et qu'il ne devait pas le souffrir.
Mais le docteur Juillerat traversa vivement la salle de bal, accompagné d'Hortense qui lui donnait des explications. Madame Duveyrier les suivait. Quelques personnes s'étonnèrent, des bruits se répandirent. A peine le médecin avait-il disparu, que madame Josserand sortit de la pièce avec madame Dambreville. Sa colère montait; elle venait de vider deux carafes d'eau sur la tête de Valérie; jamais elle n'avait vu une femme nerveuse à ce point. Alors, elle s'était décidée à faire le tour du bal, pour arrêter les indiscrétions par sa présence. Seulement, elle marchait d'un pas si terrible, elle distribuait des sourires si amers, que tout le monde, derrière elle, entrait dans la confidence.
Madame Dambreville ne la quittait pas. Depuis le matin, elle lui parlait de Léon, avec de vagues plaintes, tâchant de l'amener à intervenir auprès de son fils, pour replâtrer leur liaison. Elle le lui fit voir, comme il reconduisait une grande fille sèche, auprès de laquelle il affectait de se montrer très assidu.
– Il nous abandonne, dit-elle avec un léger rire, tremblant de larmes contenues. Grondez-le donc, de ne plus même nous regarder.
– Léon! appela madame Josserand.
Quand il fut là, elle ajouta brutalement, n'étant pas d'humeur à envelopper les choses:
– Pourquoi es-tu fâché avec madame?.. Elle ne t'en veut pas.
Expliquez-vous donc. Ça n'avance à rien, d'avoir mauvais caractère.
Et elle les laissa l'un devant l'autre, interloqués. Madame Dambreville prit le bras de Léon, tous deux allèrent causer dans l'embrasure d'une fenêtre; puis, ils quittèrent le bal ensemble, tendrement. Elle lui avait juré de le marier à l'automne.
Cependant, madame Josserand qui continuait à distribuer des sourires, fut prise d'une grosse émotion, quand elle se trouva devant Berthe, essoufflée d'avoir dansé, toute rose dans sa robe blanche qui se fripait. Elle la saisit entre ses bras, et défaillant à une vague association d'idées, se rappelant sans doute l'autre, dont la face se convulsait affreusement:
– Ma pauvre chérie, ma pauvre chérie! murmura-t-elle, en lui donnant deux gros baisers.
Berthe alors, tranquille, demanda:
– Comment va-t-elle?
Du coup, madame Josserand redevint très aigre. Comment! Berthe le savait! Mais sans doute elle le savait, tout le monde le savait. Seul, son mari, qu'elle montra conduisant au buffet une vieille dame, ignorait encore l'histoire. Même elle allait charger quelqu'un de le mettre au courant, car ça lui donnait l'air bête, d'être toujours ainsi, en arrière des autres, à ne se douter de rien.
– Et moi qui m'échine à vouloir cacher leur catastrophe! dit madame Josserand outrée. Ah bien! je ne vais plus me gêner, il faut que ça finisse. Je ne tolérerai pas qu'ils te rendent ridicule.
Tout le monde le savait, en effet. Seulement, pour ne pas attrister le bal, on n'en parlait point. L'orchestre avait couvert les premiers apitoiements; puis, on en souriait à cette heure, dans les étreintes plus libres des couples. Il faisait très chaud, la nuit s'avançait. Des domestiques passaient des rafraîchissements. Sur un canapé, deux petites filles, vaincues par la fatigue, s'étaient endormies aux bras l'une de l'autre, la joue contre la joue. Près de l'orchestre, dans le ronflement d'une contre-basse, M. Vabre s'était décidé à entretenir M. Josserand de son grand ouvrage, au sujet d'un doute qui, depuis quinze jours, l'arrêtait sur les oeuvres véritables de deux peintres de même nom; tandis que, près de là, Duveyrier, au milieu d'un groupe, blâmait vivement l'empereur d'avoir autorisé, à la Comédie-Française, une pièce qui attaquait la société. Mais, lorsqu'une valse ou une polka revenait, les hommes devaient céder la place, des couples élargissaient la danse, des jupes rasaient le parquet, soulevant dans la chaleur des bougies la fine poussière et l'odeur masquée des toilettes.
– Elle va mieux, accourut dire Campardon, qui avait jeté de nouveau un coup d'oeil. On peut entrer.
Quelques amis se risquèrent. Valérie était toujours couchée; seulement, la crise se calmait; et, par décence, on avait couvert sa gorge d'une serviette, trouvée sur une console. Devant la fenêtre, madame Juzeur et madame Duveyrier écoutaient le docteur Juillerat, qui expliquait que les accès cédaient parfois à des compresses d'eau chaude, appliquées autour du cou. Mais la malade ayant vu Octave entrer avec Campardon, l'appela d'un signe, lui adressa d'abord des paroles incohérentes, dans un dernier reste d'hallucination. Il dut s'asseoir près d'elle, sur l'ordre même du médecin, désireux avant tout de ne pas la contrarier; et il reçut ainsi ses confidences, lui qui, dans la soirée, avait déjà eu celles du mari. Elle tremblait de peur, elle le prenait pour son amant, le suppliait de la cacher. Puis, elle le reconnut et fondit en larmes, en le remerciant de son mensonge du matin, pendant la messe. Octave songeait à cette autre crise, dont il avait voulu profiter, avec un désir goulu d'écolier. Maintenant, il était son ami, elle lui dirait tout, ce serait peut-être meilleur.
A ce moment, Théophile, qui rôdait toujours devant la porte, voulut entrer. D'autres hommes étaient là, il pouvait bien y être aussi. Mais cela causa toute une panique. Valérie, en entendant sa voix, fut reprise d'un tremblement, on crut qu'une nouvelle crise allait se déclarer. Lui, suppliant, luttant contre ces dames dont les bras le repoussaient, répétait avec obstination:
– Je ne lui demande que le nom… Qu'elle me dise le nom.
Alors, madame Josserand, qui arrivait, éclata. Elle attira Théophile dans le petit salon, pour étouffer le scandale. Elle lui dit furieusement:
– Ah! ça, finirez-vous par nous ficher la paix? Depuis ce matin, vous nous assommez avec vos bêtises… Vous manquez de tact, monsieur, oui, vous manquez absolument de tact! On n'insiste pas sur de pareilles choses, un jour de mariage.
– Permettez, madame, murmura-t-il, ce sont mes affaires, ça ne vous regarde pas!
– Comment! ça ne me regarde pas? mais je suis de votre famille maintenant, monsieur, et croyez-vous que votre histoire m'amuse, à cause de ma fille?.. Ah! vous lui avez fait de jolies noces! Plus un mot, monsieur, vous manquez de tact!
Il resta éperdu, il regarda autour de lui, cherchant une aide. Mais ces dames témoignaient par leur froideur qu'elles le jugeaient avec une égale sévérité. C'était le mot, il manquait de tact; car il y avait des circonstances où l'on devait avoir la force de refréner ses passions. Sa soeur elle-même le boudait. Comme il protestait encore, il souleva une révolte générale. Non, non, il n'avait rien à répondre, on ne se conduisait pas de la sorte!
Ce cri lui ferma la bouche. Il était si ahuri, si pauvre avec ses membres grêles et sa face de fille ratée, que ces dames eurent de légers sourires. Lorsqu'on manquait de ce qu'il faut pour rendre une femme heureuse, on ne se mariait pas. Hortense le pesait d'un regard de dédain; la petite Angèle, qu'on oubliait, tournait autour de lui, de son air sournois, comme si elle eût cherché quelque chose; et il recula avec embarras, il se mit à rougir, quand il les vit toutes, si grandes, si grosses, l'entourer de leurs fortes hanches. Mais elles sentaient la nécessité d'arranger l'affaire. Valérie s'était remise à sangloter, pendant que le docteur Juillerat lui tamponnait de nouveau les tempes. Alors, elles se comprirent sur un coup d'oeil, un esprit commun de défense les rapprocha. Elles cherchaient, elles tâchaient d'expliquer la lettre au mari.
– Parbleu! murmura Trublot, qui venait de rejoindre Octave, ce n'est pas malin: on dit que la lettre est à la bonne.
Madame Josserand l'entendit. Elle se retourna, le regarda, pleine d'admiration. Puis, revenant vers Théophile:
– Est-ce qu'une femme innocente s'abaisse à donner des explications, quand on l'accuse avec votre brutalité? Mais je puis parler, moi… La lettre a été perdue par Françoise, cette bonne que votre femme a dû chasser, à cause de sa mauvaise conduite… Là, êtes-vous content? ne sentez-vous pas la honte vous monter au visage?
D'abord, le mari haussa les épaules. Mais toutes ces dames restaient sérieuses, répondaient à ses objections avec une grande force de raisonnement. Il était ébranlé, lorsque, pour achever sa déroute, madame Duveyrier se fâcha, lui cria que sa conduite devenait abominable et qu'elle le reniait. Alors, vaincu, ayant besoin d'être embrassé, il se jeta au cou de Valérie, en lui demandant pardon. Ce fut touchant. Madame Josserand elle-même se montra très émue.
– Il vaut toujours mieux s'entendre, dit-elle, soulagée. Enfin, la journée ne finira pas trop mal.
Lorsqu'on eut rhabillé Valérie et qu'elle parut dans le bal, au bras de Théophile, il sembla qu'une joie plus large éclatait. Il était déjà près de trois heures, le monde commençait à partir; mais l'orchestre enlevait les quadrilles avec une fièvre dernière. Des hommes souriaient, derrière le ménage réconcilié. Un mot médical de Campardon sur ce pauvre Théophile, remplit d'aise madame Juzeur. Les jeunes filles se pressaient, dévisageaient Valérie; puis, elles prenaient des mines sottes, devant les coups d'oeil scandalisés des mères. Cependant, Berthe, qui dansait enfin avec son mari, dut lui dire un mot tout bas; car Auguste, mis au courant de l'histoire, tourna la tête; et, sans perdre la mesure, il regardait son frère Théophile, avec l'étonnement et la supériorité d'un homme auquel des choses pareilles ne peuvent pas arriver. Il y eut un galop final, la société se lâchait dans la chaleur étouffante, dans la clarté rousse des bougies, dont les flammes vacillantes faisaient éclater les bobèches.
– Vous êtes bien avec elle? demanda madame Hédouin, en tournant au bras d'Octave, dont elle avait accepté une invitation.
Le jeune homme crut sentir un léger frisson dans sa taille si droite et si calme.
– Nullement, dit-il. Ils m'ont mêlé à cela, je suis fort ennuyé de l'aventure… Le pauvre diable a tout avalé.
– C'est très mal, déclara-t-elle de sa voix grave.
Sans doute, Octave s'était trompé. Quand il dénoua son bras, madame Hédouin ne soufflait même pas, les yeux clairs, les bandeaux corrects. Mais un scandale troublait la fin du bal. L'oncle Bachelard, qui s'était achevé au buffet, venait de risquer une idée gaie. Brusquement, on l'avait aperçu dansant devant Gueulin un pas de la dernière indécence. Dans les devants de son habit boutonné, des serviettes roulées lui faisaient une gorge de nourrice; et deux grosses oranges posées sur les serviettes, débordant des revers, montraient leur rondeur, d'un rouge sanguinolent de peau écorchée. Cette fois, tout le monde protesta: on a beau gagner beaucoup d'argent, il y a des limites qu'un homme convenable ne doit jamais dépasser, surtout devant de jeunes personnes. M. Josserand, honteux et désespéré, fit sortir son beau-frère. Duveyrier montra le plus grand dégoût.
A quatre heures, les mariés rentrèrent rue de Choiseul. Ils ramenaient Théophile et Valérie dans leur voiture. Comme ils montaient au second, où l'on avait installé un appartement, ils rejoignirent Octave, qui rentrait aussi se coucher. Le jeune homme voulut s'effacer par politesse, mais Berthe fit le même mouvement, et ils se heurtèrent.
– Oh! pardon, mademoiselle, dit-il.
Ce mot de «mademoiselle» les amusa. Elle le regardait, et il se rappelait le premier regard échangé dans cet escalier même, un regard de gaieté et de hardiesse, dont il retrouvait l'accueil charmant. Ils se comprirent peut-être, elle rougit, pendant qu'il montait seul à sa chambre, au milieu de la paix morte des étages supérieurs.
Déjà, Auguste, l'oeil gauche fermé, rendu fou par la migraine qu'il promenait depuis le matin, était dans l'appartement, où la famille arrivait. Alors, au moment de quitter Berthe, Valérie céda à une brusque émotion, et la serrant dans ses bras, achevant de chiffonner sa robe blanche, elle la baisa, elle lui dit à voix basse:
– Ah! ma chère, je vous souhaite plus de chance qu'à moi!
IX
Deux jours plus tard, vers sept heures, comme Octave arrivait chez les Campardon pour le dîner, il trouva Rose seule, vêtue d'un peignoir de soie crème, garni de dentelles blanches.
– Vous attendez quelqu'un? demanda-t-il.
– Mais non, répondit-elle, un peu gênée. Nous nous mettrons à table, dès qu'Achille rentrera.
L'architecte se dérangeait, n'était jamais là pour l'heure des repas, arrivait très rouge, l'air effaré, en maudissant les affaires. Puis, il filait tous les soirs, il épuisait les prétextes, parlant de rendez-vous dans des cafés, inventant des réunions lointaines. Souvent alors, Octave tenait compagnie à Rose jusqu'à onze heures, car il avait compris que le mari le gardait comme pensionnaire, pour occuper sa femme; et elle se plaignait doucement, elle disait ses craintes: mon Dieu! elle laissait Achille bien libre, seulement elle était si inquiète, quand il revenait après minuit!
– Vous ne le trouvez pas triste depuis quelque temps? dit-elle d'une voix tendrement effrayée.
Le jeune homme n'avait pas remarqué.
– Je le trouve préoccupé peut-être… Les travaux de Saint-Roch lui donnent du souci.
Mais elle hocha la tête, sans insister davantage. Puis, elle se montra très bonne pour Octave, l'interrogea comme de coutume sur l'emploi de sa journée, avec une affection de mère et de soeur. Depuis près de neuf mois qu'il mangeait chez eux, elle le traitait ainsi en enfant de la maison.
Enfin, l'architecte parut.
– Bonsoir, mon chat, bonsoir, ma cocotte, dit-il, en la baisant de son air passionné de bon mari. Encore un imbécile, qui m'a retenu une heure sur un trottoir!
Octave s'était écarté, et il les entendit échanger quelques mots à voix basse.
– Viendra-t-elle?
– Non, à quoi bon? et surtout ne te tourmente pas.
– Tu m'avais juré qu'elle viendrait.
– Eh bien! oui, elle va venir. Es-tu contente? C'est bien pour toi que je l'ai fait.
On se mit à table. Pendant tout le dîner, il fut question de la langue anglaise, que la petite Angèle apprenait depuis quinze jours. Campardon avait brusquement soutenu la nécessité de l'anglais pour une demoiselle; et, comme Lisa sortait de chez une actrice qui revenait de Londres, chaque repas était employé à discuter les noms des plats qu'elle apportait. Ce soir-là, après de longs essais inutiles sur la prononciation du mot «rumsteack», il fallut remporter le rôti, oublié au feu par Victoire, et dur comme des semelles de botte.
On était au dessert, lorsqu'un coup de timbre fit tressaillir madame Campardon.
– C'est la cousine de madame, revint dire Lisa, du ton blessé d'une domestique qu'on a négligé de mettre dans une confidence de famille.
Et Gasparine, en effet, entra. Elle était en robe de laine noire, très simple, avec son visage maigre et son air pauvre de fille de magasin. Rose, douillettement enveloppée dans son peignoir de soie crème, grasse et fraîche, se leva, si émue, que des larmes lui montaient aux paupières.
– Ah! ma chère, murmura-t-elle, tu es bien gentille… Oublions tout, n'est-ce pas?
Elle l'avait prise entre les bras, elle lui donna deux gros baisers. Octave, par discrétion, voulut partir. Mais on se fâcha: il pouvait rester, il était de la famille. Alors, il s'amusa à regarder la scène. Campardon, d'abord plein d'embarras, détournait les yeux des deux femmes, soufflant, cherchant un cigare; tandis que Lisa, qui enlevait le couvert d'une main brutale, échangeait des coups d'oeil avec Angèle étonnée.
– C'est ta cousine, dit enfin l'architecte à sa fille. Tu nous as entendus parler d'elle… Embrasse-la donc.
Elle l'embrassa de son air maussade, inquiète du regard d'institutrice dont Gasparine la déshabillait, après avoir posé des questions sur son âge et sur son éducation. Puis, lorsqu'on passa au salon, elle préféra suivre Lisa, qui fermait violemment la porte, en disant, sans même craindre d'être entendue:
– Ah bien! ça va devenir drôle, ici!
Dans le salon, Campardon, toujours fiévreux, se mit à se défendre.
– Parole d'honneur! la bonne idée n'est pas de moi… C'est Rose qui a voulu se réconcilier. Tous les matins, voici plus de huit jours, elle me répétait: Va donc la chercher… Alors, moi, j'ai fini par aller vous chercher.
Et, comme s'il eût senti le besoin de convaincre Octave, il l'emmena devant la fenêtre.
– Hein? les femmes sont les femmes… Moi, ça m'embêtait, parce que j'ai peur des histoires. L'une à droite, l'autre à gauche, il n'y avait pas de tamponnement possible… Mais j'ai dû céder, Rose assure que nous serons tous plus contents. Enfin, nous essayerons. Ça dépend d'elles deux, maintenant, d'arranger ma vie.
Cependant, Rose et Gasparine s'étaient assises côte à côte sur le canapé. Elles parlaient du passé, des jours vécus à Plassans, chez le bon père Domergue. Rose alors avait le teint plombé, les membres grêles d'une fillette malade de sa croissance, tandis que Gasparine, femme à quinze ans, était grande et désirable, avec ses beaux yeux; et elles se regardaient aujourd'hui, elles ne se reconnaissaient plus, l'une si fraîchement grasse dans sa chasteté forcée, l'autre séchée par la vie de passion nerveuse dont elle brûlait. Gasparine, un instant, souffrit de son teint jaune et de sa robe étriquée, en face de Rose vêtue de soie, noyant sous des dentelles la délicatesse douillette de son cou blanc. Mais elle dompta ce frisson de jalousie, elle accepta tout de suite une situation de parente pauvre, à genoux devant les toilettes et les grâces de sa cousine.
– Et ta santé? demanda-t-elle à demi-voix. Achille m'a parlé… Ça ne va pas mieux?
– Non, non, répondit Rose, mélancolique. Tu vois, je mange, j'ai l'air très bien… Et ça ne se remet pas, ça ne se remettra jamais.
Comme elle pleurait, Gasparine la prit à son tour dans ses bras, la garda contre sa poitrine plate et ardente, pendant que Campardon accourait les consoler.
– Pourquoi pleures-tu? disait-elle avec maternité. Le principal est que tu ne souffres pas… Qu'est-ce que ça fait, si tu as toujours autour de toi des gens pour t'aimer?
Rose se calmait, souriait déjà au milieu de ses larmes. Alors, l'architecte, emporté par l'attendrissement, les saisit toutes les deux dans une même étreinte, leur donna des baisers, en balbutiant:
– Oui, oui, nous nous aimerons bien, nous t'aimerons bien, ma pauvre cocotte… Tu verras comme tout s'arrangera, à présent que nous sommes réunis.
Et, se tournant vers Octave:
– Ah! mon cher, on a beau dire, il n'y a encore que la famille!
La fin de la soirée fut charmante. Campardon, qui s'endormait d'habitude au sortir de table, s'il restait chez lui, retrouva sa gaieté d'artiste, les vieilles farces et les chansons raides de l'École des Beaux-Arts. Lorsque, vers onze heures, Gasparine se retira, Rose voulut l'accompagner, malgré la difficulté qu'elle éprouvait à marcher, ce jour-là; et, penchée sur la rampe, dans le silence grave de l'escalier:
– Reviens souvent! cria-t-elle.
Le lendemain, Octave, intéressé, tâcha de faire causer la cousine au Bonheur des Dames, comme ils recevaient ensemble un arrivage de lingerie. Mais elle répondit d'une voix brève, il la sentit hostile, fâchée de l'avoir eu pour témoin, la veille. D'ailleurs, elle ne l'aimait pas, elle lui témoignait, dans leurs rapports forcés, une sorte de rancune. Depuis longtemps, elle comprenait son jeu auprès de la patronne, et elle l'assistait à sa cour assidue, avec des regards noirs, une moue méprisante des lèvres, dont il restait parfois troublé. Lorsque cette grande diablesse de fille allongeait ses mains sèches entre eux, il éprouvait la sensation nette et désagréable, que jamais il n'aurait madame Hédouin.
Cependant, Octave s'était donné six mois. Quatre à peine venaient de s'écouler, et des impatiences le prenaient. Chaque matin, il se demandait s'il ne devait pas brusquer les choses, en voyant le peu de progrès fait dans les tendresses de cette femme, toujours si glacée et si douce. Elle avait fini pourtant par lui témoigner une véritable estime, gagnée à ses idées larges, à ses rêves de grands comptoirs modernes, déballant des millions de marchandises sur les trottoirs de Paris. Souvent, lorsque son mari n'était pas là et qu'elle ouvrait la correspondance avec le jeune homme, le matin, elle le retenait, le consultait, se trouvait bien de ses avis; et une sorte d'intimité commerciale s'établissait ainsi entre eux. C'étaient des liasses de factures où leurs mains se rencontraient, des chiffres dont ils s'effleuraient la peau avec leur haleine, des abandons devant la caisse, à la suite des recettes heureuses. Même, il abusait de ces moments, sa tactique avait fini par être de la toucher dans sa nature de bonne commerçante et de la vaincre, un jour de faiblesse, au milieu de la grosse émotion de quelque vente inespérée. Aussi cherchait-il un coup étonnant, qui la lui livrerait. Du reste, dès qu'il ne la tenait plus à causer d'affaires, tout de suite elle reprenait sa tranquille autorité, lui donnait poliment des ordres, comme elle en donnait aux garçons de magasin; et elle dirigeait la maison avec sa froideur de belle femme, portant une petite cravate d'homme sur sa gorge de statue antique, sanglée dans la sévérité d'un corsage éternellement noir.
Vers cette époque, M. Hédouin, étant tombé malade, alla faire une saison aux eaux de Vichy. Octave, franchement, s'en réjouissait. Madame Hédouin avait beau être de marbre, elle s'attendrirait dans son veuvage. Mais il attendit inutilement un frisson, un alanguissement de désir. Jamais elle ne s'était montrée si active, la tête si libre et l'oeil si clair. Levée avec le jour, elle recevait elle-même les marchandises dans le sous-sol, la plume à l'oreille, de l'air affairé d'un commis. On la voyait partout, en bas et en haut, aux rayons de la soierie et du blanc, veillant à l'étalage et à la vente; et elle circulait paisible, sans même attraper un grain de poussière, parmi cet entassement de ballots qui faisait éclater le magasin trop étroit. Lorsqu'il la rencontrait au milieu de quelque passage étranglé, entre un mur de lainages et tout un banc de serviettes, Octave se rangeait maladroitement, pour l'avoir une seconde à lui, sur sa poitrine; mais elle passait si occupée, qu'il sentait à peine l'effleurement de sa robe. Il était très gêné, d'ailleurs, par les yeux de mademoiselle Gasparine, dont il trouvait toujours, à ces moments-là, le regard dur fixé sur eux.
Au demeurant, le jeune homme ne désespérait pas. Parfois, il se croyait au but et arrangeait déjà sa vie, pour le jour prochain où il serait l'amant de la patronne. Il avait gardé Marie, afin de patienter; seulement, si elle était commode et si elle ne lui coûtait rien, elle pouvait devenir gênante peut-être, avec sa fidélité de chien battu. Aussi, tout en la reprenant, les soirs d'ennui, songeait-il déjà à la façon dont il romprait. La lâcher brutalement lui semblait maladroit. Un matin de fête, comme il allait retrouver au lit sa voisine, pendant une course matinale du voisin, l'idée lui était enfin venue, de rendre Marie à Jules, de les mettre aux bras l'un de l'autre, si amoureux, qu'il pourrait se retirer, la conscience tranquille. C'était du reste une bonne action, dont le côté attendrissant lui enlevait tout remords. Pourtant, il attendait, il ne voulait pas se trouver sans femme.
Chez les Campardon, une autre complication préoccupait Octave. Il sentait arriver le moment où il devrait prendre ses repas ailleurs. Depuis trois semaines, Gasparine s'installait dans la maison, avec une autorité de plus en plus large. Elle était revenue d'abord chaque soir; puis, on l'avait vue pendant le déjeuner; et, malgré son travail au magasin, elle commençait à se charger de tout, de l'éducation d'Angèle et des provisions du ménage. Rose répétait sans cesse devant Campardon:
– Ah! si Gasparine logeait avec nous!
Mais, chaque fois, l'architecte s'écriait, rougissant de scrupule, tourmenté d'une honte:
– Non, non, ça ne se peut pas… D'ailleurs, où la coucherais-tu?