Kitabı oku: «Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 5 - (D - E- F)», sayfa 37
Au XVe siècle, les fleurons qui terminent les pinacles ou les gâbles sont souvent dépouillés de feuillages, ce sont de simples amortissements de formes géométriques dans le genre de la fig. 13. Cependant si l'édifice est très-richement sculpté, comme, par exemple, le tour du choeur de l'église abbatiale d'Eu, ces amortissements se revêtent de feuilles d'eau ou plutôt d'un ornement qui ressemble assez à des algues marines (14). Vers 1500, les fleurons ne sont autre chose que la réunion des crochets des rampants de gâbles ou de pinacles, et finissent par une longue tige prismatique (voy. CONTRE-COURBE, fig. 2; CROCHET, FENÊTRE, fig. 42; GÂBLE, PINACLE).
On donne aussi le nom de fleurons à des épanouissements de feuilles qui terminent des redents (voy. ce mot).
Que les fleurons de couronnement appartiennent au XIIIe ou au XVe siècle, ils sont toujours bien plantés, fièrement galbés, en rapports parfaits de proportion avec les parties de l'architecture qu'ils surmontent. Les architectes gothiques savaient couronner leurs édifices. Notre attention doit d'autant plus se porter sur ces qualités, qu'aujourd'hui la plupart de nos monuments modernes pèchent évidemment par le défaut contraire. L'ère classique, qui finit, regardait les couronnements comme une superfétation de mauvais goût. Les Grecs et les Romains ne manquaient pas cependant de terminer les parties supérieures de leurs édifices par des ornements en pierre, en marbre ou en métal, qui se découpaient sur le ciel; mais les exemples n'existant plus en place, il était convenu que l'architecture antique se passait de ces accessoires. C'était un moyen d'éluder la difficulté. Peu à peu cependant les études archéologiques, l'inspection de fragments épars, de médailles, ont fait reconnaître que les anciens étaient loin de se priver de ces ressources décoratives; on chercha donc timidement et un peu au hasard à rompre les lignes sèches et froides de nos palais, de nos édifices publics: or, lorsqu'il s'agit de silhouettes, ce qu'il faut, ce sont des tracés hardis, un coup d'oeil sûr, l'expérience de l'effet perspectif, l'observation du jeu des ombres. Cette expérience, il nous faut l'acquérir, car nous l'avons absolument perdue.
FLORE, s. f. Nous avons souvent l'occasion de parler de la flore sculptée de l'architecture du moyen âge; c'est qu'en effet cette architecture possède sa flore, qui se modifie à mesure que l'art progresse et décline. Pendant la période romane, la flore n'est guère qu'une imitation de la sculpture romaine et byzantine; cependant on aperçoit, vers le commencement du XIIe siècle, dans certains édifices romans, une tendance manifeste à chercher les modèles de l'ornementation sculptée parmi les plantes des bois et des champs. Mais comment cette recherche commence-t-elle? À quels éléments s'attache-t-elle d'abord? Qui la provoque? Comment s'érige-t-elle en système et parvient-elle à former une école? Résoudre ces questions, c'est faire l'histoire de notre art français au moment où il se développe, où il est réellement original et n'emprunte plus rien au passé.
Il semble, en examinant les monuments, que les clunisiens ont été les premiers à former des écoles de sculpteurs allant chercher, dans les productions naturelles, les éléments de leur décoration. Les chapiteaux de la nef de l'église abbatiale de Vézelay ne sont plus déjà des imitations abâtardies de la sculpture antique: leur végétation sculptée possède une physionomie qui lui est propre, qui a l'âpreté d'un art neuf plutôt que l'empreinte barbare d'un art, dernier reflet de traditions vieillies. Sur les bords de la Loire, de la Garonne, en Poitou et en Saintonge, au commencement du XIIe siècle, on voit aussi la sculpture chercher d'autres éléments que ceux laissés par l'antiquité. Ces essais, toutefois, sont partiels; ils semblent appartenir à des artistes isolés, fatigués de toujours reproduire des types dont ils ne comprenaient plus le sens, parce qu'ils n'en connaissaient plus l'origine. Quoi qu'il en soit, ces essais ont une certaine importance: ils ont ouvert la voie à la nouvelle école des architectes laïques; c'est du moins probable.
Présentons tout d'abord un de ces exemples, qui fera ressortir d'une façon plus claire ce que nous allons dire. Nous donnons ici un chapiteau de l'église abbatiale de Bourg-Dieu près Châteauroux (Déols) sculpture date de 1130 environ (1).
Or voici (2) des feuilles de fougère au moment où elles commencent à se développer, à sortir de leur tissu cotonneux. Il n'est pas besoin, pensons-nous, de faire remarquer, dans ce chapiteau, l'intention évidente de l'artiste; il a certainement voulu se servir de ces formes puissantes données par ces bourgeons de fougère, de la fougère qu'on trouve partout, en France, sous les grands bois. Le sculpteur ne s'est inspiré ni des traditions romaines, ni des ornements byzantins: il a cueilli un brin de fougère, l'a examiné curieusement, s'est épris de passion pour ces charmantes productions naturelles, puis il a composé son chapiteau. Observons à notre tour cette fig. 2; nous aurons l'occasion d'y revenir. C'est là, pour cette époque, disons-le encore, un fait isolé. Mais bientôt l'école des architectes laïques s'élève, s'empare de toutes les constructions, particulièrement dans le domaine royal. Dès ses premiers pas, on sent que cette école laïque veut rompre avec les traditions d'art des moines. Il y avait peut-être de l'ingratitude dans le procédé, puisque cette école s'était élevée sous les voûtes des cloîtres; mais cela nous importe peu aujourd'hui. Comme système de construction (voy. CATHÉDRALE, CONSTRUCTION), comme méthode de bâtir, les architectes laïques de la seconde moitié du XIIe siècle cherchent à rompre avec les traditions monastiques. Les formes qu'ils adoptent, les moulures qu'ils tracent, les profils qu'ils taillent et les ornements qu'ils sculptent s'appuient sur des principes étrangers à l'art roman; l'examen, la recherche, remplacent la tradition. Quand il s'agit d'ornements, ils ne veulent plus regarder les vieux chapiteaux et les frises romanes: ils vont dans les bois, dans les champs; ils cherchent, sous l'herbe, les plus petites plantes; ils examinent leurs bourgeons, leurs boutons, leurs fleurs et leurs fruits, et les voilà qui, avec cette humble flore, composent une variété infinie d'ornements d'une grandeur de style, d'une fermeté d'exécution qui laissent bien loin les meilleurs exemples de la sculpture romane. Soit instinct, soit raisonnement, ces artistes comprennent que les plus petites plantes, comme les insectes, sont douées d'organes relativement beaucoup plus forts que les arbres et les grands animaux; destinées à vivre dans le même milieu, à résister aux mêmes agents, la nature prévoyante a en effet donné à ses créations les plus humbles une puissance relativement supérieure à celle des grands êtres. Les formes des plus petits insectes, comme celles des plus petites plantes, ont une énergie, une pureté de lignes, une vigueur d'organisation qui se prêtent merveilleusement à exprimer la grandeur et la force; tandis qu'au contraire on remarque, dans les formes des grands végétaux particulièrement, une sorte d'indécision, de mollesse, qui ne peut fournir d'exemples à la sculpture monumentale. D'ailleurs, qui sait? Ces artistes laïques qui s'élèvent en France à la fin du XIIe siècle, et qui s'élèvent au milieu d'une société mal constituée, ces artistes à peine compris de leur temps, fort peu aujourd'hui, trouvaient peut-être un certain charme à envelopper leur art de mystère; de même qu'ils se transmettaient leurs grands principes à l'ombre d'une sorte de franc-maçonnerie, de même aussi, en allant chercher leurs motifs de décorations au bord des ruisseaux, dans les prés, au fond des bois, dans les plus infimes productions végétales, se laissaient-ils conduire par cet instinct du poëte qui ne veut pas découvrir au vulgaire les secrets de ses conceptions. L'art véritable a sa pudeur: il cache aux regards ses amours fécondes. Qui sait si ces artistes ne trouvaient pas des joies intimes dans la reproduction monumentale de ces humbles plantes, d'eux seuls connues, aimées d'eux seuls, cueillies et observées longuement dans le silence des bois? Ces réflexions nous sont venues souvent lorsqu'en examinant les merveilleux développements de végétaux perdus sous l'herbe, leurs efforts pour repousser la terre, la puissance vitale de leurs bourgeons, les lignes énergiques de leurs tigettes naissantes, les formes des beaux ornements de la première période gothique nous revenaient en mémoire. Puisque nous allions chercher des éléments d'un art dans ces productions infimes sur lesquelles la nature semble avoir jeté un de ses plus doux regards, pourquoi d'autres avant nous ne l'auraient-ils pas fait aussi? Pourquoi des artistes observateurs, ennuyés de la monotonie des arts romans, ne se seraient-ils pas épris de cette modeste flore des champs, et, cherchant un art, n'auraient-ils pas dit, en découvrant ces trésors cachés: «Je l'ai trouvé»? Une fois sur cette voie, nous suivîmes pas à pas, et non sans un vif intérêt, les interprétations ingénieuses de nos devanciers; notre examen nous conduisit à de singuliers résultats. Nous reconnûmes que les premiers artistes (il est entendu que nous ne parlons ici que de l'école laïque qui s'élève, de 1140 à 1180, dans l'Île-de-France et les provinces voisines) s'étaient attachés à imiter la physionomie de ces modestes plantes des champs au moment où elles se développent, où les feuilles sortent à peine de leurs bourgeons, où les boutons apparaissent, où les tiges épaisses pleines de séve n'ont pas atteint leur développement; qu'ils avaient été jusqu'à chercher comme motifs d'ornements des embryons, ou bien encore des pistils, des graines et jusqu'à des étamines de fleurs. C'est avec ces éléments qu'ils composent ces larges chapiteaux que nous admirons autour du choeur de Notre-Dame de Paris, dans l'église Saint-Julien-le-Pauvre, dans celle de Saint-Quiriace de Provins, à Senlis, à Sens, à Saint-Leu d'Esserent, dans le choeur de Vézelay, dans l'église de Montréale, à Notre-Dame de Châlons-sur-Marne, autour du sanctuaire de Saint-Remy de Reims. Bientôt (car nous savons que ces artistes ne s'arrêtent pas en chemin) de l'imitation de la flore naissante ils passent à l'imitation de la flore qui se développe: les tiges s'allongent et s'amaigrissent; les feuilles s'ouvrent, s'étalent; les boutons deviennent des fleurs et des fruits. Plus tard, ces artistes oublient leurs humbles modèles primitifs: ils vont chercher leurs exemples sur les arbustes; ils s'emparent du lierre, de la vigne, du houx, des mauves, de l'églantier, de l'érable. À la fin du XIIIe siècle, ils en viennent à copier servilement le chêne, le prunier sauvage, le figuier, le poirier, aussi bien que les feuilles d'eau, le liseron, le persil, les herbacées, comme les feuillages des grands arbres de nos forêts; tout leur est bon, tout leur est un motif d'ornement. Disons tout de suite que l'imitation s'approche d'autant plus de la réalité que l'art gothique avance vers sa décadence. À la fin du XIIe siècle, et encore au commencement du XIIIe, cette imitation est soumise à des données monumentales qui prêtent à la sculpture une beauté particulière. Disons encore que cette sculpture est d'autant plus grande, large, puissante, monumentale enfin, qu'elle va chercher ses inspirations parmi les plantes les plus modestes; tandis qu'elle tombe dans la sécheresse et la maigreur lorsqu'elle veut copier les feuilles des grands végétaux.
Les artistes laïques du XIIe siècle, se servant de ces plantes, en saisissent les caractères principaux, la physionomie; elles deviennent pour eux un sujet d'inspiration plutôt qu'un modèle banal. Mais prenons quelques exemples. N'est-il pas évident, par exemple, que les rinceaux qui décorent l'un des côtés du trumeau de la porte centrale de la cathédrale de Sens (1170 environ) ont été inspirés de ces jeunes pousses de fougère dont nous avons donné plus haut quelques brins, et ces feuilles naissantes de plantain (3) n'ont-elles pas inspiré les artistes qui sculptaient les chapiteaux du choeur de l'église de Vézelay, ceux de la galerie du choeur de Notre-Dame de Paris (3 bis), ou ceux de l'église de Montréale (Yonne)(4)?
N'y a-t-il pas entre les petites fleurs de la corolle à peine développées (5) et les crochets primitifs qui ornent les angles de ces chapiteaux une grande analogie? La section d'une de ces feuilles de plantain (fig. 3), faite sur ab et tracée en A, est observée fidèlement dans les sculptures que nous donnons ici. Avant de pousser plus loin l'examen de la flore monumentale de l'école laïque, il est nécessaire de se rendre un compte exact du mélange qui s'était fait, pendant la période romane, des traditions antiques avec certaines formes inspirées évidemment par quelques végétaux de nos bois. Des écrivains ont déjà fait, à ce sujet, des observations ingénieuses, sans toutefois appuyer ces observations par des figures étudiées: les uns prétendent que les ornements qui, au XIIe siècle, sont arrivés à former ce qu'on appelle la fleur de lis, ont été inspirés de l'iris ou du glaïeul; les autres, que ces ornements sculptés et peints, si fréquents à dater de la fin du XIe siècle, sont une réminiscence des plantes aroïdes. Nous laisserons chacun juger le procès, nous nous bornerons à fournir les pièces; aussi bien importe-t-il assez peu, à notre avis, que les sculpteurs des XIe et XIIe siècles aient copié l'iris ou l'arum: la question est de savoir si ces sculpteurs ont ajouté quelque chose aux traditions usées des arts romans dans leur ornementation. Le fait ne paraît pas douteux.
Prenons d'abord les Aroïdées, qui paraissent avoir inspiré nos sculpteurs dès une époque fort ancienne.
D'après Jussieu, les Aroïdées sont «des plantes à racines tubéreuses, à feuilles simples, alternes, engaînantes; fleurs unisexuelles, réunies dans une véritable spathe colorée, avec ou sans périanthe particulier; un style; fruit bacciforme.»
L'Arum maculatum, connu vulgairement sous le nom de Gouet ou Pied-de-veau, porte une tige dressée, simple, nue, haute de 0,20 c. environ, glabre; les feuilles sont radicales, portées sur de longs pétioles, grandes, sagittées-cordiformes, comme tronquées obliquement des deux côtés à la base, entières, sans taches, glabres; la spathe terminale est allongée, aiguë; le spadice est moitié moins long qu'elle; en mûrissant, la portion qui est au-dessus des baies tombe; celles-ci restent grosses, nombreuses, rouges et contiennent deux graines chagrinées. Les fleurs (spathe) sont d'un vert pâle et tournent au violet en se fanant. L'Arum apparaît en avril et mai, et est très-commun dans les bois humides des environs de Paris, de Champagne et de Bourgogne.
Comme il n'est pas certain que tous les architectes soient botanistes, nous donnons (6) une représentation de l'Arum. En A, la spathe est fermée; elle enveloppe encore le spadice. En B, la plante est montrée entière avec sa racine tubéreuse; la spathe s'est développée, s'est ouverte et laisse voir le spadice. Les feuilles sont sagittées. En C est donnée une coupe de la spathe, laissant voir le spadice entier avec ses étamines et ses pistils à la base. Quand le fruit est mûr, D, la partie supérieure du spadice se détruit; la spathe demeure à l'état de débris, E. En F est une des étamines. Il n'est personne qui, en se promenant au printemps dans les bois, n'ait examiné cette plante d'une physionomie remarquable, déjà épanouie lorsque les arbres et les buissons portent quelques feuilles tendres à peine sorties des bourgeons. L'Arum et l'Iris sont les premiers signes du retour des beaux jours. Est-ce pour cela que les sculpteurs romans paraissent avoir affectionné ces plantes, comme le réveil de la nature? Faut-il attacher à l'imitation des Aroïdes une idée symbolique, y voir quelque tradition antique? Nous nous garderons de trancher la question. Le fait est que, dans les sculptures de la fin du XIe siècle, nous trouvons la trace évidente de cette imitation. Les beaux chapiteaux de la nef de l'église abbatiale de Vézelay nous montrent des imitations d'Aroïdes (7) qui terminent des feuillages plus ou moins dérivés de la sculpture romaine du chapiteau corinthien.
En A, la spathe de l'Arum est développée, l'extrémité du spadice est tombée et les graines restent apparentes. En B, ce sont les feuilles de l'Arum qui se roulent en volutes ou crochets aux angles d'un chapiteau. Dans la fig. 7 bis, le sculpteur a doublé le spadice en A, l'a laissé simple en B; mais, dans l'un et l'autre cas, la spathe enveloppe le fruit.
Ces plantes de bois marécageux ne paraissent pas seules avoir inspiré les sculpteurs romans; nous voyons qu'ils ont une affection particulière pour les nénuphars, pour les feuilles d'eau. Deux autres chapiteaux de la nef de Vézelay présentent encore, en guise de crochets, des feuilles fanées de nénuphars avec ou sans fleurs (8). On sait avec quelle rapidité se flétrissent les plantes d'eau lorsqu'elles ont été cueillies; il semble, dans l'exemple A, que le sculpteur a suspendu près de lui, pour décorer l'angle de son chapiteau, des feuilles de nénuphars si communs dans nos étangs, et que celles-ci se soient fermées, comme il arrive bientôt lorsqu'elles ne peuvent plus s'étendre sur la surface de l'eau.
Ces imitations sont fort libres, ainsi qu'il arrive chez les artistes primitifs, mais elles ne paraissent guère douteuses. Il ne s'agissait pas, en effet, de reproduire, avec tout le soin d'un naturaliste, telle ou telle plante, mais de trouver un motif d'ornement. D'ailleurs les yeux d'observateurs naïfs se contentent d'une interprétation, et tous les jours nous voyons des enfants pour lesquels un pantin grossièrement taillé dans un morceau de bois est l'image complète d'un personnage. Il faut bien reconnaître aussi que le style dans les arts, pour les ornements comme pour toute chose empruntée à la nature, demande l'interprétation plutôt que l'imitation scrupuleuse de l'objet. Les plantes ont une allure, une physionomie, un port, qui frappent tout d'abord un observateur inexpérimenté. Celui-ci saisit ces caractères généraux sans aller au delà; il produit une seconde création qui devient une oeuvre d'art, bien qu'on retrouve dans cette seconde création l'empreinte puissante de la nature. Les artistes romans se sont tenus à ces inspirations primitives; ils les corrompent même à mesure que leur main acquiert de l'habileté, et il est intéressant de voir comment, lorsque l'art devient laïque, l'esprit d'examen s'introduit promptement dans la sculpture d'ornement; comment l'inspiration libre, ou soumise à certaines traditions de métier, est bientôt étouffée par le désir d'arriver à l'imitation servile de la nature.
Disons un mot maintenant de la fleur d'Iris, qui joue aussi un grand rôle dans l'ornementation romane des XIe et XIIe siècles. La fleur de l'iris est enveloppée dans une spathe membraneuse avant son épanouissement. La corolle, d'après Linné, «est à six divisions profondes, alternativement dressées et réfléchies; le style est court, portant trois lanières pétaloïdes, souvent échancrées, qui tiennent lieu de stigmates; la capsule infère est à trois valves, à trois loges polyspermes.»
Voici (9) une fleur d'iris, connue sous le nom de flambe, copiée de grandeur naturelle. Si nous présentons cette fleur de manière à régulariser ses diverses parties, nous obtenons la fig. 10.
Les six divisions de la corolle sont visibles en AA, BB, CC. Deux des lanières pétaloïdes sont apparentes en D, la troisième devant se trouver dans l'axe de la fleur. La spathe est en E. De cette figure à l'ornement connu sous le nom de fleur de lis, il n'y a pas loin. Dans les ornements romans du XIIe siècle (11 509, 12 et 13 510), on reconnaît l'essai d'artistes qui cherchent à s'inspirer des formes générales de la fleur d'iris, tout en conservant le faire de l'art romain dégénéré. Ces artistes affectionnent tout particulièrement l'arum et l'iris; ces deux plantes donnent, dès le commencement du XIIe siècle, une physionomie particulière à l'ornementation sculptée ou peinte (voy. PEINTURE). Quelle était la raison qui avait fait choisir de préférence ces végétaux des lieux humides, qui arrivent à leur floraison dès les premiers jours du printemps? M. Woillez, auteur d'une brochure fort intéressante sur ce sujet 511, n'hésite pas à voir dans cette imitation des plantes aroïdes une idée symbolique de la puissance. Il voit là un reste du paganisme, et s'exprime ainsi 512: «Je pense que le gouet, type actuel de la famille botanique des aroïdes, ou une autre plante du même genre 513, devint, en quelque sorte, le phalle transfiguré par le christianisme. La simple appellation rustique de la première plante dans certains lieux de la Picardie, et notamment dans les environs de Clermont (Oise), a suffi pour me suggérer d'abord cette opinion. Je savais que ce végétal, caché sous les bois humides et ombragés, bizarre dans ses formes extérieures, était en grand crédit parmi les magiciens et les enchanteurs du moyen âge, lorsque j'appris sa dénomination la plus vulgaire. Cette qualification correspond aux mots latins presbiteri phallus; le spadice enveloppé de sa spathe verte est encore appelé vicaire, tandis que, au moment de la fécondation, et lorsque ce spadice a pris une teinte violette, c'est un curé... Le gouet, que l'on pourrait appeler le phalle végétal, est une des premières plantes qui annoncent le retour de la végétation, ou, comme le phalle proprement dit, le réveil de la nature; il peut bien être l'expression ou l'emblème de la puissance génératrice impérissable, puisque, chaque année, sans culture préalable, on le voit percer la terre, puis disparaître après la fructification, pour reparaître après l'hiver suivant. Mais il y a plus: de même que le phalle, il a été figuré comme l'attribut de la puissance en général, ce qui prouverait son identité avec lui...» M. Woillez rappelle à propos la notice du docteur Colson 514 sur une médaille de Julia Mamée, au revers de laquelle on voit Junon tenant un phallus d'une main et un lis de l'autre, et il est à remarquer, en effet, que les premiers sceptres portés par des rois ou même la Vierge sainte sont terminés par une fleur d'arum ou une fleur de lis assez semblable à celle que nous avons donnée plus haut (fig. 10); seulement M. Woillez ne voit dans ces ornements que l'imitation des plantes aroïdes. Je pense qu'on y trouve et l'arum et l'iris (flambe); quelquefois même, comme dans l'ornement (fig. 13), un mélange des deux plantes printanières. Il ne nous paraît pas, toutefois, que l'on puisse, dans l'état des connaissances actuelles, donner comme des faits certains l'influence de ces traditions païennes d'une haute antiquité dans les arts du moyen âge.
Si la flore sculptée romane mêle aux derniers débris des arts romains des inspirations nouvelles provoquées par l'observation des plantes printanières des bois, elle subit aussi l'influence des arts de l'Orient. Pendant les Xe, XIe et XIIe siècles, quantité d'objets apportés de Byzance et de Syrie remplissaient les trésors des monastères et des palais: étoffes, ivoires sculptés, ustensiles, menus meubles, venaient en grand nombre d'Orient et fournissaient aux artistes français des motifs d'ornements qu'ils interprétaient à leur manière. Beaucoup de ces ornements byzantins étaient empruntés eux-mêmes à la flore orientale. Il ne faut donc pas s'étonner si l'on trouve sur nos chapiteaux et nos frises des XIe et XIIe siècles des formes qui rappellent certains végétaux qui alors n'étaient pas connus en Occident (voy. SCULPTURE).
Telles étaient les diverses sources auxquelles avaient été puiser les sculpteurs romans lorsqu'apparut l'école laïque de la seconde moitié du XIIe siècle; cette école ne pouvait rompre tout à coup avec celle qui la précédait. Dans un même édifice on voit, comme à la cathédrale de Paris, comme autour du choeur de l'église de Saint-Leu d'Esserent, comme à Noyon, des sculptures empreintes encore des traditions romanes à côté d'ornements d'un style entièrement étranger à ces traditions, recueillis dans la flore française. Ce sont les feuilles de l'Ancolie, de l'Aristoloche, de la Primevère, de la Renoncule, du Plantain, de la Cymbalaire, de la Chélidoine, de l'Hépatique, du Cresson, des Géraniums, de la Petite-Oseille, de la Violette, des Rumex, des Fougères, de la Vigne; les fleurs du Muflier, de l'Aconit, du Pois, du Nénuphar, de la Rue, du Genêt, des Orchidées, des Cucurbitacées, de l'Iris, du Safran, du Muguet; les fleurs, fruits ou pistils des Papaveracées, des Polygalées, du Lin, des Malvacées, de quelques Rosacées, du Souci, des Euphorbiacées, des Alismacées, des Iridées et Colchicacées qui inspirent les sculpteurs d'ornement. Mais il ne faudrait pas se méprendre sur la valeur de notre observation, ces artistes ne sont pas botanistes; s'ils cherchent à rendre la physionomie de certains végétaux, ils ne se piquent pas d'exactitude organographique; ils ne se font pas faute de mêler les espèces, de prendre un bouton à telle plante, une feuille à celle-ci, une tige à celle-là; ils observent avec une attention scrupuleuse les caractères principaux des végétaux, le modelé des feuilles, la courbure et la diminution des tiges, les attaches, les contours si purs et si fermes des pistils, des fruits ou des fleurs; ils créent une flore qui leur appartient, mais qui, toute monumentale qu'elle est, conserve un caractère de vraisemblance plein de vie et d'énergie. Cette flore monumentale a ses lois, son développement, ses allures; c'est un art, pour tout dire en un mot, non point une imitation. Nous sommes aujourd'hui si loin de la voie suivie à toutes les belles époques, qu'il nous faut faire quelques efforts pour comprendre la puissance de cette création de second ordre, éloignée autant de l'imitation servile et de la banalité que de la fantaisie pure. Nos monuments se couvrent d'imitations de l'ornementation romaine, qui n'est qu'une copie incomprise de la flore monumentale des Grecs; nous copions les copies de copies, et à grands frais; notre parure architectonique tombe dans la vulgarité, tandis que l'école laïque de la fin du XIIe siècle allait aux sources chercher ses inspirations. Non-seulement ainsi elle trouvait une décoration originale, mais elle s'appuyait sur un principe toujours neuf, toujours vivant, toujours applicable. L'art français de la grande école laïque d'architecture est logique; dans la construction, il émet des principes nouveaux qui, sans imposer une forme, sont applicables partout et dans tous les temps; dans la décoration, cet art ne fait de même qu'émettre des principes; il ne prescrit pas l'emploi d'une forme hiératique, comme l'a fait l'art oriental. Le génie de chaque artiste peut sans cesse tirer de ces principes féconds des formes neuves, imprévues.
De nos jours, on a remplacé en France la méthode, l'énoncé des principes, par l'enseignement, non raisonné, d'une ou de plusieurs formes de l'art; on a pris l'une des applications du principe pour l'art lui-même, et on a dit alors avec beaucoup de raison: «Toute imitation est funeste, si nous proscrivons l'imitation des arts de l'antiquité, nous ne pouvons prescrire l'imitation des arts du moyen âge.» Mais remplaçant l'enseignement de telle ou telle forme, d'une des applications du principe, par l'enseignement du principe lui-même, on ne prescrit pas l'imitation, on ne fait que se servir d'une méthode vraie qui permet à chacun de suivre ses inspirations. Nous savons bien qu'il est une école pour laquelle des principes sont un embarras: elle veut que la fantaisie soit le seul guide de l'artiste. La fantaisie a des tours charmants quand elle n'est que le vernis d'un esprit réfléchi, observateur, quand elle couvre d'un vêtement à mille reflets imprévus un corps solide, bien fait et sain; mais rien n'est plus monotone et fatigant que la fantaisie lorsqu'elle est seule et ne drape qu'un corps inconsistant, chétif et pauvre. Il y a certainement de la fantaisie, et beaucoup, dans l'ornementation architectonique de notre école française; mais elle ne fait que se jouer autour des principes solides, vrais, dérivés d'une observation subtile de la nature; la fantaisie alors n'est autre chose que la grâce qui sait éviter la pédanterie. Poursuivons notre étude.
Voici (14) une plante bien vulgaire, le Cresson. Regardons cependant avec attention ces tiges souples et grasses, ces pétioles bien soudées, ces courbes gracieuses des limbes, leur profil A. Dans ces limbes cependant, il y a une indécision de contour qui ne se prête pas à la décoration monumentale; les stipules B jettent de la confusion au milieu des masses. Pour faire un ornement avec cette plante, il faut en sacrifier quelque chose, donner de la fermeté aux silhouettes des pétioles; il faut prendre et laisser, ajouter et retrancher; ce qu'il faut conserver, c'est la force, la grâce, la souplesse, l'aisance de ces contours. Avec une adresse incomparable, les sculpteurs de Notre-Dame de Paris sont arrivés à ce résultat (15) 515.
Tout en conservant la silhouette de ces feuilles de cresson, ils leur ont donné un accent plus ferme, monumental, précis; entre ces limbes, ils ont ajouté des grappes qui donnent de la grandeur et de la finesse en même temps à l'ornement. Ils ont vu, étudié la nature, et en ont tiré une création nouvelle. Ici, point de traditions des ornements romains ou byzantins: c'est original, vivant, bien compris comme composition, exécuté avec habileté. Cela se fait regarder comme toute oeuvre où l'art s'appuie sur la nature sans la copier platement.
Musée de Toulouse (frise).
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Chapiteaux déposés dans les magasins de l'église impériale de Saint-Denis.
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Iconog. des plantes aroïdes figurées au moyen âge en Picardie, et considérées comme origine de la fleur de lis de France. Amiens, 1848.
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Page 41.
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L'iris, comme nous venons de le faire voir, a servi de type aux sculpteurs romans.
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Mémoires de la Société des antiq. de Picardie, t. VIII, p. 245.
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Portail occidental de la cathédrale de Paris, premières années du XIIIe siècle.
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