Kitabı oku: «Comment on construit une maison», sayfa 15
CHAPITRE XXVII
L’ORDRE DANS l’ACHÈVEMENT DES TRAVAUX
Plus les ouvrages approchaient de leur terme, plus le travail du bureau se compliquait. Quand Paul avait vu que presque tous les détails étaient donnés aux entrepreneurs, il avait pensé qu’il n’y aurait plus pour lui qu’à surveiller la façon, la mise en place de chaque partie, d’après les instructions du grand cousin; mais le travail du bureau, qui, pendant les premiers mois, prenait deux ou trois heures par jour, se compliquait. Il fallait mettre les attachements en ordre, afin d’établir les comptes; il fallait, pour ne pas perdre de temps, écrire ou donner des ordres aux ouvriers pour qu’ils arrivassent au moment même où on en avait besoin, et pussent, en certains cas, travailler de concert. Le menuisier avait envoyé à la fin d’août une partie des portes et croisées, presque tous les parquets. On avait dû dès lors commander au serrurier, les équerres, les pentures, les pattes à scellement, faire venir de Tours de la quincaillerie: paumelles, crémones, serrures, verrous, fiches, couplets, etc., et pour que ces commandes fussent bien remplies, envoyer aux fournisseurs les mesures de chacune de ces pièces, en raison de la force du bois et de la nature des objets. Le grand cousin était allé à Tours pour choisir les échantillons de cette quincaillerie. Le menuisier et le serrurier devaient travailler simultanément; et souvent, n’étant pas habitués à être pressés, il était nécessaire de régler le travail de chacun pour qu’ils ne perdissent pas de temps. Les couvreurs étaient arrivés, et, à chaque instant, ils réclamaient le concours du maçon ou du charpentier. Comme les journées qu’on leur payait étaient chères, il était important de ne pas leur laisser de prétextes pour flâner.
Le grand cousin avait donc enseigné à Paul comment, chaque soir, il devait se rendre compte des travaux de diverses natures à exécuter le lendemain, et comment il devait distribuer à chacun son rôle avant de quitter le chantier. Cette nécessité de tout prévoir avait paru à Paul un travail difficile; mais son esprit s’était mis peu à peu à cette besogne et il arrivait assez bien à supputer les ouvrages qu’il s’agissait d’achever sans encombre.
Le grand cousin l’avait prévenu qu’il ne fallait pas compter sur les ouvriers pour l’aider dans cette direction méthodique, et il en avait en effet reconnu que la plupart, au moment de faire un travail, ne pouvaient s’y livrer, parce que tel corps d’état qui devait préparer la place n’avait pas été prévenu et n’avait rien disposé. Alors les heures se passaient à courir les uns après les autres.
«L’ouvrier, disait à Paul le grand cousin, est de sa nature imprévoyant, comme tous ceux qui ont pris l’habitude d’être commandés et qui n’ont pas de responsabilité. Il n’ignore pas ce qui lui sera nécessaire pour faire tel ou tel travail, et cependant il arrive jusqu’au moment de l’exécution, sans s’être préoccupé de savoir s’il possédera les éléments appropriés à son labeur. Aussi, est-ce lorsque plusieurs corps d’état travaillent simultanément dans un chantier, qu’il faut, de la part de l’architecte, de la méthode, de l’ordre et de la prévision; autrement on perd beaucoup de temps; les ouvriers se gênent au lieu de s’entr’aider; chacun d’eux fait sa besogne sans souci de l’opportunité. On est sujet à faire recommencer deux ou trois fois un même travail.»
Les fumistes étaient arrivés, et quoique tout eût été prévu dans la construction pour le passage des tuyaux de fumée, pour la ventilation et les tuyaux de chaleur du calorifère, ces ouvriers avaient sans cesse recours au maçon. Or, le grand cousin, ayant tout fait disposer, avait bien recommandé à son inspecteur de ne pas tolérer que les fumistes, suivant leur habitude, perçassent des trous à tout propos pour passer leurs tuyaux, leurs appareils, sans se soucier de la construction et des portées des planchers. Mais ceux-ci ne trouvaient pas les passages, d’autant qu’ils ne les cherchaient guère; il fallait que le père Branchu vînt et leur indiquât les conduits, ouvrît les bouches, élargît celle-ci, rétrécît celle-là. Puis les plombiers posèrent les tuyaux des eaux et il fallut leur percer des murs, faire des trous de scellements. Puis c’étaient les menuisiers qui réclamaient aussi le maçon pour sceller les bâtis, les huisseries. Il était nécessaire de mettre de l’ordre dans tout cela, car le père Branchu y perdait la tête et passait d’une besogne à l’autre sans achever la première. Cette phase de son emploi mit donc Paul au courant de bien des détails de la construction auxquels il ne songeait guère quelques mois auparavant.
À la fin de septembre, la menuiserie était fort avancée, la couverture entièrement terminée, et l’on n’aurait plus bientôt qu’à s’occuper de la peinture. Les attachements étaient en ordre, de manière à pouvoir établir promptement les mémoires.
Cependant M. de Gandelau pensait à faire rentrer son fils au lycée à la fin des vacances; il devait nécessairement achever ses études; et si cette année n’avait pas été perdue pour Paul, il était encore trop jeune pour se mettre à l’étude de l’architecture, en admettant qu’il voulût embrasser cette carrière. La question fut donc mise sur le tapis vers les derniers jours de septembre, le soir, en famille. Le grand cousin dit, avec raison, que Paul avait appris tout ce qu’il pouvait apprendre sur ce petit chantier; que restât-il plus longtemps à la campagne, il verrait les peintres faire les impressions, les enduits, poser les couches de peinture, et que cela ne pouvait lui être d’une grande utilité. Que d’ailleurs, Mme Marie ne devant revenir qu’au printemps, il était sage de laisser sécher la construction avant de faire des décorations intérieures et poser les tentures.
L’idée de rentrer au lycée souriait médiocrement à Paul, après une année passée à cette vie active et presque toujours en plein air; mais il sentait au fond qu’il n’eût pas été sage de faire autrement. M. et Mme de Gandelau avaient d’ailleurs des affaires à régler à Paris, et y passeraient une partie de l’hiver.
Il fut donc résolu que le grand cousin resterait le temps nécessaire pour faire terminer l’œuvre, de manière que rien ne périclitât pendant la mauvaise saison, et que Paul partirait avec ses parents aux premiers jours d’octobre.
On ne commencerait les peintures qu’après les grands froids. Le grand cousin se chargeait de faire surveiller ces ouvrages et de voir les travaux lui-même pendant ses séjours à Châteauroux, où une affaire assez importante l’appelait vers la fin de l’hiver.
Tout ainsi réglé, Paul, le cœur un peu gros, quitta sa chère maison le 2 octobre, et retourna au lycée. La plupart de ses camarades avaient passé comme lui presque toute l’année hors Paris, et leurs études avaient été suspendues; mais bien peu avaient employé utilement leur temps. Aussi, quand Paul raconta ce qu’il avait fait pendant ces douze mois, beaucoup le raillèrent, quelques-uns ne le crurent pas, mais tous ne l’appelèrent plus que monsieur l’architecte.
Pendant cette année, il avait un peu appris à raisonner, à réfléchir avant de parler et à écouter ceux qui en savaient plus long que lui; aussi trouva-t-il ses anciens camarades quelque peu futiles et légers. Un jour de sortie, il fit part de cette observation à son père, avec un certain mélange de vanité et de tristesse. M. de Gandelau le devina et ne laissa pas échapper cette occasion de rectifier le mauvais côté de sa pensée.
«Il est possible, lui dit-il, que tes camarades n’aient pas eu la bonne fortune de trouver, comme toi, quelqu’un qui ait pris la peine de les faire travailler et de mûrir leur esprit; mais ce serait un tort impardonnable et nuisible à toi-même surtout, de paraître dédaigner ceux qui, sur un seul point, en savent moins que toi. Qui sait si, sur d’autres points, ils n’ont pas acquis une supériorité qui t’échappe? Il ne s’agit pas dans le monde (et le lycée est un petit monde fait comme le grand) de se renfermer en son propre savoir et d’en tirer vanité, mais de découvrir celui des autres, pour tâcher d’en prendre sa part. Il ne s’agit pas de briller parce que l’on sait ou croit savoir, et de ne s’attirer par suite que l’envie des sots et le sourire des gens sensés, mais de faire briller le savoir des autres. On tire de cette façon d’être un double profit: on se fait aimer et on s’instruit.
«Que tes camarades ne sachent pas comme toi ce qu’est la construction d’une maison, cela n’a rien de surprenant; mais tu avoueras que cette connaissance est mince, et peut-être sur d’autres matières ont-ils des idées plus justes et plus avancées que ne sont les tiennes. Il eût été ridicule de cacher à tes camarades la nature de tes occupations pendant ton séjour à la campagne, mais à quoi bon insister là-dessus?… Si l’un d’eux, plus désireux de s’instruire, te fait des questions, si tu vois qu’il prend un intérêt sérieux à ce que tu lui répondras, satisfais son désir; mais, vis-à-vis des indifférents, tiens-toi sur la réserve toujours, sinon tu prêtes à rire. Il est une expression vulgaire, mais qui est juste: on fait poser les gens qui tirent vanité de ce qu’ils savent, c’est-à-dire qu’on les fait discourir, non pour satisfaire une curiosité légitime, mais pour prendre occasion de se moquer d’eux… Retiens bien cela, car c’est vrai, au lycée comme partout.
«Si en effet l’esprit s’est développé chez toi plus que chez tes camarades, il est un moyen facile de rendre le fait apparent pour tous, c’est d’acquérir plus rapidement qu’eux l’instruction également répartie entre vous. Obtiens les premières places dans toutes tes classes, personne ne raillera, et chacun reconnaîtra qu’en effet cette année, stérile pour tant d’autres, a été fructueuse pour toi.»
Paul comprit, et, rentré au lycée, il laissa pour le moment ses souvenirs d’architecte; il montra bientôt, en effet, que son esprit s’était développé, et au premier de l’an il arriva chez son père avec des notes excellentes.
Toutefois ses camarades lui avaient définitivement appliqué le sobriquet de l’architecte.
«Eh bien, se disait-il en lui-même, lorsqu’on l’appelait ainsi, je leur prouverai qu’ils ne se trompent pas, et je deviendrai un architecte.»
CHAPITRE XXVIII
L’INAUGURATION DE LA MAISON
Les choses s’étaient passées ainsi qu’il avait été convenu; les peintures de la maison, commencées dans les premiers jours de février par le beau temps, étaient achevées en avril, ainsi que tous les travaux accessoires. M. de Gandelau, qui était retourné à ses champs à la fin de janvier, avait fait planter le petit parc autour de la maison, et avait commandé les meubles les plus indispensables à l’habitation, voulant laisser a sa fille le soin de choisir elle-même les objets qui devaient être l’expression de son goût.
Mme Marie avait annoncé son retour pour le mois d’avril, puis pour le mois de mai. Entre sa mère et elle, il n’avait pas été question, dans leur correspondance, de la maison, depuis la guerre. Mme Marie n’avait probablement pas pris au sérieux ce qui lui avait été écrit à ce propos; puis les événements désastreux des années 1870 et 1871 semblaient avoir entièrement fait oublier ces projets de part et d’autre.
Paul tenait beaucoup à une surprise et avait supplié Mme de Gandelau de ne rien dire de la maison à sa fille. Bien entendu, Mme de Gandelau s’était facilement rendue à ce désir.
On écrivit donc à Mme Marie que la famille ne serait réunie au château que pour les fêtes de la Pentecôte, et que jusqu’à ce moment, son père ayant quelques voyages à faire, elle ne se pressât pas de rentrer en France avant cette époque. De Vienne, Mme de Gandelau reçut, le 8 mai, une lettre qui lui annonçait que sa fille et son mari descendraient à la station la plus rapprochée du château le 19 au matin, jour de la Pentecôte.
Grande fut la joie de Paul lorsqu’il reçut cette nouvelle. Il pourrait être alors dans la famille et jouir de la surprise de sa sœur; car il craignait surtout que celle-ci n’arrivât pendant qu’il serait au lycée. Cela lui eût semblé désastreux. Aussi avec quelle ardeur se mit-il au travail dans les jours qui le séparaient encore de la Pentecôte! Il voulait arriver au château avec une des premières places dans sa classe, afin que tout le monde fût heureux.
Le jour de la sortie, impatiemment attendu, arriva. M. de Gandelau, en raison de l’éloignement et des bonnes notes de Paul, avait obtenu que son fils lui fût envoyé le samedi matin. Paul rentra donc au château à midi, après plus de sept mois d’absence. Le grand cousin avait été invité pour cette fête de famille, cela va sans dire. C’est tout au plus si Paul prit le temps d’embrasser sa mère, son père, sa petite sœur, et de déjeuner; il grillait d’aller voir la maison.
«Sois donc tranquille, lui répétait sa mère, elle t’attendra.» Pendant le déjeuner, son père lui adressait des questions à propos de ses études; mais Paul, de son côté, accablait son cousin de demandes.
«Et les menuiseries, font-elles bien? Et la peinture? De quelle couleur est le salon? Et le plombier? A-t-il mis sur le toit la crête qu’il promettait?
–Vous allez voir tout cela tout à l’heure, et d’ici à la nuit vous avez le temps de tout examiner en détail… Un peu de patience! Un architecte doit, avant tout, être patient.»
L’aspect de la maison nouvelle était bien changé depuis le départ de Paul. Les abords, déblayés, étaient soigneusement sablés. Les plates-bandes verdissaient, et quelques vieux arbres ayant pu être conservés dans les environs, il semblait, en arrivant, que cette habitation fût déjà occupée. Paul ne put s’empêcher de sauter de joie en voyant comme la bâtisse était coquette et pittoresque. En débouchant dans le vallon, il se mit à courir pour voir les choses de plus près, et le grand cousin n’arriva sur le perron que quelques minutes après lui. Paul n’avait vu ni la marquise de l’entrée, ni le vestibule-serre donnant sur la salle de billard. Les plomberies n’étaient pas entièrement achevées lorsqu’il était parti, les épis et les crêtes manquaient. Les lucarnes n’étaient pas couronnées de leurs fleurons. À peine les croisées étaient-elles posées, mais la vitrerie manquait. Ces derniers ouvrages sont comme la marge dont on entoure un dessin, ou le cadre qui sertit un tableau; pour les yeux peu exercés, ce dernier accessoire met chaque partie à son plan, nettoie l’ensemble et donne l’unité qui semblait faire défaut.
Paul était satisfait de l’aspect extérieur.
L’intérieur, quoique simple, d’après les instructions précises de M. de Gandelau, avait bon air; nulle apparence d’ornements en pâtes ni de dorures. Autour du vestibule régnait un lambris bas en chêne qui se mariait aux chambranles des portes. Les bois de celles-ci et de ce lambris avaient conservé leur couleur naturelle et étaient simplement passés à l’huile de lin et à l’encaustique. Au-dessus du lambris, les murs peints couleur pierre rehaussés de quelques filets rouges donnaient à cette entrée un aspect propre et gai qui invitait à pousser plus avant. Le salon était entouré d’un lambris de 1m,50c de hauteur peint en blanc; la cheminée, large et haute, pouvait chauffer une nombreuse réunion. Le chambranle était revêtu de bois et, sur son manteau élevé, dans un cadre de chêne, on avait fait peindre assez joliment une vue, à vol d’oiseau, du domaine de M. de Gandelau. Le plafond, avec ses deux poutres et ses solives couvertes de tons clairs rehaussés de filets noirs et blancs, grandissait la pièce, lui donnait un aspect chaud, habitable, et prenait, sous les jours frisants, des lumières et des ombres d’une couleur ambrée. Entre ce plafond et le lambris blanc était posée une tenture de toile peinte. La cheminée se détachait en vigueur sur ces fonds. L’entrée du salon eût été quelque peu sombre si la large ouverture donnant dans la salle de billard ne l’eût éclairée d’un grand jour tamisé par les plantes qui garnissaient la petite serre-vestibule. Mais ce qui donnait à ce salon un caractère qui séduisit tout d’abord Paul, c’était la bretêche, toute brillante de lumière, et autour de laquelle régnait un divan de toile perse. La salle de billard était aussi entourée d’un lambris de chêne apparent, et les tentures de même en toile peinte. Une portière fermant la bretêche permettait de se retirer dans cette pièce comme dans un petit boudoir, d’où la vue se présentait charmante de trois côtés. Les plantes placées dans la serre ne laissaient pénétrer dans cette salle de billard, du côté du midi, qu’un jour doux et tranquille. La salle à manger avait été décorée à peu près comme la salle de billard, et deux grands buffets de chêne se reliaient avec le lambris dans les deux enfoncements réservés pour les recevoir.
Paul s’empressa de monter à la chambre de sa sœur. Entièrement tendue de perse, avec un simple stylobate brun, cette pièce était d’une grande simplicité. Le plafond, établi comme ceux du rez-de-chaussée, lui donnait toutefois une physionomie originale et gaie.
Paul voulut tout voir et, au bout d’une heure, son cousin le laissa vaguer à son aise dans la maison, ayant donné rendez-vous à quelques ouvriers pour régler certains détails.
Le soleil était déjà bas quand on songea à retourner au château.
«Eh bien, petit cousin, êtes-vous satisfait de votre œuvre? a-t-on fait les choses, en votre absence, ainsi que vous l’entendiez?—Je voudrais bien, répondit Paul, que ce fût en réalité mon œuvre, et je regrette de n’avoir pu suivre le travail jusqu’au bout, car il me semble, en voyant la chose terminée, qu’il n’y avait presque rien de fait quand je suis parti.—Il en est, mon ami, des bâtisses comme de toutes les œuvres humaines… Vous savez le dicton: Finis coronat opus. Le tout est de finir. Ce n’est pas ce qui demande le plus de travail et de savoir, mais c’est ce qui exige peut-être le plus de persistance, de méthode et de soins, ainsi que je crois vous l’avoir déjà dit. Vous m’avez été réellement utile pendant la construction, je puis vous le dire sans flatterie, parce que vous avez mis à comprendre et à faire exécuter les instructions données par moi, du zèle et toute votre intelligence. Mais vous n’auriez pas eu à vous occuper sérieusement pendant l’achèvement de l’œuvre, puisque la plupart des objets posés en dernier lieu ont été faits à l’atelier et sont arrivés prêts; il ne faut donc pas avoir de regrets; vous auriez perdu votre temps ici, tandis que, paraît-il, vous l’avez bien employé au lycée.
–Je n’avais jamais vu de ces tentures de toiles peintes… cela fait très bien; on croirait voir des tapisseries.
–Oui, je ne sais trop pourquoi on a laissé perdre ce genre de tentures qui autrefois était fort usité, car vous pensez bien que tout le monde ne pouvait avoir des tapisseries de Flandre ou des Gobelins, non plus que des cuirs de Cordoue. Ces sortes de tentures coûtaient fort cher, tandis que les toiles peintes ne coûtent pas beaucoup plus que du papier de tenture et moins que des étoffes meublantes, la perse exceptée. Mais on ne peut guère tendre un salon, une salle à manger avec de la perse; cela n’est pas assez solide à l’œil; c’est bon pour une chambre à coucher. Il faut, dans les grandes pièces, des tentures qui aient un aspect velouté, chaud, solide.
–Et ces toiles peintes sont solides?
–D’aspect, oui, et aussi en réalité; la preuve est que vous pourrez en voir à Reims, qui datent du quinzième siècle et qui sont d’une parfaite conservation.
–Mais comment s’y prend-on pour faire ces tentures?
On choisit des toiles canevas, ou treillis ou croisées, à gros grains, faites exprès, assez semblables aux toiles avec lesquelles on fabrique les sacs. On tend ces toiles sur un plancher, avec des pointes; on les encolle, c’est-à-dire qu’on passe dessus une couche de colle de peau avec un peu de blanc d’Espagne. Puis quand cet encollage est sec, on procède à la détrempe comme pour la décoration de théâtre. On peut ainsi peindre tout ce que l’on veut, des semis, comme nous avons fait ici; cela ne coûte pas gros, puisqu’on se sert de pochoirs; ou des ornements, des paysages, des fleurs, des figures même. Le prix de la matière est peu de chose, et le plus ou moins de valeur de ces tentures dépend du travail de l’artiste. Quand cela est sec, on roule les toiles et on les envoie partout sans grands frais; puis, sur place, on les retend sur des châssis très minces, ce que nous appelons des porte-tapisseries. Il y a donc isolement entre le mur et la tenture, ce qui est nécessaire à la campagne où les papiers collés se gâtent toujours; d’autant que, si on ne chauffe pas les pièces en hiver et que l’on craigne l’humidité, on détend les toiles, on les roule et on les range en lieu sec, pour les replacer au printemps, comme on fait des tapisseries.
–J’ai cru, en ouvrant la porte du salon, que vous aviez fait mettre des tapisseries.
–C’est qu’en effet le gros grain de la toile reproduit assez le point de la tapisserie et que la détrempe prend les tons mats de la laine. Au total, les tentures de notre maison ne coûtent guère plus que les papiers de haut prix que l’on fabrique aujourd’hui et cela dure plus longtemps; sans compter qu’on est assuré de ne pas voir sa tenture chez tout le monde.
–C’est vrai, souvent en entrant dans un salon, j’ai reconnu un papier que j’avais vu ailleurs. Mais, dites-moi, cousin: j’ai remarqué aussi que vous aviez fait poser des paratonnerres?
–Certes, cela est prudent. J’en ai fait placer deux: un sur le comble de l’escalier, et l’autre sur le milieu du grand faîtage.
–Un seul n’eût pas suffi?
–Je ne le crois pas, par cette raison que les paratonnerres ne protègent que les points qui sont renfermés dans un cône dont ils sont le sommet; du moins, c’est ce que l’on admet. Car, entre nous, les physiciens ne sont pas parfaitement d’accord sur l’effet du fluide électrique, sur le degré d’efficacité des paratonnerres et sur les précautions à prendre lorsqu’on les établit. Je m’en tiens à ma propre expérience, qui m’a démontré que jamais un édifice, si exposé qu’il fût, n’était foudroyé lorsque les paratonnerres sont nombreux, que les conducteurs sont suffisants, qu’ils sont mis en communication les uns avec les autres et que leur extrémité inférieure plonge dans l’eau ou dans une terre très humide. Vous savez que l’eau est conducteur de l’électricité; si le fil du paratonnerre se termine dans une terre sèche, l’électricité s’accumule et produit des étincelles en retour qui sont très dangereuses. Le même effet se produit s’il y a des interruptions dans le fil conducteur; le paratonnerre produit alors l’effet d’une bouteille de Leyde, il se charge et devient plus dangereux qu’utile. On a recommandé aussi les attaches avec isolateurs en verre; mais je n’ai jamais vu que des paratonnerres, bien établis d’ailleurs, causassent des accidents faute d’isolateurs. Je considère cette précaution comme superflue, par cette raison que le fluide cherche sa voie la plus directe. Le fil établi dans de bonnes conditions est cette voie; aussi ne faut-il pas lui faire faire des détours brusques, anguleux, et, autant que possible, il faut le mener par le plus court chemin et celui qui se rapproche le plus de la verticale, dans le sol humide.»
À dîner, il ne fut question que de la maison neuve et de l’arrivée de Mme Marie. On discuta fort comment on s’y prendrait pour que la surprise fût complète. Puis le cérémonial fut réglé. M. de Gandelau y avait songé. Les entrepreneurs et chefs d’atelier du pays qui avaient travaillé à la maison étaient convoqués, et un dîner leur serait offert dans le jardin. L’instituteur qui avait donné ses soins à Paul, le maire, le curé de la commune, et quelques voisins et amis, entre autres M. Durosay, qui avait reparu dans le pays, étaient priés de venir assister à l’inauguration. Les ouvriers n’avaient pas été oubliés, ils recevraient tous une gratification; il y aurait le soir un bal dans le nouveau parc pour tous les gens du pays, avec les rafraîchissements obligés, et les pauvres de la commune recevraient, dès le matin, des distributions en nature.
Paul craignait fort que sa sœur n’eût quelque soupçon de la surprise qu’on lui ménageait; que, si on se taisait au sujet de la maison dont, avant la guerre, il avait été question dans les lettres écrites à Mme Marie, ce silence ne lui parût suspect.—«Il a raison, dit Mme de Gandelau. Si Marie nous demande ce qu’est devenu ce projet et le programme qu’elle avait envoyé, si elle s’informe de nos occupations pendant l’année dernière, nous serons obligés d’accumuler mensonges sur mensonges; nous nous couperons, et d’ailleurs cela me répugne un peu de ne pas lui parler sincèrement. Nous ne saurons pas mentir pendant deux ou trois heures; puis, Lucie nous trahira.
–Oh! non, répondit Lucie, je ne dirai rien, bien sûr.
–Tes yeux parleront pour toi, chère enfant. J’arrangerai cela. Vous me laisserez quelques instants seule avec Marie. Je lui dirai que Paul, pour s’occuper pendant ses vacances trop prolongées, a bâti une petite maison, avec les conseils de son cousin. Je lui laisserai supposer que c’est quelque fantaisie de collégien. Elle ne pensera qu’à un amusement, se figurera quelque petit modèle de construction assez bien réussi. On pourra donc en parler à l’aise, sur le ton de la plaisanterie. Puis, après déjeuner, nous lui proposerons d’aller voir la maison de Paul.»
C’est ainsi que les choses furent réglées.
Paul dormit peu pendant cette nuit quoiqu’il fût parti de Paris de grand matin et qu’il eût usé et abusé de ses jambes tout le jour.
Le 19 mai 1872, à 9 heures 40 minutes, M. et Mme N… descendaient à la gare de X…, où M. de Gandelau les attendait avec une bonne calèche. Vingt minutes après on entrait dans la cour du château. Inutile de dire les embrassades, les joies entremêlées de larmes, prodiguées pendant les premières minutes de ce retour.
Mme de Gandelau avait fait arranger les chambres des époux avec tout le soin dont elle était capable, comme s’ils dussent faire un long séjour au château.
La mère ne manqua pas de trouver sa fille embellie; Mme Marie trouva Paul grandi, presque un homme, et Mlle Lucie presque une jeune fille.
Grâce à Mme de Gandelau, pendant le déjeuner, il ne fut question de la maison de Paul que comme d’un incident sans conséquence. On parla des voyages, de la guerre. Après vingt-deux mois d’absence, les sujets de conversation ne manquaient pas. Mais Paul était agité, distrait; sa sœur en fit la remarque. Paul rougit jusqu’au blanc des yeux.
«Je crois que Paul médite quelque chose, dit M. N…,»
M. et Mme de Gandelau se regardèrent en souriant.
«Qu’y a-t-il donc, dit Mme Marie… une conspiration?
–Peut-être, répondit Mme de Gandelau, mais laisse-nous le plaisir de la mener à bonne fin.
–Conspirez, maman, je vous aiderai de tout mon cœur.»
Il n’y avait pas à parler, pour le moment, de la promenade projetée, car on se trahissait. Mme de Gandelau proposa à sa fille de prendre quelque repos dont elle devait avoir besoin. M. N… demanda la permission d’expédier certaines lettres urgentes et le château rentra dans le silence. La journée était chaude et on n’entendait plus que le bourdonnement des insectes sur les pelouses. Paul cependant ne pouvait tenir en place.
«Vous n’êtes pas encore un diplomate, lui dit son cousin. Diable! tenez-vous en repos. Il n’y a plus que vous qui bougiez dans la maison. Vous allez vous trahir, si vous continuez. Allez-vous-en dans votre chambre, prenez un livre… ennuyeux; vous vous endormirez et le temps passera.
–Mais tous les invités qui attendent là-bas.
–Ah oui, c’est vrai! Eh bien montez à cheval, courez jusqu’à la maison, dites à tous les invités d’admirer les merveilles du nouveau domaine et de prendre patience. Dites que madame votre sœur est un peu fatiguée et qu’elle ne fera son apparition que dans l’après-midi. Puis revenez.»
Paul ne se le fit pas répéter, tant l’immobilité lui semblait chose impossible. Il aurait donné à ce moment dix ans de sa vie pour que sa sœur se décidât à monter en voiture.
On ne saurait dire ce que pensait le poney de l’allure que Paul lui fit prendre par cette chaleur de 25 degrés à l’ombre. Il arriva écumant à la maison neuve, si bien que la plupart des personnes déjà réunies crurent à quelque fâcheuse nouvelle. Quand Paul, de l’air le plus effaré du monde, leur dit que Mme Marie devait retarder son entrée de quelques heures, parce qu’elle se reposait:
«Si ce n’est que cela, dirent-ils tous, rien ne presse, et c’est bien naturel, après un si long voyage.»
Puis chacun voulut avoir des nouvelles des arrivants, puis on demandait à Paul de voir ceci et cela. Paul bouillait.
«Vous n’allez pas remonter à cheval dans l’état où vous êtes, lui dit le maire; vous voilà en nage et votre poney est blanc d’écume; reposez-vous un peu et buvez un coup de vin.»
Il fallut se rendre, car M. le maire, de son côté, avait apporté un panier de petit vin de Saumur. On trinqua à la santé des nouveaux arrivés et à la prospérité de la maison, si bien que Paul perdit là une heure. Enfin il put reprendre le chemin du château, même allure. Mais, en atteignant la crête du plateau, il vit de loin la calèche qui se dirigeait du côté de la maison. Il fit un détour afin de prendre les promeneurs à revers, et les atteignit au moment où le nouveau domaine allait leur apparaître. «Voilà, dit sa sœur, un cavalier bien échauffé, d’où vient-il? Est-ce lui qui dirige toute la conspiration?—Certainement, répondit sa mère, regarde!»
En effet, on voyait se dessiner la silhouette de la maison de Paul, avec ses toits d’ardoises étincelants aux rayons du soleil… Il y eut un silence et, il faut le dire, un peu d’émotion.
«Je m’en doutais,» dit Mme Marie, en embrassant sa mère et M. de Gandelau. «Ainsi donc, pendant vos angoisses de l’an dernier, vous pensiez à nous, à ce point de réaliser ce projet de maison que j’avais cru n’être qu’une idée en l’air? Et Paul!
–Paul reprit M. de Gandelau, Paul a travaillé, et a pris sa bonne part dans la réussite du projet. Si jamais il devient un architecte distingué, tu eu auras été la cause première.
–Et vous, mon ami, dit Mme de Gandelau à son gendre, qui lui baisait tendrement la main, vous ne dites rien!