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Kitabı oku: «Les mystères du peuple, Tome V», sayfa 3

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Brunehaut et Warnachaire, stupéfaits de l'étrangeté de ce vieillard, qui n'avait d'ailleurs rien d'offensif, tantôt le suivaient des yeux, tantôt se regardaient en silence durant le peu d'instants qui suffirent à Loysik pour reconnaître l'effigie de Victoria. La reine, de plus en plus convaincue que ce moine était fou, perdit patience, frappa du pied et s'écria:

– Duk, appelle mes pages, qu'ils chassent d'ici à coups de houssine ce vieux fou qui se dit abbé du monastère de Charolles, et qui vient s'agenouiller devant mes médailles antiques, en leur adressant je ne sais quelles invocations insensées; mais je ferai rudement châtier ceux qui ont laissé ce vagabond s'introduire ici.

Brunehaut parlait encore lorsqu'un de ses pages entra par la porte de la grande salle, et après avoir fléchi le genou lui dit:

– Glorieuse reine… un messager arrive à l'instant de l'armée, il est porteur de lettres urgentes pour le seigneur Warnachaire.

– Cela est important, duk, va recevoir ce messager, reviens promptement m'instruire des nouvelles qu'il apporte. – Puis s'adressant au page et lui montrant Loysik qui, le front haut, le regard ferme, s'avançait vers elle: – Va chercher quelques-uns de tes compagnons et chasse d'ici, à coups de houssine, ce vieux moine fou; la perte de sa raison lui épargne un autre châtiment. – La reine se levant alors se dirigea vers sa chambre à coucher, disant au maire du palais: – Warnachaire, reviens au plus tôt m'instruire des nouvelles apportées par le messager.

– Je vais, madame, le recevoir à l'instant; mais ce fou…

– Cela regarde mes pages… Allons, aux houssines… aux houssines!

Le maire du palais sortit; au moment où la porte se trouvait ainsi ouverte, le page, sans quitter la salle, appela plusieurs de ses compagnons rassemblés dans la pièce voisine. Loysik voyant la reine, sans s'occuper plus de lui que l'on ne s'occupe d'un insensé, rentrer dans sa chambre, Loysik courut vers Brunehaut, et lui présentant un parchemin qu'il venait de tirer de sa robe, il lui dit d'une voix forte: – Je ne suis pas fou… Cette charte du feu roi Clotaire Ier vous prouvera que je suis le supérieur du monastère de Charolles, où votre chambellan et ses soldats sont à cette heure, je vous le répète, retenus prisonniers par mon ordre.

– Loysik! – s'écria l'un des jeunes pages qui venaient d'accourir à la voix de leur compagnon, – le frère Loysik ici?

– Quoi! ce moine! – s'écria Brunehaut stupéfaite, – c'est Loysik?.. l'abbé du monastère de Charolles?

– Oui, glorieuse reine!

– D'où le connais-tu?

– On me l'a montré et nommé au dernier marché d'esclaves; il achetait des captifs pour les affranchir; ce matin je l'ai vu traverser une des cours du palais en compagnie du juif Samuel, que tout le monde connaît à Châlons.

Brunehaut fit signe aux pages de sortir, et après un instant de réflexion, s'adressant à l'un d'eux: – Va dire à l'ami Pog de se rendre dans sa cave avec ses garçons; il allumera son brasier, ses lanternes et il attendra.

Le page s'inclina en pâlissant; mais avant de s'éloigner il jeta sur le vieillard un regard de commisération et d'épouvante. La reine, restée seule avec Loysik, marcha quelques instants silencieuse et d'un pas agité; puis elle dit à l'ermite laboureur d'une voix sourde et brève: – Donc, tu es Loysik, toi?

– Je suis Loysik, supérieur du monastère de Charolles.

– Et d'abord, comment as-tu pénétré ici?

– J'ai rencontré ce matin aux abords de ce château un marchand d'esclaves nommé Samuel; dernièrement encore je lui avais acheté plusieurs captifs: il m'a appris qu'il se rendait ici; sachant que l'on entrait difficilement dans ce palais, j'ai demandé à Samuel de l'accompagner; il a d'abord hésité, deux pièces d'or l'ont décidé.

– Ces juifs! Et comme les gardiens des portes avaient l'ordre d'introduire Samuel et des esclaves, tu as passé avec sa marchandise?

– C'est la vérité.

– De sorte que pendant que le juif m'a amené ici les deux jeunes filles, tu attendais dans la salle basse?

Loysik fit un signe de tête affirmatif.

– Mais ensuite, lorsque Samuel a quitté le palais?

– Le juif m'ayant dit que de la salle basse on montait ici par cet escalier, j'y suis monté tout à l'heure, et, caché derrière le rideau, j'ai entendu votre entretien avec une de vos femmes.

Brunehaut bondit sur son siége, puis regardant le moine d'un air de doute effrayant: – Ainsi, cet entretien tu l'as entendu?

– Oui; j'allais entrer, vous croyant seule; les premiers mots de votre conversation avec votre confidente m'ont frappé… j'ai écouté; ailleurs je ne me serais jamais permis cette action basse et déloyale… mais…

– Mais dans le palais de Brunehaut, tout est permis, n'est-ce pas?

– Le palais de Brunehaut est hors de l'humanité; lorsqu'on met le pied ici, l'on sort du monde connu; ses lois n'existent plus. Lorsque je me suis approché de cette porte, il m'a semblé entendre deux damnées dans l'enfer des catholiques… Cette rencontre est rare… j'ai écouté.

– Vieillard… j'aime ton courage, tu supporteras vaillamment la torture, elle durera plus longtemps. Tu connais l'ami Pog et ses garçons, que j'ai tout à l'heure fait avertir par un de mes pages?

– Le bourreau et ses aides, je suppose…

– Justement… Dis-moi… quel âge as-tu?

– L'âge d'un homme qui va mourir.

– Tu t'attendais à la mort?

Loysik haussa les épaules sans répondre.

– C'est juste, – reprit Brunehaut avec un sourire affreux, – apporter de pareilles nouvelles, c'était courir au-devant du supplice…

– Je suis venu ici de mon plein gré, votre chambellan et ses hommes sont restés prisonniers dans le monastère; il ne leur sera fait aucun mal.

– Vieillard, tu te trompes… Oh! un châtiment terrible les attend. Infamie… lâcheté… honte et trahison! Un officier, des hommes de guerre de Brunehaut prisonniers d'une poignée de moines! L'ami Pog et ses garçons auront plus de besogne que je ne le croyais.

– Vos hommes de guerre n'ont pas été lâches; eussent-ils été deux fois plus nombreux, ils n'auraient pu résister aux gens du monastère et de la vallée de Charolles…

– Vraiment…

– Non, car mes frères ont résolu de vivre ou de mourir libres. Si vous méconnaissez les droits que leur garantit une charte du feu roi Clotaire Ier.

– Et cette charte… tu l'invoques auprès de moi?..

– Pourquoi non?

– Tu le demandes? Une charte du père du mari de Frédégonde? une charte de l'aïeul de Clotaire II, fils de Frédégonde, mon plus mortel ennemi. Moine, je te croyais un homme dangereux et subtil, je me trompais; tu viens ici me parler d'une charte signée de l'aïeul de l'homme que je poursuivrai jusqu'à la tombe… Mais, vieillard insensé! un arbre qui aurait prêté son ombrage au fils de Frédégonde, je le ferais brûler, cet arbre! Une source où cet homme se serait désaltéré… je la ferais empoisonner, cette source… Et il s'agit, non plus d'objets inanimés, mais d'hommes, de femmes, d'enfants qui doivent leur liberté à l'aïeul du fils de Frédégonde! Je peux, ces affranchis de Clotaire Ier, les faire souffrir dans leur âme, dans leur chair et dans leur race! Oh! merci! moine, merci; dès demain tous les habitants de cette vallée seront envoyés comme esclaves à ces farouches tribus qui me viennent de Germanie… Ce sera une avance sur le pillage promis.

– Soit, vous allez envoyer de nombreuses troupes dans la vallée; elles y pénétreront de vive force, elles écraseront nos habitants malgré leur résistance héroïque: hommes, femmes, enfants sauront mourir. Vos soldats, après un combat acharné, entrant dans la vallée n'y trouveront que cendres et cadavres; c'est dit; maintenant, écoutez ceci. La guerre est déclarée entre vous et le fils de Frédégonde; le moment est suprême, vous avez besoin de toutes vos forces. Exécrée du peuple, exécrée des grands, dont les plus considérables sont déjà dans le camp de Clotaire II, soupçonnant vos généraux, ne rêvant que trahison; à peine êtes-vous certaine de la fidélité de votre armée, puisqu'il vous faut appeler comme auxiliaires des tribus barbares et leur promettre le pillage… Écoutez encore… Notre malheureux peuple est énervé par l'esclavage, je le sais; mais, guidé par son instinct et voyant s'accroître de jour en jour la grandeur des maires du palais, il fait des vœux pour eux; songez-y, à leur voix il se soulèvera, parce que il voit en eux les ennemis des rois franks; et cette lutte sanglante nous profitera tôt ou tard, à nous peuple conquis!

– Ah! tu sais bien que l'on ne périt qu'une fois dans les tortures, de là vient ton audace, – dit Brunehaut frappée, malgré sa fureur, des paroles de Loysik. – Continue… je veux voir jusqu'où ira ton insolence!

– Nos gens de la vallée, malgré leur résistance héroïque, seront écrasés… Cependant, voyons! croyez-vous que les populations voisines, si hébétées, si craintives qu'elles soient devenues, resteront impassibles lorsqu'elles auront vu des hommes de leur race, défendant leur liberté, se faire exterminer jusqu'au dernier? Savez-vous que l'horreur de la conquête, la haine de la servitude, l'excès de la misère, ont souvent poussé à d'indomptables révoltes des peuples encore plus abâtardis que le nôtre! Savez-vous que demain… demain! une insurrection terrible peut éclater contre vous à la voix des grands qui vous abhorrent!

– Insensé! est-ce que ces grands ne sont pas autant que nous les ennemis de ta vile race conquise!

– Oui, leur but atteint, votre perte accomplie, ces grands écraseront ce peuple comme vous l'écrasiez vous-même, c'est le droit qu'ils vous disputent; oui, après l'explosion de sa colère, ce malheureux peuple reprendra son joug avec docilité… car les temps, hélas! ne sont pas encore venus! Mais qu'importe! Cette révolte au cœur de votre royaume en ce moment où votre implacable ennemi menace vos frontières, en ce moment où la trahison vous enveloppe… cette révolte serait aujourd'hui votre perte… et vous livrerait vous, vos royaumes, au fils de Frédégonde!

À ce nom Brunehaut tressaillit de fureur… Puis, le front penché, le regard fixe, elle parut plus attentive encore aux paroles de Loysik, qui continua avec un amer dédain:

– La voilà donc cette reine si fameuse par l'effrayante audace de sa politique! Pour assurer son empire elle a commis des crimes qui feront un jour douter de la vérité de l'histoire… Et elle va risquer ses royaumes, sa vie, par haine d'une poignée d'hommes inoffensifs! L'avaient-ils donc outragée? Non, ils lui étaient inconnus jusqu'ici; son attention a été attirée sur eux par la cupidité d'un évêque envieux de posséder leurs biens. Mais ces hommes qu'elle veut réduire à l'héroïsme du désespoir! ces hommes, si elle les épargnait, seraient-ils pour elle de dangereux ennemis? Non, ils ne demandent qu'à continuer de vivre libres, paisibles, laborieux; s'ils peuvent devenir redoutables, c'est par l'exemple de leur martyre… et cette femme n'a qu'une idée fixe: leur martyre… Il peut provoquer des soulèvements dont elle sera la première victime… Elle les brave… pourquoi? Pour se venger de ce que la liberté de ces hommes a été garantie par un roi mort il y a un demi-siècle… Oh! vertige du crime! avec quelle joie je te verrais pousser cette femme aux abîmes, si le pied ne devait lui glisser dans le sang de mes frères!

Brunehaut, après avoir écouté Loysik avec une attention profonde, garda un moment le silence et reprit: – Moine… il est fâcheux que tu aies l'âge des gens qui vont mourir… tu serais devenu mon conseiller le plus écouté; je ne raille pas, je suivrai tes avis. Cette vallée sera épargnée pour le présent… Tu dis vrai; en ce moment où la guerre menace… où les grands n'attendent que l'occasion de se rebeller contre moi, réduire les habitants de cette vallée au désespoir, au martyre, serait de ma part une folie.

– Mon but est rempli; je ne vous demande pas de promesse au sujet du monastère et des habitants de la vallée de Charolles, votre intérêt est pour moi la meilleure garantie. Maintenant je voudrais une feuille de parchemin pour écrire…

– À qui?

– À mon frère… et à mes moines… quelques lignes seulement; vous pourrez les lire… Ce sont des adieux à ma famille; je désire aussi prier les membres de ma communauté de laisser libres votre chambellan, l'archidiacre et vos hommes de guerre; un de vos messagers portera ma lettre.

– Il y a là sur cette table ce qu'il faut pour écrire. Assieds-toi…

Loysik s'assit et se mit à écrire avec sérénité; cependant sa joie était si grande d'avoir heureusement réussi dans cette difficile occurrence, que sa main vacillait un peu; Brunehaut l'observait, sombre et silencieuse; elle lui dit: – Tu trembles… vieillard?

– C'est vrai, mais excusable; la satisfaction d'avoir épargné tant de maux à mes frères m'émeut et ma main tremble.

– As-tu fini?

– Voici la lettre… Lisez.

Brunehaut lut, et reprit en roulant le parchemin: – Ces adieux sont simples, dignes et touchants; je comprends de mieux en mieux la puissante et dangereuse influence que tu exerces sur ces gens-là… Ils sont le bras, tu es la tête. Tout à l'heure ils ne seront plus qu'un corps sans tête… et, après la guerre, je les réduirai plus facilement. Tu n'as rien à me demander?

– Rien… sinon de hâter mon supplice.

– Je serai généreuse; ton inébranlable fermeté me plaît; je te fais grâce de la torture, et te laisse le choix de ta mort…

– Faites-moi simplement couper la gorge…

– De quelle manière?

– Avec un rasoir; j'indiquerai le bon endroit à l'ami Pog; je suis assez chirurgien pour renseigner votre bourreau.

– Tu seras content… Allons, cherche bien, moine… Tu n'as rien de plus à me demander?

– Si, – répondit Loysik en se dirigeant lentement vers la console d'ivoire où était le médaillier, – je voudrais emporter cette grande médaille de bronze; je la garderais seulement pendant le peu de temps qui me reste à vivre… Il me serait doux de mourir les yeux attachés sur cette glorieuse effigie.

– Quoi! cette médaille à laquelle en entrant ici tu as adressé je ne sais quelle invocation, qui m'a fait te prendre pour un fou? Voyons-la donc, cette médaille… Ce sont de ces choses antiques que l'on a par curiosité. Vraiment… cette femme est belle et fière sous son casque de guerrière… Qu'y a-t-il de gravé au-dessous: Victoria, empereur. Une femme empereur? Qu'est-ce à dire?

– Ce titre souverain lui fut décerné après sa mort…

– C'était tard… Et pendant sa vie, que faisait-elle donc?

– Elle aimait son fils…

– Ah! elle avait un fils? Elle était sans doute de race royale?

– Elle était de race plébéienne.

– Mais sa vie… quelle fut sa vie?

– Simple… austère, illustre! Sa grande âme se lisait dans ses traits, d'une sérénité grave… Figure auguste que le bronze a reproduite pour la postérité.

– Moine… assez sur sa figure… Quelle fut sa vie?..

– Sa vie fut celle d'une chaste épouse… d'une mère sublime… d'une vaillante Gauloise. Elle ne quittait sa modeste demeure que pour suivre son fils à la guerre ou aux camps. Les soldats l'adoraient; ils l'appelaient leur mère. Elle élevait virilement son fils dans le saint amour de la patrie, et lui donnait l'exemple des plus hautes vertus. Son ambition…

– Cette femme austère était ambitieuse!

– Autant qu'une mère peut l'être pour son fils; elle avait l'ambition de faire de ce fils un grand citoyen, l'ardent désir de le rendre digne d'être un jour élu chef de la Gaule par le peuple et par l'armée.

– Élevé par une mère… si incomparable, il fut élu?

– Citoyens et soldats l'acclamèrent d'une seule voix. En le choisissant, ils glorifiaient encore Victoria… Victoria, sa mâle éducatrice! Ces qualités brillantes qu'ils honoraient en lui, c'était son œuvre à elle! L'élection du fils consacrait l'influence souveraine de la mère… Oh! véritablement souveraine par le courage, le génie, la bonté. Alors commença pour le pays une ère de gloire et de prospérité. S'affranchissant du joug de Rome, la Gaule libre, forte, refoula les Franks hors de ses frontières, et jouit enfin des bienfaits de la paix! Aussi d'un bout à l'autre du territoire un nom était idolâtré! Ce nom! le premier que les mères apprenaient à leurs enfants, après celui de Dieu… Ce nom si populaire, ce nom entouré de tant de vénération, de tant d'amour, c'était celui de Victoria!

– Enfin, moine… cette femme… que dis-je? cette divinité régnait pour son fils!

– Oui… comme la vertu règne sur le monde! Invisible aux yeux, c'est aux cœurs qu'elle se révèle; Victoria la Grande, aussi modeste dans ses goûts que la plus obscure matrone, fuyait l'éclat et les honneurs. Retirée dans son humble maison de Trèves ou de Mayence, elle jouissait de la gloire de son fils, de la prospérité de la Gaule… Mais pour régner en reine… non… non… elle méprisait trop les royautés.

– Et la cause de ce dédain superbe!

– Victoria disait sagement que le pouvoir royal héréditaire se transmettant avec la possession des peuples comme un domaine avec ses esclaves est une usurpation monstrueuse. Victoria disait encore que ce pouvoir presque sans bornes finit tôt ou tard par dépraver les meilleurs naturels et par rendre les méchants l'exécration du monde… Fidèle à ses principes, elle refusa de rendre le pouvoir héréditaire pour son petit-fils!

– Il eût été dommage qu'une si glorieuse race s'éteignît… Ah! elle avait un petit-fils.

– Oui, comme vous… Victoria était aïeule…

Et Loysik regarda fixement la reine. Dans la manière dont le vieux moine accentua ces mots adressés à Brunehaut: —Comme vous, Victoria était aïeule il y avait quelque chose de si souverainement écrasant! une condamnation si flétrissante des épouvantables moyens employés par ce monstre pour dépraver, énerver, tuer moralement ses petits-fils dont elle était forcée de respecter la vie pour régner en leur nom… que Brunehaut, livide de rage, mais se contenant toujours, de crainte de laisser voir les blessures saignantes de son orgueil infernal, ne put soutenir le regard du vieillard et baissa les yeux devant lui. Loysik poursuivit:

– Oui, Victoria était aïeule, et tout en régnant sur la Gaule par son génie, dont le renom s'étendait jusqu'aux nations voisines, Victoria la Grande filait sa quenouille auprès du berceau de son petit-fils; elle veillait sur lui comme elle avait veillé sur le père de cet enfant, avec une mâle sollicitude; son espoir était de faire de lui un bon citoyen, un brave soldat; cet espoir fut détruit, une trame épouvantable enveloppa le fils et le petit-fils de cette femme auguste; ils périrent dans un soulèvement populaire.

– Ha! ha! – s'écria Brunehaut avec un éclat de rire sardonique et joyeux, comme si sa haine contre l'héroïne gauloise eût été assouvie. – Elle a dû bien souffrir… Telle est donc, moine, la justice de Dieu!

– Telle est la justice de Dieu… car ce crime permit à Victoria de léguer à l'admiration des siècles un noble exemple d'abnégation et de patriotisme! Après la mort de son fils et de son petit-fils, Victoria, suppliée par le peuple, par l'armée, par le sénat, de gouverner la Gaule… refusa. Oui, – ajouta Loysik, répondant à un geste de surprise échappé à Brunehaut, ce monstre qui pour régner avait dépassé les limites des crimes connus, – oui, Victoria refusa par deux fois; elle désigna ceux qu'elle croyait les plus dignes d'être élus chefs du pays, leur offrant le tout-puissant appui de sa popularité, les conseils de sa haute sagesse, pour le bien de l'État; il en fut ainsi; Victoria continua de vivre modestement dans la retraite, et tant que dura sa vie la Gaule vécut grande et prospère. Victoria mourut…

– Enfin… elles meurent ces héroïnes… Continue, maître.

– La mort de Victoria couronnait une série de crimes dont son fils et son petit-fils avaient été victimes… Cette femme illustre mourut par le poison.

– Ha! ha! – s'écria Brunehaut avec un nouvel éclat de rire sardonique… – Moine… moine… tu vois… toujours la justice de Dieu!..

– Toujours la justice de Dieu… car la mort des plus grands génies qui aient illustré le monde n'a jamais été pleurée comme fut pleurée la mort de Victoria! On eût dit les funérailles de la Gaule! Dans les plus grandes cités, dans les plus obscurs villages, les larmes coulaient partout. Partout on entendait ces mots entrecoupés de sanglots: Nous avons perdu notre mère… Les soldats, ces rudes guerriers des légions du Rhin, bronzés par cent batailles, les soldats pleuraient avec les enfants… C'était un deuil universel, imposant comme la mort. À Mayence, où Victoria mourut, ce fut un spectacle de douleur sublime!

– Assez, moine… – murmura Brunehaut les dents serrées de rage, – oh! assez…

– Ce fut, disais-je, un spectacle de douleur sublime; Victoria, couchée sur un lit d'ivoire recouvert de drap d'or, fut exposée pendant huit jours; hommes, femmes, enfants, l'armée, le sénat, encombraient les abords de son humble maison; chacun venait une dernière fois contempler dans un pieux recueillement les traits augustes de celle qui fut la gloire la plus chérie, la plus admirée de la Gaule…

– Moine… – s'écria Brunehaut en saisissant le bras du vieillard et voulant l'entraîner avec elle, – les bourreaux attendent… Viens… viens… Oh! je serai là…

Loysik n'employa qu'une force d'inertie pour résister à la reine, resta immobile, et continua d'une voix calme et solennelle:

– Les restes de Victoria la Grande, portés sur le bûcher, disparurent dans une flamme pure, brillante, radieuse comme sa vie; enfin, pour honorer son génie viril à travers les âges, le peuple des Gaules, lorsqu'il eut perdu sa mère, lui décerna ce titre souverain que toujours elle avait refusé, par une modestie sublime; oui, il y a plus de quatre siècles, ce bronze fut frappé à l'immortelle effigie de Victoria, empereur!

En disant ces derniers mots, Loysik avait pris la médaille entre ses mains. Brunehaut, dont la rage était arrivée à son paroxysme, arracha l'auguste image des mains du vieillard, la jeta sur le sol, et foula ce bronze sous ses pieds avec une fureur aveugle.

– Oh! Victoria… Victoria! – s'écria Loysik, la figure rayonnante d'enthousiasme, – ô femme empereur! héroïne des Gaules! je peux mourir! ta vie aura été pour Brunehaut le châtiment de ses crimes; – et se tournant vers la reine toujours possédée de son vertige frénétique: – Va… ainsi que ce bronze que tu foules aux pieds, elle défie ta rage impuissante, la gloire immortelle de Victoria la Grande!

Soudain Warnachaire entra dans la salle en s'écriant:

– Madame… madame… désastreuse nouvelle… Un second messager arrive à l'instant de l'armée… Clotaire II, par une manœuvre habile, a enveloppé nos tribus germaines; l'espoir d'un prompt pillage les a réunies à ses troupes; il s'avance à marches forcées sur Châlons. Votre présence et celle des jeunes princes au milieu de l'armée est indispensable en un moment si grave. Je viens de donner les ordres nécessaires pour votre prompt départ. Venez, madame, venez; il s'agit du salut de vos états, de votre vie peut-être… Car, vous le savez, le fils de Frédégonde est implacable…

Brunehaut, frappée de stupeur à cette brusque nouvelle, resta d'abord pétrifiée… tenant encore son pied sur la médaille de Victoria; puis ce premier saisissement passé, elle s'écria d'une voix retentissante comme le rugissement d'une lionne en furie.

– À moi, mes leudes! un cheval… un cheval… Brunehaut se fera tuer à la tête de son armée! ou le fils de Frédégonde trouvera la mort en Bourgogne. Qu'on amène les princes… et, à cheval! à cheval!..

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
13 ekim 2017
Hacim:
410 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain

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