Kitabı oku: «Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 7 - (P)», sayfa 28
«N'ose dire des geoliers
Comment gouvernent prisonniers,
Mais on m'a dist, par le chemin,
Qu'ilz en ont le vaissel et le vin.
Ne or, n'argent, n'emportera
Le prisonnier quant partira.
Quant on lui dist qu'il faist péchié,
Et il respont, tost de rechié,
Que la geole lui vent-on chier
Et qu'il n'y perdra jà denier.
Si le Roy savoit qu'on y fait,
Jamais ne souffriroit tel fait 348.»
Et plus loin:
«Ly Sarrazins dit des geoliers
Qu'ils despouillent les prisonniers,
Mais cecy est chose certaine
Que les vendre est du demaine,
Et sy n'est pas petite rente
Que les geoles soient en vente 349.»
Si les geôles étaient affermées, il est clair que les prisonniers avaient tout à redouter de leurs geôliers; mais ceci sort de notre sujet. Les prisons qui sont groupées dans le voisinage d'une salle de justice sont celles qui présentent évidemment le plus d'intérêt et dont la destination ne peut être mise en doute. Or, il existe encore dans l'officialité de Sens une prison complète à côté de la salle où l'on jugeait les accusés. Cette salle est située à rez-de-chaussée sous la grand'salle synodale; elle est voûtée sur une rangée de colonnes formant épine. Les prisons occupent un quart environ de l'espace, et sont prises à l'extrémité d'une des deux nefs.

Nous en donnons (fig. 1) le plan. L'entrée du palais archiépiscopal est en A, la cour en B. L'escalier C conduit à la grand'salle au premier étage. Par le guichet D, on pénètre dans l'officialité E. Le guichet G donne entrée dans une prison H voûtée en berceau. En I est une dalle percée d'un orifice communiquant à une fosse d'aisances; scellée au mur est une barre de fer, à 0m,60 de hauteur environ, destinée à passer la chaîne qui retenait le prisonnier assis. Une hotte de pierre K empêche le patient de voir le ciel par la fenêtre L, très-relevée au-dessus du sol, et ne lui laisse qu'un jour reflété. Mais cette prison présente une particularité curieuse: au-dessus du guichet G, fort bas, est un petit escalier qui conduit à une cellule placée au-dessus du cabinet M, et qui est mise, par une fenêtre, en communication avec la prison H. Ainsi pouvait-on placer là, soit un surveillant, soit une personne recueillant les moindres paroles du prisonnier. De la place occupée par celui-ci, il était impossible de voir la fenêtre de la cellule, à cause de la hotte qui abat le jour extérieur.
Un second guichet N donne entrée dans trois cellules O, P, Q; cette dernière assez spacieuse et munie d'un siége d'aisances. La cellule O ne paraît pas avoir été destinée à enfermer un prisonnier; elle ne reçoit pas de jour de l'extérieur, mais son pavé est percé d'une trappe R donnant dans un vade in pace, ou un paradis, comme on disait alors. En M, est un cabinet d'aisances qui donnait directement dans la salle de l'officialité par une porte S.

Si nous soulevons la trappe R, nous descendons, au moyen d'une échelle ou d'une corde, dans le cachot A (fig. 2), prenant de l'air, sinon du jour, par une sorte de cheminée B. La fosse d'aisances des prisons étant en C, au niveau du cachot, le prisonnier avait un siége d'aisances relevé de plusieurs marches en D. Nous avons encore trouvé dans ce paradis un lambris de bois placé dans l'angle près de la cheminée de ventilation B, pour préserver le prisonnier de l'humidité des murs. Dans la crainte que le malheureux jeté dans ce cul de basse-fosse ne cherchât à s'évader en perçant les murs de la fosse, le plus épais, celui qui donne le long de l'escalier descendant aux caves de l'officialité, est bardé extérieurement de larges bandes de fer posées en écharpe et retenant ainsi unies toutes les pierres.
Si ce cachot ne présente que peu de traces du séjour des humains, il n'en est pas ainsi pour les cellules du rez-de-chaussée, qui sont, surtout celle H, littéralement couvertes de gravures et de sculptures grossières datant des XIIIe, XIVe et XVe siècles. On y voit un crucifiement, un tournoi, des inscriptions, des noms, gravés sur l'enduit de plâtre; car ces divisions et murs intérieurs sont en moellons enduits d'une épaisse couche de plâtre.
Nous n'avons trouvé nulle part un ensemble aussi complet de cachots et prisons n'ayant subi aucune modification depuis l'époque de leur établissement.
Ces prisons ont été bâties en même temps que l'officialité de Sens, et datent par conséquent du milieu du XIIIe siècle. Toutes les voûtes, celle du vade in pace comprise, sont en berceau et construites en moellons. Seule la voûte de la fosse d'aisances est composée d'arcs de pierre parallèles, avec intervalles en moellons posés sur les extrados de ces arcs.
Les prisons des châteaux ne sont pas habituellement groupées, mais au contraire séparées les unes des autres. Beaucoup de tours de châteaux possèdent des prisons; mais nous n'en connaissons pas qui en présentent un aussi grand nombre et d'aussi belles (si cette épithète peut s'appliquer à des prisons) que le château de Pierrefonds. Dans cette résidence, le luxe s'est étendu jusque dans ces demeures. Sur huit tours, quatre possèdent deux étages de cachots: l'un éclairé et aéré, l'autre absolument dépourvu de lumière.

La figure 3 donne le plan d'une de ces tours (celle nord-est) au niveau de la prison supérieure située au-dessous du sol de la cour, mais beaucoup au-dessus du chemin de ronde extérieur. On descend à cette prison par l'escalier à vis A. Elle est circulaire, et son diamètre est de 4 mètres. Deux portes ferment le couloir B. Elle reçoit du jour et de l'air par deux meurtrières C, et est munie d'un cabinet d'aisances D. Au centre de cette salle circulaire, est ménagée une trappe qui donne au centre d'une voûte couvrant un cachot absolument fermé, mais muni également d'un siége d'aisances.

La figure 4 donne la coupe qe ces deux salles 350. On voit, dans cette figure, que la prison supérieure est spacieuse, largement éclairée, aérée et parfaitement saine. La voûte, composée de six arcs ogives, a 1m,20 d'épaisseur, pour éviter toute tentative de communication avec les prisonniers; la salle A était au niveau de la cour et destinée à l'habitation. Cette coupe fait voir le cachot inférieur dont le sol est au niveau du chemin de ronde extérieur O. On ne peut descendre dans cette chartre que par l'orifice percé dans la voûte, lequel était fermé par un tampon de pierre et une barre cadenassée. Les malheureux enfermés dans cette sorte de cloche de pierre n'avaient pas à craindre l'humidité, car les murs sont parfaitement secs, mais ne recevaient ni air ni jour de l'extérieur. L'épaisseur prodigieuse des murs et leur admirable construction ne pouvaient laisser aucune chance d'évasion. On remarquera que la voûte de cette chartre est bâtie par assises horizontales réglées, comme toutes celles du château, et non en claveaux. Dans l'un de ces cachots (celui de la tour nord-est) est gravé grossièrement un crucifiement sur la paroi intérieure, ouvrage de quelque prisonnier qui n'a pu exécuter ce travail qu'à tâtons, puis deux noms et quelques linéaments informes. Dans le cachot de la tour du milieu (ouest), nous avons découvert un squelette de femme accroupi dans la niche formant siége d'aisances. La construction de ces étages inférieurs est exécutée avec autant de soins que celle des parties du château destinées à l'habitation. Les parements sont admirablement dressés, et les lits d'une régularité irréprochable. La tour sud-ouest contient, au milieu du cachot inférieur, une oubliette (voy. OUBLIETTE).
Nous avons découvert encore des prisons basses dans des tours de la cité de Carcassonne. Un de ces cachots, dépendant de l'ancien évêché, possède un pilier dans le milieu et une chaîne avec entraves attachée à ce pilier, de telle sorte que le prisonnier ne pouvait atteindre les parois intérieures de la muraille. Des ossements humains tenaient encore à cette chaîne. Toutefois nous devons constater que beaucoup de cachots intérieurs ne paraissent pas avoir été habités. Il en est qui ne présentent aucune trace d'être humain et semblent sortir des mains du maçon. Ajoutons que l'on donne souvent, dans les résidences des seigneurs du moyen âge, le nom de cachot à des caves destinées à recevoir des approvisionnements. Il n'est pas nécessaire d'exagérer l'emploi de ces moyens de répression, et en tenant compte des moeurs du temps, on peut même considérer ces prisons et cachots comme établis relativement dans des conditions de salubrité qui n'ont pas toujours été observées pendant les derniers siècles.
PROFIL, s. m. S'entend, en architecture, comme section faite sur une moulure. Le profil d'une corniche, c'est la section perpendiculaire à la face de cette corniche; le profil d'une base de colonne, c'est la section normale à la courbe de sa circonférence. Pour faire tailler une moulure, une corniche, un bandeau, une archivolte, on en donne le profil au tailleur de pierre. On ne pourrait donner le nom de profil à la section horizontale d'un pilier, d'un pied-droit; ce sont là des sections horizontales, des plans, non des profils, car le profil indique toujours une section verticale ou normale à la courbe d'un arc.
Les profils ont une importance majeure dans l'architecture; ils sont, pour ainsi dire, une des expressions du style, et une des expressions les plus vives. Les architectures considérées comme des arts types ont possédé chacune des profils dont le tracé dérive d'un principe essentiellement logique, et l'on peut même dire que seules les architectures qui s'élèvent à la hauteur d'un art supérieur possèdent des profils. En effet, toutes les architectures ne peuvent être considérées comme constituant un art. Les unes ne sont qu'une structure, d'autres qu'un amas de formes dépourvues d'un sens logique. Nous ne saurions, sans sortir des limites de cet ouvrage, développer toutes les considérations qui tendent à établir cette distinction entre les architectures atteignant à l'art et celles qui ne sont qu'une expression confuse de ce besoin naturel à l'homme d'orner ses demeures ou ses monuments. Il nous suffira de dire que les profils n'ont une signification définie que chez les peuples appuyant toute expression de la pensée sur la logique. Les Grecs de l'antiquité ont été les premiers qui aient su donner aux profils de l'architecture un tracé dérivé d'un raisonnement appliqué à l'objet. Avant eux, l'architecture, chez les Égyptiens, par exemple, ne possédait pas, à proprement parler, de profils tracés en raison de l'objet et de la matière. Chez les Égyptiens, les profils, très-rares d'ailleurs, ne sont qu'une forme hiératique; ils s'appuient sur une tradition, non sur un raisonnement. Chez les Ioniens déjà, le profil est une expression. Chez les Doriens, il est tracé pour satisfaire à une nécessité matérielle et en vue de produire un effet harmonieux; il a ses lois propres et n'est plus le résultat d'un caprice. Aussi, à dater du développement complet de l'architecture grecque, les profils appartenant à l'architecture des peuples occidentaux ont leurs périodes qui permettent de les classer suivant un ordre méthodique. Un profil de la brillante époque grecque se reconnaît à première vue, sans qu'il soit nécessaire de savoir à quel monument il appartient. Il en est de même du profil romain de l'empire, du profil byzantin, du profil roman de l'Occident, du profil gothique. Certains profils appartenant à des architectures très-différentes peuvent avoir et ont en effet des analogies singulières: ainsi on établit des rapports entre ie tracé des profils grecs et celui des profils employés au XIIe siècle en Occident. Des styles d'architectures très-voisins au contraire présentent des profils tracés sur des données absolument étrangères l'une à l'autre. Il n'y a nulle analogie entre les profils des écoles romanes qui s'éteignent au XIIe siècle et les profils de celle qui naît dans l'Île-de-France vers 1160. Le profil romain de l'empire diffère essentiellement du profil grec. L'étude des profils est donc nécessaire: 1º pour reconnaître les principes qui ont régi les styles divers d'architecture; 2º pour classer ces styles et constater la date des monuments. Dès l'instant que l'on a étudié ces monuments avec quelque soin, il est facile de reconnaître, par exemple, que tel profil n'est qu'un dérivé de tel autre, et que par conséquent il lui est postérieur; que telle moulure appartient à un art qui s'essaye ou qui touche à son déclin.
Dans tout profil, il y a deux éléments, l'utilité et le sentiment plus ou moins vrai de la forme et de l'effet que doit produire cette forme. Le sentiment ici n'est autre chose que le moyen de traduire un besoin sous une forme d'art; mais ce sentiment est soumis lui-même à certaines lois dont on ne saurait s'écarter et dont on pourra tout à l'heure apprécier l'importance.
Ce qui caractérise les profils des belles époques de l'architecture, c'est l'expression vraie du besoin auquel ils doivent satisfaire et une distinction, dirons-nous, dans leur tracé, qui les signale aux regards et les grave dans le souvenir. Cette distinction dérive d'une sobriété de moyens, d'un choix dans le galbe et d'une observation fine des effets produits par la lumière. Il est tel profil dans le tracé duquel on peut reconnaître la main d'un artiste consommé, d'un esprit délicat, d'un constructeur réfléchi et savant. Aucune partie de l'architecture n'est moins soumise au caprice ou à la fantaisie que celle-là, et l'on peut dire du profil ce qu'on dit du style: «Le profil, c'est l'architecture.»
Les Romains, peu délicats en fait d'art, ne paraissent pas avoir attaché d'importance au tracé des profils, et si, dans quelques-uns de leurs monuments du commencement de l'empire, on signale l'intervention d'un certain goût dans ces détails d'architecture, il faut en savoir gré aux artistes grecs qui travaillaient pour eux. Déjà même on constate que les profils ne reproduisent que des galbes consacrés, des poncifs exécutés avec plus ou moins de soin, mais qui ne sont qu'une sorte d'exagération des types admis chez les populations grecques et étrusques, types dont évidemment on a dès lors perdu l'origine et la raison d'être. À la fin de l'empire, l'exécution fait défaut, et les profils, amollis, chargés, paraissant tracés au hasard ou abandonnés à des ouvriers affaiblissant chaque jour les types primitifs, manquent absolument de caractère; ils ne sont reconnaissables que par la négligence même de leur tracé et de leur facture. Nous ne parlerons pas des profils, rares d'ailleurs, que l'on peut observer dans les monuments de l'époque romane primitive, dernier reflet affaibli encore de l'art de la décadence romaine. Ce n'est que vers la fin du XIe siècle, alors que l'architecture tend à s'affranchir de traditions abâtardies et à chercher de nouvelles voies, que l'on peut constater, dans la façon de tracer les profils, certaines méthodes empruntées au seul art auquel on pouvait alors recourir, l'art byzantin. Ces emprunts toutefois ne sont pas faits de la même manière sur la surface de la France actuelle. Déjà des écoles apparaissent, et chacune d'elles procède différemment quant à la manière d'interpréter les profils de l'architecture byzantine ou quant à la façon de continuer les traditions romaines locales. Ainsi, par exemple, si les gens de Périgueux bâtissent, dès la fin du Xe siècle, leur église byzantine par le plan et la donnée générale, ils conservent dans cet édifice les profils de la décadence romaine; le sol de Vésonne étant couvert encore à cette époque d'édifices gallo-romains. Si les architectes du Berry et du haut Poitou, au commencement du XIIe siècle, conservent dans la disposition des plans et les données générales de leurs édifices, les traditions romaines de l'empire, leurs profils sont évidemment empruntés à l'architecture gréco-romaine de Syrie. En Provence, sur les bords du Rhône, de Lyon à Arles, les profils de la période romane paraissent calqués sur ceux des byzantins. En Auvergne, il s'établit dans l'architecture une sorte de compromis entre les profils des monuments gallo-romains et ceux rapportés d'Orient. En Bourgogne, les édifices, bâtis généralement de pierres dures et d'un fort échantillon, ont pendant le XIIe siècle une ampleur et une puissance que l'on ne retrouve pas dans l'Île-de-France et la Normandie, où alors on bâtissait avec de petits matériaux tendres; et cependant, malgré ces différences marquées entre les écoles, on reconnaît, à première vue, un profil du XIIe siècle parmi ceux qui sont antérieurs ou postérieurs à cette époque. Les caractères tenant au temps sont encore plus tranchés, s'il est possible, pendant les XIIIe, XIVe et XVe siècles, bien que certaines écoles persistent. Ces faits peuvent ainsi s'expliquer: pour les profils, il y a le principe qui régit leur tracé par périodes, indépendamment des écoles; puis il y a le goût, le sentiment dépendant de l'école.
Il est une loi générale qui régit tout d'abord le tracé des profils de l'architecture du moyen âge. Cette loi est très-sage: elle exige que tout profil soit pris dans une hauteur d'assise. Forcé de s'y soumettre, l'architecte trace ses profils à l'échelle de la construction, et non point suivant une échelle conventionnelle, un module. Il en résulte, par exemple, que si deux édifices sont bâtis avec des matériaux d'une dimension donnée, entre lits, l'un ayant 10 mètres de hauteur et l'autre 30, la corniche du premier sera, à très-peu près, de la même dimension que la corniche du second, c'est-à-dire que ces deux corniches seront prises dans une assise de même hauteur. C'est en cela que les profils de l'architecture du moyen âge diffèrent, dès le principe, des profils des architectures grecque et romaine. Pendant le moyen âge, le profil est à l'échelle de la structure comme l'architecture elle-même. Par suite de l'emploi des ordres et du module, les architectes de l'antiquité grecque et romaine devaient nécessairement tracer leurs profils suivant un rapport de proportions avec un ordre, sans tenir compte des dimensions des matériaux; aussi voyons-nous que, dans la même contrée, s'ils peuvent profiler une corniche d'un petit ordre corinthien dans une seule assise, passant à un grand ordre corinthien, ils profileront sa corniche dans deux ou trois assises. Partant d'un principe différent, l'architecte du moyen âge donnera de la grandeur à un profil, non point au moyen du grandissement d'un tracé, mais par l'adoption d'un tracé différent. Ainsi, par exemple, ayant à placer deux bandeaux sur les parements d'un grand et d'un petit édifice, il donnera, si les matériaux l'exigent, la même hauteur à ces deux bandeaux, mais il tracera le bandeau du grand monument suivant le profil A (fig. 1), et celui du petit monument suivant le profil B.

Le profil A paraîtra plus ferme, plus accentué et plus grand d'échelle que le profil B. Il y avait donc, dans l'adoption de ce nouveau principe, ample matière aux observations de l'artiste, le sujet d'une étude très-délicate des effets; et si un architecte du Bas-Empire pouvait, ayant donné les dimensions principales d'un ordre, ne plus avoir à s'inquiéter des profils de cet ordre, il n'était pas loisible à l'architecte du moyen âge de laisser aux ouvriers le soin de tracer les profils de son monument, puisque c'était par ce tracé qu'il pouvait donner l'échelle de l'ensemble. Ceci étant, on comprend comment des architectes habitués à ne considérer les profils que comme un tracé élastique qui diminue ou augmente en raison des dimensions données à l'ensemble, ont pu affirmer que les tracés des profils appartenant aux monuments occidentaux du moyen âge étaient dus au hasard. Or, c'est un langage qu'il faut connaître, langage qui a ses lois parfaitement définies.
Les profils ont deux raisons d'exister: la première répond simplement à une nécessité de la structure; la seconde dérive de l'art pur. Il est clair qu'un profil extérieur de corniche est destiné à éloigner les eaux pluviales du parement qu'il recouvre; qu'un profil de soubassement n'est autre chose qu'un empattement donnant de l'assiette à la partie inférieure d'un mur ou d'une pile. Mais il ne suffit pas que ces fonctions soient remplies, il faut encore que l'oeil trouve dans le galbe de ces profils une expression saisissante de leur utilité.
Le profil d'un chapiteau dorique grec est admirablement tracé pour exprimer un support; et si un architecte du moyen âge avait eu quelque chose à lui reprocher, c'est de ne pas porter une charge qui soit en rapport avec son galbe robuste, puisque, sur deux de ses faces en encorbellement, ce chapiteau ne porte rien. C'est à l'expression rigoureuse du besoin que les architectes du moyen âge se sont d'abord appliqués dans le tracé de leurs profils; le besoin satisfait, ils ont cherché à en rendre l'expression sensible aux yeux les moins exercés, et il faut reconnaître qu'ils y ont réussi beaucoup mieux que ne l'ont fait les artistes de l'antiquité, les Grecs compris. Une erreur trop répandue est de croire qu'un profil est beau par lui-même, et cette erreur semble avoir été partagée par les architectes grecs et romains depuis l'empire. Un profil n'a qu'une valeur relative, et celui qui produit un effet satisfaisant ici sera fâcheux ailleurs. Jamais, par exemple, les architectes des XIIe et XIIIe siècles n'ont donné à des profils intérieurs et extérieurs d'un même édifice le même galbe, par la raison: 1º que les besoins auxquels ils avaient à satisfaire extérieurement et intérieurement diffèrent; 2º que l'effet produit par la lumière directe ne peut être le même que celui produit par la lumière diffuse. Un profil éclairé de haut en bas par le soleil ou de bas en haut par reflet, se modifie aux yeux: c'est alors que l'art, appuyé sur une observation fine, intervient.

Les profils les plus anciens que nous observons dans les édifices primitifs du moyen âge en France, et particulièrement dans l'Île-de-France, dans le Valois, une partie de la Champagne, de la Bourgogne, du Nivernais et de l'Auvergne, s'ils s'adaptent à des bandeaux, des corniches, des cordons et des tailloirs de chapiteaux, consistent en un simple épannelage, un biseau (fig. 2) partant du nu du mur ou reposant sur des corbelets. Mais on reconnut bientôt: 1º que ces profils ne garantissaient pas les parements des eaux pluviales; 2º qu'ils produisaient peu d'effet: car si le rayon solaire est au-dessus de la ligne ab, toute la partie biseautée cb est plongée dans l'ombre; si le rayon solaire est suivant la ligne ab, la partie cb est dans un jour frisant pâle et sans relief; si le rayon solaire est au-dessous de la ligne ab, le biseau cb est dans la lumière et se confond presque avec le listel dc. Dès le commencement du XIe siècle on chercha à obtenir plus de relief ou plus d'effet en creusant au-dessus du grand biseau un grain d'orge e (fig. 3).

Ainsi, lorsque le rayon solaire était dans le prolongement du biseau ou même au-dessus, on obtenait un filet lumineux entre le listel et ce biseau; puis, pour éviter la bavure des eaux pluviales, on creusa sous le biseau une mouchette g. Le biseau se trouvait compris ainsi entre deux grains d'orge plus ou moins profonds, qui faisaient ressortir la demi-teinte habituellement répandue sur ce plan incliné et donnaient du relief au profil. De là à creuser légèrement le biseau en forme de cavet, il n'y a qu'un faible effort, mais le résultat obtenu est relativement considérable.

En effet (fig. 4), en supposant le rayon solaire suivant la direction des lignes ponctuées, sous le listel supérieur on obtient d'abord une ombre vive, puis une lumière a; sous cette ligne lumineuse, une ombre reflétée, douce par conséquent, b; puis une ligne lumineuse c légèrement voilée par une demi-teinte; puis l'ombre portée d. Si haut que soit le soleil, la ligne lumineuse a paraît toujours, et le grand cavet est au moins modelé par un reflet, s'il ne reçoit pas de lumière sur sa partie inférieure. Si bas que soit le soleil, il y a toujours un filet d'ombre au-dessus de a et une demi-teinte en b. Par ce procédé, avec une saillie moindre, le traceur produisait un effet de relief plus grand que dans l'exemple précédent.

Bientôt ces grands cavets parurent mous; on divisa l'épannelage en plusieurs membres, ainsi qu'on le voit dans la figure 5, donnant le profil des tailloirs des chapiteaux du porche de l'église de Créteil près Paris (deuxième moitié du XIe siècle). En accrochant les membres moulurés dans l'épannelage du biseau, la lumière produit une succession d'ombres, de demi-teintes et de clairs qui donnent à ce profil si plat une beaucoup plus grande valeur qu'il n'en a réellement.
Les architectes du XIIe siècle, par suite de leur système de construction et la nature des matériaux qu'ils mettaient en oeuvre, voulant éviter les gros blocs, ne donnèrent qu'une assez faible saillie à leurs profils extérieurs, mais ils cherchèrent par le tracé à suppléer à ce défaut de relief, et ils obtinrent ainsi des résultats remarquables. Quand on relève des monuments de cette époque, on ne peut croire que des effets aussi nets, aussi vifs et tranchés, aient pu être obtenus à l'aide de profils d'un très-faible relief. Les profils du clocher vieux de la cathédrale de Chartres, par exemple, bien que dépendant d'un monument colossal, ont des saillies à peine senties, sont visibles de loin cependant, et remplissent leur objet d'une manière absolument satisfaisante. Mais les profils extérieurs de cette époque sont rarement tracés en vue de rejeter les eaux pluviales; les artistes qui en ont donné le galbe paraissent surtout s'être préoccupés de l'effet architectonique, de la répartition des clairs et des ombres. Ils ont observé que sur une surface, une succession d'ombres vient lui donner de l'importance en contraignant l'oeil à s'y arrêter. C'est une façon d'insister sur une forme.
Les architectes du milieu du XIIe siècle ont été certainement les plus habiles traceurs de profils en raison des faibles saillies en oeuvre. Ils ont adopté, si l'on peut s'exprimer ainsi, une accentuation. Dans les mots de la langue, l'accent porte sur une syllabe. Si le mot se compose de deux syllabes en français, il est, sauf de rares exceptions, sur la première; s'il se compose de trois syllabes, il est sur la première ou la seconde; de quatre, sur la pénultième ou l'antépénultième. Dans le vieux français, qu'il s'agisse de la langue d'oc ou de la langue d'oil, l'accentuation est parfaitement réglée; c'est l'accentuation qui même indique invariablement les étymologies. Eh bien, dans le tracé des profils de la dernière période romane, à l'époque où l'architecture comme la langue étaient faites, l'accentuation est toujours marquée. Un profil devient ainsi comme un mot: au lieu d'être composé de syllabes, il est composé de membres distincts et son accentuation est réglée. Mais le commencement d'un profil est en raison de sa position: si le profil est une base ou un socle, son commencement est à la partie supérieure qui porte d'abord; si le profil est un bandeau ou une corniche, son commencement, son premier membre, est à la partie inférieure, qui naît du nu d'un parement.

Ainsi (fig. 6), voici en A et B deux profils de base 351 qui se composent chacun de trois membres; l'accent est sur le second membre, et cet accent est marqué par l'ombre vive qui se projette sur la scotie en a marquera même que pour accentuer davantage ce deuxième membre, dans le profil A, la scotie a été cannelée.
En C et en D sont tracés deux profils de bandeaux et tailloirs 352; le premier membre est à la partie inférieure, et l'accent dans ces deux profils composés, l'un de trois membres, l'autre de deux, est sur ce premier membre, accent indiqué par l'ombre vive projetée en b. Dans l'exemple figure 5, le profil (nous allions dire le mot) n'est pas encore formé, et l'accentuation est vague. Dans la formation des mots, le français a procédé habituellement par contraction, en maintenant toujours la syllabe sur laquelle porte l'accent. De dominus il a fait dom, de vice-dominus, vidam, de dominiarium, donger, dangier et danger; de vasseletus, vaslet, varlet; de consobrinus, cousin; de palus, peu, puis pieu; du verbe cogitare, cuider; de flebilis, fieble, aujourd'hui faible: d'augurium, heur, d'où malheur; d'araneoe tela, arentele, vieux mot perdu et qui valait bien toile d'araignée; de soror, suer (prononcez soeur) au sujet; de sororem, seror au régime, comme infans donne enfe au sujet, et infantem, enfant, au régime 353, comme abbas a donné abbe au sujet, et abbatem, abbé, au régime, etc. Or, il est assez intéressant d'observer que dans la composition des profils de l'architecture, les maîtres du moyen âge ont procédé de même par contraction en conservant toujours le membre accentué et faisant tomber la plupart des autres. Revenons aux exemples donnés dans la figure 6. Nous voyons que les profils de base ont conservé le tore supérieur de la base romaine, qu'ils ont accentué plus vivement la scotie, et qu'ils ont affaibli le tore inférieur en lui ôtant son relief. L'accentuation du profil romain était bien aussi sur la scotie.
Si, en regard du profil D, nous plaçons un profil analogue romain, un profil E de bandeau ou d'imposte, nous voyons que dans le profil romain le membre accentué est bien celui e; le maître du moyen âge, dans le bandeau D, a supprimé le membre f, a appuyé sur l'accent du membre e, mais a singulièrement réduit le membre g.
Mais pendant le XIIe siècle il se produit dans l'art, comme dans la langue, un travail de transformation. Des influences diverses agissent: d'abord et au premier rang, l'influence latine; puis celles venues d'Orient, qui d'ailleurs sont elles-mêmes en grande partie latines: les profils se contractent, l'accentuation prend plus d'importance. Bientôt vient se mêler à ce travail de transformation un élément nouveau, l'élément logique; les tâtonnements, les incertitudes disparaissent, et les maîtres laïques inaugurent un système entièrement neuf dans le tracé des profils. Cependant, si brusque ou si profonde que soit une transformation, on peut toujours, à l'aide de l'analyse, retrouver les éléments qui ont servi à la reproduire. Procédons en effet par l'analyse, et voyons comment d'un profil romain les maîtres du XIIIe siècle arrivent à tracer un profil qui ne semble plus rien garder de son origine.
L'Apparicion de Jehan de Meun, publiée par la Société des bibliophiles français, p. 35 (XIVe siècle).
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Ibid., p. 54.
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Dans cette coupe nous avons fait les sections sur l'escalier, le passage et l'une des meurtrières, ainsi que sur le siége d'aisances et la fosse inférieurs.
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Le profil A provient du portail de Notre-Dame de Chartres, XIIe siècle; le profil B, du vieux clocher de la même église.
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Du clocher vieux de la cathédrale de Chartres.
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Le langage jusqu'au XIIIe siècle, en français, conserve deux cas: le sujet et le régime (voyez l'Histoire de langue française par M. Littré). De ces deux cas, le français moderne n'a conservé que le régime.
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