Kitabı oku: «L'Anticléricalisme», sayfa 12
CHAPITRE X
LA SITUATION ACTUELLE
La séparation est faite maintenant. Elle est faite par la loi de 1905, dite «loi Briand».
Cette loi, imitée en partie de la loi de 1795, est, à mon avis, acceptable pour les libéraux et pour les catholiques. Elle est beaucoup plus libérale qu'on n'aurait pu l'attendre de la majorité qui l'a votée, ce qui fait honneur et à M. Briand lui-même, qui a dû la défendre contre les attaques de ses propres amis, et à M. Ribot, qui l'a discutée pied à pied et point par point avec un incomparable talent.
Elle est plus libérale, tout compte fait, que la loi de la Convention. Elle permet à une Église catholique de se former et de se développer en France en autorisant des «associations cultuelles», à organiser le culte, à recueillir des cotisations et des offrandes, à percevoir des fonds par quêtes et location de bancs et chaises, en un mot, à posséder et à administrer, même en s'aidant les uns les autres, ce qui établit une cohésion et un organisme de l'Église catholique française.
La restriction par laquelle les associations cultuelles ne peuvent consacrer leur argent, exclusivement, qu'aux frais du culte, est une précaution assez juste prise contre les biens de mainmorte, est conforme aux idées traditionnelles de toute l'école libérale et semble directement inspirée du mot heureux de M. Ribot: «Surveiller les biens, laisser libres les personnes.»
D'autres restrictions qui ne me plaisent point du tout peuvent, à la rigueur, être considérées comme des mesures de transition qui seraient destinées à disparaître avec le temps, si la loi était destinée elle-même à être appliquée dans un esprit libéral. Par exemple (art. 35), si un discours prononcé ou un écrit affiché ou distribué publiquement dans les lieux où s'exerce le culte «tend à soulever ou armer une partie des citoyens contre les autres», le ministre du culte qui s'en sera rendu coupable sera puni d'un emprisonnement de trois mois à deux ans. Débarrassé de la phraséologie législative, ce texte veut dire que tout propos politique tenu dans l'église par un prêtre sera puni de l'emprisonnement.
Or on peut, en raison pure et en logique pure, raisonner ainsi: «C'est monstrueux! S'il est naturel et même obligatoire d'interdire au prêtre rémunéré par l'État et, par conséquent, sinon fonctionnaire, du moins subordonné au gouvernement, tout propos politique, comment peut-on interdire toute parole de politique à un homme qui est chez lui, absolument chez lui, avec ses amis et qui n'est rémunéré, s'il l'est, que par ses amis, lesquels, autour de lui, sont également chez eux, absolument chez eux?»
Rien de plus juste; mais on peut répondre: «Pendant un certain temps, le prêtre devenu prêtre libre conservera, même malgré lui, aux yeux des populations, quelque chose du caractère du prêtre officiel; et, pendant ce temps, à ce caractère pseudo-officiel les paroles qu'il peut prononcer devant emprunter une autorité particulière, il faut, pendant ce temps et pour ce temps seulement, interdire au prêtre ce qui est permis à un simple citoyen dans une réunion publique.»
Comme mesure de transition cette entrave peut donc, à la rigueur, être acceptée.
Cette loi est donc relativement libérale. Elle met l'Église catholique à peu près, je ne dis pas à très peu près, dans la situation de l'Église catholique américaine. Je crois qu'il y a dans cette loi pour l'Église catholique non seulement faculté d'exister, mais principe ou occasion d'une véritable rénovation et d'un magnifique rajeunissement. C'est ce que, selon le parti dont on est, il est possible, d'après cette loi, ou d'espérer ou de craindre.
Au fond, il me semble bien que cette loi n'a véritablement inquiété que ceux qui l'ont faite. Les républicains despotistes y ont été amenés au gré de circonstances interprétées tout de travers par des frénétiques, et, maintenant qu'ils l'ont faite, ils ne sont pas tout à fait sûrs qu'elle ne soit pas contre eux. – Et de même ceux qui l'ont repoussée ne sont pas tout à fait sûrs qu'elle ne leur soit pas favorable et se demandent un peu s'ils n'auraient pas dû la proposer. En somme, on ne l'a guère repoussée à droite que parce qu'elle venait de la gauche, et on l'aurait certainement repoussée à gauche si elle était venue du côté droit. La raison des résistances qui se sont produites a été le Timeo Danaos et dona ferentes, et l'on n'a suspecté le don qu'à cause des donateurs.
A ne regarder que le don seulement, comme un homme qui s'obstine à n'appartenir à aucun parti, je ne puis pas dire que je ne sois point relativement satisfait. En somme, c'est bien là une séparation de l'Église et de l'État rationnelle, sinon généreuse, et pacifique, en soi, sinon bienveillante. Or la séparation est pour moi la vérité, et je crois que, comme j'en ai toujours été, je serai toujours de l'avis de Lamartine en 1831 et en 1843. En 1831, il écrivait, en son Mémoire sur la politique rationnelle: «La séparation de l'Église et de l'État est l'heureuse et incontestable nécessité d'une époque où le pouvoir appartient à tous et non à quelques-uns: incontestable, car sous un gouvernement universel et libre, un culte ne peut être exclusif et privilégié; heureuse, car la religion n'a de force et de vertu que dans la conscience. Si l'État s'interpose, la religion devient pour l'homme quelque chose de palpable et de matériel, qu'on lui jette ou qu'on lui retire au caprice de toutes les tyrannies. Elle participe [est-ce assez vrai à considérer l'état de l'opinion de 1815 à 1830?] de l'amour ou de la haine que le pouvoir humain inspire; c'est le feu sacré de l'autel alimenté avec les corruptions des cours et les immondices des places publiques.»
Et il écrivait en 1843, avec cette horreur du régime napoléonien qu'il eut toujours et qui, s'il n'est pas le commencement de toute sagesse politique, est le commencement de tout libéralisme et de toute conception généreuse de la chose politique, il écrivait dans sa brochure l'État, l'Église et l'Enseignement: «Napoléon, ce grand destructeur de toutes les œuvres de la philosophie, s'est hâté de renverser cette liberté, fondement même de toutes les autres. Il a fondé de nouveau l'Église dans l'État, l'État dans l'Église; il a fait subir un sacre au pouvoir civil; il a fait un Concordat: il a déclaré une Église nationale et par là même [ou plutôt parallèlement] un enseignement aussi… Il a vendu à faux poids son peuple à l'Église et l'Église ensuite à son peuple. Cet acte a reculé d'un siècle peut-être le règne de la liberté des âmes qui approchait.»
Il me semble que ces fortes paroles du grand homme, que personne ne peut incriminer ou soupçonner d'hostilité, ni même de malveillance à l'égard de la religion catholique, sont à méditer aujourd'hui et portent à considérer comme un progrès toute mesure qui, même maladroitement, même parcimonieusement, délivre l'Église des chaînes lourdes et peu dorées de l'État.
Quoi qu'il en puisse être, la situation actuelle est celle-ci.
Au point de vue des congrégations religieuses, despotisme absolu, proscription absolue. C'est à peine si quelques ordres hospitaliers sont tolérés encore.
Au point de vue de la liberté de l'enseignement, interdiction absolue à tout congréganiste d'enseigner quoi que ce soit. Les prêtres séculiers peuvent enseigner encore.
Au point de vue du culte, de la prédication et de l'administration des sacrements, Église libre, relativement, assez largement, non payée par l'État, vivant des ressources qu'elle se créera par le mécanisme des associations cultuelles.
Dans cette situation y a-t-il solution trouvée et acquise? En d'autres termes, la question du cléricalisme et de l'anticléricalisme est-elle fermée ou reste-t-elle ouverte?
Elle reste ouverte pleinement. Car ce qui reste à reconquérir pour les catholiques, à les considérer comme libéraux, le voici:
C'est la liberté d'association pour les religieux, lesquels ont parfaitement le droit de vivre en commun et de posséder en commun, sous réserve de précautions à prendre contre l'accroissement des biens de mainmorte.
C'est la liberté d'enseignement pour les religieux, lesquels ont parfaitement le droit d'enseigner, ou plutôt c'est la liberté pour les pères de famille de faire enseigner leurs enfants par qui ils veulent, pourvu que l'enseignement ne soit ni immoral ni dirigé contre la patrie ou contre les lois.
C'est enfin, quoique beaucoup moins important, la liberté pour le prêtre séculier, qui désormais est un prêtre libre, de dire, dans la chaire libre où il parlera désormais, tout ce qu'il voudra, sauf des choses immorales ou des choses contre la patrie; de dire même des choses contre les lois, car il est permis de discuter les lois entre hommes libres dans le dessein de faire amender celles qu'on trouve mauvaises, pourvu qu'on n'insulte pas le législateur.
Et, d'autre part, ce que les républicains à la fois autoritaires et anticléricaux ont à conquérir: c'est la dispersion, proscription et destruction des dernières congrégations religieuses encore épargnées, si rares soient-elles.
C'est l'interdiction d'enseigner à tout prêtre séculier; car exactement les mêmes raisons existent d'empêcher un prêtre, chaste, pauvre et docile, d'enseigner quoi que ce soit, que d'empêcher un moine, chaste, pauvre et docile, d'enseigner quoi que ce puisse être.
C'est enfin la dispersion, destruction et suppression de l'Église libre elle-même, quand on s'apercevra, ce dont on ne pourra pas manquer de s'apercevoir, qu'elle est un élément de liberté; qu'elle ne dit pas exactement et littéralement ce que le gouvernement pense et veut qu'on pense et que, par conséquent, elle rompt «l'unité morale» de la France et est contraire à la formule de Louis XIV, reprise par M. Combes: «Une loi, une foi».
Or pourquoi les catholiques, à les considérer comme libéraux, ce qu'ils sont pour le moment obligés d'être, et à les tenir pour actifs et énergiques, ce qu'ils sont, renonceraient-ils à ce qu'ils ont à reconquérir; et pourquoi les républicains despotistes et anticatholiques renonceraient-ils aux conquêtes si vastes qu'ils ont encore à faire? Il n'y a aucune raison ni pour ceci ni pour cela.
Je laisse de côté cette partie du sujet: les choses que les catholiques ou simplement les libéraux ont à reconquérir; cela n'a pas besoin de démonstration. Je m'attache à cette partie du sujet: ce que les républicains despotistes ont à conquérir encore et les raisons pourquoi ils ne voudront ni ne pourront renoncer à la poursuite de cette conquête.
Qu'ils aient à conquérir encore, on vient de le voir suffisamment; qu'ils veuillent conquérir encore, ils l'ont dit d'une façon générale dans la déclaration de l'extrême gauche avant le vote de la loi de 1905 à la Chambre des députés: «La loi n'est que provisoire: elle marque seulement une étape nécessaire dans la marche de la laïcité intégrale»; et ils l'ont dit en détail mille fois, ainsi qu'on verra plus loin. – Et qu'ils soient désormais comme obligés de conquérir encore, c'est de quoi l'on verra toutes les raisons, ou du moins les plus évidentes, dans les pages qui vont suivre.
Il est très évident et il n'est pas besoin de déduire longuement que les républicains despotistes voudront détruire et voudront ensuite éternellement empêcher de renaître ce qui reste encore des congrégations, puisque pour eux, ils l'ont assez dit, le congréganiste est un être, non seulement antisocial, mais antihumain. L'homme, ou la femme, docile, pauvre et chaste, est pour le républicain despotiste, pour le démocrate, un être qui ne doit plus enseigner. Et pourquoi ne doit-il pas enseigner? Parce qu'il est un être contre nature. C'est leur argument mille fois répété. Il est clair que l'argument va plus loin qu'à interdire l'enseignement au congréganiste; il va jusqu'à interdire au congréganiste d'exister. Si le congrégatisme fait du congréganiste un être contre nature, le congrégatisme est un délit, est un crime. Si permettre à un tel être d'enseigner est monstrueux, lui permettre d'être est au moins illicite, est au moins indigne.
Songez qu'il y a même identité entre le crime d'enseigner quand on est dans certaines conditions et le crime d'exister quand on est dans ces mêmes conditions. Car on enseigne par l'enseignement, mais tout autant (peut-être plus) par l'exemple. Être ou enseigner, au fond, c'est donc la même chose. Celui qui donne, dans la société moderne, l'exemple de la docilité, de la pauvreté et de la chasteté est donc et aussi dangereux et aussi coupable que s'il donnait l'éducation proprement dite. Au fond, le crime, d'après l'argumentation des anticléricaux, ce n'est pas d'enseigner, étant moine; c'est d'être moine.
Et les anticléricaux n'ont pas tort, à se placer à leur point de vue; car le moine, à être docile, à être pauvre et à être chaste, donne l'exemple de vertus – il les appelle ainsi – qui sont contraires au développement et à l'affermissement de la société démocratique. Une société démocratique, telle que l'entendent les démocrates modernes, est une société où toute force individuelle est supprimée. Rien ne donne force individuelle comme le désintéressement, et celui-là est une personnalité très forte qui n'est l'esclave ni du désir de posséder, ni du désir de commander personnellement, ni du désir de jouir. Un tel homme se soustrait en quelque sorte à l'État par le peu de besoin ou par le nul besoin qu'il a de l'État. Homme dangereux par ceci qu'il est indépendant. Vertueux peut-être, mais de vertus qui, étant antisociales, peuvent et doivent être appelées des vices sociaux.
Un tel homme n'a pas de place en régime despotique et, par conséquent, il doit être proscrit de la République telle que la comprennent la plupart des républicains. Ils y mettent moins de dialectique; mais l'instinct a sa logique qui, pour être confuse, n'en est pas moins sûre. Le congréganiste est, de par un instinct qui ne se trompe aucunement, un être monstrueux et redoutable pour le démocrate. Il doit, non seulement ne plus enseigner, mais cesser d'être. Il n'y a aucun doute que les républicains despotistes ne poursuivent et ne consomment la destruction totale de toute espèce de congrégation, quelle qu'elle puisse être et si anodine en apparence qu'elle soit.
Je suis même persuadé que si la démocratie se développe dans le sens où elle se dirige, elle inventera un ostracisme, contre le citoyen, même isolé, qui par son indépendance, son obéissance à une loi personnelle, sa pauvreté, sa sobriété, sa chasteté, sera un homme qui ne présentera plus de prises, pour ainsi dire, à l'État et sera une espèce de protestation contre la servilité générale que l'État sera parvenu à établir.
Croit-on que la démocratie déteste et redoute l'homme riche parce qu'il est riche? Point du tout. Elle le déteste et elle le redoute, parce qu'il est fort; et parce qu'étant fort, il n'a aucun besoin de se soumettre à elle et lui échappe. Or le désintéressement, l'abnégation, c'est une force; c'est même la plus grande force qui soit: la démocratie ne peut donc pas ou ne pourra donc pas souffrir le désintéressement et l'abnégation.
Les républicains despotistes poursuivront de même la destruction complète de la liberté d'enseignement et, progressivement, ils interdiront d'enseigner 1o aux prêtres séculiers, 2o aux laïques non enregimentés dans l'Université, 3o aux universitaires qui montreront quelque indépendance, soit dans leur enseignement, soit en dehors de leur enseignement.
La raison en est simple. C'est qu'à chaque destruction partielle et limitée de la liberté d'enseignement, ils s'apercevront qu'ils n'ont rien fait qui soit adéquat, ni même qui soit accommodé, à leur dessein et qu'il leur reste tout à faire [nil actum reputans si quid superesset agendum], et ainsi ils seront comme acculés au monopole, eussent-ils commencé par n'en pas vouloir, et au monopole exercé strictement selon leurs idées.
On commence par ne pas vouloir du jésuite et on le chasse. Qu'y gagne-t-on? Le jésuite est remplacé par l'oratorien, par le mariste ou par tel autre éducateur qui donne le même enseignement, à peu de chose près, on en conviendra, que le jésuite.
On chasse le mariste et l'oratorien. Il est remplacé par le prêtre séculier qui donne le même enseignement que le mariste ou l'oratorien.
On interdit l'enseignement au prêtre séculier. Il est remplacé par le laïque catholique qui a exactement les mêmes idées que le prêtre séculier.
On chasse le laïque catholique et l'on arrive au monopole, auquel on a été comme adossé.
C'est à la liberté qu'on ne fait pas sa part, surtout en choses intellectuelles. Elle reste entière tant qu'elle n'est pas nulle. Cela est tellement senti par tous les républicains despotistes que tous ou le proclament ou en conviennent, soit par leur silence, soit par leur embarras à en sortir. M. Ferdinand Buisson a toujours été ou a toujours cru être l'adversaire et l'adversaire indigné du monopole. Il a dit un jour: «Le rétablissement du monopole universitaire, c'est un aveu d'impuissance dans la lutte contre les congrégations. C'est le recours à un biais pour éviter la lutte directe. C'est une diversion pour masquer une défaite. C'est l'abandon de la politique anticléricale que l'on remplacerait par la politique antilibérale… Je suis prêt à parler du monopole, à en examiner l'utilité, l'opportunité, l'efficacité; mais après la suppression réelle des congrégations enseignantes, le jour où la République ayant laïcisé pour tout de bon écoles publiques et écoles privées, ayant dissous les congrégations, dispersé leurs membres et fermé leurs noviciats, il sera démontré que nous nous retrouvons en présence, comme on l'assure, du même péril clérical.»
On lui a répondu: mais, sans aucun doute, vous vous retrouverez en présence du même péril clérical. «M. Buisson abolit toutes les congrégations enseignantes. Il les abolit parce que congrégations. Entendu! Abolit-il aussi pour les prêtres le droit d'enseigner? Abolit-il pour les moines le droit de se séculariser et d'endosser la soutane? S'il n'abolit pas tous ces droits, ce sera comme s'il n'avait rien fait. M. Buisson détruirait-il l'enseignement clérical parce qu'il détruirait l'enseignement congréganiste? Il me semble que nous ne serions pas mieux lotis quand le même enseignement serait distribué par des ecclésiastiques en robe séculière ou par d'anciens moines qui auraient fait simplement l'emplette d'un veston. L'enseignement congréganiste n'est qu'une forme de l'enseignement clérical, la forme la plus visible; mais il n'est pas l'enseignement clérical lui même.» (Dépêche de Toulouse.) – Le raisonnement ne me paraît pas très facilement réfutable.
De même, M. Ferdinand Buisson se félicitait de ce que la Chambre avait rejeté un amendement interdisant l'enseignement aussi bien aux prêtres séculiers qu'aux congréganistes; et, pour démontrer qu'il avait raison de se réjouir, il employait des arguments qui précisément, en s'appliquant aux congréganistes, s'appliquaient tout aussi bien aux séculiers. Il disait: «Nous voulons seulement enlever aux maîtres catholiques le privilège de se grouper dans des conditions exceptionnelles qui les transforment en une masse militairement constituée.»
– «Fort bien, lui répondait-on (Sigismond Lacroix, Radical); mais qui ne voit que les prêtres séculiers sont, aussi eux, groupés dans des conditions exceptionnelles, qu'ils forment eux aussi une masse militairement constituée?»
Il disait: «Il faut et il suffit que la société laïque retire à l'enseignement clérical la seule chose qui en fasse une force abusive, à savoir le droit d'enrégimentation, grâce auquel les maîtres catholiques forment une masse homogène pesant de son poids mort sur la société laïque.»
On lui répondait: «Mais le clergé séculier est enrégimenté comme l'autre.»
Il disait… la même chose en d'autres termes.
On lui répondait: «S'il est juste et nécessaire d'interdire l'enseignement aux membres des congrégations, il est non moins juste et nécessaire de prendre la même précaution à l'égard des prêtres séculiers»; car l'Église est une congrégation, ou qu'est-ce qu'elle est donc?
Et l'on concluait en disant très justement que M. Buisson avait donné des arguments «pour l'avenir», c'est-à-dire contre les prêtres séculiers, et des arguments démontrant très exactement le contraire de la thèse soutenue par lui.
M. Buisson disait: Ce n'est pas à cause de leur enseignement que je proscris les moines; car je suis partisan de la liberté d'enseignement et je reconnais à quiconque «le droit d'enseigner ce qu'il voudra comme il voudra». Si je proscris les moines, 1o c'est «parce qu'une société monastique donne à ses membres un idéal trop différent d'une société démocratique»; 2o c'est parce que les moines «exercent sur l'enfant une pression qui est de nature à compromettre le développement normal de son esprit».
On lui répondait: Mais c'est une partie de leur enseignement que leur respect et leur culte pour l'idéal auquel ils sont soumis et qui est trop différent de la société démocratique; et donc, quand même ils ne le voudraient pas, ils enseignent la contre-démocratie. Et c'est bien aussi (ou de quoi parlons-nous?) une partie de leur enseignement que la pression qu'ils exercent sur l'enfant de manière à compromettre le développement normal de son esprit. C'est probablement leur méthode même. C'est donc bien en raison de leur enseignement que vous leur interdisez d'enseigner. «Eh bien! si c'est pour la qualité de leur enseignement que M. Buisson frappe les congrégations enseignantes, pourquoi tolère-t-il le même enseignement de la part de l'ancien congréganiste, de la part du prêtre séculier, de la part du tiers ordre? Ce qui est détestable de la part d'une congrégation est-il moins détestable de la part des individus? En supportant chez les individus ce qui est condamné chez les congrégations, ce sera absolument comme si rien n'était fait contre le danger de ces dernières. Si vous n'excluez de l'enseignement que les communautés religieuses et si vous n'en excluez pas tous les éducateurs qui sont à leur image, qu'aurez-vous fait pour barrer la route à l'enseignement clérical?.. L'abolition de l'enseignement congréganiste n'aura servi de rien si cet enseignement doit se survivre sous une forme quelconque, soit séculière, soit laïque.» Pourquoi il faut combattre l'enseignement clérical, c'est parce qu'il est «partial»; c'est parce qu'il est «exclusif». «Cet argument nous donne le moyen de mater l'Église tout entière, de ses moines jusqu'à ses prêtres et de ses prêtres jusqu'à ses dévots.» (Dépêche de Toulouse.)
Enfin M. Ferdinand Buisson, se réfutant lui-même ou plutôt se renonçant et s'abandonnant et se laissant aller jusqu'où sa doctrine conduit tout homme logique et par conséquent devait le conduire lui-même, M. Ferdinand Buisson, dans le même article (Temps du 17 septembre 1902) d'une part, après avoir marqué que seule la congrégation, par sa constitution même, était inapte à enseigner, déniait ensuite ce droit tout autant au prêtre séculier qu'au congréganiste; – d'autre part, quand il en arrivait au prêtre séculier, confessait que c'était parfaitement en raison de la qualité de son enseignement qu'il déniait le droit d'enseigner au simple prêtre.
En effet, il disait d'abord:
«La société a le droit de dire au congréganiste: «Vous réclamez la liberté de vous retirer du monde, de vous enfermer au cloître, après avoir juré par tout ce que vous avez de plus sacré de renoncer au mariage, à la propriété de vos biens, à la liberté de votre personne. Je vous y autorise. Mais, à peine en possession de cette autorisation, vous réapparaissez, réclamant vos droits d'homme et de citoyen et tout d'abord celui d'instruire et d'élever les enfants destinés à vivre au sein de cette société dont vous êtes isolé. Voilà qui est étrange. Vous ne sortez du monde que pour y mieux rentrer; vous ne renoncez aux charges et aux conditions ordinaires de la vie de vos concitoyens que pour prendre aussitôt par l'éducation la direction de la société de demain, sinon de celle d'aujourd'hui. Choisissez. L'une de ces deux libertés suppose que l'on renonce à l'autre. Vivez si bon vous semble cette vie exceptionnelle du couvent, vie extra-familiale et extra-sociale. Mais tant qu'il vous plaira d'y rester, trouvez bon que je ne vous charge pas de préparer nos enfants à la vie familiale et sociale de tout le monde; … qu'en tout cas je ne vous autorise pas, sans plus ample examen, à vous dédoubler ainsi en deux hommes, dont l'un vit en dehors de ce monde et dont l'autre aspire à le gouverner.»
Voilà ce que M. Buisson disait d'abord, et c'était bien la thèse Buisson no 1, cette thèse qui consiste à soutenir que le congréganiste vivant en congrégation est inapte à enseigner et indigne d'enseigner à cause de sa manière de vivre.
Sans doute, cette thèse est fausse. Elle repose sur ce principe qu'on ne peut préparer les enfants à vivre dans le monde qu'à la condition de lui ressembler trait pour trait; qu'on ne peut préparer les enfants à vivre dans le monde qu'à la condition de n'être pas meilleur que lui: vous êtes docile, vous ne pouvez pas élever mon enfant; vous méprisez l'argent, vous ne pouvez pas élever mon enfant; vous êtes chaste, vous ne pouvez pas élever mon enfant. L'idée est contestable.
Et, d'autre part, cette thèse repose sur cette idée qu'user d'une liberté «suppose que l'on renonce à l'autre»; qu'user de la liberté d'association implique que l'on renonce à la liberté d'enseignement. Si je vis associé, évidemment je ne puis être professeur; si je suis professeur il est évident, il va de soi que je ne puis être associé à d'autres professeurs. Voilà une nouveauté. Cette incompatibilité entre les divers droits de l'homme n'avait pas encore été relevée. Faut-il dire aussi que si j'use du droit de propriété je renonce par cela même à mon droit de liberté individuelle, et que si j'use du droit d'aller et devenir je ne puis plus être propriétaire? Ce serait tout aussi juste. L'incompatibilité du droit d'association et du droit à enseigner est une trouvaille bien remarquable.
La thèse est donc fausse, et quelques-uns pourraient aller jusqu'à la trouver ridicule. Mais encore c'est bien la thèse Buisson no 1: le congréganiste est inhabile à enseigner à cause de son genre de vie; et cette thèse réserve et respecte le droit à enseigner du prêtre séculier, lequel n'a pas du tout le même genre de vie que le congréganiste.
Or, dans le même article, comme j'ai dit, cent cinquante lignes plus loin, M. Buisson en vient à refuser le droit d'enseigner au prêtre séculier, au prêtre qui vit dans le monde, au prêtre mondain, et c'est la thèse no 2, celle des écrivains qui étaient tout à l'heure les adversaires assez mordants de M. Buisson, et celle qui, comme les adversaires de M. Buisson l'avaient parfaitement vu, est bien forcée de dénier le droit d'enseigner, non en raison du genre de vie de ceux qui enseignent, mais en raison de la qualité de l'enseignement de ceux qui prétendent enseigner:
«Envisageons donc de sang-froid le moment, prochain peut-être, où la conscience publique, s'étant ressaisie, acceptera, approuvera, décrétera une dernière et non moins naturelle incompatibilité: celle des fonctions religieuses et des fonctions enseignantes. Le prêtre, et encore plus le moine, est l'homme de la foi; le professeur est l'homme de la raison, par conséquent, du libre examen. S'engager à être professeur c'est s'engager à penser librement et à faire penser librement. C'est promettre d'éveiller et d'exercer le sens critique, l'habitude de la discussion, l'esprit de recherche sans limite et sans réserve; c'est déclarer que, quelle que soit la vérité, on l'acceptera le jour où la science la fera éclater, dût-elle renverser toutes les théories reçues. Peut-on soutenir que cet état d'esprit soit celui d'un prêtre?»
Et voilà la thèse no 2, et voilà les «incompatibilités naturelles» qui se multiplient. Il y avait incompatibilité naturelle entre le droit d'association et le droit d'enseigner. Il y a maintenant incompatibilité naturelle entre, non pas l'état de vie, mais l'état d'âme du prêtre et le droit d'enseigner. Pour parler net, et non pas plus net que M. Buisson, mais plus court, on n'a pas le droit d'enseigner quand on a la foi; on n'a le droit d'enseigner que quand on est libre penseur; les libres penseurs seuls peuvent enseigner et en ont le droit; la liberté d'enseignement existera et nul n'en est plus partisan que M. Buisson; mais, naturellement, elle ne peut exister que pour les libres penseurs.
Donc on la refusera à tout prêtre catholique, bien entendu. Pour ce qui est des prêtres protestants, c'est très délicat. Comme c'est une question d'état d'âme et comme il est très difficile de savoir quel est l'état d'âme d'un prêtre protestant, il faudra voir et il y aura matière à examen. Comme le prêtre protestant, selon qu'il est plus ou moins près de Calvin, est plus homme de foi ou plus homme de libre examen, mais est toujours en partie foi, et en partie libre examen, il faudra lui demander si décidément il a encore la foi, ou s'il ne l'a plus du tout et s'il est sans réserve et sans retour libre penseur comme M. Berthelot. S'il a encore un peu de foi, on lui dira: «Perdez cela, et vous pourrez être professeur.»
Il en serait de même du prêtre israélite et, remarquez-le bien, il ne pourra pas en être différemment du laïque catholique, du laïque protestant et du laïque juif. Du moment que «l'incompatibilité naturelle», c'est-à-dire l'incapacité d'enseigner, est fondée et qu'on avoue qu'on la fonde sur l'état d'âme du prétendant éducateur et sur l'enseignement qu'à cause de cet état d'âme il doit donner, non seulement tout prêtre qui a la foi, mais tout homme qui a la foi ou qui est suspect de l'avoir est proscrit de l'enseignement. Il n'y a absolument aucune raison pour qu'un laïque à sentiments religieux, qu'il soit, du reste, catholique, protestant ou juif, soit plus apte à enseigner qu'un prêtre catholique, protestant ou juif.
L'incompatibilité signalée par M. Buisson avec une netteté qui ne laisse rien à souhaiter, c'est l'incompatibilité du sentiment religieux et du droit d'enseigner. Le premier acte du futur professeur ou du futur instituteur doit donc être une abjuration. La première déclaration que devra faire le futur professeur ou le futur instituteur sera, non seulement: «Je ne serai pas docile, je ne serai pas pauvre, je ne serai pas chaste», ce qui va de soi et est indispensable; mais encore: «Je n'ai aucune foi religieuse; s'il m'en vient une je démissionnerai», ce qui, d'après la doctrine, est indispensable tout autant et ni plus ni moins.