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La coucaratcha. III

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SCÈNE V

Il fait nuit. – La salle à manger de M. Crinet
RÉGULUS, frappant à une porte fermée

Malvina… Malvina!.. eh bien, non… je concentrerai mon amour au fond de moi-même comme le volcan sa lave… Oh! dis… confie ta blonde vertu à ma brune passion… (Il frappe encore.) Malvina… Malvina… elle ne répond pas… je l’aurai effarouchée… c’est sûr… Damnation… Malvina, si tu ne réponds pas, je me brise le crâne sur le pavé… Malédiction… ou bien j’arrache mes yeux de leurs orbites saignants, et je les jette contre ta porte… Malvina, réponds, ou je me jette par la fenêtre… tiens, j’ouvre la fenêtre… (Il ouvre la fenêtre avec bruit.) Entends-tu comme j’ouvre la fenêtre… (Regardant.) Holà! quatre étages… quelle bêtise… Oh!.. une idée… il faudra bien qu’elle sorte… (S'approchant de la porte et d’une voix entrecoupée.) Malvina, mon instinct psychologique, aidé de ma puissante intention, me le révèle, c’est ma mort que tu veux… oui, tu veux venir fouler dédaigneusement ma tombe avec ton fatal et fantastique époux… vêtu peut-être de ce karik vert sur lequel je me suis tortillé à tes pieds, comme le serpent écaillé d’azur s’enroule sur un tapis champêtre de mousse verdoyante… Oh! femme! femme!.. tu veux au milieu d’un galop étourdissant, ravissant, palpitant, enivrant, étincelant, bondissant, délirant, échevelé, tournoyant, quand deux bras forts d’homme étreindront ta taille lascive de femme, tu veux, n’est-ce pas, venir ricaner affreusement ces mots. Il s’est tué pour moi… et je danse… oui, tu veux dire dans ta folle, insouciante et joyeuse fantaisie de jeune femme rose et blanche… Je danse!!! et pendant ce temps-là des vers d’un blanc roux pâturent les lambeaux putréfiés et rougeâtres de son cadavre d’une couleur violacée et sanguinolente, comme le matin du jour des funérailles du monde, n’est-ce pas!.. Eh bien! sois contente, ricane, galope, ris et ris encore… tu vas l’avoir, ma mort, entends-tu… si quand j’aurai compté trois… tu n’es pas là, ici, près de moi, rampante, courbée à mes pieds comme l’esclave orientale au teint cuivré… aux bracelets d’or… aux dents d’ivoire… à la chevelure d’ébène et aux lèvres de corail… Alors… alors… je retourne au néant dont je suis venu… entends-tu… Malvina… car, vois-tu, faible femme, c’est la mort d’un homme… d’un noble jeune homme, au cœur fort parmi les jeunes hommes que tu veux… Fais bien attention, je prends mon élan… écoute-moi bien prendre mon élan… une fois…

– Silence.

– Deux fois…

– Silence.

– Trois fois… c’est l’enfer, c’est la damnation éternelle, des grincements de dents à épouvanter les damnés… des blasphêmes, des rugissements pour l’éternité!!!

– Silence.

RÉGULUS

Tu me verras dans tes rêves, Malvina, je serai ton cauchemar! adieu… Vlan… je suis dans l’espace!

(Il traverse la salle en courant, et se cache derrièreun rideau.)
VOIX DE MALVINA

Je vous vois bien, à travers la serrure, monsieur Régulus, là… derrière le rideau… Avez-vous peu de cœur allez… poltron que vous êtes… de dire de ces choses-là et de ne pas les faire…

RÉGULUS

Elle m’a vu… (Il se lève et s’approche de la porte d’un air solennel.) Malvina… je voulais éprouver ton amour… mais il est plus faible que le souffle expirant de la brise du soir, et je serais bien bête de vous sacrifier ma vie… Allez… je vous dédaigne.

VOIX DE MALVINA

C'est ça, monsieur Régulus; ouvrez l’armoire à gauche du poêle, vous trouverez le rat de cave pour descendre… Bonne nuit, monsieur Régulus… (Elle rit.)

RÉGULUS

Elle a ri… tu as ri… mais j’y pense! cave… ah… cave… Quelle idée… ah! tu crois et tu veux me torturer l’âme… Arrière, faible femme… à moi une orgie furibonde, et vive, et folle, et joyeuse… et terrible, et fantastique, et foudroyante, et étourdissante… Une orgie à manger les verres et les bouteilles quand je les aurai vidées… une orgie à incendier le quartier, Paris, la France et peut-être l'Europe! Ah, ah, ah, ah, tu crois mon cœur d’homme assez faible pour se laisser abattre par un caprice ondoyant de femme indécise… Tu vas voir… (Régulus ouvre l’armoire de la salle à manger et en tire des bouteilles et des verres.) A moi le festin, à moi les coupes… couronnez-moi de fleurs… justement voilà une couronne de fleurs pour la saint Crinet de l’année passée; des immortelles! Vive-dieu, mort-dieu, sacrebleu, pâques-dieu. (Il décroche une vieille couronne pendue au mur et se l’enfonce sur la tête.) A moi le vin de Bordeaux… à moi l’eau-de-vie… à moi le rhum. (Il boit). Ah! ah! les femmes… Qu’est-ce que les femmes auprès du vin, hein… Folie, pitié que la femme. Je vais devenir un sac à vin, un ivrogne, un épicurien dans le genre du caveau… Arrière les femmes! j’aime mieux mon verre… vive-dieu, mort-dieu, pâques-dieu, tonnerre et sang!

VOIX DE MALVINA

Mais vous allez vous mettre dans des états affreux; monsieur Régulus, c’est indélicat!

RÉGULUS à moitié ivre et frappant sur la table:

Tra, la, la, la… je bois le vin de M. Crinet, l’eau-de-vie de Crinet… tra, la, la… tonnerre, arrière, vive l’orgie… Tra, la, vive-dieu, mort-dieu! Femme… femme… je te défie… vive l’orgie!

(Il casse son verre et les bouteilles.)
VOIX DE MALVINA

Mais taisez-vous donc, monsieur Régulus, quel train vous faites… Et Suzon qui n’est pas là… Mon Dieu, que faire. Je vais d’abord m’enfermer… Tant pis, je passerai la nuit sur une chaise.

RÉGULUS ivre

La mort… la fin de tout… étant le néant… Il se peut… car… tout est dans la… Ah ça, j’ai fameusement envie de dormir… diable de vin.

(Il se lève en chancelant, et entre dans la chambreà coucher des époux Crinet; il se jettetout habillé sur le lit desdits Crinet.)

SCÈNE VI

La salle à manger
Il est minuit. – Entre Crinet en uniforme avecun rat-de-cave. A la vue des bouteilles et desverres il reste stupéfait
CRINET

Ah! saperlotte, qu’est-ce que je vois là… trois bouteilles vides… des verres cassés… C'est ça, quand les chats sont sortis les rats dansent… Est-ce que mon épouse par hasard aurait bu… Ah! par exemple… voyons donc…

(Il entre à petit bruit, et reste pétrifié à la vuede Régulus couronné de fleurs, qui dort sur lelit conjugal.)
CRINET allume une bougie et cache sa tête dans ses mains en soupirant d’un ton plaintif:

Oh! madame Crinet… (Il prend la bougie et l’approche de la figure de Régulus en s’écriant:) C'est Régulus… ce scélérat de Régulus.

(Il laisse tomber la bougie qui met le feu auxfavoris de Régulus, qui s’éveille flamboyant.)
RÉGULUS

Malédiction… suis-je donc déjà en enfer?

CRINET

Tu mériterais d’y aller, misérable!.. Qu’est-ce que tu fais ici… dans mon lit?.. De quel droit envahis-tu aussi indécemment mon domicile?

RÉGULUS

Et toi, de quel droit viens-tu m’incendier quand je suis là tranquillement à dormir!

CRINET

Ah! tu appelles ça tranquillement dormir quand tu viens déshonorer un homme qui monte honnêtement sa garde et fait loyalement ses patrouilles!

RÉGULUS

Je ne te connais pas, et je tiens à ne pas te connaître; voilà mon nom. (Il se recouche.)

CRINET

Mais ce malheureux-là a bu: est-ce qu’ils auraient bu tous les deux, ma femme?

RÉGULUS

Laissez-moi dormir.

CRINET le prenant au collet:

Ça ne se passera pas ainsi, non, non, entends-tu… (Il crie.) A la garde, à la garde, au voleur!

(Entrent les voisins. – On saisit Régulus,qu’on jette à la porte après la justification etla réhabilitation de madame Crinet.)

SCÈNE VII

Les juges d’un conseil de discipline et le capitaine-rapporteur. – Enface d’eux Crinet
LE PRÉSIDENT

Accusé Crinet, pourquoi, étant de garde le jeudi 20 février, avez-vous déserté votre poste pendant la nuit?

CRINET embarrassé et balbutiant

Monsieur le président… j’entre chez moi… et je vois des verres qui…

LE PRÉSIDENT

Mais pourquoi rentriez-vous chez vous puisque vous étiez de garde?

CRINET

Je vais vous dire, monsieur le président, je vois en entrant des bouteilles, et…

LE PRÉSIDENT

Accusé, ne sortez pas de la question. Vous avouez avoir quitté votre poste, sans permission, pendant la nuit du 20 février.

CRINET

Oui, monsieur le président; mais en entrant je vois un drôle qui…

LE RAPPORTEUR interrompant Crinet

Messieurs, le nommé Crinet ne comparaît pas devant vous pour la première fois; c’est un de ces hommes opiniâtres qui se font un cruel plaisir de voir leurs concitoyens supporter le faix du service, pendant qu’eux… (Il hésite.) pendant qu’eux…

UNE VOIX DANS L'AUDITOIRE

Oh, oh, pendant qu’eux…

LE RAPPORTEUR

Faites sortir les interrupteurs. (Il continue.) Pendant qu’eux se promènent les bras croisés à ne rien faire. Il faut pourtant, messieurs, que les sicaires du désordre trouvent un frein à leurs saturnales, et que les bons citoyens se rallient contre les principes subversifs d’un ordre de choses que la France a choisi de tout son cœur, et qu’elle soutiendra de toutes ses forces. En conséquence, nous requérons qu’il plaise au conseil de condamner le nommé Jean Crinet à huit jours de prison pour cause de récidive.

 
LE PRÉSIDENT

Crinet, qu’avez-vous à dire pour votre défense?

CRINET furieux

J'ai à dire que c’est une horreur… je suis meilleur citoyen que vous tous… j’ai fait les trois jours… j’aime l’empereur… Il y avait un homme dans mon lit… et on veut que je monte là tranquillement ma garde… Je suis Français… et Lafayette m’a appelé son camarade; ainsi un homme que Lafayette a appelé son camarade ne doit pas être condamné quand il aime la charte; non messieurs, et je terminerai par ce mot cher à tous les bons patriotes: Vive la charte! et je me fie d’ailleurs à l’impartialité de mes concitoyens.

(Le conseil se retire, puis il rentre; et le rapporteurlit l’arrêt suivant.)

Ouï la défense et l’accusation, le 1er conseil de discipline dans sa séance du… a condamné le sieur Crinet à huit jours d’emprisonnement.

CRINET

C'est une horreur… j’en rappelle, il y avait un homme chez moi… c’est une infamie.

(Des gardes municipaux font sortir Crinet del’audience.)

SCÈNE VIII

Un salon
CRINET

Allons… allons… je crois qu’ils m’oublient, voilà quinze jours que cet imbécile de conseil m’a condamné à huit jours de prison, et je n’en entends plus parler… c’est pas l’embarras, j’ai fait dire que j’étais malade, et c’était adroit. Justement les assises où j’étais juré pour ce procès politique ont eu lieu pendant ce temps là, et comme ça je n’ai condamné ni les uns ni les autres, de façon que je garderai ma fourniture et que je ne serai pas exposé aux poignards empoisonnés des républicains, car il paraît maintenant qu’ils sont empoisonnés.

(Entre Suzon.)
SUZON

Monsieur, voilà une lettre.

CRINET

Voyons. (Il lit) «Puisque par votre impardonnable négligence vous avez favorisé l’acquittement des anarchistes en ne votant pas contre eux, puisque votre voix les eût fait condamner, je suis obligé de vous apprendre qu’à dater de ce jour la fourniture de la maison du prince vous est retirée… Je vous avais pourtant prévenu, mais votre caractère opiniâtre a prévalu sur les sages conseils d’un homme qui se disait votre ami et qui n’est plus que votre serviteur.»

Signé, LECLERC.

C'est parfait.. c’est au mieux, c’est trente mille francs de jetés à l’eau… C'est un bénéfice de 10,000 fr. par an d’annulé, c’est agréable, et ça parce que je n’ai pas voulu me livrer au couteau des assassins, à cause de leur imbécile de procès… mais à quoi sert une révolution alors, puisqu’on y perd plus qu’on y gagne… c’est une révolution de coupe-gorge alors… Pour qu’une révolution soit bonne, il faut qu’on y gagne… A ce compte là, les glorieuses sont un guet-apens, une infamie… Et moi qui les ai faites les glorieuses… c’est une horreur.

JACQUES LOPIN

Pardon, excuse monsieur Crinet… si…

CRINET

Allons… qu’est-ce encore, que veux-tu toi?..

LOPIN

Monsieur Crinet, notre bon maître à tous, vos ouvriers vous chérissent d’une manière flatteuse… mais comme dit le Lyonnais, mourir en travaillant ou vivre en combattant.

CRINET

Eh bien… après… qu’est-ce que ça prouve, pourquoi n’es-tu pas à ton métier… à travailler, paresseux… fainéant…

LOPIN

Pardon excuse, monsieur Crinet, mais comme dit le Lyonnais, vivre en travaillant ou mourir en combattant… en combattant… et voilà.

CRINET

Est-il bête celui-là… qu’est-ce qui te parle de vivre et de combattre, va-t’en travailler imbécile.

LOPIN

Monsieur Crinet, les autres m’ont dit de vous dire que nous ne voulions plus travailler, à moins que vous nous donniez dix sous de plus par jour.

CRINET

En voilà bien d’une autre? mais ces gueux-là sont fous.

LOPIN

Nous pas des gueux… nous Français, citoyens, patriotes… nous savons nos droits… vivre en travaillant…

CRINET, L'interrompant

Vos droits… vos droits… Qu’est-ce que ça veut dire vos droits? bêtes que vous êtes?

LOPIN

Nous pas fous… nous travailleurs et vous oisifs… et les oisifs doivent payer les travailleurs, c’est politique.

CRINET

Politique… politique… est-ce que des ouvriers doivent savoir ce que c’est que la politique.

LOPIN

Ah! pour ça, monsieur Crinet, pendant les glorieuses, vous nous avez dit que les ouvriers devaient avoir des droits politiques… et que même c’était eux qui feraient la chose de la loi, et que pour lors comme c’était eux qui faisaient la loi ils la faisaient eux-mêmes, et pour se donner les douceurs de la vie… et c’est pour la chose de vous obéir que vos ouvriers vous font la loi à vous-même, et veulent dix sous de plus ou sinon rien du tout, pas de travail… et comme dit le Lyonnais, vivre en travaillant ou mourir en combattant… en combattant…

CRINET

Ah, c’est comme ça… misérables, eh bien je vais aller chercher le commissaire, et puisque c’est une coalition, nous allons voir…

LOPIN

Oui, monsieur Crinet… voyez voir, voyez voir… tous les hommes sont égaux… les oisifs et les travailleurs… Vous oisifs donner dix sous… nous travailleurs prendre les dix sous, et comme dit l’autre, vivre en travaillant ou mourir en combattant: vive l'Empereur…

CRINET

Ah! je vais t’en donner du vive l'Empereur… Suzon, mon chapeau et ma canne, et vous en allez voir de belles… Il ne me manquait plus que ça, plus de fourniture, et augmenter les journées de mes ouvriers… c’est à n’y pas tenir!

(Il va pour sortir, entre Suzon égarée.)
SUZON

Ah! mon Dieu, les gendarmes, les gendarmes…

CRINET

Ah, ah, messieurs les scélérats, nous allons voir… voilà les gendarmes, voilà les soutiens de l’ordre public; nous allons voir… Allons, Lopin, soyez raisonnable, et j’oublie tout… voyons… j’ai pitié de toi, et je ne te fais pas empoigner comme je le devrais.

LOPIN

Rien du tout comme dit le Lyonnais, vivre en travaillant ou mourir en combattant. Vous oisifs, donner dix sous, – nous travailleurs prendre les dix sous.

CRINET

Eh bien misérable, tant pis pour toi.

(Entrent les gendarmes.)
CRINET au brigadier

Caporal, voilà un homme que vous allez arrêter; il est le chef d’une coalition d’ouvriers. (Avec suffisance.) Je suis Crinet, négociant.

LE CAPORAL

Pardon alors, mon bourgeois… mais c’est pas lui, c’est vous que j’arrête puisque vous êtes M. Crinet.

CRINET

Comment ça, moi… je suis Crinet, vous dis-je… Jean Crinet, négociant.

LE CAPORAL montrant un papier:

C'est bien ça, mon bourgeois… Jean Crinet, bourgeois, huit jours de prison… condamné par la discipline… c’est pas long et on a des égards… du feu et de la chandelle, et on fait venir du dehors pour manger.

CRINET

Comment, on pense encore à ça; et moi qui me croyais oublié…

LE CAPORAL

Jamais… oublié… mon bourgeois, jamais.

LOPIN

Monsieur Crinet, vos ouvriers…

CRINET

Va-t’en… misérable… je te chasse… sors d’ici.

LOPIN sort en disant:

Mourir en combattant, ou vivre en travaillant.

CRINET avec une rage concentrée:

Et voilà ce que j’y gagne à cette belle révolution; je perds une fourniture, je suis condamné à la prison; mes ouvriers se coalisent… Faites donc des glorieuses. (Au caporal avec dignité.) Vous me permettrez, caporal, de faire mes adieux à ma famille, et de faire un paquet.

LE CAPORAL

Oui, bourgeois.

CRINET

Suzon, où est mon épouse?

SUZON sanglotant

Hi, hi, hi.

CRINET affectant le calme

Je vous reverrai, Suzon… je vous reverrai… Dieu ne m’abandonnera pas… Où est mon épouse?..

SUZON pleurant

Hi, hi, hi.

CRINET

Ah ça, je te dis de ne pas te désespérer. (Avec une amère ironie.) Car je ne crois pas que ce soit ma tête qu’on veuille… pourtant on y va d’un train. Mais encore une fois où est mon épouse, Suzon?

SUZON

Madame est au bain.

CRINET

Mon épouse est au bain… pendant qu’on me traîne au cachot, qu’on me charge de fers. (D'un air imposant.) Où sont vos chaînes, caporal.

LE CAPORAL

Oh, il n’y a pas de chaînes, mon bourgeois; un fiacre…

CRINET

Allons, je supporterai les tortures jusqu’au bout. Suzon, tu diras à mon épouse de m’envoyer du linge, des gilets de flanelle, des bonnets de coton, des serre-têtes, des couvertures, deux oreillers, et un édredon; du café au lait le matin; à déjeûner à dix heures; à dîner à cinq, et un consommé le soir. Adieu, Suzon, et dis à Malvina que je n’ai qu’un regret, celui de ne l’avoir pas embrassée avant de…

L'émotion le suffoque; il cache sa tête dans ses mains. – Suzon se jette à ses pieds, inonde ses mains de larmes. Le caporal est attendri, les gendarmes sont attendris. – M. Crinet surmonte l’émotion, et dit avec un calme sublime. Caporal… marchons…

Au moment où ils vont sortir, entre madame Crinet éplorée; elle se jette dans les bras de son mari, et s’évanouit; celui-ci s’échappe pour résister à cette scène attendrissante. – Suzon soutient sa maîtresse.

Apparaît Régulus à la porte; il jette un regard satanique, et un éclat de rire méphistophélétique sur les deux femmes.

Château de Saint-Brice, 15 août 1832.

– Une fois son œuvre terminée, – il est je crois, pour l’écrivain, deux manières de relire son livre: – La première est de le lire avec son esprit, à lui, la seconde de le lire avec l’esprit du public, si l’on peut s’exprimer ainsi.

De ces deux lectures si opposées, – résultent deux critiques bien distinctes.

La critique intime, personnelle de l’écrivain, qui est toujours, quoi qu’on puisse penser, la plus âcre, la plus incisive, la plus désolante.

Puis la critique qu’il suppose exercée par le public, – celle-ci moins amère, plus bienveillante, plus facile et plus juste.

Mais il arrive souvent, que ces deux critiques diffèrent essentiellement dans leurs résultats; car la critique du public blesse ordinairement à mort, ce qui était la joie, l’espérance, la conscience de l’écrivain.

Où il voyait, lui, un but utile et élevé, le public voit une pensée mauvaise et dangereuse.

Cette idée m’est venue hier, – en relisant ce recueil de contes, dans lequel la morale, – comme on dit, ne paraîtra sans doute pas assez respectée.

Or, – comme il n’est pas, à mon avis, – de rôle plus abject, plus infâme, que celui d’un homme qui spécule sur l’immoralité, – je dois non m’en défendre, car je ne crois pas qu’on puisse m’attaquer sous ce rapport, – mais bien poser ce que j’entends par la morale.

A mon sens, – la condition première de toute œuvre morale est la vérité.

Des critiques, gens de goût, de conviction et de haut savoir, m’ont reproché, – de m'être attaché, – dans la Salamandre, à prouver que le plus souvent il n’y avait que vice et infamie sur la terre: – et qui pis est, —vice heureux et vertu souffrante. – Ils m’ont encore reproché de ne rien montrer de consolant, – et d'être désespérant.

Mais aucun n’a attaqué la vérité de ce que j’avançais.

Cela ne pouvait être autrement.

Maintenant que cette vérité a été adoptée, – me permettra-t-on d’essayer de démontrer que les conséquences que je tâche d’en tirer, en montrant la société telle que j’ai cru la voir, – que ces conséquences sont peut-être, —consolantes, – au lieu d'être désespérantes, – ainsi qu’on l’a dit.

 

Il sera donc irrévocablement démontré… que dans tout état social ou barbare, la vertu est une rare et précieuse exception, une anomalie, un phénomène, tandis que tous les hommes naissent organiquement envieux et égoïstes.

– Ceci est le vrai.

– Or, dès qu’un homme retrace avec naïveté le vrai– on l’accuse d’émettre un système désespérant.

– Il s’est trouvé au contraire des philosophes, qui pénétrés de ce dicton – qu’on ne doit point parler d’échafaud devant un condamné – ont voilé cette vérité, et l’ont remplacée par cette fausseté flagrante:

– Dans notre état social les hommes enfin rapprochés, polis par la civilisation, sont serviables, purs, généreux, dévoués; – le vice seul est une rare et odieuse exception. Nous sommes régénérés.

– Ceci est le faux.

– Or, on a vanté, loué les philosophes qui émettaient un système si consolant.

A mon avis c’était à tort; – car ils agissaient, ce me semble, comme ces gens qui pour chasser la peste, brûlent des parfums au lieu d’employer des sanifiants dont l’âcreté pénétrante blesse l’odorat; mais rend l’air pur et viable au lieu de masquer sa corruption et sa fétidité.

Et ce qui m’a toujours paru fort singulier – c’est que ces dangereuses utopies, ces rêves de perfectionnements anti-naturels soient justement éclos de cette école philosophique du dix-huitième siècle; – école fausse, athée, impie, régicide, dont les adeptes joignaient aux vices élégants de la cour les passions envieuses et brutales de la populace.

Or, ces systèmes sociaux et politiques basés sur la perfectibilité, – ont je crois, opéré l’effet tout contraire à celui qu’en attendaient les inventeurs.

Car il y a dans les sociétés qui déclinent, des instants de vertige tels, que des rhéteurs, ne se contentant plus des systèmes faits pour les hommes, sont nécessairement obligés d’inventer des hommes pour les systèmes nouveaux qu’ils créent.

Oui, alors on suppose l’homme perfectionné, éclairé, dépouillé de son limon primitif, entraîné vers le bien, comme l’aiguille aimantée vers le pôle – et l’on part de cette menteuse et déplorable théorie pour lui donner des droits, pour élever des codes politiques destinés à régir ces êtres régénérés comme on les appelle.

Malheureusement il ne manque aux nouveaux Prométhées que le feu qui puisse animer ces produits fantastiques de leur imagination, autrement dit la vérité.

Aussi qu’arrive-t-il, – vous comptez sur des anges à conduire et pour cela que faut-il, mon Dieu! une rêne d’or ou de soie, un sceptre d’ivoire… à peine quelques liens fragiles… et encore cachés sous des fleurs… et encore… doux anges pourquoi les diriger? Leurs ailes nacrées ne tendront-elles pas à les porter vers un ciel d’azur, – leur âme immortelle ne s’élancera-t-elle pas vers l’infini! – livrons-les donc à la noble impulsion de leur nature; encore une fois croyez aux anges… c’est si consolant, cela épanouit tant le cœur… il y a tant de poésie dans cette conviction.

– Et l’on croit aux anges.

Alors comme on croit aux anges, on devient philanthrope, ami de l’homme, bienfaiteur de l’humanité, – apôtre de la liberté et de l’égalité.

Malheureusement il se trouve que les beaux anges sont des démons hideux, sordides, implacables, stupides qui, d’un bond, brisent rênes d’or et chaînes de fleurs, – incendient, pillent, égorgent, et ivres de sang et de vin, se vautrent au milieu des débris fumants d’une société tout entière, – jusqu’à ce qu’un mors de fer et un fouet sanglant tenus par une main rude et forte les ramènent à leur joug.

– Voilà ce qui est arrivé plus d’une fois, – et voilà ce qui m’a dégoûté de croire aux anges; – car ainsi que tout homme d’âme généreuse, j’y ai longtemps cru, – mais je n’y crois plus.

Au contraire, maintenant, – rien ne me semble plus pernicieux, plus anti-social, que de faire voir l’homme en beau.

– Les hommes qui ont bien gouverné, – ou qui du moins ont exercé la plus grande influence sur les hommes; – car qui peut juger du bien ou du mal gouverner? – Ceux-là, dis-je, qui ont agi le plus puissamment sur les hommes – sont ceux qui ont le mieux étudié, connu, approfondi, leur nature, – qui se sont le plus rapprochés du vrai, – et se sont convaincus de cette maxime que je donnerais peut-être comme juste et simple si elle n’était pas mienne: —que lorsqu’on gouverne des hommes, il ne faut jamais penser qu’à leurs vices.

Parce qu’ainsi que nous l’avons dit, l’éducation, la civilisation la plus avancée, – ne modifieront jamais ces deux principes organiques et vitaux de notre existence physique et morale: —l’envie et l’égoïsme.

– Charlemagne, – Louis XI, – Richelieu, – Mazarin, – Louis XIV, – Bonaparte, – avaient d’abord commencé par apprendre l’algèbre des passions, – si l’on peut s’exprimer ainsi. – Puis ayant fait la somme des vices et des vertus, – ils avaient agi d’après le total.

Mais voici, encore, que pour justifier la pensée morale de quelques contes frivoles, – je m’égare dans des questions d’un ordre bien élevé…

Pour redescendre à mon sujet, je ramènerai la discussion dans un cadre plus étroit, – Il ne s’agira plus de nations, mais du cercle de monde dans lequel nous vivons chaque jour.

Figurez-vous, un homme agissant sous l’influence de la lecture d’un livre, – ce qui n’arrive ordinairement pas; – mais enfin, je l’admets.

– Cet homme aura lu un livre consolant, – dans lequel l’auteur ayant prouvé en phrases sonores que tout est parfait dans le monde, aura dit à notre homme en manière de résumé: —

Allez, Monsieur, la probité, la chasteté, le dévoûment sont des plus communs ici-bas. – Si une femme vous sourit, – croyez à la femme; – si un ami vous tend la main, – croyez à l’ami. – Si un homme politique vous dit: j’agis sans aucun intérêt passé, présent, ou futur; ce que je dis, c’est ma conscience qui me le dicte. – Croyez à la conscience de l’homme politique, – Monsieur. – croyez-y. – Allez, monsieur, ne vous défiez de rien, ne redoutez rien, sortez la tête haute, souriez à tous propos, épanouissez-vous l’âme au soleil de la confiance. Les hommes sont justes, les femmes chastes. – Ne fermez pas votre caisse, Monsieur… Les verroux sont inventés par les pessimistes – et si vous êtes député, Monsieur, demandez bien fort l’abolition de la peine de mort. – prenez en main, sans rougir, la cause de tout ce qu’il y a d’infâmes, de voleurs et de meurtriers dans le monde. – Les bagnes vous en sauront gré, Monsieur, car vous débarrasserez ces braves gens du dernier dieu vengeur, et de la dernière providence, auxquels ils crussent encore. – Je veux dire le bourreau – et la guillotine.

– Allez, – encore une fois, Monsieur, – nous sommes tous frères, et si on vous a volé votre mouchoir ou votre montre, – c’est un de vos frères – qui, voulant avoir un souvenir de vous, son frère, – se sera exagéré les devoirs de l’amitié, voilà tout.

De sorte que le croyant, le consolé, s’en ira tranquillement, promener partout sa bonne et confiante figure, rira à chacun, comptera sur sa maîtresse, sur son ami; – dira en parlant du peuple: ce bon, cet excellent peuple; appellera les procureurs du Roi, des buveurs de sang, – et se pâmera d’aise devant le flasque et mou bavardage des avocats.

Des avocats qui dans l’intérêt de l’humanité vous prouveront – qu’un homme arrêté, ayant encore le couteau dans la gorge de celui qu’il vient d’assassiner, – que cet homme, dis-je… a bien tué si vous voulez, mais si peu, si peu, – et puis c’était vraiment sans y penser, le brave homme… il n’y avait pas préméditation, je vous jure, c’était l’occasion l’ivresse la folie;… – enfin, l’avocat termine en invoquant l'humanité à propos d’un assassin.

Je parle des avocats au criminel, qui plaident ayant la conviction intime de la culpabilité de leur client, – qui défendent l’auteur d’un meurtre flagrant. Je me hâte de déclarer que j’ai toujours admiré sans la comprendre cette sublime abnégation de l’avocat.

Mais pour en revenir à notre consolé, voilà que le soir même du jour où il a lu ce beau livre si consolant, il court avant l’heure accoutumée chez sa maîtresse, pour lui dire combien il croit en elle, – de sorte qu’il trouve, chez cet ange descendu des cieux, un rival en train d'être heureux, et ce rival est un ami intime qu’il a obligé de son crédit et soutenu de son épée…

Le lendemain son bon vieux fidèle serviteur, qui tout-à-fait né pour le prix Montyon, – et jusque-là, vrai modèle de vertu, – parce qu’il n’avait pas été tenté, – son fidèle serviteur s’approprie une bourse que son maître a laissé errer négligemment, depuis qu’il a foi aux hommes.

Et puis le surlendemain, cet excellent peuple, prenant notre consolé pour un empoisonneur, parce qu’il a l’air distrait et marche rêveur, pensant aux réalités peu consolantes, qui viennent de l’accabler, cet excellent peuple le met dans la dure alternative d'être assommé, ou d’avaler un flacon de vinaigre anglais, trouvé sur lui, afin de prouver en le buvant, que cet anti-cholérique n’était pas du poison destiné à éclaircir cette estimable population.

L'homme consolé, naturellement fort perplexe se décide enfin pour le vinaigre, et en meurt, ou peu s’en faut.

Or, s’il en revient, – il me semble qu’il commencera d’abord par maudire l’écrivain consolant, qui l’avait ainsi lancé nu, désarmé, souriant et crédule, – au milieu d’un monde armé de haine, de cupidité, de luxure, d’envie et cuirassé d’égoïsme. Il me semble qu’il aura le droit de haïr les hommes de toute la confiance qu’on lui avait inspirée à leur égard, – et que peut-être le but consolant du livre aura été manqué.

Que si au contraire, on avait dit à notre désolé consolé, défiez-vous des hommes, – Monsieur, – ici-bas chacun joue pour soi, – on ne saurait trop vous le répéter, Monsieur, – l’envie et l’égoïsme – sont les deux grandes sources d’où découlent toutes nos passions, tous nos sentiments, et encore, Monsieur, – il est inutile de diviser ce qui fait un tout, – l’envie n’est que la manifestation de l’égoïsme, – car l’envie exprime ce que l’égoïsme pense.

Ainsi, Monsieur, pénétrez-vous bien de ceci. – Ce qui vous bat dans la poitrine, – ce qui à chaque pulsation semble vous dire: – tu vis. – C'est l'égoïsme, – c’est le moi. —

L'égoïsme, – admirable Protée qui prend toutes les formes, qui joue tous les sentiments, – semble se plier à toutes les abnégations, – parce qu’au fond il y trouve sa pâture et sa vie – comme ces hideux vampires qui savent revêtir les formes les plus séduisantes pour mieux pomper au cœur de leurs victimes le plus pur d’un sang chaud et vivifiant.

Quant au bien que fait l’égoïsme, Monsieur, cela ressemble assez aux effets salutaires de la foudre, – qui après avoir tué dix personnes, rendra par hasard le mouvement à un paralytique.

Ceci est triste, triste je le conçois; – mais cela est. – Ne comptez donc jamais sur un sacrifice de la part des autres, – et attendez-vous à être sacrifié si vous tenez mal vos cartes dans cette partie ou chacun tire à soi. – Je vous le répète, Monsieur, ceci est triste, – et nos régénérateurs patentés n’ont obtenu aucune amélioration morale, – jusqu’à présent, – parce que les hommes ne seront vertueux que lorsqu’on leur prouvera qu’il est matériellement de leur intérêt d'être vertueux. – Or ici est la difficulté, Monsieur, – car qui dit vertu dit dévoûment aux autres; – et qui dit intérêt, – dit dévoûment à soi-même.